Actualité de la sociologie politique wébériennen - prepa-bl

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Actualité de la sociologie politique wébérienne
Introduction :
Baudoin commence son Introduction à la sociologie politique (1998) par les définitions des principaux
concepts de sociologie politique (puissance, Etat,…) et les typologies données par Weber près de 80 ans
auparavant. On trouve encore ces définitions et typologies dans tous les manuels récents de sociologie. La
sociologie politique wébérienne semble rester pertinente pour analyser des phénomènes du XXème comme du
XXIème siècle.
La majorité de sa pensée sur le sujet est exposée dans une conférence intitulée "La politique, profession et
vocation" (1919) reprise dans Le Savant et le Politique (1919). Remarquons qu'il a eu des fonctions politiques
(présent lors de la signature du Traité de Versailles) mais il ne définit pas la politique à mener ni ne prend parti
dans l'ouvrage ; il étudie le fonctionnement du pouvoir politique et le statut de l'homme politique. On peut identifier
trois axes majeurs : le paradigme de la domination légitime, l'intérêt porté à l'Etat et son processus historique et
enfin, la dimension politique que l'on retrouve dans son analyse de la stratification sociale et du processus de
rationalisation.
Près d'un siècle après ces travaux, il convient de questionner leur pertinence pour analyser la société
contemporaine : ont-ils eu un caractère prédictif? L'actualité d'une pensée peut aussi être démontrée par les
recherches qui s'inspirent (voire se revendiquent) de ses méthodes ou de ses objets d'étude. Enfin, le fait qu'il y ait
une dimension politique dans son analyse de la stratification sociale et de l'évolution culturelle par le processus de
rationalisation est novateur et en ce sens, actuel.
En remarquant que des éléments de la sociologie politique wébérienne sont présents dans d'autres objets de
la sociologie (contrairement aux autres fondateurs de la sociologie) et repris par des auteurs plus ou moins
contemporains, on est invité à confirmer son actualité. De plus, les typologies élaborées au début du XX ème siècle
permettent de décrire des phénomènes postérieurs. Cependant, peut-on affirmer que toutes ses théories se sont
vérifiées et qu'elles permettent d'expliquer des phénomènes importants dans la société actuelle?
I) Des éléments de sociologie politique sont présents dans d'autres études et corroborés par des
sociologues contemporains ou postérieurs à Weber
A) Un dimension politique dans l'étude de la stratification sociale
La stratification sociale peut s'expliquer par la distribution du pouvoir au sein de la société et trois critères
permettent de l'analyser : la situation de classe, la situation statutaire et la situation de commandement. John Scott,
dans Stratification and Power : Structures of Class, Status and Command (1996), parle de "sphère de l'autorité" et
montre que les situations de commandement sont différenciées. La distribution du pouvoir n'est pas égale et donne
à la situation de commandement une importance grandissante avec le développement de la bureaucratie.
L'analyse des élites de Robert Dahl dans Who governs? (1961) corrobore les théories de Weber en
évoquant la "polyarchie" : les profils des élites sont variés dans la société moderne. En effet les hiérarchies peuvent
être d'ordre économique, statutaire (prestige) ou relevées de la détention d'un pouvoir.
B) Une dimension politique dans le processus de rationalisation
Le processus de rationalisation s'exprime dans la bureaucratisation et dans la formation des partis.
Parti politique : "une sociation reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs
chefs le pouvoir au sein d'un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de
poursuivre des buts objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble" Il faut entendre
la sociation comme une relation sociale fondée sur un compromis d’intérêts fondé rationnellement. On assiste selon
lui à une professionnalisation du politique.
Remarquons que les travaux de Weber tout comme ceux de Robert Michels (Les partis politiques. Essai
sur les tendances oligarchiques des démocraties (1914)) ont été traduits en français et diffusés tardivement (1971
pour Michels et 1959 pour Le Savant et le Politique de Weber, sachant que c'est aussi pendant les années 70 que
Aron diffuse la sociologie wébérienne) : cela prouve l'intemporalité de la sociologie wébérienne.
Les surnoms actuels donnés à certains hommes politiques confirment cette actualité : "les éléphants du PS",
"les barons du gaullisme". Luc Rouban dans Le Conseil d'État 1958-2008 - Sociologie d'un grand corps (2008),
confirme l'analyse wébérienne des élites : "le Conseil d’État, qui se présente au travers du discours de ses membres,
comme un corps unitaire, partageant la même culture et la même conception du travail contentieux ou du travail de
consultant, est en réalité un corps hétérogène ou cohabitent des filières professionnelles très différentes."; et ajoute
qu'elles circulent entre les cabinets ministériels, les grands corps et le secteur privé. Le risque soulevé par Weber
que les élites s'arrogent le pouvoir est toujours présent et s'illustre dans les nombreuses Affaires et dans le choix des
électeurs de se détourner des grands partis de gouvernement (+ abstention, intermittence,…)
II) Des concepts wébériens confirmés par la pratique et repris par les sociologues
A) Des méthodes et des analyses actuelles
Dans The affluent worker: Industrial attitudes and behaviour (1968) Goldthorpe et son équipe essaient de
comprendre à travers leurs questions quel sens les ouvriers donnent à leurs pratiques et à leurs prises de position sur
certains sujets. Et c'est à cet égard une approche typiquement wébérienne. De nombreuses études de sociologie
politique utilisent les typologies et se concentrent sur l'individu en tant qu'acteur, tout comme Weber.
On peut aussi faire référence à Bourdieu qui s'inspire de la dimension politique et symbolique de la
sociologie de la stratification wébérienne. En effet, il reprend l'idée de distinction et de domination. Toutefois, il les
développe différemment.
B) La typologie de la domination en image
La domination issue de la légitimité charismatique est acquise par l'aura d'une personnalité qui a des
qualités exceptionnelles de meneur dans un contexte historique particulier. Pendant la Résistance et lorsqu'il défile
sur les Champs Elysée à la libération, De Gaulle possède cette légitimité. Cependant elle n'est pas durable (cf
processus de rationalisation). La domination issue de la légitimité rationnelle légale est obtenue grâce à un statut et
régit la vie publique dans un Etat de droit, fondée sur des lois abstraites auxquelles se soumettent les citoyens. De
Gaulle use de cette légitimité ensuite. En 1958, c'est de nouveau à sa légitimité charismatique qu'il doit son retour
et la transforme en légitimité rationnelle légale. Enfin, la domination issue de la légitimité traditionnelle grâce aux
mœurs. On peut penser que la légitimité des Gaullistes vient d'une certaine manière d'une tradition.
III) Certains phénomènes restent inexpliqués par Weber ou ne concordent pas avec sa théorie
A) La puissance est présente dans des formes de communalisation
Weber pense que l'Etat moderne fait passer de la logique de communalisation à celle de sociation par la
recherche de compromis et que l'éthique de conviction liée à la légitimité charismatique tendrait à perdre de
l'importance grâce au processus de rationalisation (cage d'acier). Cependant, les légitimités traditionnelles et
charismatiques restent présentes dans la société contemporaine. Des actions sont encore justifiées par des principes
supérieurs et des coutumes. De plus, la puissance (chance de faire triompher sa volonté dans une relation même s'il
y a des résistances) est présente et ne s'efface pas dans des compromis.
B) La théorie de la l'Etat-Nation remise en cause
L'Etat est une "entreprise politique de caractère institutionnel et dont la direction administrative revendique
avec succès dans les limites d’un territoire donné le monopole de la coercition physique légitime" selon Weber.
Cependant, des organisations supranationales (UE, ONU, OTAN…) entrent en concurrence et l'Etat ne détient pas
le monopole de la contrainte légitime (principe de subsidiarité, aides accordées avec des conditions politiques,
économiques…). De plus, Weber pense l'Etat centralisé or de nombreux exemples montrent l'existence d'Etats
fédéraux et l'essor des séparatismes (referendum pour Ulster, conflit en Catalogne,…)
C) Les médias et l'importance des structures sociales non prises en compte
Alors qu'à la même époque Tocqueville avait vu l'essor de la presse et son rôle dans la démocratie, Weber
n'est parle pas. Les études de Lazarsfeld montrent l'importance de sa prise en compte dans la sociologie politique
(Radio and the printed page. An introduction to the study of radio and its role in the communication of ideas
(1940)). Les travaux actuels de la sociologie politique (Nonna Mayer, Anne Muxel…) s'intéressent aux structures
sociales qui influencent des choix politiques et cette dimension n'est pas présente dans la sociologie politique
wébérienne.
Conclusion : Les concepts de la sociologie politique de Weber qui sont présents dans ses études sur la stratification
sociale et le processus de rationalisation la rendent novatrice et sont repris par de nombreux auteurs. Lors de sa
conférence en 1919, il élabore des distinctions, des définitions et des typologies devenues canoniques car présentes
dans tous les manuels et vérifiées empiriquement. Bien que sa sociologie politique ne puisse pas expliquer tous les
phénomènes contemporains, néglige certaines dimensions ou s'oppose à des réalités actuelles, une grande partie a
une dimension prédictive. Ainsi, la sociologie politique wébérienne est actuelle. Qu'en est-il de celle de son
homonyme Eugen Weber, auteur de La fin des terroirs? (1976) ?
Bibliographie :
Weber, Le Savant et le Politique (1919) et Economie et société (1922)
Rouban, Le Conseil d'État 1958-2008 - Sociologie d'un grand corps (2008)
Dahl, Who governs? (1961)
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