Hubble : dix ans d'observation aux confins de l'univers
Peu de domaines de l'astronomie ont échappé au télescope spatial mis en orbite en
1990. Sans équivalent au cours de la décennie, il sera demain en concurrence avec les
grands observatoires terrestres, mais restera inégalé dans certaines fenêtres du spectre
EN 1977, lorsque le Congrès américain avait voté les crédits pour la réalisation du
télescope spatial Hubble, toute la communauté astronomique s'était réjouie de
l'événement. Enfin, on allait se libérer de la Terre et de son atmosphère trop turbulente
pour observer l'Univers. Mais on allait pouvoir, en plus des observations effectuées
dans le visible, ouvrir plus largement certaines fenêtres du spectre inaccessibles au sol
(proche infrarouge et utraviolet) et étudier des galaxies, des nébuleuses, des soleils,
des pouponnières d'étoiles et des astres en fin de vie avec un luxe de détails
inimaginable. Chacun y allait alors de sa surenchère et la NASA, jamais en mal de
publicité pour sa cause, affirmait sans retenue qu'Hubble serait « le plus grand
événement astronomique depuis Galilée ». Une date était même fixée pour le
lancement : octobre 1983.
Dix ans passèrent. Hubble n'était toujours pas lancé. Le programme allait de retard en
retard et l'explosion en vol de Challenger en janvier 1986, responsable de la mort en
direct de ses sept membres d'équipage, ne fit que repousser un peu plus la mise en
orbite tant attendue de l'instrument. Ce n'est que le 24 avril 1990 qu'Hubble s'envole
enfin. Les pronostics vont alors bon train. Les uns, encore émerveillés par la galerie
de portraits des planètes-stars du système solaire réalisée par les sondes américaines
Voyager, affirment que le télescope spatial fournira « d'aussi bonnes images des
planètes du système solaire », ce qui n'est pas tout à fait vrai. Les autres se réjouissent
à l'idée de découvrir un Univers inconnu « au travers d'un instrument doté de
pareilles performances »
A peine arrivé en orbite, c'est la consternation. Hubble se révèle n'être qu'un vieillard
myope, plutôt tremblant et à la mémoire singulièrement évanescente. Si les
astronomes, gens de bonne composition, sont prêts à s'accommoder de ces
mouvements incontrôlés et de ces absences, il leur est en revanche difficile d'accepter
le flou de l'instrument. Une myopie inadmissible sur un engin qui a coûté entre 1,5 et
2 milliards de dollars, soit 8,5 à 11,3 milliards de francs ! Chacun s'interroge et se
demande comment il se fait que les contrôles effectués au sol n'ont pas mis en
évidence le défaut d'aberration sphérique responsable de cette myopie ? Comment une
firme aussi connue que Perkin-Elmer, filiale de Hughes, un autre grand du spatial, a
pu faillir alors qu'elle a fabriqué nombre d'instruments optiques pour les satellites
espions américains, dont l'acuité visuelle est en permanence vantée.
Enquête faite, il apparaît que cette myopie est bien le résultat d'erreurs de calcul - un
millimètre - faits au moment du polissage du miroir principal de 2,40 mètres du
télescope. Lors de leur livraison, les différents miroirs de l'instrument répondaient
parfaitement, et séparément, au cahier des charges, mais l'ensemble une fois
assemblé, n'ayant pas été testé, il manifestait de curieux problème de vision.
Jacqueline Bergeron, de l'Institut d'astrophysique de Paris, s'indigne et déclare que ce
handicap est « d'autant moins pardonnable que les promoteurs du télescope, du fait
des retards accumulés de ce programme, disposaient pratiquement de huit ans pour
faire les vérifications nécessaires ».