Hervé Chaigne - Le personnalisme de Mounier - Petite introduction par les textes - La Vie Nouvelle, 1979 5
"1° une personne ne peut jamais être prise comme moyen par une collectivité ou par une autre personne
"2° Qu'il n'est pas d'Esprit impersonnel, d'événement impersonnel, de valeur ou de destin impersonnel.
L'impersonnel, c'est la matière...
"3° Qu'en conséquence, mises à part les circonstances exceptionnelles où le mal ne peut être lié que par la
force, tout régime est condamnable qui de droit ou de fait, considère les personnes comme des objets
interchangeables, les embrigade, ou les contraint contre la vocation de l'homme... .
"4° Que la société c'est-à-dire le régime légal, juridique, social et économique, n'a pour mission ni de se
subordonner les personnes ni d'assumer le développement de leur vocation... C'est la personne qui fait son destin :
personne d'autre, ni homme, ni collectivité ne peut la remplacer 20
1 - La personne une vocation.
"La personne est en moi la présence et l'unité d'une vocation intemporelle, qui m'appelle à me dépasser infiniment
moi-même et opère à travers la matière qui la rétracte une unification toujours imparfaite, toujours recommencée,
des éléments qui s'agitent en moi.
La mission première de l’homme est de découvrir progressivement ce chiffre unique qui marque sa place et ses
devoirs dans la communion universelle de la matière, à ce rassemblement de soi21
La vocation est donc pour la personne .à la fois rassemblement sur soi, sur son être spirituel, indépendant,
recueillement sur le secret de soi, sur l'intimité, sur le privé 22 et ouverture du plus secret d'elle-même à la
transcendance qui l'explique, la sous-tend, l'appelle tout en lui conservant totalement l'usage de sa liberté
intérieure. "Les rapports spirituels étant des rapports d'intimité dans la distinction et non pas d'extériorité dans la
juxtaposition, le rapport de transcendance n'est pas exclusif d'une présence de la réalité transcendante au cœur de
la réalité transcendée. "Dieu, dit saint Augustin m'est plus intime que ma propre intimité" 23. Pour le chrétien,
l'affirmation de la liberté se fonde sur la croyance de foi que l'homme est fait à l'image de Dieu, dès sa constitution
naturelle et qu'il est appelé à parfaire cette image dans une participation de plus en plus étroite à la liberté suprême
des enfants de Dieu "24
II faut ici ajouter en particulier pour les chrétiens, que la personne, telle que l'envisage Mounier, se greffe
harmonieusement sur le tronc du christianisme le plus authentique et le plus vivant. Le texte de Mounier que nous
allons lire maintenant est une véritable petite charte pour un christianisme d'adultes au XXème siècle.
... "Un personnaliste chrétien n'a rien de plus à dire que n'importe quel chrétien sur le christianisme lui-même. Du
rapport de foi, il soulignera seulement la structure personnelle, confiance ou intimité suprême et obscure de la
personne à une Personne transcendante et l'incompétence à son sujet de toute démonstration ou régulation qui
resterait purement objective. Mais le christianisme est aussi religion, la religion d'une transcendance qui s'incarne
dans un univers de personnes, incorporé et historique. Un large secteur de sa vie concrète est donc soumis à des
conditions d'espèce de lieu et de temps, il y exprime sous des figures caduques, et parfois dans des compromis
suspects, son inspiration créatrice. Un travail de discernement est incessamment à reprendre entre cette inspiration
transcendante et les amalgames qu'elle forme avec l'ambiance historique.
Nés dans le temps, ceux-ci disparaissent dans le temps (par exemple, la chrétienté médiévale, la liaison trône-
autel). Un chrétien sensible à l'importance centrale de l'incarnation dans sa religion ne méprisera pas ces
réalisations historiques à cause de leurs impuretés. Mais il sera vigilant aux déviations visibles ou secrètes qu'elles
introduisent dans les valeurs chrétiennes, et il veillera, au lieu de figer l'éternel dans des formes caduques, à lui
préparer incessamment les voies dans chaque paysage historique nouveau. Enfin, le personnalisme chrétien
soulignera, contre l'individualisme religieux, le caractère communautaire, trop négligé depuis deux siècles, de la
foi et de la vie chrétienne. Y retrouvant dans des perspectives nouvelles l'équilibre de la subjectivité et de
l'objectivité, il se défiera du subjectivisme religieux comme de toute objectivation réductrice de l'acte libre qui est
au noyau de chaque démarche authentiquement religieuse 25
2 -La personne une incarnation
Ma personne est incarnée. Elle ne peut donc jamais se débarrasser entièrement, dans les conditions où elle est
placée, des servitudes de la matière. Bien plus, elle ne peut s'élever qu'en pesant sur la matière. Vouloir esquiver
cette loi, c'est à l'avance se condamner à l'échec : qui veut faire l'ange fait la bête. Le problème n'est pas de
s'évader de la vie sensible et particulière, parmi des choses, au sein des sociétés limitées, à travers des événements
mais de la transfigurer 26
"Je suis personne dès mon existence la plus élémentaire, et loin de me dépersonnaliser, mon existence incarnée est