Sociologie générale et sociologie politique Thème 1 : Les processus

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Sociologie générale et sociologie politique
Thème 1 : Les processus de socialisation et la construction des identités
sociales
Etude de Document n° 7 :
Question : Après avoir présenté le document, vous montrerez qu’il permet
d’illustrer la différence entre groupe d’appartenance et groupe de référence.
DOCUMENT
L'été, il n'était évidemment pas question de partir en vacances. Nous n'en avions pas
les moyens. Nos voyages se limitaient à la visite en une journée d'une ville de la
région : Nancy, Laon, Charleville… […] Mais le plus souvent, quand il faisait beau,
nous allions sur les bords de la Marne, près des villages de champagne, où nous
restions des heures entières à nous adonner à l'activité de détente favorite de mon
père : la pêche. […] Nous y retrouvions parfois mes oncles et mes tantes, avec leurs
enfants. Le soir, nous mangions les poissons que nous avions attrapés. Ma mère les
lavait, les trempait dans la farine et les jetait dans la poêle. Nous nous régalions de
ces fritures. Mais cela me sembla bientôt ridicule et stérile. Je voulais lire, et non pas
perdre de temps à tenir une canne à pêche et à surveiller les oscillations d'un
bouchon de liège à la surface de l'eau. Je me mis aussi à détester toute la culture et
les formes de sociabilité liées à ce passe-temps : la musique des transistors, les
bavardages sans intérêt avec les gens que nous rencontrions, et la stricte division du
travail entre les sexes – les hommes pêchaient, les femmes tricotaient, lisaient des
romans-photos ou s'occupaient des enfants, préparaient les repas… Je cessai
d'accompagner mes parents. […]
[M]algré quelques tentatives pour correspondre au modèle que m'imposaient les
valeurs incorporées de mon milieu social, dans les premiers temps de ma présence
dans l'enseignement secondaire, cela ne dura pas. Je délaissai bien vite les jeux de
rôle de l'affirmation masculine (le tempérament bagarreur, qui ne me convenait
guère, et que j'avais calqué sur celui de mon frère aîné et plus généralement des
hommes – mais aussi des femmes – de ma famille) pour au contraire me dissocier,
de façon de plus en plus marquée, de ces manières d'être caractéristiques des
jeunes gens des classes populaires. Disons que, après avoir commencé par
ressembler à ceux qui […] chahutent et refusent la culture scolaire, j'allais m'efforcer
de ressembler à celui qui joue du violon, à l'« esthète » qui ne veut pas appartenir au
groupe des « athlètes », bien que m'adonnant encore avec assiduité à la culture
sportive (activité que j'abandonnai très vite pour correspondre pleinement à ce que je
voulais être, regrettant même amèrement d'avoir transformé mon corps au lieu de
l'avoir conservé malingre et filiforme, selon l'image que j'adoptai alors de ce qu'est et
doit être l'allure d'un intellectuel).
Source Didier Eribon, Retour à Reims1, Fayard, 2009
1. Essai et récit biographique dans lequel Didier Eribon, philosophe et sociologue,
retrace l'histoire de sa famille dans le Nord-Est de la France et de son ascension
sociale.
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