Les fantasmes climatiques de Donald Trump. Jeffrey D. Sachs

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Les fantasmes climatiques de Donald Trump. Jeffrey D. Sachs, Professor of Sustainable
Development and Professor of Health Policy and… Project Syndicate
Jeffrey D. Sachs, Professor of Sustainable Development and Professor of Health Policy and
Management at Columbia University, is Director of Columbia’s Center for Sustainable
Development and of the UN Sustainable Development Solutions Network. His books include The
End of Poverty, Comm… read more. MAR 31. Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Patrice
Horovitz
NEW-YORK – Le roi danois Knut le Grand, nous dit la légende, a conduit un jour ses courtisans au
bord de la mer pour leur montrer que même un roi ne peut arrêter la marée. Aussi on ne peut que
s'apitoyer devant Donald Trump qui est persuadé que ses décrets peuvent l'emporter sur les lois de
la nature.
Il est entouré d'affidés plutôt que de courtisans, qui à l'image de leur roi stupide et ignare, croient
qu'il leur suffit de nier le réchauffement climatique pour que le charbon, le pétrole et le gaz
retrouvent leur place prépondérante et leur rôle glorieux d'antan. Ils se trompent. La cupidité ne
peut arrêter le réchauffement climatique dû à l'homme, de même que les décrets présidentiels de
Trump n'arrêteront pas le mouvement général d'abandon du charbon, du pétrole et du gaz au profit
de l'énergie éolienne, solaire, hydroélectrique, nucléaire, géothermique ou de toute autre forme
d'énergie à faible émission de carbone.
En moins de 100 jours, Trump a démontré qu'il est prisonnier de ses fantasmes et de sa vérité
"alternative". Il signe des décrets, aboie des ordres, envoie des tweets au milieu de la nuit, mais
sans grand effet. La réalité – la physique, la législation, les tribunaux, les procédures et les électeurs
dont seuls 36% approuvent sa politique – interfère avec ses décisions. Il y a aussi la Chine qui est
gagnante tant sur le plan technologique que diplomatique à chaque faux pas d'un président
américain incompétent.
Son dernier fantasme porte sur le réchauffement climatique. Il a signé des décrets présidentiels qui
visent à abandonner la politique climatique engagée par le président Obama. Il serait mis fin au
programme de production d'énergie propre de l'Agence américaine de protection de
l'environnement (EPA, Environmental Protection Agency) et à l'exigence de limitation des
émissions de méthane liés à la production du pétrole. Il en serait de même de l'évaluation du "coût
social du carbone" introduite par l'EPA (le coût des dommages causés par l'émission d'une tonne
supplémentaire de dioxyde de carbone). Il a aussi autorisé récemment la construction d'un nouvel
oléoduc géant appelé Keystone pour acheminer le pétrole des sables bitumeux de l'Alberta
jusqu'aux raffineries du Nebraska. Obama avait rejeté ce projet, car il aggraverait le réchauffement
climatique.
Selon Trump, ses décisions créeront des emplois dans le secteur du charbon, permettront aux USA
de parvenir à "l'indépendance énergétique" et stimuleront la croissance. Mais sa principale
motivation est de servir les intérêts économiques des industries du charbon, du pétrole et du gaz
qui financent les campagnes électorales des républicains au Congrès et dans les différents Etats du
pays. C'est de la corruption : le financement des campagnes par ces industries en échange d'une
politique qui défend leurs intérêts.
ExxonMobil, Chevron, la Chambre de Commerce des États Unis et Koch Industries sont des acteurs
majeurs, et presque tous les républicains du Congrès sont impliqués dans ce système. Dans la
mesure où l'argent coule à flot pour alimenter leurs campagnes, quitte à passer pour des imbéciles
auprès de l'opinion publique, ils nient l'apport de la science et la réalité du réchauffement
climatique. Que Trump soit ou non assez stupide pour croire à ce qu'il dit, il sait que ses décrets
sont du pain béni pour le pouvoir républicain. Mais comme beaucoup de ses décisions, il s'agit
davantage de cinéma et de fanfaronnades que de réalité.
Il ne peut arrêter la marée ou empêcher la mer de monter en raison du réchauffement climatique.
La science traite de la réalité, même si le président américain paraît satisfait d'afficher son
ignorance scientifique. Le monde connait la réalité du réchauffement climatique. Tous les pays
membres de l'ONU ont signé l'accord de Paris en 2015. La planète vient de connaître la période de
trois ans la plus chaude jamais enregistrée. Le réchauffement des océans est spectaculaire (il s'est
traduit récemment pas la dégradation de 93% de la Grande barrière de corail en Australie). Le
cynisme et l'ignorance de Trump ne vont pas faire changer d'avis grand monde et ne vont pas lui
attirer des sympathies où que ce soit dans le monde.
Par ailleurs ses décisions vont être contestées devant les tribunaux et il va très probablement
perdre. Il va gagner quelques électeurs en Virginie et recevoir les félicitations de Koch Industries,
mais il ne parviendra pas à abroger la réglementation de l'EPA sur les émissions de CO2.
Cette réglementation est protégée par la loi sur la qualité de l'air et Trump ne dispose pas (et de
loin) d'une majorité suffisante pour la modifier. Les électeurs américains sont très largement
favorables à la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Malgré la corruption
de la vie politique américaine, leur point de vue compte encore.
De même, Trump ne parviendra pas à relancer le secteur du charbon qui est moribond.
Aujourd'hui tout joue contre le charbon : il provoque la silicose chez les mineurs et chez les
personnes qui vivent à proximité des centrales à charbon ; et à quantité d'énergie égale, il libère
davantage de CO2 que le pétrole ou le gaz. Enfin, toutes les sources d'énergie fossile sont de plus en
plus concurrencées par le vent, le soleil, l'hydroélectricité et les autres sources d'énergie à zéro
émission de carbone.
Et en ce qui concerne l'emploi, les mines de charbon sont de plus en plus automatisées, ce qui fait
que l'ensemble du secteur n'occupe plus que quelques dizaines de milliers de travailleurs, (alors
que les USA comptent plus de 150 millions de travailleurs). Avec ou sans Trump, le rôle du charbon
comme pourvoyeur d'emplois va diminuer.
Pour la même raison je suis prêt à parier que l'oléoduc Keystone dont le coût s'élèverait à plusieurs
milliards de dollars ne verra jamais le jour. Étant donné l'urgence d'évoluer vers des sources
d'énergie à zéro émission de carbone, le monde n'a pas besoin du pétrole des sables bitumeux du
Canada. Il est très polluant, loin des marchés et son prix de revient est élevé. Même si Trump
l'autorise, les investisseurs ne se précipiteront probablement pas pour financer un oléoduc qui fera
sans doute faillite avant même la date prévue pour sa mise en fonction.
La Chine, l'Europe et même la région du Golfe ne se laisseront pas influencer par Trump. La Chine
veut diminuer ses émissions de CO2, améliorer la qualité de son air et devenir leader des
technologies à faible émission de carbone, par exemple avec les véhicules photovoltaïques et
électriques ; l'Europe est sur la voie d'une économie à zéro émission de carbone et les pays du Golfe
déploient des capacités massives dans les énergies renouvelables, notamment dans l'énergie
solaire.
On peut s'étonner de la corruption du parti républicain et de l'absurdité de la politique du
président américain. Mais ses fantasmes sur le climat ne changeront pas la réalité et
n'empêcheront pas l'application de l'accord de Paris sur le climat.
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