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SORTIE DE CRISE : LA SUBLIMATION DU VIDE
(LA CREATION)
En méditant sur quelque chose, les mystiques n’arrivent à rien, sinon à cette
plénitude qui surgit du néant et fit découvrir le dénombrement de l’absence, le zéro.
On a aussi créé le passage à la limite, l’évanouissement allant vers zéro, cet
(epsilon
1
), ce pas grand-chose qui s’insinue dans l’expression artistique, visuelle ou
sonore. On peut le voir à l’œuvre dans certaines fusions insensibles entre images du
cinéaste ou le diminuendo extinctif du musicien. Quoi de plus émouvant que ce
glissement qui va de l’habit à la nudité, de l’accolade à l’effleurement ?
Est-ce quantité négligeable que cette information qui n’existe que par son voisinage ?
C’est l’expression intime de la pensée, conduite jusqu’à son extinction, qui a permis
la conquête des notions les plus fécondes de l’approche scientifique. Ses retombées
techniques continuent à nous étonner.
Le vide comme expérience méditative est connu dans toutes les voies spirituelles
traditionnelles, qu’elles soient monothéistes, panthéistes ou même polythéistes.
Mort où est ta victoire ?
1
La lettre ε (epsilon, « e simple ») est utilisée en mathématiques pour désigner des valeurs aussi proches
de zéro qu’il est concevable (cf. Leibniz).
9
Un McDonnell Douglas F/A-18 de l'U.S. Navy à vitesse supersonique.
Le nuage est dû à la singularité de Prandtl-Glauert.
Comme d’autres ont rencontré le mur du son et crû qu’il était infranchissable
2
, nous
sommes face au vide ; comment pourrait-on aller au-delà ? Freud, sans assez s’en
expliquer, nous parle de sublimation.
La sublimation de l’alchimiste se rapporte à la métamorphose, la
transmutation du solide au gazeux, du terrestre au céleste.
L’étymologie latine de sublimation implique une notion d’élévation, d’une
chose qui prend de la hauteur (avec une connotation d’obliquité). On aspire,
on s’inspire, on admire, on s’extasie. Dans le domaine des beaux-arts, est
« sublime » une œuvre empreinte de grandeur, d'élévation.
Pour Freud, la sublimation prend en charge certaines pulsions sexuelles (ou
agressives) et en utilise l’énergie au service du groupe social et de la
culture.
Avant d’en tracer l’épure, donnons un bref aperçu de ce qui en forme le terreau, la
condition, les prolégomènes : l’échec du symptôme, l’inflation de l’idéalisation,
2
W. F. Hilton (dans les années quarante).
Sublimer
Sublimé
(D’après le Dictionnaire Mytho-Hermétique de Dom Pernety, Denoël, 1972)
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l’opposition sans nuance de la formation réactionnelle, le socle de la désexualisation
et du narcissisme.
Une voie de garage : le Symptôme
Le Symptôme est une formation de compromis résultant d’un conflit inconscient
ayant donné lieu à une défense non réussie. Le désir à refouler s'impose ou fait
retour ; il se déguise par déplacement et par condensation, créant ainsi des objets
imaginaires, des fantasmes (sexuels), dont le symptôme est habité tout comme il en
est du rêve.
Ce processus de défense à l’égard du désir censuré est analogue à la fuite devant un
danger menaçant de l'extérieur. Plusieurs désirs peuvent se coaliser et si l’un d’eux
est conscient, non refoulé, il permettra aux autres de « passer la douane », de
« s’engouffrer dans la brèche » et d’atteindre à un mixte trouble qui, pour peu que la
société en valide l’expression, pourra déjà se qualifier de sublimation.
Il y a idéal et idéal !
La sublimation et l’idéalisation partagent une composante verticale, ascensionnelle.
L’idéalisation glorifie son objet dont les qualités et la valeur sont presque portées à
l’infini. La moindre de ses parties prend figure d’absolu pour devenir fétiche vivant
ou relique de mort !
Dans la perversion on assiste à l’idéalisation d’une pulsion partielle, « spécialisée »,
qu’il s’agisse de jouir du sein, de l’urine, des selles ou du regard, du sexe ou de la
voix, du bien ou du mal !
La formation réactionnelle…
Mais les motions sexuelles du petit d’homme rencontrent l’éducation, la maturation
et les sollicitations prématurées, d’où la naissance de contre-forces « réactionnaires ».
Elles constituent une répression par changement de signe
3
. Ce qui était attirant
devient répulsif ; ainsi s’instaure la période de latence
4
. L’enfant éprouve alors une
3
S. Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard, 1990 et aussi Essais de psychanalyse, PBP,
1981.
4
Vers l’âge de 6-8 ans.
11
répulsion (dégoût, pudeur, morale
5
) qui s’oppose à ce qu’on range dans la catégorie
du pervers.
Il y a comme une préfiguration de la sublimation dans le cas où les pulsions ne
peuvent atteindre leur but. Parmi les pulsions sexuelles inhibées quant au but, Freud
compte la tendresse entre époux, entre parents et enfants, ou la simple amitié.
L’amour de soi
Pour aller vers le haut, l’activité devra changer de but, abandonner sa première visée
purement sexuelle. La libido se retire sur le moi qui pourra ainsi renforcer l’union, la
liaison, la mise en relation
6
. L’autre est le véritable objet du désir […] dans une
relation négative et en miroir qui permet au sujet de se reconnaître en lui. […] La
conscience de soi découvre que l'objet n’est pas à l'extérieur d'elle mais en elle. La
conscience a dû passer par l'autre pour revenir à soi sous la forme de l'autre.
Le but change, en fait il s’étend et se généralise ; de la simple (in)satisfaction liée à un
fantasme pulsionnel, on passe à une demande adressée à autrui, une demande
d'amour. C’est sans doute pourquoi Freud a été contraint de faire intervenir dans la
sublimation une confirmation par le groupe social… Ainsi l’artiste maudit devra au
moins compter sur un avenir radieux qui fera de lui ce qu’il croit : un génie méconnu
au présent mais sur-glorifié au futur ; l’artiste est incompris car le désir du groupe
qui le validera n’est pas au rendez-vous, mais il doit advenir.
“... l'individu en cours de développement, qui pour acquérir un objet d'amour
rassemble en une unité ses pulsions sexuelles travaillant auto érotiquement, prend
d'abord soi-même, son propre corps, comme objet d'amour, avant de passer de celui-ci
au choix d'objet d'une personne étrangère.
7
"
5
S. Freud, Trois Essais sur la Théorie de la sexualité, Gallimard, 1963.
6
S. Freud, « Le Moi et le ça », in Œuvres complètes, PUF, XVI.
7
S. Freud, Cinq Psychanalyses, trad. Marie Bonaparte et Rudolph Loewenstein, PUF, 1981 ISBN 2 13
037107 8 [1911] p. 306.
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C’est peut-être ce qui explique l’impressionnante universalité artistique de
l’autoportrait, tellement universelle qu’elle se manifeste de manière fractale dans le
moindre tracé et la moindre modulation
8
.
Objection votre Honneur ! Si on demande à un enfant de dessiner sa famille, certains
se dérobent à y marquer leur présence (pour s’être sentis exclus du cercle familial).
Sans compter ceux dont la signature se termine, comme il se doit, par un paraphe ;
sauf que ce paraphe sert à barrer le nom qu’il devrait mettre en valeur.
Ainsi, le sujet, plutôt que d’exalter sa propre image, la déprécie, l’abîme, la vilipende,
quitte à passer, au tournant, par la case glorieuse que ce dessin en creux a fini par
graver.
Désexualisation
La pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de force
extraordinairement grandes et ceci par suite de cette particularité, spécialement
marquée chez elle, de pouvoir déplacer son but sans perdre, pour l'essentiel, de son
intensité. On nomme cette capacité d'échanger le but sexuel originaire contre un autre
but
9
, qui n'est plus sexuel mais qui lui est psychiquement apparenté, capacité de
sublimation” (Freud).
Lacan fait remarquer que les créations métaphoriques des œuvres d’art sont des
formations de l’inconscient et sont retour du refoulé, au même titre que les
symptômes, les rêves, les actes manqués, les traits d’esprit. Pour lui, sublimer, c’est
renoncer à la recherche illusoire et désespérée de l’objet, quitte à célébrer sa perte.
Dans l’amour courtois, c'est parce que la Dame est posée comme quasi inaccessible,
quasi-impossible, perdue d’avance, qu'elle peut être élevée à la dignité de l’objet
perdu, définitivement inaccessible.
8
Bernard Auriol, « L'image préalable, l'expression impressive et l'autoportrait », in Psychologie
Médicale, 1987, 19, 9 ; 1543-1547. Disponible en ligne :http:/auriol.free.fr/psychanalyse/autoport.htm.
9
Dans « Le Moi et le ça », in Œuvres complètes, PUF, XVI.
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