j'aime, plongeant et replongeant dans les flots, roulent sans vie,
emportés dans leurs larges saies errantes!»
Les souffrances des
victimes du nazisme ne sont-elles pas elles aussi, et même très
précisemment «Inouïes et déchirantes»? Ou bien, s'agissant des
bourreaux, ne pouvons nous appliquer aux
SS
ces paroles de
Shakespeare, dans Titus Andronicus:
«Bah! J'ai fait mille choses
effroyables aussi tranquillement qu'un autre tuerait une mouche; et
rien ne me navre le coeur comme de ne pouvoir en faire dix
mille de plus».
Il est frappant de constater que l'épuisement des formes
théâtrales classiques, suggéré dans l'incendie du Wallalah
wagnérien et consacré dans l'oeuvre d'Antonin Artaud, précède de
peu ou coïncide avec la montée du nazisme en Europe. S'il est
aventureux d'établir un quelconque lien entre eux, cela suffit
pourtant à expliquer en partie l'impuissance des écritures
nouvelles à représenter l'enfer des camps. Et combien dérisoire
nous apparaît en effet de cette assertion d'Artaud: «Sans un
élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est
pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes,
c'est par la peau qu'on fera entrer la métaphysique dans les
esprits». Reflexion qui a sans doute un sens quand on traite de
sujets
mesurables,
mais qui sonne étrangement, quoiqu'en dise un
Pierre Brunel dans son pénétrant article
primo Levi et le théâtre
de la cruauté
, quand des millions d'êtres ont été numérotés,
tatoués et exterminés, parce que
dégénérés
, ou
nuisibles.
Il faut dire que cela se passait juste avant le grand désastre;
Artaud fondait alors toute sa «métaphysique» sur une certaine
conception de la peste, sans se douter qu'une peste plus grave,
et de nature radicalement différente, parce qu'inventée par
l'homme, décimerait l'humanité, et rendrait caduque toute reflexion
esthétique sur la mort.
Regarde, Meurs, Souviens-toi
est écrite sur la base de plusieurs
témoignages de rescapées des camps de Ravensbrück et