« Drôles d’oiseaux... » CHANTER SOUS L’OCCUPATION ! A ceux-là qui ont vécu l'Occupation... de façon "ordinaire" ! Il y a ceux qui ont fait la guerre, ceux qui ont eu à la subir et tous les autres, qui se sont efforcés de la vivre ! Ces derniers, certainement les plus nombreux, sont des gens comme la plupart d’entre nous : des gens ordinaires et qui le sont restés, par la force des choses, malgré les événements. Et pourtant, il aurait peut-être suffi de pas grand chose pour qu’ils se comportent mieux, ou pire… Le hasard des circonstances qui fait que chacun peut basculer dans le parti des héros ou dans celui… des salauds. Tous ceux-là ont pu ou ont su rester dans une vie ordinaire, même si celle-ci en trouvait ses fondations bouleversées. Ceux-là, ils n’ont pas raconté la guerre, parce que la guerre, ils l’ont vécue sans gloire ni honneur. Et si ils n’ont pas eu trop à en souffrir, en apparence, c’est parce qu’ils ont pu se garder du grand malheur et supporter les petits en continuant à vivre du mieux qu’ils pouvaient, composant avec la situation, au risque de devoir parfois passer, aux yeux de nos contemporains pour des passifs qui ont laissé faire… DES DRÔLES D'OISEAUX... Été 1943... Paris occupé ! Doudoule, marchand de petits formats à la sauvette, s'interroge sur le Tout-Paris qui fraye avec l’occupant, et sur cette France qui veut encore rire et s’amuser... En suivant ces « drôles d'oiseaux » que sont Oiseau, la chanteuse des rues, Titi l’accordéoniste et Doudoule, le vendeur de « petits formats », ce spectacle vous balade, d’anecdotes en chansons, dans ce contexte singulier où les artistes, comme les autres, sont amenés à faire des choix, ballottés entre nécessité et besoin de continuer à vivre, volonté de résistance ou opportunisme glissant vers une collaboration tacite… De la drôle de guerre à la Libération, en passant par l’occupation allemande et son lot de privations, « Chanter sous l'Occupation » vous entraîne dans une promenade didactique et festive, entre histoires et chansons, dans ce contexte difficile où, malgré la situation de crise, les Français cherchent encore à s’amuser... LE SPECTACLE Ce spectacle est une réflexion sur la situation et la prise de position des artistes de la chanson de variété (et tous les artistes en général) sous l'Occupation (et de celle des Français de façon globale). Fallait-il ou ne fallait-il pas chanter..., fallait-il continuer à s'amuser et prendre du bon temps malgré cette situation tragique et malgré tout ce qu'elle implique ? Le spectacle utilise une mise en scène articulant chansons d'époque (une quinzaine), dialogues et monologues des personnages, chaque chanson illustrant le propos évoqué par les personnages. Un décor épuré et quelques accessoires et mobilier suggèrent l'ambiance du Paris populaire d'avant guerre, d'avant le « drame », décor dans lequel les personnages continuent à vivre malgré la situation : - une palissade de terrain vague ou chantier symbolise la rue, les faubourgs, le « populaire » - une table bistrot évoque la vie sociale et lieu où fleurissent les « belles paroles » des gens simples - une TSF qui diffuse l'information, information tronquée par la censure allemande et information résistante de Radio-Londres - les 3 personnages évoquent la famille, famille ballottée entre nécessité de vivre et de garder bonne conscience. Leur statut d'artistes des rues les pose en « marginaux » et permet de justifier l'impertinence de leur propos, comme le faisait les bouffons à la cour du roi, sans qu'ils soient considérés d'une part comme des « résistants » ou d'autre part comme des collaborationnistes ». A cela s'ajoute un jeu de scène en lumière et sonore qui ajoute à l'effet émotionnel posé par le décor : - diffusion par la TSF d'extraits de discours politiques - bruitages d'ambiance illustrant les thèmes abordés - réclame radiophonique d'époque En suivant les 3 personnages, le spectateur chemine le long d'une frise chronologique de l'avant -guerre jusqu'à la déclaration de guerre, en suivant les faits de société liés au sujet et marquants de l'avantguerre : - prise du pouvoir par Adolphe Hitler - Front Populaire - Annexion de l’Autriche et invasion de la Pologne - Déclaration de guerre Le spectacle évoque ensuite les grands thèmes résurgents de cette période, de la mobilisation générale à la Libération : - la drôle de guerre - la collaboration - la résistance - les restrictions et le ravitaillement - le marché noir - l'antisémitisme - la jeunesse La thématique générale du spectacle est illustrée par un répertoire musical qui suit de près cette actualité tout en se nourrissant d'émotion plutôt que de revendications ! De nombreuses anecdotes sur les chanteurs de l'époque ponctuent le spectacle qu'il s'agisse de grandes vedettes universellement connues comme Édith Piaf ou Charles Trenet et d'autres un peu oubliées aujourd'hui, comme Suzy Solidor, Léo Marjane, Andrex ou Lucienne Boyer. Des artistes auxquels on demanda, à la Libération, de justifier leur trop grande activité musicale (et professionnelle) sous l'Occupation allemande ! Qu'aurions- nous fait entre nécessité et besoin de continuer à vivre, volonté de résistance ou opportunisme glissant vers une collaboration tacite…Ce spectacle survole et caresse du bout des doigts un sujet sensible et délicat invitant le spectateur à entreprendre sa propre réflexion et à approfondir luimême ses idées et connaissances sur le sujet. Sans être satirique, le spectacle se plaît à être à la limite de l'audacieux et il pose plus les questions qu'il n'y répond ! Les choses ont été ainsi..., au spectateur de décider, selon son propre avis, si cela était bien ou mal... ! LA CHANSON DE VARIÉTÉ SOUS L'OCCUPATION Il semble certain que « la chanson de la Résistance » ou « la chanson de l’Occupation » n’existe pas en tant que telle . On a chanté aussi bien à Vichy et dans les milieux de la collaboration, en zone occupée et en zone libre, à Paris et en province, à Londres, dans les maquis... et même dans les stalags. On a chanté dans les cabarets, les boites de nuit, les music-halls..., au théâtre lyrique, à la radio, au cinéma... L’ambiguïté qui caractérise les positionnements des Français sous l'Occupation ne permet pas de se rendre compte de toutes les motivations. Résistance et collaboration, indifférence même, sont un jeu de nuances, de l'action consciente aux hasards de la vie, qui peuvent entraîner vers de nouvelles rives ! Haine de l'Allemand avec accommodation à la présence de l'Occupant est une attitude non des moins fréquentes ni des moins équivoques. Dans une telle situation, tout acte et non-acte, toute parole ou tout silence prend une signification nouvelle. Ainsi, en temps de guerre, la chanson prend une résonance particulière. Ce qui, en temps normal, peut être considéré comme anodin ou insipide, se charge alors d'un pouvoir symbolique. Ceci est valable autant pour les paroles que pour les thématiques et pour les musiques ! Si en temps de paix, « l'évasion » sous ses multiples facettes paraît même constitutive du genre, elle devient moralement contestable dans une situation d'oppression. Cela explique pourquoi on aurait tant aimé que toute chanson de variété sous l'Occupation soit un « Chant des partisans »... Au lendemain de la capitulation, la France n’a pas le cœur à quelque réjouissance soit-elle, sauf peut-être celle de se dire que la guerre est finie ! Il faut garder à l'esprit une singularité dont la France vaincue bénéficie par rapport aux autres pays occupés et annexés par l'Allemagne. La France garde un semblant d'autonomie en conservant un « État » propre, avec un gouvernement, une police et une armée (limitée en nombre d'hommes, sans aviation ni blindés ni armes lourdes, bien entendu). Très vite, les traumatismes de la défaite passés, chacun va donc essayer de retrouver une vie normale, en se disant, peut-être pour se rassurer, qu’après tout l’occupant n’est pas si terrible que ça ! Mais bien vite, la cohabitation forcée va prendra une autre saveur, avec un Occupant omniprésent et prétentieux, méprisant, contraignant le citoyen français à des privations de plus en plus insupportables ! Dans cette atmosphère singulière, les Français vont essayer, malgré tout, de garder le sourire, de s’amuser et de chanter quand même ! Pas tous, bien entendu... et pas tous les jours non plus ! Alors ? Fallait-il, ou ne fallait-il pas chanter ? Non ! Ont dit certains : Il faut conserver un minimum de dignité, au regard des autres pays occupés qui ont fermé leurs restaurants et leurs salles de spectacles ! Oui ! Ont dit les autres : Et qui oserait leur reprocher de le faire ! Cela sous le seul point de vue moral s’appuyant sur l’idée que la nation doit s’arrêter de vivre et faire vœu de silence après la défaite de juin 1940 ? Alors ceux-là ont continué, malgré ou à cause de cette défaite, de l’Occupation, des privations et des peurs, de chanter et de s’amuser, de (se) donner et prendre du bon temps – innocents ou suspects suivant le cas – sans se douter qu’un jour, cette volonté de (sur)vivre leur serait reprochée ! Le spectacle se déroule en plusieurs « tableaux » : 1 – « PROLOGUE » - Mise en situation des personnages et mise en place de la thématique. 2 - 1933 – 1938 « LE MOUSTACHU VOCIFERANT ! » 3 - 1939 – 1940 « LA DROLE DE GUERRE ! » 3 - 1940 – 1941 « ÇA SENT SI BON LA FRANCE ! » 5 - 1941 – 1944 « LA VIE QUAND MÊME ! » 6 - 1944 « LA LIBERTE RETROUVEE ! » « PROLOGUE » AH ! LE PETIT VIN BLANC (1943) Lyna Margy Chanson emblématique de la période de l’Occupation et qui symbolise d’une part « l’évasion » en inspirant un sourire confortable qui laisse rêver à un lendemain meilleur et d’autre part « la chanson de la liberté » puisqu’elle deviendra « un hymne populaire » joué par tous les orchestres de la France libérée ! Ce sera aussi un succès retentissant, avec la vente de 1 500 000 « petits formats » en 1943. Voici le printemps La douceur du temps Nous fait des avances Partez mes enfants Vous avez vingt ans Partez en vacances Vous verrez agiles Sur l'onde tranquille Les barques dociles Au bras des amants De fraîches guinguettes Des filles bien faites Les frites sont prêtes Et y a du vin blanc Ah ! le petit vin blanc Qu'on boit sous les tonnelles Quand les filles sont belles Du coté de Nogent Et puis de temps de temps Un air de vieille romance Semble donner la cadence Pour fauter, pour fauter Dans les bois, dans les prés Du côté, du côté de Nogent Suivant ce conseil Monsieur le Soleil Connaît son affaire Cueillons, en chemin Ce minois mutin Cette robe claire Venez belle fille Soyez bien gentille Là, sous la charmille L'amour nous attend Les tables sont prêtes L'aubergiste honnête Y a des chansonnettes Et y a du vin blanc A ces jeux charmants La taille souvent Prend de l'avantage Ça n'est pas méchant Ça finit tout le temps Par un mariage Le gros de l'affaire C'est lorsque la mère Demande, sévère A la jeune enfant Ma fille raconte Comment, triste honte As-tu fait ton compte Réponds, je t'attends... Car c'est toujours pareil Tant qu' y aura du soleil On verra les amants au printemps S'en aller pour fauter Dans les bois, dans les prés Du côté, du côté de Nogent 1933 – 1938 « LE MOUSTACHU VOCIFERANT ! » Au fil des années, la situation internationale, les faits divers politiques et sociaux qui en découlent inspirent grandement les chansonniers. Nombreux sont ceux qui s’emparent de cette actualité pour la mettre en chansons, en y mêlant souvent une grande dose d’humour et de dérision. Dès l’immédiate avant guerre où plane l’inquiétude de la montée en puissance du fascisme, le répertoire musical s’évertue à montrer que l’on ne craint pas cette menace nazie, et ce, à grand renfort d’allusions patriotiques et provocatrices. Chronologie Lundi 30 janvier 1933 : Samedi 16 mars 1935 : Adolphe Hitler est nommé chancelier et accède au pouvoir. L’Allemagne, au mépris du traité de Versailles, procède à son réarmement. Lundi 12 septembre 1938 : Non content d’avoir annexé l’Autriche, Adolphe Hitler annonce qu’il annexera aussi la région tchécoslovaque des Sudètes. La France et l’Angleterre alliées à la Tchécoslovaquie, se mobilisent ! Vendredi 30 septembre 1938 : Signature des accords de Munich par la France, la GrandeBretagne, L’Allemagne et l’Italie. Neville Chamberlain, premier ministre britannique et le président du conseil Édouard Daladier « le taureau du Vaucluse », viennent d’arracher la paix à Hitler en lui livrant les Sudètes sur un plateau ! Mises au pied du mur, la Grande-Bretagne et la France veulent encore croire à la paix ! De retour en France Édouard Daladier qui a signé les accord de Munich à contrecœur est acclamé par la foule. Lucide face à la situation dramatique, il se serait exclamé : « Ah ! Les cons, s’ils savaient... ». Mardi 6 décembre 1938 : Un traité de bonne entente est signé à Paris entre l’Allemagne et la France ! QU’EST-CE QU’ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX (1937) Ray Ventura Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête ? La route est prête, le ciel est bleu Y a des chansons dans le piano à queue. Il y a d' l'espoir dans tous les yeux Et des sourires dans chaque fossette La joie nous guette C’est merveilleux Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête ? Y’a des noisettes, dans le chemin creux, y’a des raisins, des rouges, des blancs, des bleus Les papillons s’en vont par deux, et le mille pattes mets ses chaussettes Les alouettes s’en vont par deux Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu’est-ce qu’on attend pour perdre la tête ? L’écho répète, des faits joyeux et la radio, chante un petit air radieux Les parapluies restent chez eux, les cannes s’en vont au bal musette Levez la tête, les amoureux, Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu'est-ce qu'on attend pour être Puisqu'on est deux. Qu'est-ce qu'on attend Oh dis Qu'est-ce qu'on attend Oh oui Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux Qu'est-c' qu'on attend pour être heureux Qu'est-c' qu'on attend pour perdre la tête 1939 – 1940 « LA DROLE DE GUERRE ! » Avec l’entrée en conflit de la France et de l’Angleterre contre l’Allemagne et la « drôle de guerre » qui s’en suit, le répertoire patriotique s’accommode alors d’une volonté propagandiste liée au rapprochement franco-britannique. A celle-ci, s’ajoutent bien vite des chansons mélancoliques qui évoquent la tristesse des couples séparés par la mobilisation générale. Chronologie Mercredi 15 Mars 1939 : Les armées du Reich, violent délibérément les accords de Munich, et envahissent la Bohême et la Moravie. Vendredi 1er septembre 1939 : L’Allemagne, toujours dans son besoin d’espace vital, envahit la Pologne, sans déclaration de guerre. Dimanche 3 septembre : l'Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne ! C’est la « Mobilisation Générale » ! L’armée Française confiante en sa « Ligne Maginot » opte pour une stratégie défensive ! En septembre 1939, comme la plupart des Français, les chanteurs de variétés montrent une certaine insouciance face à la « drôle de guerre », qui, somme toute reste abstraite ! La chanson sous « la drôle de guerre » inspire un répertoire patriotique et optimiste... Elle caricature l’ennemi et Adolphe Hitler, et se montre confiante en nos forces et celles de nos alliés anglais. On chante la fraternité et le rapprochement franco-anglais. On chante la gloire du soldat français et du soldat anglais. BONJOUR TOMMY (1939) Léo Marjane Bonjour, bonjour Tommy Tu reviens donc en France Nous voici réunis Après vingt ans d´absence En te voyant ici Tu sais ce que je pense Toute la France Crie : Bonjour Tommy Et bonne chance Je me souviens encore, sur les grands boulevards à Paris Lorsque tu passais, tu sifflotais Tipperary Et tu tournais la tête A toutes nos midinettes Pour pouvoir te dire : Mon p´tit homme de Tommy, tu m´ plais Toutes les parisiennes avaient appris trois mots d´anglais Et toutes elles savaient dire : I Love you, darling, my dear Bonjour, bonjour Tommy Tu reviens donc en France Nous voici réunis Après vingt ans d´absence Tu vas revoir ici De vieilles connaissances Toute la France Crie : Bonjour Tommy Et bonne chance Tu portes toujours ton uniforme bien sanglé Et toujours ton stick, c´est vraiment chic, le chic anglais Ta main est toujours prête A donner des cigarettes Qu´est-ce qu´on dit là-bas, tout autour de Picadilly Comment va le roi Et comment va ta p´tite Daisy Nous voudrions leur dire Merci d´ t´avoir laissé venir Bonjour, bonjour Tommy Tu reviens donc en France Nous voici réunis Après vingt ans d´absence En te voyant ici Tu sais ce que je pense Toute la France Crie : Bonjour Tommy Et bonne chance La chanson prend aussi une dimension sentimentale et mélancolique en décrivant la séparation des couples et l’attente des retrouvailles... MON P’TIT KAKI (1939) Lucienne Boyer Lucienne Boyer rouvre son cabaret « Chez Elle » dès septembre 1940. Son établissement est énormément fréquenté par l'Occupant. C'est, dit-elle, le prix à payer pour sauver son mari Jacques Pills, de la déportation. Il lui est néanmoins reproché cette fréquentation assidue de la Whermacht, mais aussi le fait qu'elle accepte l'affichage « Interdit aux Juifs » devant son établissement ! Elle refusera d'aller chanter en Allemagne et aura quelques gros soucis avec la Gestapo en entonnant quelques mesures de la Marseillaise lors d'une représentation... Si je me suis montrée brave Mon chéri, mon p'tit Kaki Sur l' quai d' la gare quand t'es On vit de beaux jours ensemble parti Je lis et relis tes lettres Mais on n' sait pas en profiter C'est que dans ces heures graves Au point que je les sais par cœur Quand pour son amour on tremble Il faut qu' la femme soit forte aussi Sans savoir où tu peux être On s' rend compte de c' qu'on a Pourtant j'avais bien d' la peine Ma pensée hante ton secteur quitté Et quand le train a démarré Surtout n'aie pas d'inquiétude On regrette les p'tites colères Je n'avais plus d' sang dans les Mon sort, vois-tu, compte fort peu Les mots méchants ou insensés veines Je supporte ma solitude On voudrait r'venir en arrière Mais j'ai crâné pour n' pas pleurer C'est ma façon d'aller au feu. Afin d' pouvoir tout r'commencer Mon p'tit Kaki, mon grand chéri Mon p'tit Kaki, mon grand chéri Mon p'tit Kaki, mon grand chéri Ta p'tite femme sera bien sage Toi si douillet de nature Après toutes ces misères Elle pense à toi et c'est pourquoi Si délicat, maint'nant te v'là Je te promets d'être à jamais Elle t'en aime encore davantage Obligé de vivre à la dure L'épouse la plus exemplaire Elle tiendra l' coup et jusqu'au bout N'attrape pas froid et promets-moi Oui tu verras comme on s' aim'ra Car pour avoir du courage De n' pas quitter ta ceinture Quand tu reviendras d'la guerre Elle a ta photo sur son cœur jour et J' mettrai un tricot dans ton On s' ra le meilleur ménage de tout nuit prochain colis Paris Mon chéri, mon p'tit Kaki Mon chéri, mon p'tit Kaki 1940 – 1941 « ÇA SENT SI BON LA FRANCE ! » Chronologie Vendredi 10 mai 1940 : Mardi 14 mai : Jeudi 16 mai : Vendredi 17 mai : Mardi 18 juin : Samedi 22 juin : Mardi 25 juin : Offensive allemande sur la Belgique, le Luxembourg, la Hollande et la France. Malgré de nombreux actes de résistance, l’armée française se débâcle. Les allemands entrent dans Paris déclarée « ville ouverte ». Le maréchal Pétain est chargé de constituer un nouveau gouvernement. Le maréchal Pétain appelle au cessé le feu ! La France capitule ! Depuis l’Angleterre, un appel lancé De Gaulle invite tous les Français désireux de continuer le combat à le rejoindre à Londres. A 18 h 50, la France signe l’armistice avec l’Allemagne victorieuse. Conformément aux accords de l’armistice, une ligne dite « de démarcation » coupe la France en deux. Les Allemands occupent la zone nord de cette ligne qui couvre plus de la moitié du territoire. La zone sud, non occupée, reste libre sous l’autorité du nouvel État Français dont le gouvernement siège en la nouvelle capitale de Vichy. La France, devenue " État Français », est désormais orchestrée sous le signe de l’austérité par le bâton du maréchal et les directives de l’occupant. Pétain proclame la collaboration avec l’Allemagne et encourage les Français à l’optimisme de rigueur que prône la nouvelle « Révolution Nationale » ! Pour faire plaisir à l’occupant, faudra-t-il aussi chanter des chansons allemandes, voir même chanter en allemand ? Il ne semble pas ! S’il est vrai que certains « petits formats » vendus sous l’Occupation sont traduits dans la langue de l’occupant, il y aura très peu de chansons allemandes chantées par des artistes français dans la France occupée. Cependant, il y a une chanson allemande qui ne peut être passée sous silence tant son succès international sera retentissant. Une chanson d’amour d’avant guerre qui deviendra, dès les premières années du conflit la chanson « de marche » de l’Afrika Korps et hymne des soldats de la Wehrmacht... LILY MARLENE (1942) Suzy Solidor Les paroles françaises furent écrites à la fin de 1941 à la demande de Suzy Solidor, qui chanta la version française dans son cabaret « La Vie parisienne » dès 1942. Suzy Solidor, soi-dit en passant, est considérée comme l’artiste « collabo » par excellence, se produisant sans relâche pour un public de soldats allemands dans de nombreux lieux de spectacle parisiens, à commencer dans son propre cabaret où elle chante chaque soir « Lily Marlene ». Devant la caserne Quand le jour s'enfuit La vieille lanterne Soudain s'allume et luit C'est dans ce coin là que le soir On s'attendait remplis d'espoir Tous deux, Lily Marlène Tous deux, Lily Marlène Tous deux, Lily Marlène Et dans le nuit sombre Nos corps enlacés Ne faisaient qu'une ombre Lorsque je t'embrassais Nous échangions ingénument Joue contre joue bien des serments Tous deux, Lily Marlène Tous deux, Lily Marlène Tous deux, Lily Marlène Le temps passe vite Lorsque on est deux Hélas on se quitte Voici le couvre feu Te souviens tu de nos regrets Lorsqu'il fallait se séparer Dis moi Lily Marlène Dis moi Lily Marlène Dis moi Lily Marlène La vieille lanterne S'allume toujours Devant la caserne Lorsque finit le jour Mais tout me paraît étranger, Aurais je donc beaucoup changé Dis moi Lily Marlène Dis moi Lily Marlène Dis moi Lily Marlène Cette tendre histoire De nos chers vingt ans Chante en ma mémoire Malgré le jour, les ans Il me semble entendre ton pas Et je te serre entre mes bras Lily, Lily Marlène Lily, Lily Marlène Lily, Lily Marlène 1941 – 1944 « LA VIE QUAND MÊME ! » Puis vient le temps de la défaite et de l’Occupation et de ses pesantes privations. La fermeture des bals et des dancings depuis le décret de mai 1940 n’empêche pourtant pas les Français de chanter et de danser dans des bals clandestins et dans des salles où l’on donne des cours de danse... ! Dans cette période de privations, là encore, la chanson pose avec humour une ironie sans frein sur la problématique du ravitaillement, des restrictions et du marché noir, mais aussi sur le swing, les zazous et le jazz, qui contrairement à l’idée reçue, n’a jamais été interdit par les autorités allemandes que ce soit en zone libre comme en zone occupée ! D’ailleurs, le refrain à la mode, en ces années de tristesse doit rester incontestablement « swing » ! Comme tous les Français, après le mutisme et le désarroi face à l’invasion de mai 1940, puis l’exode vers le sud, de nombreux artistes auront pour volonté de regagner Paris dès que les circonstances vont le permettre. Certains préféreront rester en zone sud afin de ne pas être soumis directement aux volontés de l’occupant, d’autres choisiront de quitter la France. Maintenant, il va falloir s’accommoder de quatre années de pain noir et de vaches maigres et supporter un occupant de plus en plus pesant et de moins en moins aimable. Mais comme le clame la propagande vichyssoise... au fond, tout ne va pas si mal ! Alors, après quelques mois de retraite prudente, histoire de faire oublier aux Allemands leurs propos anti-hitlériens des années précédentes, les chansonniers vont reprendre, pour la plupart leurs activités musicales pour le plus grand plaisir des Français et de l’occupant, aussi ! (Ce reflux va s'accentuer surtout en l'année 1942, quand les Allemands envahissent la zone sud. Mais dès 1941, ce retour d'exode va être opéré par beaucoup de grandes vedettes de la chanson : Charles Trenet, Tino Rossi, Maurice Chevalier, Mistinguett, Édith Piaf...) La chanson de variété, qui bien avant la guerre n'était plus une chanson engagée, vit sous l’Occupation une de ses heures de gloire ! Il y a profusion d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes et d’orchestres. L’époque voit apparaître une multitude de thématiques et de styles musicaux nouveaux. Tout ceci sur fond de guerre, de défaite et d’occupation, pendant que l’occupant, lui, estime dans son intérêt de voire briller Paris et que les Français s’amusent ! Qu'est-ce qui a pu privilégier une telle profusion ? D'une part, l'office de censure allemande fait preuve d'un incontestable libéralisme vis-à-vis des chansonniers parisiens. D'autre part, compte tenu d'une absence certaine de films à diffuser, beaucoup de salles de cinéma se transforment partiellement ou entièrement en music-halls et viennent s'ajouter à l'importante liste déjà existante ! Cette profusion de lieux de spectacle profite pleinement aux artistes, même aux artistes de renom de la scène et de l'écran qui, faute d'engagement, acceptent de parader dans ces revues de chansonniers. « Chanson d’amour... » La chanson de l’occupation est tout d’abord « chanson d’amour » ! Parmi les meilleurs voix de l’époque on trouve, entre autres, Léo Marjane, Damia, Edith Piaf, Charles Trenet, Tino Rossi, Georges Guétary, André Claveau... La chanson d’amour évoque l’attente et du retour. Ce thème, fortement d’actualité dès la déclaration de guerre, continuera à l'être, compte tenu du million de prisonniers qui demeurent captifs en Allemagne... JE SUIS SEULE CE SOIR (1939) Léo Marjane La chanson « Seule ce soir » écrite en 1939, restera le succès emblématique de l’attente sous l’occupation. Ce sera d’ailleurs une des premières chansons à être publiée en version bilingue, francoallemande, sur les « petits-formats ». A la Libération, Léo Marjane se verra reprocher un trop grand succès et une activité d’artiste trop débordante sous l’Occupation... Je suis seule ce soir Notre chambre où meurt le passé Avec mes rêves Avec mes rêves Je suis seule ce soir Je suis seule ce soir Je suis seule ce soir Sans ton amour Avec mes rêves Sans ton amour Le jour tombe, ma joie s´achève Je suis seule ce soir Le jour tombe, ma joie s´achève Tout se brise dans mon cœur lourd Sans ton amour. Tout se brise dans mon cœur lourd Je suis seule ce soir Le jour tombe, ma joie s´achève Je suis seule ce soir Avec ma peine Tout se brise dans mon cœur lourd Avec ma peine J´ai perdu l´espoir Je suis seule ce soir J´ai perdu l´espoir De ton retour Avec ma peine De ton retour Et pourtant je t´aime encore et J´ai perdu l´espoir Et pourtant je t´aime encor´ et pour pour De ton retour, toujours Et pourtant je t´aime encore et Ne me laisse pas seul sans ton pour toujours amour Ne me laisse pas seule sans ton Je viens de fermer ma fenêtre, amour Le brouillard qui tombe est glacé Jusque dans ma chambre il pénètre Je suis seule ce soir « ...et chanson réaliste ! » La chanson d’amour « occupée » s’entrecroise aussi avec la chanson réaliste, continuant, là aussi une tradition d’avant-guerre qui jouit toujours d’un énorme succès ! Ce sont donc les plus grands noms de la chanson réaliste qui continueront de chanter les drames de la vie quotidienne. Damia, Fréhel, Marie Dubas, Suzy Solidor, Édith Piaf..., elles chanteront cette fatalité du destin et cet amour, unique moyen de salut qui, souvent, tourne malheureusement au tragique... L’ACCORDEONISTE (1943) Édith Piaf Cette chanson d’Édith Piaf sera soumise à une interdiction ! En effet, la mort de l’homme aimé, du soldat, transgresse ce qui est, à l’époque, idéologiquement tolérable. Mais peut-être aussi, et surtout, parce qu’elle a été écrite par le juif Michel Emer, ami d’Édith. Les positions d’Édith Piaf, sous l’Occupation, sont particulières. C’est certain, elle n’aime pas les boches et elle le prouve ! En octobre 1942, lors de sa rentrée à Paris, elle chante sous un éclairage bleublanc-rouge ; au printemps 43 elle est interdite temporairement au Casino de Paris parce qu’elle a entonné « L’accordéoniste » ! Elle aura d’autres impertinences musicales... Elle ne renie pas et aide aussi ses amis juifs à se cacher, cela comptera plus tard comme acte de résistance. Elle passera cependant au travers des sanctions des tribunaux de la Résistance à la Libération, grâce au témoignage de sa secrétaire, membre de la Résistance, qui, d’abord à son insu, l’implique dans des actions qui compteront aussi comme faits de résistance ; comble de sa réputation de « résistante » l’affaire des photos prises lors de sa tournée dans les camps de prisonniers en Allemagne qui permettront de faire des faux passeports avec lesquels des évasions seront possibles)... Édith Piaf résistante, donc ? Oui et non ! A la demande de l’Occupant, elle accepte néanmoins d’aller chanter avec d’autres artistes en Allemagne en 1943 et en 1944. N’a-t-elle pas déclaré en 1940 : « Mon vrai boulot c’est de chanter. De chanter quoi qu’il arrive ! » Il semblerait surtout qu’il y ait chez Édith Piaf une haine instinctive de l’Allemand et aussi une absence presque totale de gêne par l’Occupation... La fille de joie est belle Au coin de la rue Là-bas Elle a une clientèle Qui lui remplit son bas Quand son boulot s'achève Elle s'en va à son tour Chercher un peu de rêve Dans un bal du faubourg Son homme est un artiste C'est un drôle de petit gars Un accordéoniste Qui sait jouer la java La fille de joie est triste Au coin de la rue Là-bas Son accordéoniste Il est parti soldat Quand y reviendra de la guerre Ils prendront une maison Elle sera la caissière Et lui, sera le patron Que la vie sera belle Ils seront de vrais pachas Et tous les soirs pour elle Il jouera la java La fille de joie est seule Au coin de la rue Là-bas Les filles qui font la gueule Les hommes n'en veulent pas Et tant pis si elle crève Son homme ne reviendra plus Adieux tous les beaux rêves Sa vie, elle est foutue Pourtant ses jambes tristes L'emmènent au boui-boui Où y a un autre artiste Qui joue toute la nuit Elle écoute la java Mais elle ne la danse pas Elle ne regarde même pas la piste Et ses yeux amoureux Suivent le jeu nerveux Et les doigts secs et longs de l'artiste Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par le haut Elle a envie de chanter C'est physique Tout son être est tendu Son souffle est suspendu C'est une vraie tordue de la musique Elle écoute la java Qu'elle fredonne tout bas Elle revoit son accordéoniste Et ses yeux amoureux Suivent le jeu nerveux Et les doigts secs et longs de l'artiste Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par le haut Elle a envie de chanter C'est physique Tout son être est tendu Son souffle est suspendu C'est une vraie tordue de la musique Elle écoute la java Elle entend la java Elle a fermé les yeux Et les doigts secs et nerveux Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par le haut Elle a envie de gueuler C'est physique Alors pour oublier Elle s'est mise à danser, à tourner Au son de la musique Arrêtez Arrêtez la musique « L’évasion... Paris à la province... » La chanson de l’Occupation chante deux lieux de prédilection : Paris et le village idyllique de la France agricole ! Les chansons sur la «France agricole » restent souvent synonymes de la France de Vichy ! Elles sont imprégnées de l’idéologie de la Révolution Nationale : l’amour de la patrie, une France douce et belle, la nature, la terre, le travail et la famille. Et Paris, alors ? « Que Paris redevienne Paris et la province suivra... » titrait le journal "le Matin" au lendemain de la défaite ! Le ton est donné et l’Occupant en jouera. Il veut que Paris reste Paris, pour se montrer respectueux des libertés aux yeux du monde et pour y distraire ses troupes entre deux conquêtes ! Les Français profiteront de cette opportunité... Ces Français là, on ne leur reprochera peut-être pas de s’être amusés un peu.. Par contre, l’amuseur, le professionnel aura des comptes à rendre à la Libération ! DOUCE FRANCE (1943) Charles Trenet Il revient à ma mémoire Des souvenirs familiers Je revois ma blouse noire Lorsque j´étais écolier Sur le chemin de l´école Je chantais à pleine voix Des romances sans paroles Vieilles chansons d´autrefois Douce France Cher pays de mon enfance Bercée de tendre insouciance Je t´ai gardée dans mon cœur! Mon village au clocher aux maisons sages Où les enfants de mon âge Ont partagé mon bonheur Oui je t´aime Et je te donne ce poème Oui je t´aime Dans la joie ou la douleur Douce France Cher pays de mon enfance Bercée de tendre insouciance Je t´ai gardée dans mon cœur Douce France Cher pays de mon enfance Bercée de tendre insouciance Je t´ai gardée dans mon cœur Mon village au clocher aux maisons sages Où les enfants de mon âge Ont partagé mon bonheur Oui je t´aime Et je te donne ce poème Oui je t´aime Dans la joie ou la douleur Douce France Cher pays de mon enfance Bercée de tendre insouciance Je t´ai gardée dans mon cœur « L’évasion... Paris à la province... » LA ROMANCE DE PARIS (1941) Charles Trenet Après sa démobilisation, comme d’autres chanteurs, Charles Trenet chante un temps en zone sud avant de regagner Paris en 1941 où il reprend ses galas... En 1943, il acceptera, lui aussi, d’aller chanter en Allemagne. Comme pour beaucoup d’autres chanteurs (Tino Rossi, Mistinguett, Maurice Chevalier, Édith Piaf...), ce retour dans la capitale lui sera reproché et le rendra suspect à la Libération... Circonstance atténuante, Charles Trenet sera victime en 1941 et 1942 d’une violente campagne antisémite. On lui reproche une « judaïsation » de la chanson française sous prétexte que Trenet ne serait pas son vrai nom, mais l’anagramme de Netter, nom d’origine judaïque. Ils s´aimaient depuis deux jours à Ce doux refrain de nos faubourgs Au coin des rues, elle fleurit peine Parle si gentiment d´amour Ça met au cœur des amoureux Y a parfois du bonheur dans la Que tout le monde en est épris Un peu de rêve et de ciel bleu peine C´est la romance de Paris Ce doux refrain de nos faubourgs Mais depuis qu´ils étaient Parle si gentiment d´amour amoureux La banlieue était leur vrai domaine Que tout le monde en est épris Leur destin n´était plus malheureux Ils partaient à la fin de la semaine C´est la romance de Paris Ils vivaient avec un rêve étrange Dans les bois pour cueillir le Et ce rêve était bleu comme les muguet anges Ou sur un bateau pour naviguer C´est la romance de Paris Leur amour était un vrai printemps Ils buvaient aussi dans les Au coin des rues, elle fleurit oui guinguettes Ça met au cœur des amoureux Aussi pur que leurs tendres vingt Du vin blanc qui fait tourner la tête Un peu de rêve et de ciel bleu ans Et quand ils se donnaient un baiser, Ce doux refrain de nos faubourgs oui Parle si gentiment d´amour C´est la romance de Paris Tous les couples en dansant se Que tout le monde en est épris Au coin des rues, elle fleurit disaient C´est la romance de Paris Ça met au cœur des amoureux C´est la romance de Paris Un peu de rêve et de ciel bleu LE BAL DEFENDU « On chante, on chante...! Et si l’on dansait maintenant ! » Et bien non... nous ne danserons pas, puisque les bals publics sont interdits ! Plus de bal du 14 juillet dans les quartiers où sur les places de village, plus de dancings non plus, de bals musette et de guinguettes ! Si on veut danser, il faudra se rabattre sur la fête privée entre amis – la surprise-partie – ou avoir recours au subterfuge de s’inscrire dans un des nombreux cours de danses qui fleurissent un peu partout en ville ! Ce sera ainsi, un moyen déguisé de continuer à maintenir l’activité du bal sans trop attirer l’attention. Il s’organisera aussi de vrais bals clandestins dont le lieu sera tenu secret jusqu’au dernier moment ! LE BAL DEFENDU (1944) Roberte Marna Contrairement à une opinion fort répandue, ce ne sont ni le régime de Vichy, ni les autorités allemandes qui ont interdit les bals publics, mais la Troisième République, aussitôt la déclaration de la guerre, le 9 septembre 1939. Cette interdiction sera momentanément levée et, à partir du mois de décembre, on peut à nouveau danser. Mais le 20 mai 1940, au début de l’offensive allemande, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, ordonne par décret la fermeture des dancings parisiens, mesure étendue quelques jours plus tard à l’ensemble du territoire. Dans l’affolement de la débâcle, ce décret ne sera jamais publié au Journal Officiel, mais cette interdiction sera maintenue par le régime de Vichy après l’armistice du 22 juin 1940. Il est à noter que les autorités issues de la Résistance ne tiendront pas un autre langage. Contrairement à une imagerie tenace qui associe Libération et bals populaires, ceux-ci resteront encore interdits pendant de longs mois. Tant que des Français souffrent et meurent, l’autorisation des bals publics serait hautement inopportune ! Dans un quartier très sombre Il est un vieux bistrot Dés que vient la pénombre Il s'allume aussitôt Debout devant sa boutique Le patron tranquillement Fait baisser la musique Lorsque passe un agent Et c'est là qu'un soir très doux Il m'a donné rendez-vous Dans une salle cachée Derrière le comptoir Tournant dans la fumée Mon cœur battit un soir Serrée sur sa poitrine J'écoutais les mots fous Que d'une voix câline Il disait dans mon cou Moi je ne répondais rien Mais mon cœur était si bien Mais je suis revenue Le lendemain au soir Avec un inconnu Il dansait sans me voir Il riait avec elle D'un air tout réjoui Trahie par l'infidèle J'ai fui le cœur meurtri Et je me souviens encor De ce si troublant décor C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse Y a pas d'accordéon Pas même un violon Un phono les remplace Les clients ont vingt ans Par couples tendrement La valse les enlace C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse Y a pas d'accordéon Pas même un violon Un phono les remplace Les clients ont vingt ans Par couples tendrement La valse les enlace C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse Y a pas d'accordéon Pas même un violon Un phono les remplace Les clients ont vingt ans Par couples tendrement La valse les enlace C'est un bal défendu Dans un p'tit coin perdu Du quartier Montparnasse RESTRICTIONS « Restrictions, restrictions ! » La chanson de l’Occupation suit timidement les événements de l’époque. La préoccupation majeure des Français est celle liée à la problématique des restrictions et du ravitaillement, compte tenu d’une réglementation rigoureuse en matière de répartition ! Les restrictions vont devenir en moins d’un an un véritable phénomène de société ! Puisqu’il va falloir aussi se débrouiller pour trouver tout ce qui manque ou fait défaut, il restera aux débrouillards et aux plus fortunés le système D et le marché noir. Voilà autant de thèmes qui inspireront les chansonniers. Les chansonniers ironiseront avec humour sur cette problématique avec plusieurs dizaines de chansons écrites de 1940 à 1945 ! ELLE AVAIT DES SEMELLES DE BOIS (1941) Alibert L'autre jour près de Longchamp Gentiment je lui souris Afin de la décider Je me promenais tranquillement Puis aussitôt je la suivis A venir chez moi prendre le thé Lorsque tout à coup j'entendis Pendant une heure sans répit Très sérieusement je lui jurai Derrière moi un drôle de bruit Mais quand le tour du bois fut fini Que personne ne la verrait Je pensais naturellement Elle le fit encore trois fois Mais elle fit dans l'escalier Ça c'est encore tout simplement En faisant claquer ses semelles en Tant de bruit avec ses souliers Un canasson qui va son train bois Qu'immédiatement à chaque palier Tout en tirant son vieux sapin Moi je ne faisais rien claquer Des gens sortirent pour nous C'était une méprise Mais je vous le jure, j'étais claqué ! regarder Jugez de ma surprise Comme je criais grâce Et la pipelette Quand je vis en me retournant Elle dit avec grâce Toujours très discrète S'avancer une blonde enfant Faisons un tour de plus... Alla sans hésiter Et je repartis n'en pouvant plus. Ameuter le quartier tout entier Elle avait des semelles en bois Qui faisaient clic clac clic clac Et chaque fois Que j'entendais ce petit bruit charmeur Ça faisait clic clac clic clac Au fond de mon cœur Clic clac clic clac Mes amis clic clac clic clac Quel doux bruit Elle m'avait mis tout en émoi Avec ses semelles, semelles, semelles en bois Elle avait des semelles en bois Qui faisaient clic clac clic clac Et chaque fois Que j'entendais ce petit bruit charmeur Ça faisait clic clac clic clac Au fond de mon cœur Clic clac clic clac Mes amis clic clac clic clac Quel doux bruit Elle m'avait mis tout en émoi Avec ses semelles, semelles, semelles en bois Elle avait des semelles en bois Qui faisaient clic clac clic clac Et chaque fois Que j'entendais ce petit bruit charmeur Ça faisait clic clac clic clac Au fond de mon cœur Clic clac clic clac Mes amis clic clac clic clac Quel doux bruit Elle m'avait mis tout en émoi Avec ses semelles, semelles, semelles en bois RESTRICTIONS – RESTRICTIONS ! Ce qui va caractériser le quotidien des Français sous l’Occupation, au delà de l’omniprésence des soldats allemands, ce sont les restrictions ! Les restrictions vont devenir en moins d’un an un véritable phénomène de société ! Au regard de la présence du thème des « restrictions » dans tous les domaines, on peut facilement se faire une idée du traumatisme qu’ont pu éveiller ces privations dans la conscience collective de cette époque ! Le thème des restrictions inspirera ainsi aussi bien les publicitaires, les chansonniers, les inventeurs et autre débrouillards. On retrouvera ce thème dans tout un tas d’articles de magazines, de journaux ou d’ouvrages complets sur la problématique et sur la façon de la résoudre : recettes et manuels de cuisine, astuces de récupération, jusqu’aux manuels de « savoir vivre » qui s’adapteront aux circonstances ! Pourquoi ces restrictions ? Toute nation en temps de guerre se trouve contrainte, à un moment où à un autre, de faire face au problème du ravitaillement, à la fois pour ses troupes, mais aussi pour les populations civiles ! En septembre 1939, avec la mobilisation de tous les hommes de 20 à 48 ans, alors que la main d’œuvre à cette époque reste majoritairement masculine, toute l’économie nationale va se trouver en difficulté. Dès le mois d’octobre, le gouvernement va mettre en place un « secrétariat du Ravitaillement Général », et au mois de mars 1940 paraissent plusieurs décrets réglementant la vente des denrées primordiales : Le pain, la farine, la viande, mais aussi le vin, l’alcool et le chocolat. L’essence également sera rationnée ! En juillet 1940 le gouvernement de Vichy crée le Ministère du Ravitaillement. Avec l’armistice les problèmes de ravitaillement vont aller en s’accentuant : Après la démobilisation, avec plus ou moins 80 000 tués et 1 000 000 prisonniers la main d’œuvre française ne sera pas complètement rétablie. Le manque de main d’œuvre allié aux pénuries de fertilisants et manque de moyens matériels réduira la production alimentaire de 30% ! L’Allemagne, avec 5 000 000 d’hommes mobilisés, (pour une population de 70 000 000 à 80 000 000 d’habitants) a besoin de compenser sa perte de main d’œuvre et pour faire face aux problèmes de ravitaillement de son armée et de sa population civile, l’armée d’occupation considère tous les dépôts de vivres comme prises de guerre. Pendant tout le temps de l’Occupation et de la guerre, l’Allemagne ponctionnera allégrement dans la production des pays qu’elle occupe et les restrictions alimentaires qu’elle impose à la France sont particulièrement dures ! 15% des produits alimentaires de la France sont fournis par les produits d’importation (sucre, fruits et surtout les légumes secs et les huiles) provenant de son empire colonial. L’isolement de la France diminuera ses importations en approvisionnement de 50 % (vins, céréales, fruits et oléagineux) à 100 % (riz, graisses végétales, cacao, café, thé, poivre, coton, caoutchouc…) L’énorme pagaille et anarchie qui règnent dans les services du Ravitaillement Général aggravent la situation ! Malgré ses 18 000 fonctionnaires employés dans ses services, le Ravitaillement Général n’arrive même pas à répartir convenablement la moitié de la production disponible, ni a approvisionner comme il se doit le marché officiel ! De plus, le gâchis est fréquent à cause du manque d’infrastructures pour stocker et acheminer les denrées (troupeaux de bœufs « oubliés » dans les parcs d’où ils sortent à l’état de squelettes pour l’abattoir, stocks de beurre se périmant, pommes de terres gelant et pourrissant dans les gares…). Cartes d'Alimentation, coupons et tickets de ravitaillement... Dès le mois de mars 1940, toutes les personnes qui résident en France sont désormais tenues de déposer une déclaration en mairie afin de se faire attribuer une carte d'alimentation nominative. Cette carte sera exigée lors de l'achat de tout produit faisant l'objet de restrictions. Selon l'âge ou le travail de la personne, chaque consommateur sera classé selon une catégorie qui donnera droit à une quantité de denrées contingentées plus ou moins importante définie en fonction des critères spécifiés (supplément de lait pour les enfants en bas âge ; quantité de viande, vin et pain plus importante pour les travailleurs de force et les ouvriers agricoles...). Les différentes catégories de consommateur : Cat. E : Cat. J1 : Cat. J2 : Cat. J3 : Cat. A : Cat. T : Cat. C : Cat. V : Enfants des deux sexes âgés de moins de 3 ans. Enfants des deux sexes âgés de 3 à 6 ans révolus. Enfants des deux sexes âgés de 6 à 13 ans révolus. Enfants des deux sexes âgés de 13 à 21 ans révolus. Consommateurs âgés de 21 à 70 ans ne se livrant pas à des travaux de force. Consommateurs âgés de 21 à 70 ans révolus se livrant à des travaux de force. Consommateurs de plus de 21 ans et sans limite d'âge se livrant à des travaux agricoles. Consommateurs de plus de 70 ans, autres que ceux classés en catégorie C. La carte d'alimentation permet de recevoir en mairie, des feuillets de coupons destinés à recevoir les denrées à approvisionnement mensuel (pâtes, riz, sucre, café...), des feuillets de tickets pour les denrées à approvisionnement journalier (pain, viande, fromage, matières grasses...) et la carte de lait. LA MUSIQUE DE JAZZ SOUS L'OCCUPATION « L’évasion par le Jazz » Si il y a aussi un genre musical qui va permettre l’évasion, c’est bien la musique de jazz ! La musique jazz et le swing restent un phénomène musical sans précédent dans cette France occupée ! C’est en automne 1940, qu’est organisé le premier festival de Jazz à la Salle Gaveau, par Charles Delaunay, animateur du Hot Club de France (créé en 1932) ! C’est un succès sans précédent! Pendant toute l’Occupation, le jazz français sera plus productif qu’avant la guerre (surtout entre 1940 et 1943), pas seulement à Paris, en province aussi ! Contrairement à une idée préconçue, le jazz n’a jamais subi en France une quelconque interdiction de la part des autorités allemandes, comme ce fut le cas en Allemagne et dans les autres pays conquis (Il sera néanmoins interdit en Alsace – Lorraine, régions "annexées" par l’Allemagne). Au contraire, le rythme jazz devient si populaire que toutes les radios, même Radio-Paris, se voient contraintes de diffuser du swing, en théorie banni des ondes (la propagande nazie serait plus digeste si elle était enrobée d’émissions divertissantes...) ! Il est incontestable que le jazz est, pour les autorités allemandes, une musique « décadente, nègre... juive de surcroît » et contraire à l’éthique du Reich (d’ailleurs elle interdit formellement la diffusion des morceaux créés par des compositeurs juifs) ! Ce n’est qu’à partir de l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, que les autorités allemandes prendront quelques mesures à l’encontre du jazz en interdisant la diffusion des titres américains. La parade pour les artistes français sera de les interpréter sous un titre francisé. C’est aussi grâce à cette mesure, que le jazz français va s’émanciper puisqu’il n’a plus à craindre la concurrence américaine. ELLE ETAIT SWING (1941) Jacques Pills Par un beau matin d' printemps Évidemment, évidemment J' l'ai rencontrée simplement Évidemment, évidemment Elle n'était pas belle, belle, belle Elle zozotait légèrement Elle n'avait qu'une chose pour elle Quelque chose de très étonnant Par un beau jour de printemps Évidemment, évidemment Elle m'a présenté Armand Évidemment, évidemment Il n'était pas beau, beau, beau Il ne portait pas d' chapeau Il n'avait qu'une chose pour lui Quelque chose de très inédit Elle était swing, swing, swing Il était swing, swing, swing Oh, terriblement swing, swing, swing Oh, terriblement swing, swing, swing Je la trouvais divine Il la trouva divine Je devins son amant Il devint son amant En deux temps, trois mouvements En deux temps, trois mouvements Hop ! Elle était swing, swing, swing Il était swing, swing, swing Oh, terriblement swing, swing, swing Oh, terriblement swing, swing, swing Et sa lèvre mutine Il l'appelait "Cousine" Me plaisait follement Je trouvais ça charmant Sans savoir ni pourquoi ni comment Sans savoir ni pourquoi ni comment Par un beau soir de printemps Évidemment, évidemment Ils sont partis simplement Évidemment, évidemment Je fuyais mais en province On me présenta bientôt Une jeune fille blonde et mince Aux allures très comme il faut Pas du tout swing, swing, swing Oh, mais pas du tout swing, swing, swing De par ses origines Arrière-petite-enfant Des bons rois fainéants Pas du tout swing, swing, swing Oh, mais pas du tout swing, swing, swing Je la trouvais divine J' lui ai dit tendrement En sachant et pourquoi et comment Elle était un peu bizarre Il avait une riche nature Pendant le jour, elle dormait Mais jamais un sou d' monnaie Mais quel bruit, quel tintamarre Alors, toutes ses p'tites factures Le soir de nos épousailles Dès que la nuit arrivait C'était moi qui les payais J'allais chanter ma chanson Elle était swing, swing, swing Il était swing, swing, swing J'avais peur qu'elle ne défaille Oh, terriblement swing, swing, swing Oh, terriblement swing, swing, swing À ma grande stupéfaction Je courais à la ruine Je faisais la cuisine Elle était swing, swing, swing Pendant qu'elle me chantait Pendant qu'il lui chantait Oh, terriblement swing, swing, swing Un p'tit air bien rythmé Un p'tit air bien rythmé Alors, on le devine Qui m' plaisait Qui m' plaisait Nous eûmes beaucoup d'enfants Et qui dansent et qui chantent tout le temps Contrairement à une idée préconçue, le jazz n’a jamais subi en France, une quelconque interdiction de la part des autorités allemandes, comme il en fut en Allemagne et dans les autres pays conquis (Il sera néanmoins interdit en Alsace – Lorraine, régions "annexées" par l’Allemagne). Tout au long de la guerre, le jazz n'est pas absent de la scène parisienne, bien au contraire. Après quelques jours de perturbations dues à l'entrée du soldat allemand dans la capitale, l'activité dans lieux de spectacles reprend de plus belle, attirant bien vite une clientèle abondante et hétéroclite, composée de représentants des forces d'occupation mais aussi de Français peu gênés par cette promiscuité… Et dans ces salles de spectacles le jazz est très souvent présent. Il est a noter que beaucoup de musiciens de jazz ont la possibilité d'exercer leur métier, bénéficiant d’une certaine bienveillance de la part de l’occupant, même pour des artistes comme le « manouche » Django Reinhardt ! « Jazz » et « swing » ne sont pas non plus des mots tabous, loin s’en faut... Au début de l’année 1941, l’orchestre du « Jazz de Paris » se produit dans plusieurs cabarets. Le compositeur et chef d’orchestre Robert BERGMANN fonde et dirige l'Orchestre Symphonique de Jazz … Au théâtre du Gymnase, en mars 1941, on ressort également la pièce de Marcel Pagnol « Jazz » datant des « années folles ». En février 1942, un « festival swing » a lieu à la salle PLEYEL au profit des musiciens prisonniers et de leurs familles et du « Secours National - Entr'aide d'Hiver du Maréchal ». Toutes les vedettes du jazz français, annoncées comme telles, y seront rassemblées ! LES ZAZOUS Depuis la fin des années 30, une bonne partie de la jeunesse parisienne, se presse dans les concerts jazz de la capitale, scandant du pied les rythmes effrénés des grands orchestres swing de l’époque... Les « swing » D’abord appelés simplement les « swing » ou « petits swing », ces jeunes seront rapidement nommés « zazous » ! La provenance du mot viendrait de l’onomatopée « zazou – zé » utilisée dans le « scat », forme de jazz vocal où l’onomatopée remplace les paroles. « Zazou » est utilisé la première fois en France dans la chanson de Johnny Hess « Je suis swing » enregistrée en 1938 et dont le refrain chante : « Je suis swing, je suis swing... Zazou, zazou, zazou zazou zé... » (Il est probable que l’onomatopée vienne, à l’origine, du morceau de jazz « Zaz Zuh Zaz » enregistré en 1933 par Cab Calloway). Conflit des générations Le mouvement Zazou, sans être un « réseau » de résistance, reste néanmoins animé d’un sentiment politique de contestation et de révolte par l’inertie. Mais peut-être plus simplement, c’est la manifestation exacerbée de l’éternel conflit des générations ! Leur revendication se traduit essentiellement par une allure vestimentaire provocatrice. « Jeunesse », un magazine militant pour une jeunesse digne de la Révolution Nationale, décrit ainsi nos zazous : "Voici le spécimen de l'ultra swing 1941 : Cheveux dans le cou entretenus dans un savant désordre, petite moustache à la Clark Gable, veste de tricot sans revers, pantalons rayés, chaussures à semelles trop épaisses, démarche syncopée..." Les zazous sont de grands amateurs de motifs à carreaux. Les garçons portent des pantalons étroits et courts qui s’arrêtent à la cheville. Leurs pieds sont chaussés de souliers à semelle compensée. Leur cou est serré dans un col de chemise relevé et retenu par une épingle et orné d’une cravate étroite. Surtout, le zazou porte une veste longue, large ou cintrée qui lui tombe sur les cuisses, provocation évidente alors que les vêtements et les articles textiles sont rationnés à partir de 1941. Leurs cheveux brillantinés descendent sur la nuque et sont longs et remontés en frisottant sur le devant : encore un pied de nez à un décret de 1942 obligeant la récupération des cheveux dans les salons de coiffure pour en faire des pantoufles ! Les filles, elles, portent souvent des cheveux qui tombent en boucles sur les épaules. La couleur blonde est de mise. Elles se fardent avec un rouge à lèvres très rouge et se cachent les yeux derrière de grosses lunettes noires. Ces demoiselles portent des vestes aux épaules carrées sur une jupe courte et plissée qui s’arrête au-dessus du genou ! Leurs bas sont rayés ou à résille et leurs chaussures sont à semelle de bois colorée et épaisse. Pour le garçon, comme pour la fille, le parapluie est de rigueur. Mais qu’il pleuve ou non, il reste obstinément fermé ! C’est ainsi parés, qu’on retrouve nos zazous à la terrasse du Pam-Pam sur les Champs-Elysées ou à celle des cafés du Boulevard Saint Michel. Ces jeunes gens passent leur temps à refaire le monde en critiquant la politique du moment, par provocation... Ils organisent parfois des monômes (le monôme est une manifestation étudiante française qui peut être aussi bien festive que démonstrative en fonction des établissements et des occasions). Ils déambulent à quelques uns en se tenant par les épaules, en file indienne et en chantant des « comptines » provocatrices. Vite, ils se retrouvent une centaine ! Au premier agent de police, au premier uniforme vert de gris, c’est la débandade... Gare à celui qui se fait prendre et qui n’a pas ses papiers en règle ! Certains manifestent sur les Champs-Élysées, une canne à pêche dans chaque main : deux gaules ! D’autres, aussi inconscients que téméraires, n’hésitent pas à porter l’étoile jaune avec marqué dessus « zazou » ou « swing » : cette provocation en amène plus d’un à Drancy (d’où ils sont rapidement relâchés) avec pour chef d’accusation : « amis des juifs ». Depuis juin 1940, pour réagir au désastre de la débâcle et à la demande d’armistice qui en a suivi, le gouvernement de Philippe Pétain entreprend une campagne de nouvelles réformes dans le cadre de sa « Révolution Nationale ». Dès 1940, Vichy crée un « Ministère de la Jeunesse ». Ce ministère se montre très préoccupé par l’éducation de la jeunesse française. Elle exhorte à la morale et à la productivité – Travail-Famille-Patrie – et le nouvel Etat voit en ces zazous une influence rivale et dangereuse pour sa jeunesse. Si le jazz reste toléré par les autorités d’Occupation et par la politique vichyste, Il n’en sera pas de même pour nos zazous ! A longueur d’articles, les journaux de Vichy déplorent la décadence qui affecte la morale française et ils considèrent les zazous comme un ramassis de tire-au-flanc égoïstes. Entre 1940 et 1943, la presse publie plus de 100 articles contre le phénomène zazou. En 1942, le régime de Vichy se rend bien compte que la renaissance nationale qu’il espérait voir se réaliser par les jeunes est sérieusement affectée par un rejet généralisé du patriotisme et de l’éthique du travail. Pour le zazou, jouer l'esprit de contradiction reste primordial et il s'arrange pour le faire savoir ! C’est ce qui constitue l’élément essentiel de sa philosophie. Cette prise de position et cette attitude « j’ m'en foutiste » leur amènera beaucoup de problèmes dès 1942. Les zazous deviennent « l’ennemi numéro un » de l’organisation de la jeunesse nationaliste des Jeunesses Populaires Françaises. « Scalpez les zazous ! » est devenu leur mot d’ordre. Des escouades de la JPF, armées de tondeuses et de ciseaux attaquent les zazous ! Des rafles commencent à avoir lieu dans les bars et les zazous se font tabasser dans les rues. Beaucoup sont arrêtés et ceux en âge d’être mobilisés pour les chantiers de jeunesse, seront envoyés à la campagne pour travailler aux champs. À ce stade, le déclin des zazous est annoncé. Les zazous entrent dans la clandestinité, se terrant dans leurs salles de danse tandis que la résistance officielle les soupçonne d’adopter une attitude apathique, voire désinvolte, envers la guerre en général. LA JEUNESSE Les chantiers de jeunesse Les chantiers de jeunesse française (CJF) ont été créés le 30 juillet 1940 afin de remplacer le service militaire obligatoire supprimé après l'armistice du 22 juin 1940. Tous les jeunes hommes de la Zone Libre et de l'Afrique Française du Nord âgés de 20 ans y sont incorporés pour un stage de six mois. Ils vivent en camps près de la nature, À la manière du scoutisme, mais avec le volontariat en moins, ils sont regroupés dans des camps où ils accomplissent des travaux d'intérêt général, notamment forestiers, dans une ambiance para-militaire. Ils sont encadrés par des officiers d'active et de réserve démobilisés, ainsi que par des aspirants formés pendant la guerre de 1939-1940. À partir de 1941 l'obligation des chantiers de jeunesse est étendue à une durée de 8 mois. Dirigés par le général Joseph de La Porte du Theil, les chantiers de jeunesse française sont une institution ambiguë. Dans ces camps, il s'agit d'inculquer à la jeunesse française les valeurs de la Révolution Nationale, prônées par le Régime de Vichy. Les Chantiers, initialement ouverts aux chefs et aux jeunes juifs français, leur sont d'abord interdits en Afrique du Nord, à la demande du colonel Van Hecke, commissaire régional, soutenu par le général de La Porte du Theil. Puis le deuxième semestre 1942, le général obtient que cette exclusion soit étendue aussi à la métropole. Le culte de la hiérarchie et de la discipline passe notamment par l'importance donnée à tous niveaux au Chef. La vénération du Maréchal Pétain imprègne profondément les cadres. Alors que le régime exaltait le retour à la terre et le provincialisme, la vie en groupements dans les bois peut aussi se lire comme une réaction contre la ville industrielle et corruptrice, foyer de l'individualisme et de la lutte des classes. Par ailleurs, aucune "politique" n'est tolérée dans les chantiers. Ce qui signifie l'interdiction de la propagande des partis collaborationnistes et bien sûr des organisations de Résistance, mais aussi l'absence de radios, de débats et autres moyens de communication qui, même censurés, peuvent permettre aux jeunes de suivre l'évolution de la guerre et de la politique du régime, et de se faire une opinion personnelle. Dans le cadre de la "mission Chantier en Allemagne", les Chantiers envoient 16 000 jeunes au Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne. Lors de l'invasion de la Zone Libre, les Allemands suppriment l'Armée d'Armistice mais, maintiennent néanmoins les Chantiers. Toutefois, ils modifient profondément leur implantation à partir de mars 1943. Les groupements de Provence, des Pyrénées, et des Alpes sont respectivement délocalisés dans le Massif Central, dans le département de la Dordogne et dans les Landes. L'occupant craint en effet leur concours à un débarquement allié par la Méditerranée, le concours ou la participation à des évasions par l'Espagne et l'aide aux maquis. Plusieurs anciens des chantiers rejoignent la Résistance, certains passent en Afrique du Nord. Les stocks de vivres et de vêtements des Chantiers deviennent une proie classique pour les maquis en manque de tout. De multiples coups de main, bénéficiant parfois de complicités dans la place, permettent aux maquisards de faire main-basse sur ces dépôts. Cela explique que sur nombre de photos, des maquisards soient habillés en uniformes des chantiers, certes non prévus au départ pour leur servir ! C'est à partir de septembre 1943 que le général La Porte du Theil, devant de nouvelles exigences allemandes qui menacent à l'envoi en Allemagne de la quasi-totalité des effectifs restant des Chantiers, refuse catégoriquement toute mise à disposition supplémentaire au bénéfice de l'occupant. Mais il décline également les invitations de la Résistance à passer à la dissidence et à gagner Alger. Averti d'une arrestation imminente à la fin de décembre 1943, il refuse également de s'enfuir. Destitué, et arrêté le 4 janvier 1944, il est assigné à résidence en Allemagne jusqu'à la fin de la guerre. Le général La Porte du Theil obtient un non-lieu en Haute Cour de Justice en 1947. CHANSONS DE VOYOUS « Folklore parisien adapté aux circonstances » Pendant la période de l'entre-deux guerres, les chansons sur le Milieu parisien sont très en vogue (elles le resteront d'ailleurs jusque dans les années cinquante) et font partie du folklore populaire de la chanson de variété parisienne. Fréhel, Edith Piaf, Andrex, Maurice Chevalier seront quelques-uns de ses ambassadeurs et ils mettront en scène dans leurs chansons des proxénètes, des filles de joie, des escrocs et autres cambrioleurs... Dans la réalité, avec l'Occupation, la pègre va devoir composer avec cette situation. Dans le 16ème arrondissement au 93 de la rue Lauriston se trouve le quartier général de la Gestapo française tenue d'une main de fer par Henri Lafont, ancien truand passé du côté de l’Occupant et son lieutenant Pierre Bonny, ancien commissaire véreux renvoyé de la police avant la guerre. Lafont va d'ailleurs s'entourer uniquement d'hommes de main recrutés dans les prisons. Sa position collaborationniste va permettre à Lafont d'évincer toute la concurrence et les caïds du Milieu qui ne se rallieront pas à la Gestapo, auront tout intérêt à se faire oublier ! Il restera néanmoins, pour les petits truands, toute latitude dans le trafic en tous genres : fausses cartes d'alimentation, faux tickets de ravitaillement, faux papiers, marché noir..., et cela, pas dans une volonté de résistance à l'Occupant. LA JAVA 43 (1943) Andrex Quand sur le Sébastopol, Faut voir comme il est nippé Pour les ch’mises On voit le grand Popol, Le plus chic du quartier C’est pas marrant, Un des vieux à la r’ dresse Au temps des bals musettes. Y’ a un inconvénient, Un d’ ces durs de chez Bouscat Son pantalon fait des plis, Les cols s’usent trop vite. Qu’était taillé comme ça J’ crois bien qu’ son ventre aussi, Mais sa femme, c’est son rayon, Et qu’on voit c’ qu’il en reste Et il est sans chaussette. La liquette, allez donc, Ça vous turbine le citron Il n’a plus ses p’tits vernis, Elle a trouvé toute suite. Car toutes ces restrictions Mais des godasses qui, Elle lui en taille dans les pans Quoi qu’on dise ou qu’on fasse, Toutes seules, font des claquettes. Et il reste élégant Ça nous met tout nos costauds, Ces épaules de chez Alba Du moins faut l’ dire bien vite. A leur tour, sur l’ carreau Dégringolent sur les bras, S’ il a un joli plastron, Et c’est pas rigolo. Il est pas fier comme ça. Dans cette combinaison Y’ a plus rien dans l’ caleçon. C’est la java 43 celle qu’on ne danse pas Mais qu’on siffle en cadence Les nénettes et les nanas S’ ballade en s’melles de bois Mais gardent leur élégance Les Prosper et les Julots Le soir au p’tit bistrot S’ disputent avec violence Leur dernier paquet d’ tabac. C’est la java 43. C’est la java 43 celle qu’on ne danse pas Mais qu’on siffle en cadence Les nénettes et les nanas S’ balladent en s’melles de bois Mais gardent leur élégance Les Prosper et les Julots Le soir au p’tit bistrot S’ disputent avec violence Leur dernier paquet d’ tabac. C’est la java 43. C’est la java 43 celle qu’on ne danse pas Mais qu’on siffle en cadence. Puisque des bals y’ en a pas Pensez si les frotteurs Y sont tous en souffrance. Que ce soit à la Bastille, A Pigalle, à Belleville Et même dans toute la France, Tout le monde se souviendra De la java 43. 1944 « LA LIBERTE RETROUVEE ! » Dès l'année 1943, avec les défaites de l'armée allemande sur le front de l'Est et en Afrique du Nord, l’espoir renaît et commence à se manifester dans le répertoire, jusqu’à la libération en 44 , où de nouveau, les chansons patriotiques mais aussi les chants partisans restés jusqu’alors clandestins, ressurgissent et côtoient les sonorités outre-Atlantique au rythme jazz, apportées par les G.I ! Avec la débarquement en Normandie, viennent le temps de l’espoir et celui de la liberté retrouvée ! Enfin, on peut chanter la joie ! C’est là que nos chanteurs vont devoir, comme beaucoup d’autres rendre des comptes... Les tribunaux de la Libération seront quelque peu indulgents avec eux, quand aux peines infligées. S’ils avaient du appliquer les peines encourues normalement, avec le nombre de chanteurs ayant travaillé pour radio-Paris, c’est toute la vie musicale française qui était paralysée pour un long moment ! La chanson de variété touche le plus grand nombre. Il ne faudrait pas priver la majeure partie de la population d'une distraction populaire ! Les tribunaux ne seront pas aussi cléments avec les écrivains... La littérature touche moins de monde ! Maintenant on chante et on danse pour fêter les libérateurs et les beaux jours qui sont de retour... Enfin... bientôt de retour ! Car n’oublions pas que la guerre ne se terminera qu'en mai 1945 et qu'il faudra encore quelques années pour que le pays soigne ses plaies et retrouve une situation économique et politique stable. (Notamment, en matière de restrictions, celles-ci ne prendront définitivement fin qu’en 1949 !) FLEUR DE PARIS (1944) Jacques Hélian – Maurice Chevalier Mon épicier l´avait gardée dans son comptoir Le percepteur la conservait dans son tiroir La fleur si belle de notre espoir Le pharmacien la dorlotait dans un bocal L´ex-caporal en parlait à l´exgénéral Car c´était elle, notre idéal C´est une fleur de Paris Du vieux Paris qui sourit Car c´est la fleur du retour Du retour des beaux jours Pendant quatre ans dans nos cœurs Elle a gardé ses couleurs Bleu, blanc, rouge, avec l´espoir elle a fleuri, Fleur de Paris Le paysan la voyait fleurir dans ses champs Le vieux curé l´adorait dans un ciel tout blanc Fleur d´espérance Fleur de bonheur Tout ceux qui se sont battus pour nos libertés Au petit jour devant leurs yeux l'ont vu briller La fleur de France Aux trois couleurs C´est une fleur de chez nous Elle a fleuri de partout Car c´est la fleur du retour Du retour des beaux jours Pendant quatre ans dans nos cœurs Elle a gardé ses couleurs Bleu, blanc, rouge, elle était vraiment avant tout Fleur de chez nous