LES CLES DE LA PUISSANCE Jean-Louis BEFFA - AA

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LES CLES DE LA PUISSANCE
Jean-Louis BEFFA
Seuil – avril 2015
Cet essai de Jean-Louis Befffa, ex-PDG de Saint Gobain (aujourd’hui Président d’honneur de
la Compagnie), procède à une analyse des enjeux contemporains de puissance pour mettre en
perspective les grands équilibres – ou déséquilibres – de la société internationale de demain.
Dans le basculement auquel nous assistons depuis la fin de la guerre froide et la redistribution
de la puissance, nous passons d’un monde unipolaire à un monde bipolaire dont les acteurs
centraux sont les Etats-Unis et la Chine, « un nouveau monde de Vienne » qui se substitue au
monde de Versailles qui tendait naturellement à l’hégémonie. « L’océan Pacifique, et non
plus l’Atlantique, occupe son centre ». Même si la Chine n’est encore qu’une puissance
émergente dont les prétentions se concentrent aujourd’hui à un niveau régional, elle est le seul
acteur susceptible de rivaliser avec les Etats-Unis.
La nouveauté de ce monde bipolaire qui s’affirme progressivement – ce que l’auteur qualifie
de deuxième phase de la mondialisation – ne se construit pas sur un rapport de force militaire
mais sur un champ de compétition essentiellement économique. Comme le souligne l’auteur,
« si l’on veut mesurer les puissances en présence, le thermomètre le plus adéquat, même s’il
n’est pas le seul, est donc d’abord économique ». Non pas que l’outil militaire et les
complexes militaro-industriels ne tiennent plus leur place dans la définition de la puissance au
XXIe siècle mais plutôt qu’ils n’en sont plus un vecteur déterminant. En outre, « il n’y a pas
d’armée performante sans base économique solide ».
Le principe d’équilibre qui gouverna le monde issu du Congrès de Vienne au début du XIXe
siècle est aujourd’hui réactualisé à travers la relation sino-américaine ; « l’équilibre domine [à
nouveau] les visées expansionnistes ». La concentration sur l’essor économique fait ainsi
reculer les velléités guerrières. Les relations internationales sont désormais constituées d’un
entrelacs de coopérations et de concurrences qui devrait nous garantir de toute confrontation
trop frontale. Il s’agit moins de la paix par le droit que de la paix par le commerce, l’économie
et la finance. Le statu quo, la cohabitation – ou coexistence – prévaudrait donc sur
l’affrontement direct. A cet égard, les Etats-Unis développent une véritable politique de
containment vis-à-vis de l’élan émancipateur qui anime la Chine.
Ce monde éclaté se redessine en sphères d’influence, régionales pour la Chine et
principalement orientées vers l’Europe et l’Asie du Sud-est pour les Etats-Unis. « Les lieux de
frottements ou de confrontations contenus sont l’Afrique, l’Arctique et l’Asie-Pacifique ».
Jean-Louis Beffa dresse également un panorama économique et géopolitique de la situation
des autres puissances en expliquant les raisons qui ne leur permettent pas d’accéder
aujourd’hui à une place de leaders mondiaux à l’instar de la Chine et des Etats-Unis. Ainsi,
aucun de ces autres Etats ou groupe d’Etats ne disposent concomitamment des quatre attributs
de la puissance que sont l’industrie d’exportation, la haute technologie, les capacités militaires
et l’énergie, combinaison aujourd’hui indispensable pour agir sur les destinées mondiales.
Même s’il s’agit de pays très attractifs, le Brésil et l’Inde, puissances émergentes, ont ainsi été
affectés par la crise et peinent à trouver un second souffle. Contrairement à la dynamique qui
participe au développement de nombre d’Etats, la Russie semble aujourd’hui tendre à un
certain repli à l’image d’une « forteresse qui s’imagine assiégée » tout en adoptant une
politique martiale qui l’éloigne des Etats démocratiques. En dépit de leurs richesses
naturelles, l’Afrique et le Moyen Orient, perturbés par des conflits de différentes natures, ne
sont pas en mesure d’entrer dans le jeu. Enfin, le Japon ressemble pour sa part à un pays
assoupi.
De son côté, l’Europe, qui dispose pourtant d’atouts importants, apparaît paradoxalement
accrochée à un refus d’exister sur la scène internationale. Le couple franco-allemand est bien
en peine d’ouvrir de nouvelles perspectives et de donner un nouveau souffle à la construction
européenne. Il serait donc urgent que l’asymétrie persistante qui s’est instaurée entre ces deux
partenaires puisse être comblée et que la France entreprenne les réformes qui lui sont
nécessaires tout en convertissant sa direction en un véritable Etat stratège ; de son côté,
l’Allemagne ne doit pas céder à la tentation de faire cavalier seul et devrait plutôt assumer un
leadership européen auquel elle se refuse encore.
L’auteur revient alors sur une idée déjà ancienne : la création d’une Europe plus resserrée afin
de favoriser une intégration accrue face à une Union des 28 aujourd’hui en panne, une Union
constituant pourtant une véritable puissance économique mais qui ne parvient pas à exister
politiquement. Or, Jean-Louis Beffa souligne qu’au moment où s’instaure une sorte de
condominium sino-américain pour décider de l’avenir de l’humanité, il est indispensable que
l’Europe puisse porter des initiatives politiques à même d’infléchir les grandes orientations
qui seront adoptées à l’échelle internationale.
Cet essai présente incontestablement une analyse très bien documentée des enjeux actuels de
puissance. Sa présentation est particulièrement claire. Il permet d’avoir une vision d’ensemble
de la position des grands acteurs de la scène internationale dans le cadre de cette deuxième
phase de la mondialisation qui se caractérise par une redistribution de la puissance et le retour
du principe d’équilibre. L’auteur évite le principal écueil d’un tel ouvrage qui aurait été de
s’égarer dans des exposés trop généraux ou dans de fumeuses vaticinations. On peut
néanmoins souligner que les chapitres consacrés aux autres pays que les Etats-Unis, l’Europe
et surtout la Chine sont évoqués de façon parfois un peu rapide.
Cet état des lieux de la situation internationale correspond à un très bon exercice de diffusion
pédagogique des connaissances. Le résultat est plutôt convainquant et ne trahit jamais le fond.
Les explications sont suffisamment synthétiques et vont à l’essentiel. Mais cet ouvrage peut
également retenir l’intérêt d’un lectorat plus avisé car il y retrouvera un très grand nombre de
données, économiques, politiques, géographiques, sociologiques… clairement présentées et
articulées.
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