étrangers.
Tout cela manifeste aussi combien la Bible nous est devenue étrangère. Car nous approchons aussi
l’Écriture d’une manière exclusivement anthropologique. Lorsque nous l’étudions, nous essayons
d’en tirer des règles morales pour inspirer notre agir. Ou nous y cherchons des réponses religieuses
pour de modernes chercheurs de sens. Évidemment, tout cela n’est pas dénué de signification, mais
ce n’est quand même pas le sens le plus profond de l’Écriture. En fait, de quoi s’agit-il dans
l’Écriture, si ce n’est du témoignage incroyable d’un Dieu qui n’est pas demeuré étranger, mais qui a
parlé, qui a cherché à entrer en contact? C’est l’invraisemblable bonne nouvelle qui parcourt toute
l’Écriture: Dieu, qui habite une lumière inaccessible (1 Tm 6, 16) et que personne n’a jamais vu (Jn
1, 18), est venu de la lumière jusqu’à nous. En Abraham, en Moïse, et pleinement en Jésus, Dieu est
venu parmi nous. Le credo le dit très justement à propos de Jésus : Il est « Lumière née de la
Lumière ». Il est, selon Jean, la vraie lumière qui est venue dans le monde (Jn 1, 9). Dieu a envoyé
cet homme dans le monde, « non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé »
(Jn 3, 17). En cet homme, Dieu a fait connaître au monde son projet tel qu’il est véritablement. La
Bible parle manifestement d’une mission venue de Dieu et il est urgent pour nous de la redécouvrir.
Cette mission concerne le monde et vise au bonheur de toute l’humanité.
2. Le plan de Dieu dans sa création
Dès les premiers mots de l’Écriture, il apparaît clairement que le désir le plus profond de Dieu
concerne le bonheur de l’homme. La Bible ne commence en effet pas par parler de l’Église et encore
moins de religion, elle ne débute même pas par Abraham ou Moïse : il s’agit tout d’abord d’Adam,
ce qui veut dire l’être humain, c’est-à-dire chacun de nous. Ou, de manière encore plus large, il s’agit
du ciel et de la terre (cf. Gn 1). Nous ne devons pas perdre de vue cette large perspective. C’est tout
l’univers qui tient à coeur à Dieu. Il cherche à nouer une alliance avec toute l’humanité, comme il
souhaite que nous entrions en alliance les uns avec les autres. C’est l’éclatante vision vers laquelle
s’oriente toute la Bible, jusqu’à son dernier mot : les cieux nouveaux et la terre nouvelle, la cité de
paix, la cité aux portes ouvertes, la cité qui ne possède même plus de temple, car Dieu a fait sa
demeure parmi les hommes et la terre est remplie de sa paix (Ap 21).
Ce que Dieu souhaite construire avec toute l’humanité, il ne peut pas le lui imposer. Le plan de Dieu
est plus fragile et plus délicat que nos projets missionnaires agressifs. Il ne peut nous forcer à la
relation vers laquelle il nous a envoyés en nous donnant la vie, car cela détruirait la relation en
question. Le véritable amour suppose la liberté, et c’est pour cela que toute relation d’amour est si
fragile. Dieu ne pouvait pas contraindre les humains. Il ne pouvait commencer son projet qu’avec
quelqu’un en liberté. Dieu a parlé et quelqu’un a écouté, le premier : Abraham, le « père de tous les
croyants » (Rm 4, 11). C’est typique du Dieu de la Bible : comme le véritable amour, il est délicat et
modeste. Il nous attend, jusqu’à ce que nous nous ouvrions. Il agit ainsi avec tous ceux qui sont « de
la descendance d’Abraham » (Gal 3, 29). Il agit ainsi avec Isaac et Jacob, avec Moïse et les
prophètes. Il agit surtout ainsi avec Jésus, celui qu’Il a envoyé. Il agit encore ainsi avec les hommes
et les femmes dans son Église. Tous sont rassemblés pour constituer son peuple. Tous sont envoyés
pour vivre déjà maintenant ce que Dieu espère pour toute l’humanité : qu’Il puisse partager avec
chacun la vie en liberté.