Copyright © 2012 Avello Publishing Journal ISSN: 2049

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Copyright © 2012
Avello Publishing Journal
ISSN: 2049 - 498X
Issue 1 Volume 2:
The Unconscious
L'EMPIRISME TRANSCENDANTAL CHEZ GILLES DELEUZE
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João Gabriel Alves Domingos, Universidade Federal de Minas Gerais, Brazil.
1. Conditions de l'expérience rélle
« L'esthétique souffre d'une dualité déchirante. Elle désigne d'une part la théorie de la sensibilité
comme forme de l'expérience possible ; d'autre part la théorie de l'art comme réflexion de l'expérience
réelle »
2
. Selon le premier sens, l'esthétique concerne la description sur comment la sensibilité est
possible, c'est-à-dire les conditions de l'expérience (les formes a priori de la sensibilité : l'espace et le
temps). D'autre part, selon le deuxième sens, l'esthétique concerne les faits de la sensibilité, c'est-à-dire
l'esthétique comme une réflexion sur l'expérience réelle. Ainsi, les conditions doivent être plus larges
que le conditionné pour le couvrir. En conséquence, les deux moments restent extérieurs l’un de l'autre.
D'un côté, de la réalité, on n'en saisit que ce qui est d'accord avec les conditions (et « le filet est si lâche
que les plus gros poissons passent au travers »
3
), mais, d'autre côté, les conditions ne sont que de
descriptions de la possibilité d'un fait (la philosophie comme une justification, description ou
explication des faits). Le problème de Deleuze est : comment dépasse-t-on cette extériorité ? Qu'est-ce
qu'il faut pour réunir les deux sens d'esthétique (théorie de la sensibilité et théorie de l'art) ?
1
Ce texte est une partie de mon mémoire « Diferença e Sensibilidade em Gilles Deleuze » (2010). Je remercie beaucoup
un gentil ami, Michel Brault, par sa révision de la version en français du texte.
2
DELEUZE, 1971 (1969). p.300.
3
DELEUZE, 1993 (1968). p.94.
2
« Pour que les deux sens se rejoignent, il faut que les conditions de l'expérience en général
deviennent elles-mêmes conditions de l'expérience réelle »
4
. Mais si l'on quitte les conditions de
l'expérience possible de façon à accepter les conditions de l'expérience réelle, alors on quitte la
perspective du conditionnement et on accepte une perspective génétique. Ainsi la question est la
suivante : l'esthétique doit être placée dans le moment d'une genèse et non pas dans le moment d'une
réflexion. Au lieu de parler sur quelque chose, il faut faire de la théorie une création. La subtilité exigée
pour comprendre cette proposition est celle de prendre l'esthétique plus comme une création de
concepts suscités par la création en art qu'une réflexion sur l'art ou une démonstration de sa possibilité.
D'autre part, dans une perspective génétique, l'art est compris comme une façon d'exploration de la
sensibilité, ainsi « l'œuvre d'art, de son côté, [même les œuvres prémodernes] apparaît alors réellement
comme expérimentation ».
5
. De ce point de vue, tout l'art est expérimentation, une expérimentation de
la sensibilité.
Chez Deleuze, la notion de structure (ou d'idée) n'est pas seulement des conditions de
possibilité, c'est-à-dire, des conditions à partir desquelles le phénomène surgit. Dans ce contexte
conceptuel, les phénomènes seraient effets d'identité sur un fond différentiel. Mais, il faut se souvenir
que, en fin de compte, Deleuze ne veut pas maintenir cette extériorité. Bref, l'opposition à être refusée
c'est entre la genèse et la structure. Sur ce point, il nous semble, Deleuze répond à certaines exigences
post-kantiennes, il envisage certaines critiques dirigées contre Kant comme la critique de Salomon
Maïmon
6
.
« Empirisme transcendantal » (ou « empirisme supérieur ») est le nom de la perspective
génétique (conceptuelle ou sensible) ou la façon de déplacer l'extériorité entre les conditions et les
conditionnés. Évidemment, c'est une notion étrange et on ne peut pas avancer sans comprendre
4
DELEUZE, 1971 (1969). p.300.
5
Idem. p.300.
6
MAÏMON, 1989 [MAÏMON, S. “Excerto de Versuch Über die Transzendentale Philosophie”. Em: GIL, 1992.].
3
comment Deleuze a été capable d'articuler deux perspectives aussi opposées que l'empirisme et la
philosophie transcendantale. Pourquoi Deleuze a-t-il eu besoin de maintenir la notion kantienne, le
"transcendantal" ? Et pourquoi a-t-il eu besoin de lui attacher justement son opposé, l’empirisme ?
2. Théorie de la représentation
L'expression « philosophie de la différence » peut provoquer quelques difficultés. Par exemple,
on peut croire que Deleuze a fendu une thèse ontologique comme : "tout est différence". C'est la
raison pour laquelle il est très important que l'on sache exactement le statut de concepts comme
différence, représentation, identité, répétition, transcendantal, etc. Deleuze n'a jamais défendu que la
représentation et l'identité n'existent pas. Du me façon, il n'a jamais dit en critiquant Hegel que les
processus crits par la dialectique hégélienne n'existent pas ; au contraire, il a affirmé (comme Marx)
que les processus décrits par la dialectique hegeliènne sont une illusion. On a besoin de comprendre
kantiennement cette illusion, c'est-à-dire, comme un processus immanent de la faculté elle-même et pas
comme une inadéquation des représentations avec un état de choses ou une intervention d'inclinations
extérieures dans nos représentations. En conséquence, si l'identité ou la représentation n'existeraient
pas, il n'y avait aucun problème, car les choses étaient déjà résolues par les faits. Au contraire, les
représentations et l'identité ne sont qu'effets des relations différentielles. Donc, on aurait tort si l'on
comprendrait la philosophie de Deleuze comme une simple radicalisation arbitraire de la différence.
Bref, en fait, « on remplace la multiplicité colorée du monde par concepts fixes et généraux et, d'après,
on arrive à confondre le langage avec la chose, à tel point que l'on voit plus de réalité dans les gimes
artificiels crées par la raison que dans le monde lui-même »
7
.
Donc, loin de ne pas exister, les représentations et l'identité sont effets et non causes, elles sont
7
SCHÖPKE, 2004. p.101 [notre traduction].
4
secondes et pas premières. Chez Deleuze, penser n'est pas la même chose que représenter. Quand on dit
que les représentations existent et les différences non, on ne présente pas la thèse fondamentale de la
philosophie de la représentation, au contraire, elle a tort justement de prendre les représentations et
l'identité comme essentielles. Deleuze entreprend une lutte contre la tendance à naturaliser les
représentations et l'identité à tel point que l'on les identifie à la pensée, y compris la pensée
philosophique
8
.
En fait, nous représentons et nous reconnaissons des objets comme identiques, par exemple,
quand nous faisons les actes banals de la vie quotidienne (« c'est une table, c'est une pomme, c'est le
morceau de cire, bonjour Théétète »), mais, au contraire, la question cruciale est: « (...) qui peut croire
que le destin de la pensée s'y joue, et que nous pensions, quand nous reconnaissons »
9
?
L'important est que nous percevons des objets comme étant les mêmes, nous saisissons
abstraitement des objets à travers des concepts identiques, nous attribuons une narrative unitaire aux
processus composés par moments hétérogènes, le sujet s'identifie avec une image de soi
10
. Quand
Deleuze décrit l'expérience commune de cette manière-là, il argumente contre Platon, c'est-à-dire,
l'expérience commune ne nous jette pas dans un monde en devenir, dans un changement incessant, au
contraire nous avons beaucoup de difficultés quand nous voulons mener la sensibilité à ne plus
percevoir des objets identiques, mais différences pures.
Il est important de ne pas comprendre la critique de la représentation et de l'identité chez
Deleuze comme une expérience inconséquente de se jeter dans un abîme indifférencié. Cette
compréhension-là n'est qu'un effet de la tendance à identifier la pensée avec la représentation. Deleuze
a créé des concepts philosophiques précisément afin de devenir pensable une expérience en deçà de la
représentation (parce que la représentation est un au-delà, un pas excessif), à la recherche des sens en
8
DELANDA, 2002. p.42.
9
DELEUZE, 1993 (1968). p.176.
10
BRYANT, 2008. p.5.
5
deçà de l'identité et de la représentation. Encore une fois, on n'aura pas tort en comparant cet effort-là
avec l'art moderne : la rupture avec la figuration n'est pas équivalente à peindre n’importe quoi, de
même que la rupture avec la narration linéaire n'est pas équivalente à écrire n’importe quoi. En outre,
s'il y a un même effort dans l'art, c'est parce que le problème de Deleuze n'a pas été gratuit : il a
répondu profondément aux exigences particulières de notre moment historique.
L'objectif de Deleuze est, surtout, de créer une nouvelle image de la pensée dont la différence
puisse être pensée. On peut définir l'expression « image de la pensée » comme une description de la
structure à partir de laquelle la pensée se constitue (ses présuppositions, ses éléments, ses principes,
etc). Pour réaliser son projet, surtout dans Différence et Répétition, il a fait une anatomie de la
représentation, c'est-à-dire Deleuze a enquêté plusieurs stratégies théoriques à partir desquelles les
philosophes ont soumis la pensée à l'identité. Ces stratégies-là recourent à deux types de présupposés.
D'abord, les présupposés objectifs : « des concepts explicitement supposés par un concept donné »
11
.
Donc, Deleuze rappelle la critique contre Aristote quand, dans la seconde Méditation, Descartes « ne
veut pas finir l'homme comme un animal raisonnable, parce qu'une telle finition suppose
explicitement connus les concepts de raisonnable et d'animal »
12
. Loin d'expliquer, ces concepts ont
besoin d'être eux-mêmes expliqués. C’est pour cela qu’il y a chez Descartes un présupposé d'un autre
type : un présupposé subjectif. « Subjectif », parce qu'il est intuitif ou implicite et non conceptuel. Avec
le cogito, Descartes a présupposé que « tout le monde sait » ce que signifie « je », « penser » et « être ».
Comme si, en refusant un présupposé d'insuffisance conceptuelle, il recourait à un présupposé intuitif
dans la forme d'un « tout le monde sait » ou « personne ne peut nier ». On tourne "l'homme particulier
doué de sa seule pensée naturelle, à l'homme perverti par les généralités de son temps"
13
(Eudoxo
contre Epistemon), mais on préserve la même forme de la représentation (une généralité abstraite
11
DELEUZE, 1993 (1968). p.169.
12
Idem. p.169.
13
DELEUZE, 1993 (1968). p.170.
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