paroisse, mais on refuse de les ordonner prêtres parce qu’ils sont mariés. N’est-ce pas
confondre un ministère et un état de vie ?
Une autre donnée négative concerne la centralisation de l’Église. Vatican II a voulu
desserrer l’étau monarchique de l’Église romaine en mettant en relief la notion de
« collégialité épiscopale ». Il est incontestable que cette ouverture n’a pas été réellement
mise en oeuvre. En témoigne le pouvoir relatif laissé aux conférences épiscopales, qu’il
s’agisse de l’enseignement doctrinal ou de la vie de l’Église. Certes, la parole des
conférences épiscopales a pris du poids en différents pays par rapport aux questions
locales mais n’a pratiquement aucune autorité en ce qui concerne l’Église universelle. Il
est évident que Rome garde la haute main sur les questions doctrinales, sur les
nominations épiscopales, et par là, façonne insensiblement mais sûrement le profil de
l’Église. Pourtant, le théologien Joseph Ratzinger, en 1971, protestait contre « le droit
ecclésial unitaire, la liturgie unitaire, l’attribution unitaire, faite par le centre de Rome,
des sièges épiscopaux ». Il préconisait « la reconnaissance de véritables patriarcats
autonomes en communion avec la primauté romaine » (Le Nouveau peuple de Dieu, p.
68). Tout cela est oublié.
Les Églises particulières ne jouissent d’aucune marge d’indépendance à l’égard de la
curie romaine. C’est ainsi que certains sujets de débat sont interdits aux synodes
diocésains. Les points visés sont bien connus. L’un des plus cruciaux concerne les
divorcés remariés, de plus en plus nombreux dans les assemblées de chrétiens. Un
moment étouffées, certaines questions ne manqueront pas de surgir à nouveau.
Un autre point négatif, et non des moindres, est celui d’une véritable fracture culturelle
entre l’Église et la société. Pour en parler, Danièle Hervieu-Léger, sociologue des
religions, a inventé le néologisme « l’exculturation ». Autrement dit, le catholicisme ne
fait plus partie aujourd’hui des références communes de notre univers culturel français.
On recherche une légitimité de repères, de représentations, de valeurs sans lien avec
l’autorité de l’Église. C’est ainsi que deux logiques s’affrontent ou s’ignorent, que l’on
peut systématiser, de manière caricaturale, en termes de binômes : héritage et
recherche, tradition et invention, continuité et changement, stabilité et imagination,
fidélité et épanouissement, autorité et autonomie, vérité et liberté etc. « L’Évangile est
une Bonne Nouvelle, mais nos contemporains se soucient moins de vérifier si elle est
intellectuellement vraie que de savoir si elle est bonne pour eux, pour mieux vivre, pour
être heureux, pour être libres ». (Albert Rouet).
Ainsi, la culture profane, avec ses rites, ses fêtes, ses références, ses normes surtout, se
forge, s’exprime non pas contre l’Église mais en dehors de la culture catholique. Si bien
que la voix de l’Église n’est plus normative pour l’ensemble de nos concitoyens, et
d’autant moins que, dans un contexte de grande subjectivisation, chacun est tenté de
rechercher son bonheur selon les voies qu’il choisit lui-même. Un seul exemple : la
maîtrise de la fécondité pour les femmes, apparaît moins aujourd’hui comme une
question éthique que comme une véritable rupture culturelle avec une autorité
extérieure, y compris celle de Rome. Comment se fait-il que l’Église, messagère d’une
Parole qui apporte joie et libération, apparaisse aussi oppressive : on la désirerait
attentive aux difficultés de ce temps, elle semble doctrinaire ; on la voudrait aimante de
ce monde tel qu’il est, on lui reproche d’être inhumaine. Que se passe-t-il donc pour
alimenter autant de propos bien négatifs ?
Toutes les difficultés ne proviennent pas de l’institution ecclésiale. Parler de « la crise de
la transmission » est devenu un poncif. La crise de la transmission est généralisée.
Toutes les institutions sont touchées par cette rupture sociale, la famille tout
particulièrement. Dans la vie familiale, le courant descendant « de père à fils »
fonctionne de moins en moins. De nombreux adultes demeurent culturellement
catholiques. Sauf exception, ce n’est plus vrai pour les générations montantes dont les
connaissances religieuses sont souvent inexistantes.
Des réactions diverses
Ce survol de la situation de l’Église catholique en France suscite des réactions diverses.
Certain chrétiens réagissent avec courage et s’engagent parfois, en protestant contre le
mouvement de restauration qui leur semble caractériser l’époque actuelle.