6. L`art romain en Alsace - Alliance Française Halifax

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Prehistoire et époque romaine
1. Prehistoire
Aux environs du milieu du VIIIe siècle, c'est-à-dire à la fin de l'Age du Bronze un grand
bouleversement secoue toute l’Europe Centrale, mettant fin à la civilisation dite « des Champs
d’urnes » et provoquant un très grand brassage de populations. Une nouvelle civilisation se
met en place, faite de « micro civilisations » reliées entre elles par une uniformité de
techniques (art du métal, épées ; fibules...), et surtout une absence presque totale de tombes
de chefs, ce qui semble indiquer une société relativement égalitaire.
Cette civilisation se caractérise par l’usage du fer (Premier âge du fer ou Hallstatt), par le
retour à l’inhumation, par la présence de harnachements de chevaux et celle de grandes épées
en fer, accompagnées parfois de situles (seaux), de rasoirs ou de couteaux du même métal.
C'est ainsi qu'apparaît cette nouvelle civilisation, où les porteurs de grandes épées de fer,
combattant à cheval, forment une caste de chefs, probablement les « équites » dont parle
César, et qui va peu à peu se constituer en féodalité. Les civilisations qui la caractérisent dans
l'Europe tempérée sont successivement celle de « Hallstatt » (-750 à -480), site éponyme
autrichien où une importante nécropole a été découverte, et celle de « La Tène » (-480 à -52),
site éponyme suisse près du lac de Neuchâtel.
2. L’époque romaine
En Europe occidentale, plus qu’une nouvelle population, il s’agit d’un nouveau brassage, après
tous ceux déjà connus, et surtout d'une nouvelle culture, de nouvelles techniques (monte du
cheval, fer, char), d'un nouveau mode de vie (oppidum, féodalité, servage, mercenariat) :
cette culture est communément appelée « culture celtique ». L'Alsace fait partie intégrante du
noyau à partir duquel cette civilisation va se développer et c’est ce monde celte qui va se
confronter avec la puissance romaine.
L'archéologie locale permet de mieux déterminer les peuplades qui vivent en Alsace au Ier
siècle av. J.C. : les Médiomatriques occupent l’actuel Bas-Rhin, les Séquanes l’actuel HautRhin, les premiers primitivement entre Marne et Meuse, repoussés vers l'est par les Belges, les
seconds vassaux d'abord des Arvernes qui disputent aux Boïens, Celtes danubiens, les fonds
d'orpaillage du Rhin, puis des Eduens. Quant azux Leuques, ils s’installent à l’ouest des
Vosges, les crêtes faisant frontière… Ces peuples, qui sont essentiellement des agriculteurs
vivent surs les riches territoires agricoles de la plaine, sur les rebords des terrasses de loess et
sur les collines au sud de Mulhouse, autour de grandes agglomérations servant de lieux
d’échanges et de centres artisanaux et dont les noms celtiques remontent à cette époque :
Saletio (Seltz), Brocomagus (Brumath), Argentorate (Strasbourg), Helvetum (Ehl),
Argentovaria (Horbourg), Cambete (Kembs)… Ces régions sont protégées par de nombreuses
places fortes comme le Münsterhügel de Bâle, le Britzgyberg d’Illfurth, le Hohlandsbourg près
de Colmar, Altitona – Mont Sainte Odile, le Maimont près de Niedersteinbach, l’oppidum
leuque de La Bure et l’oppidum de la Pierre d'Appel près de Saint Dié, le col de Saverne,
Heidenstadt près d'Ernolsheim les Saverne, le Donnerberg, dans le sud du Palatinat…
2.1. Les évènements de la fin du IIè siècle avant JC
Un premier bouleversement a lieu entre 120-105 avant JC. suite aux troubles provoqués par la
migration des Cimbres et les Teutons, venus du Jutland et poussés par la famine : leur
déplacement et leurs affrontements avec les peuples Celtes qu’il rencontrent et les Romains
provoquent certains mouvements migratoires : en Rhénanie notamment les les Rauraques,
originaires de la Ruhr, se déplacent et viennent s’installer dans le coude du Rhin, se fixant
dans le sud-est de la Haute Alsace et sur une partie du plateau suisse : leur capitale sera
Augusta Rauracorum (Kaisersaugst à l’est de Bâle).
2.2. La poussée suébo-germanique
Vers 70 avant Jésus Christ, une fédération de peuples germains composée de Suèves,
Triboques, Némètes, Vangions, sous les ordres du chef suève Arioviste s’installe dans la région
de Mayence, traverse le Rhin et se dirige vers l’Alsace sans doute à l’appel des Séquanes et
des Arvernes alors en lutte pour l’hégémonie sur l’est de la Gaule contre les Eduens, par
ailleurs alliés des Romains. Entre 63 et 62, Arioviste intervient directement en Alsace où il
écrase les Eduens. Arioviste décide alors d’installer sa confédération en Alsace : ainsi les
Triboques s'installent entre Schirrhein, Brumath et Schweighouse, alors que les Suèves
s’attribuent environ un tiers du territoire des Séquanes, à leur grand dam, la région à cheval
entre Alsace et Franche Comté (porte de Bourgogne).
Devant le danger, Séquanes et Eduens se réconcilient et décident de rejeter Arioviste de
l’autre côté du Rhin. Ils sont défaits à Admagetobriga (Magstatt dans le Sundgau ?). Rome,
qui veut ménager sa frontière septentrionale relativement vulnérable, accepte provisoirement
la mainmise germanique sur l’est de la Gaule malgré son alliance avec les Eduens, et en 59
salue en Arioviste un « roi et ami du peuple romain ». César est alors consul avec Pompée.
Les deux sont très ambitieux et César voit dans la conquête de la Gaule une occasion unique
de devenir le « Premier à Rome »…
2.3. L’intervention de César
Vers 58 les Germains Harudes passent le Rhin et poussent Arioviste à s’engager dans la vallée
de la Saône. Le druide Eduen Diviciacus en appelle à César. César négocie d’abord avec
Arioviste, puis brusque les choses en s’emparant de Visontio (Besançon), monte vers l’Alsace
et rencontre Arioviste, lui signifiant la volonté de Rome d’étendre son protectorat sur la Gaule.
La négociation échoue et les armes parlent. La bataille décisive a lieu début septembre 58
entre Wittelsheim et Cernay. César avec l’aide de Crassus finit par écraser les Suèves sur
l’Ochsenfeld. Arioviste s’échappe et traverse le Rhin à Cambete (Kembs). L’Alsace est livrée
aux Romains. Les Suèves chassés, les autres confédérés germaniques sont fixés
définitivement le long du Rhin : Némètes au nord du Seltzbach (capitale : Spire), Triboques
autour de Brocomagus-Brumath, Rauraques en Haute Alsace (Capitale Augst puis Bâle). Ces
tribus seront utilisées pour occuper et défendre les territoires frontaliers, alors que les
Romains s’occupent de la conquête du reste de la Gaule.
La localisation précise de la bataille reste sujette à de nombreuses interprétations : la thèse la
plus vraisemblable situe la bataille sur l'Ochsenfeld, près de Cernay (Haute Alsace) ; une autre
situe le champ de bataille plus au nord, aux environs de Beblenheim ; une troisième la situe
en Basse Alsace entre Epfig et Stotzheim, alors qu’une autre encore tient pour la FrancheComté actuelle et non pas en Alsace. Les textes sont insuffisants et les fouilles entreprises
n'ont rien donné de certain.
3. Le début de la colonisation romaine
Rome contrôle nominalement l’Alsace, mais au départ, la présence romaine est assez lâche et
la mainmise romaine sur le pays ne s’effectue que lentement. Dans un premier temps, Rome
se contente d’assurer la sécurité de la frontière rhénane grâce aux auxiliaires némètes,
triboques et rauraques ; la seule grande colonie romaine est alors au sud, la Colonia Raurica
(Augst), près de Bâle, fondée en 44 avant JC. par Plancus. L’occupation n’est donc pas
systématique, car il n’y a apparament plus de troubles, la paix règne et les produits circulent
sans problème.
La colonisation effective et systématique débute entre 16 et 14 avant JC. Pour les Romains en
effet l’occupation de la frontière du Rhin n’est désormais qu’une étape pour la conquête de la
Germanie. Aussi, à partir de -15, le long du Rhin, le général d’Auguste Nero Claudius Drusus
est charger d’ériger des forts, bases de défense et points de départ des futures expéditions. Il
y a une bonne cinquantaine de ces « Castella drusiana » du lac de Constance jusqu’à
Nimègue, dont une dizaine en Alsace : Basileia (Bâle), Arialbinium (Bourgfelden), Cambete
(Kembs), Stabula (Bantzenheim-est), Mons Brisiacus (Vieux Brisach), Olino (BiesheimKunheim), Argentorate (Strasbourg), Castellum Drusi (Drusenheim), Saletio (Seltz), Concordia
(Lauterbourg)… A Argentorate, le castrum, établi dans l’actuel centre ville, sert à l’Ala
Petriana, un corps de cavalerie.
En même temps, les Romains mettent en place un réseau de voies de communications en
utilisant les voies préexistantes et en en créant de nouvelles, établit un cadastre et classe les
terres en diverses catégories. Ces terres sont réparties en lots et distribuées à des vétérans de
l’armée, à des colons venus des régions de la Gaule narbonnaise, de la Gaule cisalpine ou du
Proche Orient, ou à des indigènes. Enfin les Romains s’établissent dans les agglomérations que
les Celtes avaient jadis créées ainsi des cités romaines, les Vici sont créées dans les localités
celtes sur des critères d’urbanisme romain. L’exemple le plus frappant est celui de
Brocomagus-Brumath.
4. L’Alsace à l’abri du Limes
En l’an 9 de l’ère chrétienne, Auguste lance une première grande expédition de pacification de
la Germanie dont les Romains occupent déjà une partie jusqu’à l’Elbe, imposant leur
domination, fort mal acceptée à des peuples germains comme les Chérusques, Chauques,
Chattes... Varus Publius Quintilius, à la tête de trois légions et des troupes auxiliaires
germaniques d’Arminius, prince Chérusque germanisé s’enfonce en Germanie, en direction de
l’actuelle Westphalie. Trahies par Arminius qui s’allie à d’autres tribus germaniques, les légions
sont massacrées dans une région marécageuse aux environs d’Osnabrück, lors de la
« bataille » (en fait un véritable massacre) de la « forêt de Teutobourg ». Varus se suicide.
Ce désastre, et malgré l’expédition victorieuse de Tiberius Drusus Nero « Germanicus » contre
Arminius en 16 oblige les Romains à se retirer sur la frontière du Rhin qu’il continuent de
fortifier. Puis en 43 – 44 une partie des troupes romaines de la région, dont la XIè légion
stationnée à Argentorate, est affectée à la conquête de la Grande Bretagne. De nouveaux
troubles éclatent en 69 – 70 suite à la mort de Néron en Rhénanie : une guerre entre légions
rivales affecte de nombreux sites alsaciens.
Ce n’est qu’en 73 que la conquête de la rive droite du Rhin, ou « champs décumates » devient
systématique : Cornelius Clemens décide de créer un grand axe routier joignant Argentorate,
la Rhétie et l’Helvétie par Offenbourg et la Forêt Noire. La frontière romaine est portée
jusqu'au Limes de l'Odenwald, puis plus à l'Est, bien au-delà du Neckar sur la Schwäbische
Alb. Cette route donne à l’Alsace une position privilégiée entre les provinces danubiennes de
l’Empire et les provinces militaires rhénanes créées en 90 : la Germania Superiora allant de
l’Helvétie à Mayence (englobant l’Alsace) et la Germania Inferiora allant de Mayence à la
Hollande. Après la conquête, les Romains défendent la Germanie par un rempart continu, le
Limes. L’Alsace est séparée de la frontière par un glacis de 50 à 100km de large. Argentorate
devient centre de ravitaillement, de santé et d’administration.
Vers 75, la Légion VIII Augusta, venant de Perse, s’installe à Argentorate. Elle va construire la
double amenée d’eau en conduits de céramique Kuttolsheim-Argentorate, grâce à ses ateliers
de poterie de Koenigshoffen.
Ainsi, à partir de 70-75 après JC. L’Alsace romaine entre dans une période de paix et de
prospérité, qui va durer un siècle et va lu permettre un développement économique
considérable ; hormis un incident survenu en 96, lrsqu’à Rome Nerva assassine Domitien et se
proclame empereur : Le nord-est de la Gaule, allié à la Légion XXI se soulève. Argentorate,
Helvetus (Ehl), Saletio, Saverne et Brumath sont détruits. Nommé empereur en 98, Trajan
mène une politique de conciliation entre armée et le sénat et rétablit une longue période de
paix.
5. La pax romana
5.1. Le brassage des populations
Une des caractéristiques de cette paix romaine est qu’elle favorise le brassage des populations
et des cultures : à la « couche » primitive formée par les populations celtes, Médiomatriques,
Séquanes, Leuques, se superpose d’abord des population culturellement très proches comme
les Rauraques et le Triboques, et l’assimilation se fait relativement rapidement et la société ne
s’en trouve que peu transformée.
Il en est différemment avec l’apport méridional, celui des populations de colons, de soldats ou
de marchands venant du sud : d’Italie principalement, mais aussi de Grèce ou de Syrie. Ils
amènent avec eux un autre mode de vie, de nouvelles techniques et de nouvelles croyances.
L’assimilation entre ces apports et le fonds culturel indigène va créer en quelques générations,
la population n’étant pas très nombreuse, à la civilisation « gallo-romaine », assimilation
favorisée par la paix et la volonté intégrative des nouveaux maîtres.
5.2. Villes et campagnes
Le premier grand apport romain est la création d’un nouveau type d’agglomération, la ville,
caractérisée par un plan régulier (cardo et decumanus), de nombreuses constructions, des
fonctions multiples (artisanat, commerce, armée, religion) et des édifices monumentaux. Ainsi
en est-il de Brocomagus-Brumath, dont il ne reste que trop peu de vestiges, et d’Augst qui a
conservé de remarquables édifices (théâtres, temples, forum…). Argentorate voit rapidement
sa fonction militaire concurrencée par des fonctions civile et s’entoure de nombreux « vici »,
bourgades civiles. En 130 Oppius Severus fait ériger une nouvelle enceinte en pierre et
aménage le port d’Argentorate. La cité finit au cours du IIè par supplanter Brocomagus dans
ses fonctions de chef-lieu. Elle se développe rapidement, du vicus de Kœnigshoffen jusqu'à
l'église Saint Etienne, entre les bras de l’Ill, et autour du castrum se groupent les arsenaux,
les magasins publics, les demeures des vétérans, des fonctionnaires, des nautoniers, des
aubergistes et des changeurs attirés là par la double exploitation du trafic commercial et de la
garnison.
Au carrefour des grandes voies de communication, aux lieu de passages routiers et fluviaux,
au pied des grands cols, les romins créent tout un réseau de bourgades, dont certaines, sur
plan géométrique sont parfois plus étendues qu’elles ne le seront au Moyen Âge comme
Biesheim (Olino), benfeld-Ehl (Helvetum), Cambete-Kembs, Tres Tabernae – Saverne,
Sierenz, Wittelsheim, Bourgheim, Koenigshoffen (ateliers de céramique)…
Dans les campagnes, les paysages agraires sont principalement de deux types :
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le paysage d’openfield ou de champs ouverts à habitat dispersé formé des fameuses
« villae » romaines, plus ou moins importantes, construites souvent sur un plan
stéréotypé (hypocauste, bains, mortier, tuiles « romaines » : ainsi les villas de
Mackwiller, Habsheim, Bergheim, Soultz, Koestlach…
paysage de bocage sur les hauteurs avec parcelles entourées de murets et de haies,
l’habitat étant groupé en hameaux. Dans ce type de campagne, la romanisation est
beaucoup moins poussée et les maisons sont encore partiellement protohistoriques à
plan simple et couverture de chaume et bardeaux : c’est le cas dans la région de
Saverne (fermes de la forêt du Wasserwald à Haegen) ou l’influence de la culture
médiomatrique reste longtemps dominante.
5.3. L’économie
L’économie de l’Alsace romaine est dominée par l’armée, grande consommatrice de produits
agricoles et artisanaux :
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L’agriculture est dominée par la production de céréales et la vigne, importée par les
Romains.
L’industrie se base sur la production de pierres taillées (l’armée ouvre de nombreuses
carrières), de briques, de tuyaux, de tuiles, de céramique : à l’exemple de l’atelier de
production de l’armée à Koenigshoffen, de nombreuses officines de céramiques
travaillent pour le marché locale mais aussi pour l’exportation, comme à DinsheimHeiligenberg ou Ittenwiller… L’Alsace romaine produit de même de la verrerie.
Le commerce est florissant : les produits agricoles et industriels circulent tant sur les
routes que sur les voies d’eau. Les produits échangés sont les céréales, le fourrage,
les poteries, le vin, les amphores d’huile, vin, sauces de poisson (Espagne, Midi…)
Les réseau routier est relativement dense et préfigure le réseau routier moderne :
trois grands axes nord-sud traversent le pays : la voie du piémont, de Wissembourg à
Belfort, la voie de la plaine correspondant en gros à l’actuelle RN 83 et la voie
longeant le Rhin ; d’ouest en est les axes les plus importants sont ceux reliant
Argentorate à Divodorum (Metz) par Saverne, l’axe Mons Brisiacus – col du
Bonhomme – Lorraine et au sud l’axe Basileia – Divodorum par le col de Bussang…
5.4. Religion et croyance
5.4.1. La religion gallo-romaine
En matière de religion, les Romains sont un peuple très « assimilateur » : aussi, dans un
premier temps, les influences romaines se mêlent dans le panthéon aux survivances celtes.
Une place particulière semble être faite au dieu Mercure, l’équivalent romain du dieu celte
Lug : ses sanctuaires principaux se trouvent dans la région de Niederbronn et bien entendu au
Donon ou le sanctuaire à livré plus d’une cinquantaine de figurines de ce dieu. Le Mercure
indigène assure la protection de la production agricole, la protection des activités artisanales
enfin celle de la communauté. Le dieu Mars – Teutatès est particulièrement vénéré par les
militaires, mais d’autres dieux sont très présents comme Jupiter – Taranis, Apollon – Bélénos,
Epona, déesse des cavaliers, Hadès – Cernunnos… Vosges et Rhin sont vénérés sous la forme
des dieux Vosegus et Rhenus.
5.4.2. Le Donon
Le Donon est le sommet le plus élevé des Vosges au nord de la Bruche. Avant les Romain, il
était sans doute un lieu de culte commun aux Médiomatriques, Séquanes et Leuques. A
l’époque romaine, le sanctuaire se développe : consacré à Mercure, il comporte plusieurs
bâtiments et accueille, surtout aux IIè et IIIè siècles, de nombreux pèlerins venant offrir au
dieu de nombreux ex-voto et bas reliefs, disposés près du temple principal. Plus de 50 ex-voto
ont été mis à jour, ainsi que de nombreuses statuettes de dieux, dont un mystérieux dieu au
cerf…
5.4.3. Les monuments
Les premières figures religieuses trouvées en Alsace sont de deux types :
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d'une part le bloc triangulaire ou quadrangulaire portant sur chacune de ses faces la
figure d'une divinité romaine ou locale : Mercure, Epona, Vosegus ou Rhenus…
d’autre part la « colonne de Jupiter », assez répandue en Gaulede l’est et en Germanie
romaines et dont il a été trouvé d'importants fragments partout à travers l'Alsace :
Strasbourg, Seltz, Ehl, dans les montagnes de Niederbronn, au Wasserwald, au
sommet du Donon.... Cette colonne est composée d'une base quadrangulaire portant
les effigies de quatre divinités et surmontée
Cette base elle-même était surmontée d'une colonne, lisse ou ornée, dont le chapiteau
porte les têtes des Quatre Vents et supporte la statue d'un cavalier (Jupiter) lançant la
foudre et terrassant un homme à corps de serpent : c’est le célèbre « cavalier à
l’anguipède ». Il s’agit sans doute de la représentation du grand dieu céleste, maître
des astres et du temps dont il faut attirer les bonnes grâces sur le domaine, les
cultures : en terrassant le géant à queue de serpent, il terrasse le monde souterrain,
l'ombre, la stérilité, l’orage destructeur.
Enfin un monument est particulier à la région qui s’étend de Saverne (Wasserwald) à
Dabo et sans doute spécifique à la culture des Médiomatriques, refoulés ici par les
Triboques peu avant la conquête romaine : il s’agit de la « stèle – maison », tombe
typique de cette culture : son plan d'ensemble rappelle celui de la maison et du
temple, à savoir un enclos bordé de murets renfermant la sépulture proprement dite.
Le défunt incinéré est placé dans une urne de verre, de terre cuite ou de grès. Le
mobilier funéraire comprend souvent des clous, parfois un gond de porte (le
« passage ») et des objets de la vie : armes de chasse et haches pour les hommes,
bijoux (fibules, perles) pour les femmes. Le plus souvent un caisson de pierre protège
l'urne et le mobilier. Au-dessus, la stèle, très souvent en forme de maison, rappelle
par sa forme la hutte ou la maison gauloise. Une ouverture y représente la porte et
permet le contact entre le défunt et les vivants. Elle est souvent décorée, en
particulier de symboles astraux (roues, croissants...)
5.4.4. Le culte de Mithra
Avant que ne triomphe le christianisme, c'est à Mithra, divinité de la religion mazdéenne, que
l'on érige des sanctuaires en Alsace romaine. Ce culte est importé en Alsace à partir du IIIè
siècle par les légions venues d’Orient défendre les frontières. Ce culte de Mithra connaît un
succès foudroyant, au point de supplanter les dieux locaux, moribonds. Le plus important des
sanctuaires dédiés à Mithra a été découvert en 1911, à Kœnigshoffen, faubourg occidental de
Strasbourg, sur la vieille voie militaire qui reliant Argentorate à Tres Tabernae. Le sanctuaire
se composait d’un temple duquel on accédait à la cella souterraine, typique du culte
mithriaque. Divers autels sont consacrés au dieu et à ses divinités secondaires, dont Attis et
Crissonius, un dieu gallo-belge. Le sanctuaire de Koenigshoffen a surtout livré les restes épars
d’un superbe relief représentant la scène traditionnelle du jeune dieu tuant le taureau, entouré
du chien, du serpent et du scorpion. D’autres temples dédiés à Mithra ont été mis à jour à
Mackwiller, en Alsace Bossue, et à Biesheim, près de Colmar.
5.4.5. Le christianisme
Le christianisme est attesté au milieu du IVè siècle, particulièrement à Strasbourg. Il s’est
probablement d’abord développé dans les villes. Un document atteste la présence des évêques
de Strasbourg et d’Augst au concile de Sardique en 343, ce qui suppose que des
communautés chrétiennes se son développé en Alsace bien avant. Peu à peu la religion
chrétienne s’impose partout, ce qui a notamment pour effet de transformer les pratiques
funéraires : l’incinération, jusque là systématique, est remplacée par l’inhumation, motivée
par la croyance en la résurrection des corps.
6. L’art romain en Alsace
Mis à part Augst et à la différence des cités romaines du Midi de la France, de la région de
Trèves, voire de la Lorraine voisine (Aqueduc de Gorze, Grand la Romaine) l’Alsace ne compte
aucun site important de l’époque romaine ni de grands monuments. C’est dire à quel point
l’histoire avec ses guerres et ses dévastations n’a pas épargné la province ! On ne peu relever
que la découverte à Brumath de vestiges de thermes publics et des fragments d’une porte
monumentale, et à Argentorate des restes de l’enceinte du camp, d’un théâtre et de thermes
militaires. A Saverne, les tours de l'enceinte romaine sont partiellement conservées, mais
noyées dans les fortifications médiévales successives au point de devenir méconnaissables.
Par contre ont été mis à jour de nombreux petits monuments, la plupart dans le Bas Rhin : ce
sont principalement des monuments funéraires : A Strasbourg, ces stèles sont en grande
partie de facture typiquement romaine et d’origine italienne : il s’agit de monuments réalisés
pour les officiers, le soldats, les fonctionnaires romains faisant sans doute partie de l’élite
minoritaire « d’occupation » de la ville conservant jalousement leurs coutumes latines et
confiant la réalisation de leur stèle à des artistes italiens… (Stèle du soldat Largennius). A
Saverne par contre se trouvent un grand nombre de stèles funéraires portant des noms
gaulois plus ou moins latinisés, manifestement été taillés par des artistes ou des artisans
locaux et de qualité artistique assez fruste..
La sculpture proprement dite a livré quelques têtes d'empereurs (Pupien) ou d'impératrices,
en marbre blanc ou en bronze, de facture latine.
Enfin dans tous les sites romains, on a retrouvé un très grand nombre d'objets de tout ordre,
armes, fibules, parures en bronze, en argent doré, coupes et vases en terre sigillée, bouteilles
en verre opalin, ustensiles de tout ordre, qui donnent une idée de la culture romaine en
Alsace. Quelques verres, particulièrement beaux, du IVè siècle, portent des figures gravées
d'inspiration chrétienne.
Ce sont les derniers témoignages d'une activité artistique qui va s’éteindre pour un temps
assez long…
7. L’histoire politique de l’Alsace romaine du IIIè au Vè
siècle
7.1. Les crises du IIIè siècle
A la fin du IIè siècle s’ouvrent deux périodes troublées : elles sont dues, sous les règnes de
Marc Aurèle (161-180) et de Commode (180-193) à des incursions barbares, des guerres
civiles et des troubles chez les Séquanes. Le castrum d’Argentorate subit un siège en 186. La
mort de Commode déclenche une révolte générale de laquelle Septime Sévère sort
vainqueur : Argentorate est reprise en main et rénovée et l’Alsace connaît une période de
grande prospérité.
En 235, L’assassinat d’Alexandre Sévère par les légions germaniques entraîne la révolte de
l’Alsace, mais la Légion VIII est écrasée par les mutins germains : Argentorate, Ehl, Saletio et
Saverne sont totalement détruites. Ame du complot contre Alexandre, Maximin lance de
victorieuses offensives contre le danger Alaman qui se précise, profitant des désordres régnant
sur le Rhin. Maximin est supplanté en 238 par deux empereurs sénatoriaux dont Maxime
Pupien, célèbre à cause de la tête monumentale de l’empereur trouvée à Eckbolsheim. Pupien
règne 4 mois avant d’être renversé et assassiné par la garde prétorienne de Gordien III.
En 244, année de la mort de Gordien une première incursion de Germains ravage le nord de
l’Alsace et détruit Saletio. Entre 258 et 260, Francs et Alamans franchissent le limes de Rhétie
et ravagent le Haut Rhin. LeLimes est abandonné et les troupes romaines se replient à
nouveau sur le Rhin. Les trésors monétaires, réfections répétées de routes (milliaires de Seltz)
attestent que les années précédentes (depuis 244) ont été fort troublées par de multiples
incursions. Un mouvement d'invasion plus ample encore semble avoir lieu vers 274-275. II est
probable que certaines fortifications ont été élevées ou renforcées à cette époque (Saverne).
La Légion VIII est transférée en Angleterre. Mais bien qu’il y ait encore des incursions
alamanes en 298 puis en 313, le redressement militaire commence dès 284 sous Dioclétien
(284-305).
7.2. Julien et la bataille de Hausbergen
Sous Constantin (306-337) le camp d’Argentorate est reconstruit et fortifié ; on ajoute une
muraille à la cité, ce qui permet de recevoir la population civile. Partout dans le pays l’activité
économique reprend avec la sécurité revenue. Mais en 351 l’usurpation de Décence provoque
la guerre civile et le départ pour l’Italie de nombreuses troupes du front rhénan alors qu’une
coalition de Francs et d’Alamans aux ordres de Chnodonar passe le Rhin à l’appel de
Constance, l’empereur usurpé (337-361) et écrase les troupes de Décence à Bingen en 352.
La région entre Rhin et Moselle est envahie, les coalisés s’installent, déportent en masse les
populations gallo-romaines pour cultiver les terres à leur place. Les villes sont démantelées et
laissées à l’abandon. Beaucoup d’habitants fuient et se réfugient dans les montagnes. En 355,
Cologne tombe. Constance, inquiet du danger, appelle son cousin Julien pour redresser une
situation qui paraît sans espoir.
En 356, une première expédition permet à Julien, déjà difficilement victorieux des Alamans à
Tarquimpol, de battre à nouveau au sud de Brumath. Prudent, il se replie sur Saverne qu’il
fortifie. L’année suivante, deux armées romaines, l’une venant d’Augst commandée par
Barbation, l’autre venant de Lorraine avec Julien, tentent de prendre la Alamans en tenaille.
Barbation est mis en déroute près de Bâle. Tout repose sur Julien. En août, il marche sur
Argentorate. Les deux armées se rencontrent entre Mundolsheim et Hausbergen. Longtemps
indécise, la bataille tourne à l’avantage des Romains et de leurs auxiliaires Gaulois. Chnodonar
est pris en envoyé à Rome où il meurt en prison.
La victoire de Julien redonne espoir aux Gallo-romains, d’autant qu’une série d’incursions en
Germanie ramène nombre de déportés. Des Germains restent et deviennent soldats - paysans.
Julien et ses successeurs organisent la défense. Le castrum d’Argentorate est reconstruit et
fortifié par une double enceinte. L'empereur Valentinien Ier intervient dès 368 très
probablement dans les Champs Décumates. Il fortifie les camps et postes existants et en édifie
de nouveaux dont Robur près de Bâle (peut être près de Blotzheim ?) et ArgentovariaHorbourg. En 377, Gratien repousse une nouvelle invasion alamane du côté d’Argentovaria,
passe le Rhin et mène la dernière campagne romaine en Germanie. Mais à partir de 383 de
nouvelles guerres civiles affaiblissent l’Empire, dégarnissant les frontières. Vers 396-398, la
frontière rhénane est réorganisée. L'Alsace au Nord de Strasbourg relève du duc de Mayence,
celle du Sud probablement du duc de Séquanaise. Le comte de Strasbourg, de rang plus
élevé, a la charge d'une des deux grandes armées de Gaule.
7.3. Les Alamans en Alsace
Mais la masse des « Barbares » est impossible à arrêter. Le 31 décembre 406 une véritable
trombe ethnique (Vandales, Suèves, Alains, Burgondes) passe le Rhin à Bingen. Les
envahisseurs remontent la rive gauche du Rhin en empruntant la voie militaire, s'emparant de
Rheinzabern, Seltz, Strasbourg. Saint Jérome écrit, en 409, que Strasbourg comme d'autres
villes (Spire, Reims, Arras) était « transférée en Germanie ». Cette dernière invasion marque
la fin officielle de l'occupation romaine dans la région, mais une certaine vie civile provinciale
romaine se poursuit au moins jusqu'au milieu du Vè, alors que les implantations barbares se
multiplient.
Pour tenter de colmater les brèches de ce qui reste du système défensif romain, un
commandement, le Comes Argentoratensis est créé à Strasbourg, comportant Argentorate,
Saletio et Olino. En 443 Aetius réussit à freiner le déferlement des Burgondes en Alsace en les
transférant en Bourgogne. Mais en 451 arrivent les Huns d’Attila : au printemps d’abord, de
Bâle à Argentorate, ils ravagent tout le pays et détruisent les principaux centres de défense.
Ils repassent à l’automne après leur défaite des Champs Catalauniques en prenant le chemin
inverse. Les Romains abandonnent définitivement l’Alsace.
Les Alamans, plus nombreux que les autochtones, s’installent d’abord en plaine où la
germanisation est rapide : le parler germanique se substitue à la langue celtique et romane,
sauf dans les vallées de Villé, Lièpvre, Lapoutroie. Ainsi Argentorate devient Strateburg. Peu à
peu les Alamans pénètrent le Sundgau et les vallées vosgiennes. Une nouvelle page de
l’Histoire commence.
Quand Strasbourg etait Argentorate
1.
Introduction
2. Histoire
2.1. Les premières installations humaines
2.2. La création du « Castrum »
2.3. D’Auguste aux Flaviens : 9-96
2.4. Le second siècle : 97-193
2.5. Des Sévère à Constantin : 193-337
2.6. Les derniers feux de Rome : 340-451
3. Argentorate : description
3.1. Le camp romain
3.2. Le vicus et les canabae
4. Culture, économie et société
4.1. Le brassage des populations
4.2. Villes et campagnes
4.3. L’économie
4.4. Religion et croyances
4.5. L’art romain en Alsace
Haut moyen-age 406-1024
1. L’Alsace alamane
L’installation des Alamans
Une lente fusion
La société alamane
1.1. L’installation des Alamans
Peuple germanique, les Alamans sont installées début du IIIè siècle sur le Main, à partir
duquel, régulièrement, ils multiplient leurs incursions dans l’Empire romain. En 233-244 ils
dévastent l’Alsace puis occupent le Bade Wurtemberg après la chute du Limes. Leurs relations
avec les Romains ne sont par toujours belliqueuses, puisque Rome fait souvent appel à eux
soit pour servir comme auxiliaires dans l’armée pour la garde des frontières, soit pour recoloniser dans la région les terres abandonnées. Ainsi, bien avant 357, année de la fameuse
bataille de Hausbergen livrée par Julien aux princes alamans, de nombreux établissement
alamans sont déjà installés en Alsace. Et lorsqu’en 406-407 le système défensif romain sur le
Rhin s’effondre, l’Alsace tombe presque naturellement aux mains des Alamans.
Le territoire qu’ils occupent en Alsace est principalement la plaine de l’Ill. Au nord de la forêt
de Haguenau, les Alamans voisinent avec les Francs et à la porte de Bourgogne ils sont en
contact avec les Burgondes, deux autres peuples germains. La toponymie alsacienne montre
que ces peuples germains colonisent ou fondent la plupart des villages d’Alsace : ainsi les
terminaisons plus alamanes en « ingen » (Wingen, Hésingue) ou plus franques en « heim »
(Woellenheim, Rumersheim) sont caractéristique des habitats alamans ou francs… alors que
les terminaison en « ach » (Durmenach, Durrenbach) ou en « willer » (Ingwiller, Bischwiller)
pourraient, mais ce n’est pas certain, provenir d’établissement restés majoritairement
romains. D’autres lieux ont été colonisés par de petites tribus germaniques plus minoritaires
dans la région comme les Frisons (Friesenheim), les Saxons (Saasenheim) ou les Souabes
(Schwoben)…
1.2. Une lente fusion
Ce qui est certain, c’est que les Alamans n’arrivent pas en Alsace dans une terre vide
d’hommes et qu’ils ne chassent pas systématiquement les habitants gallo-romains qui s’y
trouvent. L’invasion alamane, si elle fut sans doute ponctuées de guerres et de violence, n’a
pas ce caractère systématiquement destructeur et catastrophique dont on qualifie
généralement les « Grandes invasions » : elle est plus une migration de peuples qui désirent
s’installer sur des terres fertiles et bénéficier des « bienfaits » d’une civilisation qu’ils savent
attrayante et opulente. Ainsi subsiste en Alsace un important fonds de peuplement galloromain, majoritaire même dans certaines régions comme le Sundgau (terminaisons des
villages en « ach » (acum), dans certaines villes (servant, semble t-il de refuge aux galloromains) ou dans certains fortifications : ainsi Illzach, Horbourg, Strasbourg, Saverne, voire le
mont Sainte Odile…) : ainsi est assurée une certaine continuité comme le prouvent la
continuité de la culture de la vigne ou de la production de tuiles…
Il est vraisemblable que les deux communautés, la germanique (alamane et franque) et la
gallo-romaine ont vécu plus ou moins pacifiquement côte à côte pendant plusieurs générations
et que l’assimilation a été lente et progressive, d’autant que les évènement politiques se
précipitent avec l’irruption des Francs, sans doute d’autant plus enclins à favoriser les galloromains qu’ils viennent de se convertir au christianisme…
Il est cependant certain qu’au départ, les Alamans imposent leur autorité à l’ensemble de la
région, laissant aux notables locaux le soin de diriger l’administration et l’économie sous leur
contrôle. Parmi ces notables, une figure centrale va bientôt émerger : celle de l’évêque,
gardien du savoir et de la tradition chrétienne – romaine. La présence alamane impose le
parler germanique : ainsi, rapidement,
1.3. La société alamane
Ainsi les Alamans (ainsi que les Francs et les Burgondes) forment une nouvelle société,
radicalement différente de la précédente, société agricole et campagnarde dans laquelle
domine le guerrier et le paysan libre. Cette société rurale possède son organisation propre : à
coté des terres personnelles de chaque paysan, existent des terres et des forêts communes à
l’ensemble d’une communauté villageoise qui peut y faire paître ses troupeaux ou en exploiter
le bois : ce sont les communaux ou l’« allmende ». Enfin, d’autres terres forment les
« marches », terre communes à plusieurs localités.
En matière de droit, c’est le statut social qui désormais est déterminant : homme libre ou non
libre, guerrier ou paysan, membre de telle ou telle tribu : le privilège remplace l’égalité
citoyenne et le droit romain s’efface ou ne s’applique que dans les secteurs fortement
romanisés (villes…). Ce nouveau système basé sur le privilège et la naissance va caractériser
tout le moyen âge occidental et se prolonger jusqu’au temps modernes…
Les Alamans : 400-496
Les Alamans, qui s’installent massivement en Alsace à partir du début du Vè siècle, ignorent la ville, ruinée par des hordes
d’Attila, et préfèrent s’installer en campagne, en grande partie sur les terres riches des anciens colons gallo-romains qu’ils ont
chassés ou avec lesquels ils cohabitent plus ou moins pacifiquement. Argentorate devient un « îlot gallo-romain », groupée
autour de son évêque et de quelques cadres des la société gallo-romaine en décomposition, assurant une certaine cohésion
d’un peuplement gallo-romain qui se maintient en effet en Alsace, et particulièrement dans les villes.
L’expansion alamane vers 450
Il y a une « continuité » de peuplement et d’assimilation entre le Bas Empire et le Haut Moyen Age, d’autant que les Alamans
sont en Alsace depuis 408, date de leur première infiltration, et sont déjà partiellement « romanisés », et que la grande partie
de la population autochtone gallo-romaine est vraisemblablement restée sur place.
Objets d’art alamans trouvés en Allemagne
Bague alamane
Phalère d’argent d’un harnachement trouvé à
Hüfingen en Forêt Noire. Art alaman, vers
600
Fibule alamane
2. La domination Franque et les mérovingiens : 496-768
L’œuvre des premiers rois francs
Le nom « Alsace »
Le duché d’Alsace
2.1. L’œuvre des premiers rois francs
Au Nord de la forêt de Haguenau les Alamans sont au contact des Francs. L’affrontement entre
ces deux peuples germaniques est inévitable. En 486 le franc Clovis s’empare du nord de
l’Alsace en battant les Alamans à Tolbiac (Tülpich, près de Bonn). Les Francs s’installent peu à
peu dans le reste de l’Alsace sauf dans le Sundgau. Ils restent minoritaires par rapport aux
Alamans, mais imposent leur autorité et forment rapidement l’élite politique, administrative,
culturelle et religieuse du pays. C’est probablement cette « élite » franque qui est l’ancêtre de
la future noblesse d’Alsace avec ses barons, comtes et seigneurs du Moyen Age…
La réussite foudroyante de Clovis (481-511) est sans aucun doute due au fait qu’il avait
compris que son alliance avec les anciens cadres du pays dont l’autorité était intacte même
auprès des « Barbares », à savoir les évêques, favoriserait grandement ses ambitions
politiques c’est la raison principale, peut-être pas la seule, de sa conversion. Aussi lui-même
et ses successeurs se fixe pour objectif d’unifier ses conquêtes, et pour ce, de christianiser le
pays. Au milieu du VIè, l’église d’Alsace est réorganisée en deux diocèses, celui de Bâle et
celui de Strasbourg. L’évêché de Strasbourg est confié à l’évêque franc Arbogast qui reçoit en
Haute Alsace du roi Dagobert la région de Rouffach, le « Haut Mundat » et fonde le plus ancien
établissement religieux d’Alsace à Surbourg. L’œuvre de christianisation est poursuivie par
Florent et surtout Ansoald qui assiste au concile de Paris en 614. On érige des églises rurales
et des monastères, on multiplie les paroisses. Dès les VIè-VIIè on vénère Martin de Tours,
Etienne, Jean Baptiste, Pierre... Dans le Sundgau oeuvrent les moines Irlandais et Ecossais, et
dans le reste du pays les moines Bénédictins.
2.2. Le nom « Alsace »
Le nom « Alesaciones » et « Alesacius » apparaît pour la première fois dans la chronique dite
de Frégédaire en 625. L’origine du nom est très discutée. Trois thèses sont en présence:



Alsace viendrait du germanique Ali (Autre) et saz (établi): les Alamans d’outre-Rhin
auraient qualifié les Alamans «Etablis autre part», c’est à dire «Outre Rhin»... Thèse
peu convaincante.
Alsace viendrait du celte alisa (= Falaise, cf. Alésia): les Alsaciens seraient ceux établis
au pied de la «Falaise» des Vosges. Thèse très peu convaincante, car César et les
auteurs romains auraient mentionné le nom Alsace.
Alsace = pays de l’Ill (Elsgau, Elsau...). L’Elsgau est sise à l’ouest de sources de l’Ill et
actée dès le VIIIè. C’est la thèse la plus convaincante, mais elle est rejetée par les
linguistes.
2.3. Le duché d’Alsace
2.3.1. La création du duché
Après Dagobert (629-639) le royaume mérovingien s’affaiblit et se divise (Austrasie, Neustrie,
Bourgogne, Aquitaine), ce qui profite à l’Alsace, intégrée au royaume d’Austrasie. Ainsi se
constitue vers 640 le Duché d’Alsace, créé par les rois francs pour assurer sur le Rhin la
sécurité face au duché de Saxe-Alémanie puissant et indépendant. Sundgau et Nordgau sont
fusionnés sous l’autorité d’un seul duc, d’un seul administrateur royal (Domesticus) et d’un
seul évêque, les trois résidant à Strasbourg. Gondoin et Boniface, les deux premiers ducs
d’Alsace ne sont que des fonctionnaires royaux. Boniface fonde vers 660 l’abbaye de
Wissembourg et peu après celle de Munster. Le défrichement des Vosges commence.
2.3.2. Le duc Adalric
Adalric (Attich ou Etichon, 620-693) est un riche propriétaire de lignée franque originaire de
Haute Alsace et installé dans la région d’Obernai. Il affirme sa puissance locale au point d’être
nommé par les rois Mérovingiens duc d’Alsace, succédant au duc Boniface. Son mariage avec
Bereswinde, parente du puissant évêque d’Autun, renforce son prestige. Ambitieux, il profite
des désordres du royaume pour affirmer son pouvoir et joue des rivalités entre les grands :
ainsi il soutient d’abord Ebroïn, maire du palais de Neustrie, pour finalement se rapprocher de
Pépin d’Herstal, le puissant maire du Palais d’Austrasie. Cette alliance lui permet de faire face
aux menaces d’Ebroïn et même d’agrandir sont influence vers le sud, sur le Sorngau : ainsi il
participe aux luttes en Bourgogne et pour affirmer sa puissance, fait assassiner Germain, abbé
de Moutier Grandval. Ebroïn mort en 681, Adalric participe à la lutte entre Neustrie et
Austrasie et est au côtés de Pépin lors de sa victoire de Tetry sur le maire du palais de
Neustrie en juin 687. Il est alors au faîte de sa puissance. Il fait appel aux Bénédictins et
fonde en Alsace plusieurs établissements religieux, garants de sa puissance. Il créé plus
particulièrement l’abbaye de Hohenbourg qu’il donne à sa fille Odile. Il rend le duché
héréditaire. Adalric passe pour l’ancêtre des Eguisheim-Dabo et des Habsbourg.
2.3.3. Les ducs Adalbert (693-722) et Liutfried (722-740)
A la mort d’Adalric vers 693, son fils Adalbert (693-722) lui succède. Il construit la résidence
royale de Koenigshoffen et les abbayes de Honau et de Saint Etienne de Strasbourg. L’Alsace
est alors un duché très puissant au sein de l’Austrasie.
Son fils Liutfried (722-740) christianise vraiment le pays en imposant la règle bénédictine. La
réforme est accomplie par Pirmin venu de la Reichenau. Soutenus par Charles Martel, maire
du palais et fils de Pépin, Liutfried et l’évêque de Strasbourg réforment Marmoutier, Honau,
Neuwiller, Surbourg. Pirmin fonde Murbach en 727, centre intellectuel de première importance
en Alsace. A la suite de Pirmin, son disciple Heddo, évêque de Strasbourg (734-760) s’occupe
des paroisses et commence la construction d’une nouvelle cathédrale, imposant une règle aux
chanoines.
2.3.4. La fin du duché d’Alsace
A Liutfried, dont on ne parle plus après 739 succède son frère Eberhardt, comte d’Alsace, qui
ne porte pas le titre de duc, et qui disparaît vers 747, tombé en disgrâce devant Pépin le
Bref : le roi franc craint en effet la puissance des Etichonides. Il semble même qu’il y ait eu un
sérieux contentieux entre Pépin et Liutfried, allant jusqu’à l’affrontement. En tout cas,
Eberhardt mort, Pépin, qui s’apprête à se faire couronner roi, intègre purement et simplement
le duché à l’Austrasie.
L'incorporation au royaume franc et la promotion
épiscopale : 495-751
496 est une date charnière : Clovis, dont les Francs sont installés au nord de la région, vainc
les Alamans à « Tolbiac-Tülpich » et le territoire est incorporé au domaine franc et au royaume
d’Austrasie. Clovis victorieux aurait construit en 510 la première cathédrale et installé un
évêque Franc, Arbogast, consacrant la victoire du christianisme et chargé, avec d’autres
« cadres » francs, de l’encadrement de la population alamane.
Tolbiac, où Clovis vainquit les Alamans. Tableau d’Ary Scheffer, 1837
Le culte chrétien, de simplement toléré sous l’époque romain et la domination alamane,
devient, après une éclipse due aux invasions, culte officiel. Née au IVè siècle, dernier legs de
l'Empire romain moribond, restaurée au VIè siècle, la promotion épiscopale affirme, dans la
mosaïque politique et malgré différents aléas, le rôle religieux de la cité ; siège du pouvoir,
l'évêché est une puissance territoriale franque dans le monde majoritairement alaman et
gallo-romain. Une de ses tâches essentielles consiste en la conversion des Alamans païens
avec le soutien, sans doute pour des motifs d’abord politiques, par la royauté franque. Au
premier prélat de souche franque, Arbogast, qui fonde le monastère de Surbourg, succèdent
d’autres épiscopes fidèles au pouvoir franc, tel Florent à l’aube du VIIè et plus tard Ansoald,
qui assiste au Concile de Paris réuni par Clotaire II en 614 : ils développent l'œuvre de
conversion, accompagnée d'une œuvre de construction sur laquelle les données
archéologiques sont rares. Les sources pour cette période restent cependant très
fragmentaires : Strasbourg est sans doute aussi le siège d’une résidence royale. Childebert II
(575-596) y aurait séjourné… Sous les Mérovingiens, un atelier monétaire fonctionne entre
550 et 750, géré par l’évêque dès 590.
Le territoire alaman vers 600 et la poussée franque
La ville occupée change de nom : Grégoire de Tours évoque deux fois Strasbourg au VIè
siècle : « Ad argentoratensem urbem quam nunc Stradeburgum vocant… » (« A la ville
d’Argentoratum qu’on appelle aujourd’hui Stradeburg ») et « Urbs quam Strateburgum
vocant », « ville de la route » comme l'entend, dans son poème Ermold le Noir, au IXe siècle,
ou ville des routes ; Argentorate subsiste dans les textes littéraires sous le nom d'Argentina,
né d'une étymologie fausse mais plaisante, la ville d'argent et non plus la forteresse de l'eau.
Lorsque les rois d’Austrasie créent après 640 le duché d'Alsace pour garantir les « marches de
l’est », « Strasbourg devient pour la première fois une sorte de capitale, les trois autorités les
plus hautes, le duc, l'évêque et le comte y résidant normalement » (Ph. Dollinger). En 722 il
est fait mention, dans une charte du duc Adalbert d’une résidence royale « in curte regia
ville » reconstruite « in suburbano civitatis novo », la localisation exacte de cette « curtis
regia » restant encore sujet à hypothèses : Kœnigshoffen ? Saint Thomas ? Sainte Aurélie ?
Quoi qu’il en soit, au VIIIè sièclede nombreux actes et donations confirment l’existence d’une
ville double : le castrum, dont l’enceinte a été restaurée, et le faubourg « civitas nova »,
s’étendant principalement en direction de Kœnigshoffen.
Le duc Etichon remet à sa fille Odile les clefs de l’abbaye de Hohenbourg. Détail d’une miniature de l’Hortus
Deliciarum
Sous l’autorité des ducs d’Alsace et de l’évêque, la ville se développe : on doit sans doute à
Adalbert la fondation du couvent Saint Etienne ; une église sainte Marie, située sous la
cathédrale, est mentionnée en 728 et une chapelle saint Miche existait hors les murs du
castrum, sur la butte du même nom (carrefour rue Saint Michel et Faubourg National) : c’est
là qu’a été trouvée une tuile estampillée « ARBOGASTIS EPS FICET ».
Tableau généalogique des Etichonides d’Alsace
Sous l’époque mérovingienne, la population se concentre essentiellement autour du collège
saint Etienne (VIè siècle), autour de Saint Thomas (VIIè siècle), au sud de la Route des
Romains à Kœnigshoffen (palais royal dans le secteur de la rue du Schnokeloch ?), dans le
triangle quai des Bateliers-rue de Zurich-rue des Bateliers…
3. L’Alsace carolingienne : 768-912
L’œuvre de Charlemagne
Les déchirements du IXè siècle
3.1. L’œuvre de Charlemagne
La nouvelle dynastie, sous l’impulsion de son illustre empereur Charlemagne (768-814)
inaugure une ère de paix et de prospérité dont profite l’Alsace, partagée en deux « Pagi », le
Nordgau et le Sundgau, le Landgraben faisant frontière. Les deux évêchés sont reconstitués,
sans doute déjà sous Pépin le Bref : l’évêché de Bâle, suffragant de l’archevêché de Besançon,
étend sa juridiction non seulement sur la Suisse du Nord-ouest, mais sur tout le Haut Rhin et
sur l’actuel Territoire de Belfort. Celui de Strasbourg, dépendant de l’archevêché de Mayence,
comprend la Basse Alsace moins la région de Wissembourg-Lauterbourg, intégrée au diocèse
de Spire, mais déborde sur une partie de la rive droite du Rhin, l’Ortenau. Cette organisation
se maintient pendant près de 1 000 ans, jusqu’en 1801.
Charlemagne ordonne de constituer des écoles et des centres d’études dans les monastères.
Des bibliothèques se constituent par copiage. Murbach est au coeur de cette renaissance. Le
monastère possède une Bible et plus de 300 manuscrits comprenant des oeuvres des pères de
l’Eglise et des écrivains romains. C’est énorme pour l’époque. Les autres abbayes font des
progrès considérables, devenant de véritables foyers de développement religieux, culturel et
économique. Elles obtiennent l’immunité (justice indépendante de celles des comtes) et des
avantages financiers importants (exemption des taxes sur les routes)
L’Alsace est une terre prospère et l’agriculture s’y développe à merveille : le vin de Sigolsheim
est réputé dans tout l’empire et le commerce est important. Strasbourg possède un port et un
atelier de monnaie. La ville compte 3 000 âmes, créé deux nouvelles paroisses, saint Thomas
et sainte Aurélie et est placée sous l’autorité de l’évêque qui se charge aussi de l’activité
économique, ayant notamment le monopole de l’intense activité portuaire de la cité...
Charlemagne vient à Brumath en 772 et à Sélestat en 775. Il possède dans la région plusieurs
« palais » comme Illzach, Kirchheim-Marlenheim ou Koenigshoffen… Certains Alsaciens
jouissent de la confiance de l’empereur : l’abbé de saint Denis Fuldrad (mort en 784) est
conseiller de Pépin le Bref puis de Charlemagne et fonde l’abbaye de Lièpvre ; Eric de
Strasbourg est comte de Frioul ; Hugues, comte de Tours est ambassadeur à Byzance en 811,
chef d’expédition contre les Bretons et les Sarrasins. Il donne sa fille Ermengarde en mariage
à l’empereur Lothaire I ; Le fils de Hugues, Liutfried, est légat auprès du pape ; un autre de
ses fils, Hugues, est comte de Basse Alsace ; Girard de Vienne, est comte de Paris et de
Vienne, héros d’une des premières chansons de geste de l’époque médiévale... Il est probable
qu’il y eut des liens entre la descendance d’Adalric et les plus grandes familles d’Europe,
Capétiens, Saxons, Hohenstaufen, Habsbourg...
Le renouveau spirituel et intellectuel voulu par Charlemagne est marqué par de belles
personnalités : à côté des moines anonymes de Murbach qui compulsent et copient aussi bien
les œuvres de Cyprien, Augustin, Hilaire de Poitiers, Grégoire le Grand que celles de Cicéron,
Tite-Live, Lucain ou Lucrèce, apparaît vers 780 le premier « homme de lettres » alsacien, un
certain « Adam », abbé de Masevaux, qui offre à Charlemagne une copie de trois livres de la
grammaire latine de Diomède. C’est aussi l’évêque Bernold qui sous Louis le Pieux fait traduire
des passages bibliques pour ses ouailles… C’est l’exilé d’Aquitaine, Ermold le Noir, qui, pour
rentrer en grâce, compose vers 826 à Strasbourg un poème à la louange de Louis le Pieux où
il décrit une Alsace florissante et heureuse… Mais le grand homme des lettres est le moine de
Wissembourg, Ottfried, disciple de Raban Maur venu de Fulda, qui compose et offre en 868 à
Louis le Germanique une adaptation en allemand de l’histoire sainte, le « Krist », destiné à
être compris par le peuple franc.
3.2. Les déchirements du IXè siècle
3.2.1. Louis le Pieux : 814-840
Mais l’empire de Charlemagne et son rêve d’universalité ne lui survivent guère. Louis le Pieux,
son fils (814-840), ne parvient pas à sauvegarder son unité. L’Alsace va jouer un rôle
important dans les péripéties opposant Louis à ses fils Lothaire avides de pouvoir…, Louis,
Pépin et Charles le Chauve, ce dernier issu d’un second mariage.
La première péripétie à lieu à Colmar en 833 au « Champ du Mensonge » : Louis en effet vient
de réviser le premier partage de l’empire qu’il avait fait en 817, afin d’y inclure le jeune
Charles, ce que les trois autres frères n’acceptent pas : trahi par ses propres troupes, Louis
est pris par ses fils, enfermé à Kircheim-Marlenheim dans la villa royale, déchu de son titre et
emmené à Soissons avec le petit Charles où il est soumis à une humiliante pénitence publique.
Il retrouve cependant son trône en 835 grâce au soutien du peuple et peut procéder à un
nouveau partage, Pépin étant mort en 838. Charles y est inclus et même fortement avantagé,
ce qui avive les rancoeurs…
3.2.2. Strasbourg et Verdun
Seconde péripétie en Alsace : en juin 840, à la mort de l'empereur Louis le Pieux, la guerre
pour le partage de l’empire débute immédiatement entre les trois fils. Le 24 juillet 840 à
Strasbourg le nouvel empereur Lothaire déclare que tout l’empire doit être sous son contrôle :
c’est une véritable déclaration de guerre à ses frères. Charles s’allie alors avec son demi frère
Louis le Germanique, le frère aîné. Le 21 juin 841, les coalisés emportent la bataille de
Fontenoy en Puisaye en Bourgogne, obligeant leur frère à se réconcilier sur le tombeau de
saint Germain à Auxerre. Mais le conflit se ravive rapidement.
Aussi, le 14 février 842, sous les remparts de Strasbourg, devant leurs armées réunies, Louis
et Charles scellent leur alliance contre Lothaire par le fameux serment, le plus ancien
document en langue française et tudesque que les spécialistes considèrent comme l'un des
documents les plus précieux sur la naissance des langues française et allemande. Ils
remportent en mars une nouvelle victoire contre Lothaire près de Coblence. Lothaire se
réfugie à Lyon. Le 15 juin 842 commencent des négociations de paix. Elles aboutissent à la
signature du « traité de Verdun » (8 ou 11 août 843) :
Lothaire Ier reçoit la « Francia media », s’étendant de la mer du Nord à l’Italie ; L’Alsace en
fait partie.
Louis le Germanique s’adjuge la « Francia orientalis » ou Germanie ;
A Charles le Chauve échoit la « Francia occidentalis », la future France
Ce partage « des quatre fleuves » (Meuse, Escaut, Rhône et Rhin), à priori absurde répond à
une logique économique : les trois frères veulent en effet disposer de toutes les ressources
agricoles de l'ex-Empire, de la Méditerranée à la plaine d'Europe du Nord. « Ce traité de
hasard a déterminé tout le destin de l’Europe » (R. Grousset). Il sera confirmé à Yütz en 844
et à Meersen en 847.
3.2.3. Le partage de la Lotharingie
3.2.3.1. La « question » de la Lotharingie
Mais ce traité est terriblement bancal : Coincée entre Francie occidentale et Francie orientale,
la Lotharingie n’a pas d’avenir, d’autant qu’elle n’a aucune unité géographique et culturelle,
faisant cohabiter des populations de langue romane dans une entité germanique.
Rapidement, les rois Charles le Chauve (840-877) et Louis le Germanique (840-876)
s’entredéchirent : un premier conflit sérieux à lieu entre 856 et 861 : Charles étant incapable
de soumettre les premières bandes de pillards Vikings venant régulièrement rançonner le
royaume, les grands, menés par Robert le Fort, font appel à Louis le Germanique qui à
l’automne 858 envahit le royaume de Charles, obligé de se réfugier en Bourgogne. Il faut
l’intervention d’une assemblée d’évêques pour stopper sont avance, ce dont profite Charles
pour rassembler une puissante armée et contraindre son frère à quitter le pays en novembre
de la même année.
Entre temps, Lothaire I abdique en 855 peu avant de mourir : par l’acte de Prümm, il partage
son empire entre ses trois fils : Louis II reçoit le royaume d’Italie avec le titre d’empereur,
Charles la Provence jusqu’à Belfort et Lothaire II toute la partie nord de son territoire, de la
Suisse à la Frise. Ce dernier domaine s’appelle désormais « Lotharii Regnum », la Lotharingie.
Avant de mourir Lothaire I comble richement les abbayes alsaciennes de Murbach, Lièpvre,
Erstein, Saint Etienne de Strasbourg et Munster.
3.2.3.2. Le traité de Meersen
Charles meurt en 863. Son domaine est partagé entre ses deux frères. En 869, Lothaire II
meurt à son tour, sans héritier direct. Seul survivant des trois frères, Louis II aurait du
logiquement hériter de son royaume. Mais il est occupé en Italie du sud à lutter contre les
musulmans. L’occasion est trop belle pour ses deux oncles, Charles le Chauve et Louis le
Germanique. En août 870, les deux frères se partagent la Lotharingie par le traité de
Meersen : la Moselle devient la nouvelle frontière entre les deux état qui désormais se
touchent. L’Alsace reste à la Germanie. Louis II perd en plus la rive droite du Rhône, conserve
Provence et Italie et n’arrive pas à récupérer son bien malgré le soutient du pape. Il meurt en
875.
3.2.3.3. Le traité de Ribemont
Le dernier acte à lieu à Ribemont en Aisne en 880 : le 28 août 876 meurt Louis le
Germanique. Son fils Louis III le Jeune lui succède (876-882). Mais Charles le Chauve en
profite immédiatement pour envahir la Lotharingie orientale et porter les frontières du
royaume de France sur le Rhin. Mal lui en prend : Louis III lui inflige une sévère défaite à
Andernach près de Coblence en octobre. L’année suivant c’est au tour de Charles le Chauve de
trépasser, laissant le royaume à son fils Louis II « le Bègue » qui ne règne que deux ans :
l’héritage passe en 879 à ses deux fils aînés, Louis III (879-882) et Carloman II (879-884), le
plus jeune, le futur Charles III « Le simple », n’étant pas encore né…
Or Louis III de Germanie réclame désormais toute la Lotharingie, c'est-à-dire le territoire à
l’ouest de la Moselle et s’apprête à entrer en campagne contre ses cousins. Ceux-ci ont de
gros soucis : d’une part, les Vikings reprennent leurs raids dévastateurs sur le royaume, et
d’autre part Boson, un noble, ancien homme de confiance de leur grand père Charles le
Chauve se proclame roi de Bourgogne avec le soutien de la Papauté.
Afin de contrer ces différences menaces, les rois cousins décident de mettre de côté leurs
différends et de faire front commun. Ils se rencontrent à Ribemont. En échange de la
neutralité de Louis le Jeune, les rois de France lui abandonnent la partie de la Lotharingie
qu'ils possédaient depuis le traité de Meersen.
3.2.3.4. La fixation définitive des frontières
Louis III le jeune meurt en 882. Son frère Charles le Gros, qui lui succède est proclamé roi de
France en 883 et reconstitue ainsi l’empire de Charlemagne (hormis la Provence et la
Bourgogne transjurassienne). Mais il est déposé en 887 à la diète de Tribur. La Lotharingie
passe à Arnulf de Carinthie (887-899), qui en 894 intronise son fils Zwentibold roi de
Lotharingie. Une révolte élimine ce dernier en 900 et le pays est intégré à nouveau à la
Germanie du dernier carolingien de la branche germanique, Louis IV l’Enfant. La Germanie est
alors la proie des terribles Hongrois et Louis est beaucoup trop jeune pour gouverner. Il meurt
en 911 sans successeur els les grands de Germanie élisent alors à sa succession Conrad de
Franconie, lequel désignera à sa mort en 918 comme successeur Henri I de Saxe, dit Henri
l’Oiseleur, le fondateur de la prestigieuse dynastie saxonne.
Mais les grands princes lorrains, Régnier au Long Col, petit fils de Lothaire I et Wigeric, comte
Palatin et époux de la petite fille de Louis II le Bègue, refusent la suzeraineté de Conrad et se
rallient à Charles III le Simple. En 913 Charles envahit la Lotharingie et reçoit l’appui de
l’évêque de Strasbourg Otbert (906-913) et de ses successeurs (après son assassinat) Gozfrid
(913) et Richwin (913-933). Mais après la mort de Régnier en 915, Gislebert de Maasgau son
fils mène une politique très personnelle : en 918 il se révolte contre Charles III et cherche
l’appui de Henri l’Oiseleur. Défait en 920 à Worms par l’Oiseleur, Charles III est obligé de
renoncer à) la Lotharingie en 921 au traité de paix de Bonn. Charles le Simple est emprisonné
en 923 par Raoul de Bourgogne qui prend le titre de roi de France mais ne renonce pas à la
Lotharingie. Il se heurte à Gislebert qui conduit les armées d'Henri à la victoire en 925, année
à laquelle Henri l’Oiseleur, le fondateur de la prestigieuse dynastie saxonne, rattache pour 7
siècles la Lotharingie, et donc l’Alsace à la Germanie.
Le dernier acte se joue en 1014 et 1034 lorsque sont successivement rattachés au royaume
de Germanie l’Italie du nord et le royaume de Bourgogne (Vallée du Rhône et Provence),
livrant à ses souverains leur accession au trône impérial…
La ville de Strasbourg carolingienne : 751-843
Si la présence de Charlemagne - qui a rétabli l'ordre après les vicissitudes de la fin de l'époque
mérovingienne - n'est pas attestée à Strasbourg, la ville participe cependant au mouvement
général de reconstruction de l'Empire. Elle joue le rôle d'intermédiaire entre la France et la
Germanie.
Au sein d'une bourgade de paysans, de pêcheurs et d'artisans s'affirme la présence de l'église
- les cathédrales successives, Saint-Thomas qu'a fondé (vers 820), et où a été enterré,
l'évêque Adeloch, Ecossais d'origine-, symbole de l'émergence, dans une société dont la
violence est la loi, des solidarités et des valeurs chrétiennes. L’histoire retient les noms de
quelques uns de ces évêques, véritables maîtres de la cité, comme Heddon (734-762), sous
lequel l’évêché est rattaché à l’archevêché de Mayence, Remi, Rachio (782-790), Adeloch et
Bernold (vers 825). L’atelier monétaire de Strasbourg prend de l’importance. On a retrouvé
des monnaies de la ville à Vercelli en Italie et Brevery sur Coole en Marne.
Strasbourg, saint Thomas: le sarcophage d’Adeloch
La ville se développe et de nouvelles paroisses naissent comme Saint Arbogast à la Montagne
Verte, sainte Aurélie (mentionnée sous le nom de Saint Maurice) sous l’épiscopat de Ruthard
(933-950), Saint Pierre le Vieux. La ville participe au début du IXè au grand mouvement de la
renaissance carolingienne, comme en témoigne Ermold le Noir (790-838 ?) : elle draine les
céréales et le vin provenant de la plaine et du piémont et reçoit les étoffes des Flandres. On
connaît l’existence d’un groupe à statut juridique de négociants : ces commerçants, ainsi que
l’évêque, sont exempts de taxes dans tout l’empire, hormis l’embouchure du Rhin et les cols
alpins.
Durant la période Carolingienne, il semble que la ville cesse son extension et on assiste à un
repli vers l’ellipse insulaire du centre ville. Le site de Kœnigshoffen semble abandonné au
profit de l’ancien Castrum. Une nouvelle nécropole apparaît tout près des murailles, place
Broglie. Le renouveau ne se fera qu’à la fin du Xè sous l’impulsion de l’évêque Widerold : ce
son sans aucun doute les évènements politiques importants se succédant aux IXè et Xè qui
expliquent cette évolution.
Evènement politique de première importance en effet pour la ville : ce sont d’abord, en 842,
alors que la querelle entre carolingiens prend un tour aigu à la mort de Louis le Gros (840) les
« Serments de Strasbourg» voient le rassemblement des armées des deux rois Charles le
Chauve et Louis le Germanique unis contre leur frère Lothaire, épisode majeur dans l'histoire
linguistique, car ils président en quelque sorte à la naissance des langues française et
allemande ; C’est ensuite, en 843, le traité de Verdun qui entraîne, par le hasard des partages
et des successions, la création de la Lotharingie et qui voit la ville devenir l’enjeu de la lutte
entre Carolingiens français et Carolingiens germaniques ; c’est en 870 le traité de Meersen,
qui attribue l'Alsace - et Strasbourg - à Louis le Germanique après les luttes fratricides avec
Charles le Chauve… Suit la période troublée de la première moitié du Xè qui voit les Hongrois
déferler sur la région et menacer jusqu’à l’existence de la Germanie…
Louis le Germanique. Art mérovingie
Un évènement important se passe sous l’épiscopat de l’évêque Heddo : au milieu du VIIIè,
l'évêque créé dans la cité alsacienne un chapitre canonial : ces prêtres, les chanoines,
attachés à la cathédrale, forment le conseil de l’évêque, sont tenus de vivre en communauté
et se réunissent de jour et de nuit à l'église pour chanter la « laus divina ». Mais à partir du Xe
siècle, le chapitre dispose de biens importants qui ne vont pas tarder à menacer la vie
commune pratiquée à l'origine. En effet, la règle cénobitique gêne beaucoup la liberté des
chanoines et limite la pleine jouissance de leur fortune croissante. A la fin du XIe siècle, cette
évolution aboutira à la répartition de la mense commune en prébendes particulières affectées
aux chanoines et dont la gestion était laissée à leur discrétion. En même temps sera abolie à
Strasbourg la discipline de la vie commune. Il en résulta une moindre assiduité au culte ainsi
qu'un relâchement des mœurs parmi les chanoines. Par contre, le rôle « politique » du
chapitre va aller en s’accroissant.
4. L’Alsace sous la dynastie saxonne : les Otton : 9121024
Les invasions
La renaissance ottonienne
La naissance du système féodal
4.1. Les invasions
A la fin du IXè déferle sur l’Europe une deuxième vague d’invasions, bien plus dévastatrice.
Les cavaliers sarrasins poussent leurs razzias le long du Rhône et de la Saône jusqu'aux
abords du seuil de Bourgogne ; les Vikings remontent le cours du Rhin et de la Moselle de plus
en plus loin et finissent par atteindre la hauteur de Metz et celle de Mayence ; enfin les
Hongrois ravagent la vallée du Danube et poussent jusqu’au Rhin : en 917 ils saccagent Bâle
et ravagent l’Alsace. En 926 ils reviennent et dévastent tout le pays, massacrant 7 moines de
Murbach (Lieu dit du Mordfeld), avant de refluer vers la Franche Comté. L’Alsace est livrée à
elle-même, le roi Henri I (919-936) s’en désintéresse. Les maîtres réels du pays sont les
comtes du Nordgau et du Sundgau qui tentent de se rendre indépendants et quelques familles
puissantes qui offrent aux plus faibles leur protection en échange de leur obéissance et de
leurs services : c’est le début du système féodal et du morcellement politique...
4.2. La renaissance ottonienne
Avec Otton le Grand (932-973), fils de l’Oiseleur, la situation change. Otton contrecarre les
visées du roi de France (Siège de Brisach en 939 par Louis IV d'Outremer), écrase les
Hongrois au Lechfeld en 955 puis vainc une coalition de princes alsaciens menée par l’évêque
de Strasbourg Ruthard (933-950)... Il s’agit pour Otton de consolider et de jalonner les routes
des cols (Grisons, Grand St Bernard...) de points d’appui sûrs. L'intérêt stratégique des
positions alsaciennes est en effet considérable puisque le Saint Empire est en quelque sorte
une construction bipolaire : les souverains ottoniens ne sont vraiment les maîtres qu'à
condition de contrôler Rome, la ville où le pape accomplissait le rite essentiel du
couronnement. Cette politique est incompatible avec l'indépendance des comtes d’Alsace et
celle des évêques de Strasbourg et de Bâle.
Ainsi, en 950 Otton investit en personne de la crosse et de l’anneau l’évêque Uto III (950-965)
en lui accordant le titre de comte, que porteront automatiquement ses successeurs. Les
évêques sont désormais « princes d’empire », ce qui éloignera la plupart d’entre eux de leur
fonction première de pasteurs de la communauté chrétienne… D’autre part, en 952 le comte
Gontran est accusé de haute trahison et ses biens confisqués.
Pour consolider leur puissance, les Otton s’appuient principalement sur l’Eglise : En 960
l’abbaye de Payerne, fondée par Adélaïde, la femme d’Otton, est dotée en Alsace. Les évêques
deviennent de vrais fonctionnaires d’Empire : Uton III assiste au couronnement d’Otton I en
962 ; Otton II (973-983) accorde à l’évêque Erchambaud (965-991) la possession de l’atelier
monétaire royal de Strasbourg et d’autres droits qui font de l’évêque le prince temporel le plus
puissant du pays, et un inconditionnel de la cause ottonienne. L’évêque Erchambaud guerroie
avec Otton II en Italie contre les Arabes et les Byzantins... Quant à l’évêque Widerold (991999) il appartient à l’entourage immédiat de la famille d’Otton III (983-1002).
Grâce au retour de l’ordre se fait un timide renouveau intellectuel : après Payerne,
l’impératrice Adélaïde (931-999) fonde un prieuré qui sera à l’origine de la ville de Colmar puis
l’abbaye d’Altorf qui s’attaque au défrichement de la vallée de la Bruche, et surtout l’abbaye
de Seltz en 996 où elle est inhumée. De cette époque date la rédaction de la vie de saints :
Odile, Amand, Arbogast... Erchambaud enrichit la bibliothèque épiscopale, commande à
Gérald, un de ses clercs, de composer des épopées germaniques (Le Waltharius) et fait
réaliser un Evangéliaire de 148 feuillets.
4.3. La naissance du système féodal
Le système féodal se développe lentement en Alsace, car les Otton s’efforcent de maintenir la
révocabilité des hauts fonctionnaires, ducs et comtes, pour limiter leur puissance. Cependant,
les grandes lignes de la féodalité se mettent en place : déjà les terres sont partagées entre les
puissants : le plus grand propriétaire est le roi. Son domaine comprend une grande partie des
terres entre la Zorn et la région de Colmar, les forêts des Vosges et des plaines. Sur les
grands domaines défrichés s’élèvent les villae royales : Koenigshoffen, Kirchheim, Erstein,
Brumath, Kintzheim, Colmar, Illzach...
L’évêque possède des terres de part et d’autre de Strasbourg, le long des deux rives du Rhin,
autour de Saverne, Molsheim et Rouffach. Les abbayes, une vingtaine en Alsace ainsi qu’une
trentaine d’abbayes non alsaciennes possèdent toutes leurs domaines. Souvent elles se
partagent les terres d’un même village : Sigolsheim appartient à 7 abbés ; l’abbaye de Seltz
possède des terres en Suisse, dans le Palatinat et en Franconie. L’abbaye de Wissembourg
possède des terres en Seille, le Mundat de Wissembourg (200 km2), au Palatinat, en Bade
Wurtemberg et sur le Danube : 22 000 ha de terres défrichées et 74 églises, soit presque
autant que l’abbaye de Saint Germain des Prés. Murbach a des possessions plus groupées,
surtout dans le Haut Rhin. Marmoutier étend ses avoirs dans la « Marche de Marmoutier »
(150 km2), en Lorraine, dans le Haut Rhin : quelques 5 000 ha de terres arables. Seigneurs,
comtes et ducs possèdent des biens, beaucoup moins étendus.
La terre est cultivée grâce au système des villae, grands domaines des nobles ou des abbayes.
A la tête de la villa, le maire ou villicus, chargé de l’administration, de la direction des travaux
et de la récolte des impôts. Chaque villa a deux sortes de terres: la réserve, possession du
seigneur ou de l’abbaye, exploitée par les ouvriers agricoles non libres et les paysans libres
soumis aux « corvées » (Jours de travaux), et les tenures ou manses des paysans qui payent
les impôts et effectuent les corvées sur les réserves. La seigneurie vit sur elle-même et exige
de ses sujets des produits agricoles (céréales, vin, cervoise, pain, bois...) mais aussi des
objets fabriqués (Vêtement, outils, tuiles, charpentes...). Les échanges extérieurs sont réduits
au minimum. Cette société du Haut Moyen Age est entièrement rurale et le reste jusqu’au
XIIè. Même Strasbourg n’est qu’un gros bourg agricole.
La ville de Strasbourg sous les empereurs saxons : 9191002
C’est le redressement opéré sous l’empereur saxon Otton « le Grand » qui finalement, après
avoir écarté la menace hongroise au Lechfeld en 955 intègre la ville et toute l’Alsace en 962
dans le Saint Empire Romain Germanique pour plus de sept siècles. Il est le premier à investir
l’évêque de Strasbourg Uton I (950-965), originaire d'une famille comtale de Franconie, par la
crosse et l’anneau, le confirme dans son droit de battre monnaie et lui accorde le titre de
comte, affirmant ainsi la suprématie de l’évêque sur la ville mais nouant par là même un lien
de vassalité : l’évêque devient désormais un prince d’empire et le pasteur s’efface devant le
politique.
A Uto succède en 965 Erchenbald (965-991) auquel Otton II (973-983) accorde la
confirmation de tous ses droits ainsi que la souveraineté sur la ville de Strasbourg… Comte, il
devient le prince temporel le plus puissant du pays : il dispose désormais du droit de justice
au nom de l’empereur et contrôle l’administration fiscale de son fief. Ce qui ouvre une longue
suite de querelles et de tensions entre la cité et l’évêque au Moyen Age… L’épiscopat
d’Erchenbald donne à la cité une vigoureuse impulsion économique et culturelle : ancien
« directeur » de l’école épiscopale de la ville avant sa nomination, Erchenbald est un
amoureux des belles lettres. Il enrichit la bibliothèque et rédige lui même en vers latins un
catalogue des évêques de la ville depuis Amand jusqu’à Uton. Il rédige des psaumes de David
et commande à l’un de ses clercs, Gérald, la réalisation d’épopées germaniques qui ne seront
achevées que deux siècles plus tard : c’est le fameux « Waltharius ».
Monnaie de l’évêque Erchenbald, évêque de Strasbourg sous le règne d’Otton II (973-983)
Le siècle s’achève par la nomination part Otton III (983-1002) de Widerold (991-999), un de
ses proches. En 974 l’empereur lui cède l’atelier monétaire de la ville. Widerold réalise
d’importants travaux pour agrandir le castrum en faisant ériger une seconde enceinte du côté
de la rue des grandes arcades et de la place Broglie.
Monnaie de l’évêque Widerold, évêque de Strasbourg (991-999) sous le règne d’Otton III (983-1002)
5. L’art en Alsace au Haut Moyen Age
L’archéologie
Architecture et sculpture
5.1. L’archéologie
L’essentiel des traces de l’époque en alsace est constitué par les tombes, sarcophages ou
tumuli mérovingiens et… par des archives qui ne livrent généralement que des noms de lieux,
des dates et des noms de personnages…
Ainsi il est fait mention de monument aujourd’hui totalement disparus comme les les villae
royales de Kirchheim et de Marlenheim, de Koenigshoffen ou d'Isenbourg près Rouffach, lieux
de résidence et surtout de chasse pour les rois d’Austrasie, Childbert II (590) ou Dagobert II
(676), rois d'Austrasie
Les tombes des VIè et VIIè ont livré des objets en grand nombre et assez diversifiés : poteries
et bijoux en bronze sertis alamans et francs, ces derniers assez intéressants : fibules, plaques
damasquinées à motifs géométriques, entrelacs, têtes stylisées, figures d’animaux, ou encore
bijoux cloisonnés à verres colorés…
De ce lot sortent quelques pièces exceptionnelles : le « trésor » de la tombe féminine de
Hochfelden, (parure faite d'un collier en tresses d'or à pendeloques coniques, de boucles
d'oreilles de même métal, d'une fibule d'argent et d'un miroir en bronze), le fameux casque de
Baldenheim en bronze et argent doré du VIIè, les phalères d’Ittenheim en argent doré du
VIIè… Ce ne sont que les survivants d’autres nombreux et magnifiques objets produits et
perdus dont on ne possède que des mentions écrites : nombreuses châsses – reliquaires,
ostensoirs ; ivoires… (inventaire de Wolfenbüttel concernant le trésor de l'abbaye
carolingienne d'Erstein).
5.2. Architecture et sculpture
5.2.1. Epoque mérovingienne et carolingienne
De l’architecture de cette période, rien n’est resté, même pas des grandes fondations
monastiques ou édifices religieux de l’époque, profondément remaniées au cours des âges :
Wissembourg (vers 650), Hohenbourg (vers 670), Saint Etienne de Strasbourg (717), les
abbayes de Masevaux (720), ) Murbach (724 ou 726), Lièpvre (774), Saint Léger de
Guebwiller, la cathédrale de Strasbourg (vers 720 ?), l’abbaye de Marmoutier (725), l’abbaye
de Neuwiller-les-Saverne (730 ?), l’abbaye d’Eschau (750 ?), l’abbaye d’Andlau (887),
l’abbaye de Honcourt (vers 1000), l’église du Dompeter près d’Avolsheim (entre 1000 et
1050)…
5.2.2. Epoque ottonienne
On connaît un peu mieux l’architecture ottonienne (de type basilical à triple nef avec deux
massifs à l’est et à l’ouest avec transepts débordants) : ainsi se présentait l’édifice le plus
important de l’époque en Alsace, la fameuse cathédrale de Werhner, construite à partir de
1015 après que l’ancienne eût été incendiée par Herman de Souabe : elle présente
une abside plate, flanquée de chapelles à deux étages, un plafond charpenté, une crypte
accessible par un pontile à hauteur de l'arc triomphal. Le dispositif occidental offrait une
tribune ouverte sur la nef, sorte de « Laube » comme à Corvey en Westphalie ou à Saint
Pantaléon de Cologne.
Autre caractéristique du corps occidental : une tour unique érigée en façade, tour porche
comme au Dompeter, à Hattstatt, à Saint-Thomas, parfois aussi avec la formule d'un choeur
occidental se dégageant d'un large transept comme à Saint Pierre le Jeune de Strasbourg.
Strasbourg au Moyen-age
2. Le Moyen Age : la ville épiscopale : 1002-1334
La ville sous l’épiscopat de Wernher
Strasbourg et la querelle des investitures
La montée en puissance du chapitre cathédral : 1131-1262
La lutte de la bourgeoisie contre l’évêque
2.1. La ville sous l’épiscopat de Wernher
En 1001 Otton III nomme sur le trône épiscopal Wernher ou Werinhaire, fondateur avec son
frère, de l'illustre dynastie des Habsbourg, famille qui, après son accession à la dignité
impériale, devait avoir des contacts fréquents avec la ville. L’empereur meurt l’année
suivante : lui succède son cousin Henri II de Bavière (1002-1024). Election contestée,
notamment par le duc de Souabe et d’Alsace Hermann II. Henri II, soutenu par la majorité des
princes germaniques, dont Wernher, son ami d’enfance, finit par l’emporter, mais le duc de
Souabe prend Strasbourg d’assaut et incendie la cathédrale ottonienne le 4 avril 1002,
dimanche de Pâques. « La tourbe exécrée des Alamans, toujours prompts au pillage, dit le
chroniqueur Tietmar, pénétra dans l'église majeure de la Sainte-Mère de Dieu et... incendia la
maison du Seigneur ». Il s'agit de la première basilique, mariale, située à l'intérieur des murs,
signalée par Ermold le Noir. Hermann est finalement mis à raison et se voit obligé de céder à
l’évêque la riche abbaye de Saint Etienne et ses dépendances de part et d’autre du Rhin…
Wernher reconstruit une première fois la cathédrale, mais en juin 1007, un nouvel incendie la
ravage.
Strasbourg : reconstitution de l’édifice ottonien
En 1015, grâce aux libéralités de l’empereur, l’évêque Wernher de Habsbourg lance le chantier
de la nouvelle cathédrale de Strasbourg sur la base de l’ancien édifice carolingien dévasté. La
nouvelle église sera construite en pierre et ce sera le plus grand chantier de la vallée du Rhin
avec celui de la cathédrale de Spire. Il va donner un véritable essor à la ville qui est encore
agrandie, triple sa population, mais ne compte guère que 4 à 5 000 âmes, réparties en 9
paroisses, dont le chiffre ne variera plus jusqu'à la Réforme. Saint Thomas a été fondée
comme seconde paroisse, Sainte Aurélie troisième ; suivent Saint Pierre-le-Jeune, Saint
Pierre-le-Vieux, Saint Etienne, Saint André, Saint Martin, la dernière en date étant Saint
Nicolas dont l'église sera bâtie en 1182. La ville est bien tenue par le clergé qui y administre
églises et couvents, soutient puis finira par concurrencer l’évêque au sein du « chapitre » de
24 chanoines.
Strasbourg : la façade de la basilique de Wernher selon Kautsch
A la mort de m’empereur Henri II, Wernher participe à l’élection de son successeur Conrad II
(1024-1039) qui lui maintient sa confiance, vient souvent en visite à Strasbourg et envoie
l’évêque en mission diplomatique à Constantinople, mission au cours de laquelle Wernher
décède. Conrad nomme alors son oncle, Guillaume de Carinthie (1029-1047) au siège
épiscopal. Avec Guillaume et son successeur, l’évêque Hermann (1047-1065), ancien chanoine
de Spire, ce sont des proches de la maison impériale et des partisans de la réforme
clunisienne alors en cours qui président aux destinées de l’évêché de Strasbourg, alors au faîte
de sa puissance domaniale et politique, et en pleine harmonie avec les comtes du Nordgau, à
peine moins riches qu’eux en biens fonciers et en sources de revenus. C’est donc à une ville
en plein essor que rend visite en 1049 le pape alsacien Léon IX d’Eguisheim, qui accorde de
nombreuses indulgences pour la poursuite des travaux du chantier cathédral.
2.2. Strasbourg et la querelle des investitures
Le cours des événements change brusquement lorsque le fils de Henri III, le futur empereur
Henri IV (1056- 1106), à peine âgé de seize ans, nomme au siège de Strasbourg, en mars
1065, un adversaire acharné de la cause grégorienne, Werner d’Achalm (1065-1077),
originaire d’un modeste comté de Souabe, aux environs de Reutlingen. C’est un prélat
indigne : souvent absent de Strasbourg, il se conduit de façon scandaleuse, vivant en
concubinage et recommandant à ses prêtres de prendre femme. Le pape Alexandre II (10611073) lui interdit temporairement l’exercice des fonctions épiscopales ; en 1074 Grégoire VII
le prive de sa charge épiscopale et presbytérale ; ces sanctions ne le font pas changer de
conduite. En janvier 1076, il participe à la diète de Worms, où Henri IV fait déposer le pape
par les évêques à sa botte. Il est excommunié avec les autres prélats partisans de l’empereur.
En janvier 1077, il accompagne son maître à Canossa, mais il n’en demeure pas moins fidèle à
la cause impériale. Le 14 novembre 1077, la mort le frappe, alors qu’il partait à l’assaut de
l’abbaye de Hirsau, restaurée par le comte Adalbert II de Calw - un neveu du pape Léon IX -,
et gagnée à la Réforme grégorienne. Aux yeux de l’évêque Werner, Hirsau n’était là qu’un
« repaire du papalisme ».
Werner d’Achalm, fervent partisan de l’empereur Henri II, l’accompagna à Canossa
Pour Henri IV l’humiliation de Canossa le renforce dans sa volonté de combattre le pape et de
garder la haute main sur la nomination de l’évêque. D’Achalm mort, il investit Thiepald, prévôt
du chapitre de Constance malgré l’opposition du chapitre cathédral qui désirait que la
nomination se fasse en son sein. Mais à la mort de Thiepalt en 1082, le chapitre se prononce
pour une élection canonique, dans le sens de la réforme grégorienne. Le projet est sans doute
contrarié par Frédéric Hohenstaufen « le Borgne », que l’empereur venait de nommer duc
d’Alsace et de Souabe et auquel il avait donné mission d’éradiquer les champions du pape, les
puissants Eguisheim.
Blason des Eguisheim
Frédéric obtient de l’empereur la nomination au siège épiscopal de son frère, Otton de
Hohenstaufen (1083-100) qui aussitôt s’engage dans la lutte contre le pape et dans le schisme
en reconnaissant l’antipape Clément III, une créature de Henri IV. Otton envahit en 1086 le
domaine de Hugues VII d’Eguisheim, Dabo ; mais il se laisse surprendre et se voit dépouillé
des insignes de sa charge. Une tentative de conciliation aboutit au meurtre d’Henri VII dans
les appartements même de l’évêque le 4 septembre 1089. Ce meurtre discrédite la cause
épiscopale, et Otton finit par prendre ses distances avec l’empereur et à se rapprocher du
Pape Urbain II qui l’oblige sans doute à se croiser (1096-1099). De retour de croisade il rallie
cependant à nouveau la cause impériale ; peut avant sa mort en 1100, l’empereur lui confère
le titre de prince d’Empire… La cause impériale semble l’emporter alors à Strasbourg, malgré
les violentes diatribes du fougueux Manegold de Lautenbach et de sa « Lettre à Gebhart »…
Jamais la position épiscopale n’a été aussi puissante en Alsace qu’à cette époque : « les droits
épiscopaux, très dispersés, s’étendaient sur une centaine de villages ; il étaient groupés en
huit districts, dont quatre en Basse Alsace, un à Rouffach, et trois dans l’Ortenau ;
l’administration en était assurée par des baillis, siégeant dans des châteaux, sous la direction
d’un vidame épiscopal installé au palais de Strasbourg, tandis que la collecte des récoltes et
des revenus était effectuée par les maires. En outre l’évêque était le seigneur de multiples
vassaux dont le nombre n’avait cessé de croître depuis le Xè siècle ». (Philippe Dollinger).
Parchemin du Moyen Age évoquant la querelle des Investitures
Otton mort, Henri IV impose encore deux évêques à Strasbourg : Baudouin qui meurt
rapidement (100) et Cunon (1100-1123), chanoine de Spire, Goslar et Strasbourg. Le pape
refuse son consentement à la nomination, et malgré l’opposition du chapitre, l’empereur passe
outre. En 1106 Henri V succède à son père ; il se rend aux arguments du chapitre et dépose
l’évêque en 1023 alors que ce dernier se fut rallié à la cause papale. Désavoué par l’empereur,
haï par le chapitre et par la population, accusé par le clergé de la ville d’avoir dilapidé les biens
de l’évêché, Cunon est chassé, victime pitoyable d’intrigues qui le dépassent totalement…
Le 23 septembre 1122 est signé le « concordat de Worms » : ce compromis marque
théoriquement la fin de la querelle des investitures, l’empereur renonçant toute nomination
par le crosse et l’anneau, mais restant maître du jeu en matière temporelle. Le texte est
cependant assez ambigu quant au rôle de l’empereur dans l’élection épiscopale, refusée par
ailleurs au chapitre.
Aussi les principes de Worms sont immédiatement mis de coté aussi bien par l’empereur que
par le chapitre. L’empereur nomme évêque de Strasbourg le chanoine de Bamberg Brunon qui
est aussi son chancelier. Ce qui déplaît hautement au chapitre, assez puissant pour estimer
s’assurer le monopole des candidatures à l’évêché. Le chapitre est alors assez puissant, car
tout au long du XIè il s’était acquis une autorité assez importante pour disposer d’une mense
capitulaire (patrimoine en terres, villages et biens) qu’il gérait lui-même depuis le début du
XIè et indépendamment de l’évêque.
La querelle des investitures : l’empereur Henri IV, soutenu par Hugues de Cluny, implore Mathilde de
Toscane pour qu’elle intervienne auprès du pape Grégoire VII. Parchemin de 1144 « Vie de Mathilde ».
Rome, Bibliothèque Vaticane
Aussi lorsque Henri V meurt en 1125 et que se querellent pour sa succession Frédéric de
Hohenstaufen « le Borgne » et Lothaire III de Supplimbourg, les adversaires du Hohenstaufen
chassent Brunon du siège épiscopal de Strasbourg. Est élu Eberhard chanoine de la cathédrale
et partisan du nouvel empereur Lothaire (1123-1137). Eberhard meurt en 1127 et Brunon,
rentré en grâces auprès de Lothaire, retrouve son siège. Mais au synode de Mayence, en juin
1131, Brunon doit subir les attaques du chapitre de Strasbourg et tombe en disgrâce auprès
de Lothaire qui, face aux menaces des Hohenstaufen, a besoin de ‘appui de la bourgeoisie de
Strasbourg, de plus en plus influente, et donc d’un épiscope qui s’entendit avec elle. Brunon
est assez intelligent pour éviter une honteuse déposition autoritaire : il se retire à Bamberg où
il va mourir en 1162.
C’est ainsi que s’achève à Strasbourg la querelle des investitures. Elle signe en fait la victoire
de deux grandes factions dont l’influence à Strasbourg va aller en grandissant : le chapitre
cathédral qui va se réserver progressivement l’exclusivité de la nomination de l’évêque de la
ville, et la bourgeoisie, de plus en plus puissante et influente.
2.3. La montée en puissance du chapitre cathédral : 11311262
A partir de 1131 prévaut à Strasbourg le principe de l’élection épiscopale par le clergé et par le
peuple. Coté laïcs, ce privilège est rapidement accaparé par les bourgeois les plus en vue et
par les seigneurs.
Côté clergé, le chapitre, (créé au cours du VIIIè par Heddo) composé presqu’exclusivement de
membres des grandes familles nobles d’Alsace, de Bade ou d’autres régions voisines, s’adjuge
rapidement le monopole de l’élection. Il fallait, pour être admis au grand-chapitre de
Strasbourg, justifier de 16 quartiers de noblesse tant du côté paternel que du côté maternel ;
les candidats devaient être issus de princes, de comtes ou d'anciennes familles nobles… Ainsi
les noms de Géroldseck, Ochsenstein, Lichtenberg, Kyburg, Rappolstein, Thierstein reviennent
indéfiniment dans les catalogues de chanoines. Etant maîtresse du chapitre, la noblesse
dispose à son gré du siège épiscopal. Vis-à-vis de l'évêque, le chapitre ne cesse d'affirmer son
autonomie. Celui-ci perd rapidement le droit de nommer les chanoines qui se cooptent entre
eux. Avant l'élection épiscopale, les membres du chapitre imposent au candidat certaines
obligations concernant l'administration future du diocèse : l'élu s'engage par serment à
respecter ces servitudes.
L’évêque Guebhard, comte d’Urach (1131-1141) est le premier à bénéficier de ce type
d'élection. Son successeur, Burchard (1141-1162), chanoine et archidiacre de la cathédrale,
accède au siège épiscopal à l'issue d'un scrutin analogue. Henri de Hasenbourg (1180-1190)
et Conrad de Hunebourg (1190-1202) sont choisis par le chapitre cathédral parmi les
chanoines de Strasbourg.
2.4. La lutte de la bourgeoisie contre l’évêque
2.4.1. Le développement de la ville et le premier statut municipal
Maître temporel, l’évêque prend rang de prince et les chanoines se recrutent le plus souvent
dans la noblesse, noblesse laïque qui elle-même se développe dans la cité...mais les habitants
supportent mal la tutelle de leur seigneur-évêque : dès 1094 l’évêque Otton de Hohenstaufen,
sans doute par opportunité politique e, pleine querelle des investitures, cède aux bourgeois de
sa ville le droit d’élire des conseils chargés de l’administration intérieure de la ville.
Or, à partir du XIIè siècle (et jusqu'au milieu du XVè siècle), Strasbourg entre dans une des
plus grandes phases d'urbanisation de son histoire. D’abord sous l’action de l'Eglise puis sous
celle de la bourgeoisie, formée de commerçants et d’artisans, la société qui est en train de
naître ne cesse de s'étendre par cercles concentriques, appelant à elle toujours plus de biens
et plus d'hommes. Au début des années 1100, le premier agrandissement de Strasbourg est le
signe tangible de la croissance d'une cité encore dominée par l'évêque : les fonctions
artisanales et domestiques se développent, entraînant l'expansion des différents quartiers et
leur assimilation au cœur d'une seule et même enceinte. Une nouvelle enceinte est ainsi
créée : elle prend appui sur le rempart romain, puis s'étire à partir de l'actuelle place Broglie,
longe les rues de la Mésange, de la Haute-Montée et du Vieux-Marché-aux-Vins avant de
rejoindre Saint-Pierre-le-Vieux. De 1200 à 1220, une seconde extension porte les limites de la
ville au canal du Faux-Rempart et aux Ponts-Couverts. Cette enceinte qui a une valeur
symbolique tout autant que stratégique, délimite une ville de 10 000 habitants.
L’extension de la ville de Strasbourg depuis l’empire romain au second Reich
Ainsi, face à l'ancien camp romain tenu par l'évêque, la ville de Strasbourg, par l’action de ses
patriciens et bourgeois affirme aux XIIè et XIIIè siècles son identité communale par l’érection
de quelques monuments publics autour de la place Gutenberg : l'ancienne Pfalz, la
chancellerie, la monnaie et l'église Saint-Martin, édifice roman dont le plan a partiellement pu
être établi. Ainsi coexistent à cette époque une ville de l'évêque, correspondant à l'intérieur de
l'ancien castrum, et une ville bourgeoise dont le pôle est l'actuelle place Gutenberg. Il existe
bien entendu d’autres quartiers très anciens comme Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Michel ou
Sainte Aurélie, mais les données archéologiques sont encore trop fragmentaires pour s’en faire
une idée assez précise à cette époque.
Politiquement, vers 1131-1132 (certains historiens penchent pour 1146-1147), après les
droits accordés par l’évêque Otton en 1094, les bourgeois arrachent à leur seigneur évêque un
« premier statut municipal », alors que peu avant (1129) ils avaient obtenu de l’empereur
Lothaire III de Supplimbourg d’être affranchis de toute juridiction étrangère. Ce premier statut
municipal distingue deux catégories juridiques d'habitants :


les membres de la « familia episcopalis », les ministériaux ;
les bourgeois (cives ou burgenses).
Parmi les officiers ministériaux, se trouvent l'avoué (l'Eglise ne peut verser le sang) nommé
avec l'approbation du Conseil de l'évêque, l'écoutète, juge de basse-justice, le burgrave, sorte
de surintendant des bâtiments et fortifications, le tonloyer qui perçoit les taxes, le maître de la
monnaie qui régit l'atelier de Strasbourg où se frappent deniers et oboles d'argent.
2.4.2. Le déclin du pouvoir épiscopal
Le déclin du pouvoir épiscopal s'affirme à la fin du XIIè siècle, lié en partie aux évènements du
« Petit interrègne » : la mort en 1197 de Henri VI de Hohenstaufen, fils de Frédéric I
Barberousse (1147-1190) à Messine déclenche une terrible lutte pour la succession au trône
impérial entre son frère, Philippe de Hohenstaufen (1177-1208), duc de Souabe et d'Alsace, et
Othon de Brunswick, l’autre prétendant. Le pape Innocent III (1198-1216) prend position en
faveur des Welfs (Guelfes, ennemis jurés des Hohenstaufen), reconnaît Othon IV comme roi
d'Allemagne et frappe d'excommunication Philippe de Souabe et ses partisans.
A Strasbourg, les bourgeois, que Frédéric I Barberousse (1167-1190) avait toujours favorisés,
prennent le parti du Hohenstaufen tandis que l'évêque de Strasbourg Conrad de Hunebourg
(1190-1202) apporte son soutien à Othon de Brunswick. L'Alsace se trouve plongée dans une
longue suite de guerres féodales. Philippe de Souabe dévaste l’Alsace, met le feu au château
de Haldenburg (Mundolsheim), appartenant à l’évêque de Strasbourg, ravage la Robertsau et
assiège Strasbourg en 1198, obligeant l'évêque à capituler. Disposant du soutien du Roi de
France Philippe Auguste, il réussit à se concilier le pape et est couronné empereur en 1198.
Philippe de Souabe. Statue de la Steinerne Brücke, Ratisbonne, vers 1207
2.4.3. Le second statut et le conseil du municipe
2.4.4. Walther (Gauthier) de Hohen-Geroldseck
Après 1258 la lutte devient plus âpre entre l'évêque et le Conseil des bourgeois au sujet de
leurs droits respectifs. D’autant que la mort de Frédéric II fin 1250 avait ouvert une crise de
successions sans précédent dans l’empire. Parmi les prétendants, le prince anglais Richard de
Cornouailles exerce depuis 1256 une influence prépondérante dans les affaires d’Alsace. Il
s’allie l’appui de l’évêque de Strasbourg, le rétablit dans ses prérogatives de comte de
Strasbourg et le nomme bailli impérial à Haguenau : comme de plus, l’évêque est « de jure »
landgrave d’Alsace, ce cumul des pouvoirs inquiète non seulement les bourgeois de
Strasbourg, mais toutes les villes d’Alsace récemment indépendantes… L’évêque de
Strasbourg est alors au faîte de sa puissance : outre ses possessions temporaires (12 baillages
et trois comtés avec plus de 150 000 habitants, 41 châteaux, 4 000 cavaliers et 12 000
fantassins)…
La situation se tend encore en 1260 : le chapitre cathédral élit à la succession de Stahleck le
prévôt Walther (Gauthier) de Hohen-Geroldseck, 29 ans, un jeune ambitieux qui entend
mettre à raison non seulement les bourgeois de Strasbourg, mais aussi ceux de Colmar et de
Mulhouse, et rétablir ainsi une autorité absolue digne de son ambition sans bornes. Contre
l’avis de son oncle, lui aussi membre du chapitre, Henri de Geroldseck, qui recommande la
sagesse et préconise l’entente avec les bourgeois. Sitôt installé sur le trône épiscopal,
Gauthier lance, en allemand, un manifeste de griefs à l'égard des bourgeois, véritable
déclaration de guerre : il veut rétablir dans toute leur rigueur ses droits temporels de comteburgrave de Strasbourg. Pour ce faire, il menace d’user de tous les moyens de contrainte que
lui confère son autorité épiscopale, au premier rang desquels l’interdit et l’excommunication.
Blason de Walter de Geroldseck
Voici quelques unes de ces prérogatives édictés en 982 à Salerne par l'empereur Othon II au
bénéfice des comtes-évêques de Strasbourg, que Gauthier entend rétablir :





Article 88 : « Les négociants de la ville fourniront 24 messagers à cheval pour faire les
courses du comte-évêque. Les bourgeois seront tenus d'héberger et de nourrir à leurs
frais les destriers de la cavalerie épiscopale et les chevaux de l'empereur et de sa
suite, toutes les fois que le monarque passe à Strasbourg.
Tous les bourgeois devront cinq jours de corvée à l'évêque. »
Article 102 : « Les pelletiers seront chargés de confectionner et de réparer les
fourrures dont le seigneur-évêque a besoin, à charge au maître de cette corporation
de faire les achats de peaux sur les marchés de Mayence et de Cologne.
Lorsque l'évêque entre en campagne, chaque maréchal-ferrant devra lui livrer
gratuitement 4 fers à cheval avec les clous nécessaires ainsi que 300 flèches d'archers
et leur corporation sera tenue d'exécuter sans rémunération tous les travaux de
ferronnerie dans le château épiscopal. »
Articles 108 et 109: « Obligation sera faite aux cordonniers de fabriquer gratuitement
des étuis en cuir noir et aux gantiers des étuis en peau blanche pour le transport de
l'argenterie lorsque l'évêque se rend à la Cour impériale. Les selliers fourniront à cette
occasion 2 selles de bât et 4 quand l'évêque part en guerre. »




Article 111 : « Les armuriers devront polir les casques, les cuirasses et fourbir les
armes de guerre et de chasse à l'usage du comte-évêque et de ses hauts
fonctionnaires. Les fabricants de gobelets seront appelés à livrer à leurs frais tous les
objets de vaisselle des châteaux épiscopaux et des cantines de guerre. »
Article 113 : « Les tonneliers de la ville seront tenus de fabriquer gratuitement à
l'évêque (ainsi qu'à l'empereur et à l'impératrice de passage) les tonneaux, cuves,
vannes de bains, etc... qu'on exigera d'eux. Les marchands de vin et les gourmets
auront à charge l'entretien des celliers et des greniers épiscopaux. »
Article 115 : « Chaque lundi de la semaine les charpentiers seront requis d'office pour
les travaux de constructions épiscopales.
Lors d'une visite de l'empereur, toutes les réquisitions d'objets, de denrées, et de
prestations de services seront imposées de droit à tous les ressortissants de la classe
laborieuse. »…
2.4.5. Hausbergen, l'heure de la liberté pour la ville
Immédiatement, les incidents entre l’évêque et la ville se multiplient. En vain le magistrat et
les bourgeois plaident-ils la cause de leur ville, exhibant les lettres patentes de ses privilèges
acquis ; l'évêque reste intraitable. L'épreuve de force devenant inévitable, on se prépare à la
guerre de part et d'autre. Un premier acte d'hostilité survient le lendemain de la Pentecôte
1260, lorsque les Strasbourgeois détruisent la vigie épiscopale du Haldenberg, sur la colline
d'Oberhausbergen. Gauthier de Geroldseck riposte en mettant la population de la ville au ban
de l'Église, enjoignant aux membres du Grand Chapitre de quitter la cité pour Dachstein, afin
de priver ses habitants du secours de la religion. Les chanoines obtempèrent, à l'exception de
deux : Bechtold d'Ochsenstein, un vieillard impotent et Henri de Geroldseck, le cousin
savernois de l'évêque qui avait pris parti pour la population. Avec les chanoines du Chapitre,
60 nobles, commensaux de l'évêque désertent également leurs foyers, emportant avec eux le
Trésor municipal. Les bourgeois strasbourgeois s'empressent de piller les maisons
abandonnées et de les démolir.
La bataille de Hausbergen d’après une aquarelle de E. Schweitzer tirée de Strasbourg Historique et pittoresque
d’A. Seyboth (1894)
Replié à Molsheim, Gauthier de Geroldseck mobilise ses alliés. L’évêque de Trèves envoie une
armée forte de 1 700 guerriers qui cantonne aux abords de Strasbourg ; l'abbé de Saint-Gall
en Suisse, celui de Murbach, le comte Rodolphe de Habsbourg, landgrave de Haute-Alsace,
ainsi que tous les hommes-lige de l'évêque en Alsace arrivent en renfort dans le camp
épiscopal établi à Holzheim. Après avoir investi le château de Lingolsheim, les forces coalisées
des nobles ouvrent le siège de la ville en déployant leurs effectifs entre Eckbolsheim et
Kœnigshoffen.
Débute alors une « drôle de guerre » sans accrochage sérieux, fait de coups de mains et
d’escarmouches… ainsi en juillet 1261 les bourgeois strasbourgeois enlèvent à l'évêque de
Trèves un lourd convoi chargé d'armes et de munitions et capturent 60 chevaux de leurs
poursuivants, laissant trois morts sur le terrain. Cette échauffourée est suivie d'un armistice
pour la rentrée des récoltes. Pendant cette trêve le comte Rodolphe de Habsbourg, landgrave
de Haute-Alsace, change de camp. Il entre dans la ville et jure une alliance avec les
Strasbourgeois, qui le nomment Commandant suprême de la place forte, le 18 septembre
1261.
En diversion, l'évêque Gauthier de Géroldseck porte alors la guerre en Haute-Alsace, attaque
Kaysersberg, investit Colmar et Mulhouse et fait détruire les faubourgs de la cité assiégée. En
représailles, les Strasbourgeois tombent nuitamment sur les quatre villages épiscopaux de
Wolfisheim, Breuschwickersheim, Schaefelsheim (Oberschaeffolsheim) et Achenheim qu’ils
incendient. Quinze soldats de la milice des bourgeois qui s'étaient attardés dans une cave de
Wolfisheim pour boire, sont surpris par des cavaliers de l'évêque qui les mettent à mort après
leur avoir coupé les mains et les pieds.
Après deux années de cette guerre d'usure, sonne l'heure de l'ultime affrontement. Il a lieu à
Oberhausbergen, le « Crécy alsacien », le 8 mars 1262. Un incident mineur à Mundolsheim
tourne à la bataille rangée. Trop confiant dans sa lourde cavalerie, l’évêque charge la milice à
pied de la ville sans attendre son infanterie : c’est un désastre : la cavalerie épiscopale est
culbutée et près de 70 nobles ne se relèveront pas. L’évêque est obligé de fuir et se retire à
Molsheim, abandonnant ses prérogatives sur la cité. Il meurt l’année suivante à 32 ans, de
rage, dit-on…
Sceau de Walter de Geroldseck
La paix, conclue entre la ville et le nouvel évêque Henri de Géroldseck, cousin du défunt,
confirme le 21 avril 1263 l'indépendance complète du Conseil ; les prétentions ducales
passées et futures de l'évêque de Strasbourg sont déclarées nulles et irrecevables ; désormais
Strasbourg est une ville libre et son avenir confié à son seul Conseil. De plus, la gestion de
l'œuvre Notre-Dame, chargée de la construction et de l'entretien de la cathédrale est retirée à
l'évêque et confiée au grand-chapitre ; l'interdit n'est levé que le 23 juin 1265 mais, dès avant
cette date, est éteinte la domination épiscopale sur la cité. Cette bataille n’est qu’une étape,
car les bourgeois, force économique de la ville, veulent aussi se libérer de la tutelle
insupportable de la noblesse strasbourgeoise que la victoire sur l’évêque a grisée.
3. Le Bas Moyen Age : la naissance de la république :
1262-1450
Vie politique : la constitution de la république
Le développement de la cité
3.1. Vie politique : la constitution de la république
Ainsi à Strasbourg le parti laïc triomphe, dominé par la noblesse et quelques grandes familles.
Mais en son sein, les bourgeois et artisans, force économique de la ville, veulent désormais à
leur tour se libérer de la tutelle insupportable de la noblesse strasbourgeoise que la victoire
sur l’évêque a grisée.
3.1.1. Strasbourg sous la domination du patriciat : 1263-1349
Le nouveau pouvoir en place à la mort de Gauthier, le « Patriarcat », terme un peu mythique
désignant en fait les citadins les plus riches et les plus influents, dont une bonne partie de
nobles. C'est à ceux que les textes nomment « les meilleurs, les plus sages de la ville » que
Strasbourg doit son émancipation de la tutelle épiscopale ; ces personnages, groupés sous le
nom, contesté par certains mais commode, de patriciat, vont administrer, seuls, la cité,
jusqu'en 1332-1349, date de l'établissement, à la suite d'une « révolution », d'un régime
politique marqué par la prépondérance des gens de métiers.
Ce gouvernement du patriciat correspond, au XIIIè siècle, à une grande époque de l'histoire
de la ville. Dans le domaine politique, le patriarcat établit d’excellentes relations avec le
« pouvoir central », roi ou empereur de Germanie : lorsque le 30 septembre 1273 le comte
Rodolphe de Habsbourg est élu roi d'Allemagne, Strasbourg est en liesse : la ville accueille le
souverain dans un déploiement le luxe inégalé. En 1274, le roi revient deux fois, confirme tous
les privilèges de la ville et les renouvelle dans une charte donnée à Haguenau le 8 décembre
1275 ; il y repassera avant de mourir. Strasbourg placera sa statue équestre sur la façade de
la nouvelle cathédrale à côté de celles de Clovis et de Dagobert.
Le gisant de Rodolphe de Habsbourg (1218-1291), roi des Romains (1273-1291). Cathédrale se Spire
Mais rapidement les querelles reprennent pour le pouvoir, donnant quelques fois à l'évêque de
la ville, qui reste un seigneur très influent et très puissant, l’occasion de jouer de son influence
dans les différents camps au gré de ses intérêts. A l'intérieur de la cité, le pouvoir est
fermement tenu par les anciens lignages qui se retrouvent au Conseil (Rat) comprenant 24
membres, parmi lesquels 4 maîtres (Stettmeister) exerçant, à tour de rôle, la présidence
pendant un trimestre. La noblesse y détient la prééminence, chaque siège constituant une
sorte de prébende attachée à un nom et à une famille, les plus éminentes étant celles des
Zorn et des Müllenheim, qui rapidement vont sombrer dans d’incessantes querelles.
Strasbourg : la Pfalz et la Monnaie
En 1321 le Conseil fait construire pour ses séances, un bâtiment nouveau, premier hôtel de
ville sui sera détruit en 1780 : la Pfalz ; non loin, le « Pfennigturm » abrite la recette
municipale ; l'Œuvre Notre-Dame, organe administratif de la cathédrale, passe du chapitre à
la ville en 1382, si bien que la responsabilité des ultimes campagnes de construction
échappera totalement à l'autorité religieuse. Il en est de même, peu à peu, des institutions
charitables comme le grand Hôpital (« Mehrer Spital ») fondé au début du XIIe siècle par
l'évêque Cunon, et de la Monnaie saisie au détriment de l'évêque, par engagement d'abord
(1296, 1306), de vive force ensuite (1391, 1422). En 1508, l'empereur Maximilien accordera à
la ville le droit de frapper des florins d'or.
3.1.2. Le rôle croissant des corporations
Mais les premières années du XIVè siècle voient l’émergence d’une troisième force
économique, sociale et politique. Tenu à l'écart des affaires publiques, le mouvement
corporatif artisanal, force économique principale de la cité, revendique avec vigueur sa
participation au gouvernement des cités. Cette prise de conscience politique de la classe
laborieuse surprend le pouvoir traditionnel par sa dynamique et l'ampleur de son programme
revendicatif. Rapidement, les locaux de réunion des corporations, des tavernes privées dites
« poêles », deviennent des lieux d’agitation et de contestation du pouvoir patriarcal. Un
premier incident sérieux oppose les artisans à quelques membres de la noblesse de la ville en
1308 : au cours d’une échauffourée sur le pont de la Haute Montée, il y a plusieurs morts du
côté des artisans. Les vexations permanentes de la noblesse à l’endroit des artisans (refus de
payer les dettes, maintien du système féodal…) entraînent de plus en plus d’incidents. Cette
situation voit le rapprochement des familles notables non nobles d'une part, et des
associations ouvrières liées au développement démographique et économique d'autre part.
La première révolte de la bourgeoisie contre la noblesse de Strasbourg : le combat de la Haute Montée en
1308, d’après une aquarelle de E. Schweitzer tirée de Strasbourg Historique et pittoresque de A. Seyboth
(1894)
Un premier coup de force à lieu après le fameux « Geschölle » du 20 mai 1332 : cette nuit-là
en effet, à l'issue d'un banquet officiel du Conseil du Magistrat donné dans le jardin de la
résidence des Ochsenstein (Ochsensteiner Hof) au 9, rue Brûlée, un incident entre nobles Zorn
et Müllenheim dégénère en bataille générale opposant deux jours durant les deux factions
nobles : on relève 21 tués. Les Maîtres des Corporations et les bourgeois influents
interviennent alors en force et obtiennent le transfert (provisoire) du pouvoir exécutif à un
Conseil des maîtres des corporations et la remise provisoire des clefs de la ville, du sceau
officiel et de l'étendard municipal. Les partis nobles sont désarmés. Un nouveau conseil urbain
de 24 membres est formé, présidé à tour de rôle par 4 maîtres des corporations qui se
relaieront tous les trois mois. Ce gouvernement provisoire sera chargé d'élaborer une nouvelle
Constitution.
Blason des Zorn
Blason des Müllenheim. Vers 1437 Paris, musée
de Cluny
Suit une série de procès d'épuration : les nobles impliqués dans les « événements de mai » et
la plupart de leurs partisans, sont expulsés de la ville le 12 août ; l'ex-Stettmeister Jean Sicke
est banni à vie ; la taverne du clan des Zorn « A la Haute-Montée », est démolie. En même
temps est scellée la réconciliation entre les divers partis.
La nouvelle constitution est mise en place en 1334 : ce quatrième statut municipal reflète un
régime plus équilibré : le Conseil comprend 8 nobles, 14 patriciens bourgeois (plus de 3
maîtres) et l'Ammeister, et 25 artisans. En même temps est instaurée la cérémonie annuelle
de prestation de serment à cette nouvelle constitution le « Schwörbrief » : la première
prestation se déroule le 17 octobre 1335 devant l'ancien Hôtel de ville (Fronhof), les suivantes
auront lieu sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. Ce texte fondamental du
« Schwörbrief », expression de l'unité et de la solidarité de la bourgeoisie, va subsister
jusqu'en 1789.
Le Schwoerbrief, lettre de serment de la ville de Strasbourg. 1443. Archives municipales de Strasbourg
3.1.3. La ville aux corporations : 1348-1349
En 1328 l'empereur Louis de Bavière confirme les anciens privilèges et le nouveau statut de la
ville : Strasbourg ne dépend que du pouvoir de l'Empereur. En 1358, l'empereur Charles IV la
qualifie de « freie Stadt », mettant en relief sa situation exceptionnelle par rapport aux villes
alsaciennes de la Décapole (1354) ; elle est proche, par ses franchises, de Cologne, de
Mayence ou de Spire. Elle ne prête pas serment à l'Empereur ; elle envoie ses délégués aux
Diètes impériales, bénéficie au civil du privilège de « non appellando » à l'égard de la Chambre
impériale de Spire créée en 1495, est exempte de tout impôt régulier, sauf de « dons
gratuits », et ne doit souscrire qu'à une obligation : fournir à l'Empereur le contingent pour la
guerre. La seule véritable menace qui peut la contraindre est la « mise au ban » de l'Empire :
ce sera le cas au moment de la crise religieuse du XVIe siècle qui opposera Strasbourg à
Charles Quint.
Le régime du gouvernement des bourgeois notables ne dure cependant pas : les corporations
jugent en effet insuffisantes les concessions qui lui ont été accordées, alors que les nobles
méditent leur revanche. La tension augmente à partir de l’été 1348 lors de l'irruption dans la
vallée du Rhin -et à Strasbourg- de la peste noire qui dévaste l’Europe et entraîne une violente
vague d'antisémitisme. Les Juifs, nombreux dans la ville, sont accusés d'avoir empoisonné les
puits. La foule excitée et menée par les chefs de la corporation des Bouchers dénonce la
« complicité » des notables qui les protègent. L'Ammeister en place Pierre Schwarber et ses
deux Stettmeisters sont destitués et doivent s'enfuir. Les corporations prennent les armes, un
nouveau Conseil est institué et la constitution modifiée : rétablissement des 4 Stettmeister,
choix de l'Ammeister au sein des corporations. Le « patron » des Bouchers, fer de lance de
cette révolution, Jean Betschold assume le premier cette fonction.
La victoire des corporations détermine le sort réservé aux Juifs : le 14 février, sur
recommandation d’une assemblée convoquée à Benfeld début février et comprenant des
délégués des villes impériales et des évêchés, près de 900 d'entre eux (sur les 2 000 qui
vivent dans la ville) sont brûlés ; les créances sont annulées, l'argent liquide va à l'Œuvre
Notre-Dame. Les Juifs reviendront assez rapidement dans la cité mais en 1488, le Conseil leur
interdira d'y établir domicile, ne les autorisant qu'à venir pendant le jour pour leurs affaires et
les obligeant à en sortir le soir, dès l'appel du son de trompe lancé du haut de la plate-forme
de la cathédrale (« Judenblos » de la « Krüselhorn »). L'épidémie fait périr environ 15% de la
population, soit 2 500 âmes. Des processions de flagellants accusent le trouble des esprits.
Victimes de la peste par vindicte populaire, les Juifs
sont brûlés à Strasbourg le 14 février 1349
Le massacre des Juifs de Strasbourg lors de la
grande peste. Tableau d’Eugène Beyer
Forte de cette indépendance de fait, la ville met au point ses institutions par des retouches, en
apparence mineures, mais aux répercussions profondes. Pérennité des fonctions au sein de
certains groupes -dont celui, puissant, des anciens Ammeister-, substitution, au Conseil du
système des « Chambres secrètes », celles des XXI, des XIII, et des XV qui combinent les
deux principes de permanence et de mobilité, en y ajoutant la spécialisation des personnes,
des familles, des groupes, voire des clientèles. Au-dehors, existe toujours, mais siégeant peu
souvent, l'assemblée des échevins, recrutés au nombre de 15 par chacune des 20
corporations.
3.1.4. La consolidation de la « république » : 1384-1422
En 1419, par une sécession spectaculaire et un départ de la cité, la noblesse tente de
retrouver son pouvoir avec l’appui de l’évêque Guillaume de Diest (1394-1439), un
personnage particulièrement indigne dont l’épiscopat de 45 ans, le plus long de toute l'histoire
du siège de Strasbourg, sera un scandale quasi permanent. L’affaire remonte en fait au 25
juillet 1384 : à cette date, l’évêque de Strasbourg Frédéric II de Blanckenheim (1375-1393),
29 ans et tout aussi scandaleux que Diest, achète à l'empereur Wenceslas la charge
perpétuelle et transmissible de Landgrave d'Alsace en aliénant, pour payer cette charge,
d'importants domaines diocésains de part et d'autre du Rhin. L’affaire irrite fort les
Strasbourgeois.
Blason des Diest
Quelques années plus tard, en 1388, Strasbourg construit un pont sur le Rhin, bientôt déclaré
d’utilité publique pour le Saint Empire par l'empereur Wenceslas. La ville est autorisée à
prélever un droit de péage, pour financer l'entretien de l'ouvrage. Aussitôt, les ennemis de
Strasbourg mobilisent contre ce droit : le grand bailli de Haguenau, l'évêque Frédéric II de
Blankenheim et ses grands et petits seigneurs alliés de part et d'autre du Rhin et même les
villes de la Décapole d'Alsace se mobilisent et c’est la guerre. Wenceslas lui-même s’en mêle
et met la ville au ban de l’empire. Entre septembre et décembre 1392, la ville est assiégée, les
faubourgs dévastés et le pont attaqué. Mais elle résiste et finalement l’emporte sur le terrain.
Wenceslas finit par lever le ban et confirme la ville dans ses droits le 2 février 1393. C’est un
terrible échec pour les coalisés et la position de l’évêque devient intenable : le 21 juillet 1393,
Frédéric de Blanckenheim quitte Strasbourg de nuit, tel un malfaiteur… pour retrouver un
siège épiscopal à Utrecht, où il est transféré par Boniface IX.
Blason des Blanckenheim
Le nouvel évêque Guillaume II de Diest hérite, avec le titre de Landgrave, du conflit. Il
cherche alors l’appui de la noblesse qu’il sait prête à revenir aux affaires… En 1415, la
situation est si tendue que les Strasbourgeois prennent l’évêque en otage dans sa résidence
de Dachstein près Molsheim, et l'enferment dans les combles de la chapelle Saint-Jean de sa
propre cathédrale ! Ils ne le relâchent que le 4 mai 1416, sur un ordre express de l'empereur
Sigismond, à la demande du Concile de Constance. L’évêque prépare sa revanche et s’étant
assuré le soutien de plusieurs seigneurs alsaciens, notamment Armand de Waldner, Rodolphe
de Neuenstein, Jean de Munstrol, Thénien de Hattstatt, entre en guerre contre la ville. Les
opérations se déroulent principalement dans le secteur de l’entrée de la vallée de la Bruche
autour des cités de Bergbieten, Molsheim, Mutzig et Dachstein. Cette « Guerre de Dachstein »
va durer jusqu'au compromis de 1422, compromis qui en fait consolide définitivement le
régime des métiers.
Le problème sera dorénavant, pour Strasbourg, de trouver des nobles -par suite de l'extinction
progressive des familles et de leur non-renouvellement- susceptibles de remplir certains
postes réservés, dont ceux de Stettmeister. Les corporations, armature du régime politique,
jouent un rôle administratif, religieux et social, rôle variable suivant l'importance numérique,
la fortune, la valeur des personnalités et des bâtiments (poêles) où elles se réunissent.
3.1.5. Les institutions de la ville au XVè siècle
Après ces dernières péripéties, la constitution de la cité a pratiquement trouvé sa forme
définitive. Strasbourg relève directement du saint Empire Romain germanique, mais pas de
l’empereur lui-même qui de ce fait n’a que peu de pouvoirs sur elle. C’est donc une ville
quasiment autonome, chose rare au XVe siècle. Au XVe siècle, les corporations ont pris
définitivement le dessus sur la noblesse et réalisé les principales modifications
institutionnelles. Mais dès la fin du XIVe, début XVe siècle apparaissent des organes qui vont
vicier quelque peu l’idéal républicain que l’organisation institutionnelle originaire pouvait
représenter.
3.1.5.1. Les Organes élémentaires
Juridiquement, la ville est une ville libre du Saint Empire Romain Germanique. Elle est dotée
d’un régime constitutionnel qualifié de « république », forme de gouvernement où le pouvoir
et la puissance ne sont pas détenus par un seul et dans lequel la charge de chef de l’entité
juridique n’est pas héréditaire. C’est un régime institutionnel complexe au sein duquel
plusieurs organes plus ou moins indépendants concourent à l’exercice du pouvoir.
3.1.5.1.1. Le pouvoir exécutif
A Strasbourg, le pouvoir exécutif est détenu par deux organes, l’un individuel, l’autre collégial.


L’Ammeister
L’organe exécutif individuel est celui de l’Ammeister, le chef de la ville. Il est élu par
les délégués des corporations et est toujours issu d’elles. Son mandat est d’un an :
cette courte durée pose un problème de stabilité et d’efficacité. C’est pourquoi en
1371, la durée du mandat est portée à 10 ans, mais, par crainte de l’établissement
d’une dictature, ce système est rapidement et on revient au mandat d’un an.
L’Ammeister peut être réélu dans les 5 années qui suivent la fin de son mandat.
Les « Alt-Ammeister » (anciens Ammeister) forment un groupe qui assiste l’Ammeister
de manière officieuse dans sa tâche, ce qui entraîne en général une plus grande
continuité dans les politiques mises en œuvre par l’exécutif grâce à l’influence que ces
derniers exercent en général sur l’Ammeister en titre.
Les Stettmeister
Le second organe du pouvoir exécutif est détenu par les quatre Stettmeister, élus pour
un an par le conseil entier au sein du patriciat, par opposition avec l’Ammeister, élu au
sein des corporations et par elles seules. Un Stettmeister ne peut être réélu sans avoir
laissé passer un délai entre la fin de son mandat et sa réélection. Les quatre
Stettmeister forment un conseil présidé par l’un d’eux pendant un semestre selon un
système de roulement.
Leurs prérogatives sont peu importantes :.Au XVè ils ne sont plus que des
fonctionnaires sans réels pouvoirs d’initiative.
3.1.5.1.2. Le pouvoir législatif : le Rat
Le pouvoir législatif est détenu par un organe collégial élu : le « Rat » délibère, édicte les lois
et délègue ses pouvoirs... C’est lui qui détient, en théorie, le pouvoir législatif.
Dès 1456 les membres du conseil sont élus pour deux ans. Chaque année la moitié du conseil
est renouvelé. Pour être élu, il faut être âgé d’au moins 25 ans, être de naissance légitime et
ne pas bénéficier d’un poste de fonctionnaire au service de la ville, de l’évêque ou d’un
seigneur.
Les élections se déroulent dans les 10 premiers jours du mois de janvier. Les représentants
des corporations au conseil sont, jusqu’en 1433, élus par le conseil sortant, puis, à partir de
1433 par les échevins de chacune des corporations. Entre 1349 à 1420, le conseil est formé de
58 membres, répartis entre « Constofler » (bourgeois notables et nobles) et représentants des
corporations, plus les 4 Stettmeister en fonction. Mais en 1420 (suite à la « guerre de
Dachstein), le nombre des sièges accordés aux « Constofler » est réduit et ils ne disposent
plus que de 1/3 des sièges, contre 2/3 aux représentants des corporations, qui disposent donc
de Dès lors, les représentants des corporations occupent 28 sièges et les patriciens 14 sièges,
soit un total de 43 sièges avec l’Ammeister.
Cette composition va être à nouveau modifiée au cours de la seconde moitié du XVe siècle. La
ville profite de la réorganisation générale des corporations pour supprimer des sièges au
conseil. En 1462, 1470 et 1482, huit corporations disparaissent, entraînant la suppression de
leurs sièges respectifs, mais aussi de sièges détenus par les « Constofler » afin de respecter
la règle du 2/3-1/3.
Suite à ces modifications, le conseil trouve en 1482 sa structure définitive qu’il gardera
jusqu’en 1789 : un « Rat » de 31 membres : l’Ammeister, 10 Constofler et 20 membres des
corporations.
3.1.5.2. Les chambres secrètes et le conseil de la ville
L’organisation législative et exécutive « traditionnelle » de la ville est relativement instable vu
la courte durée des mandats. Elle est compensée par l’existence de « chambres secrètes »
dont les membres sont nommés à vie et d’échevins, ce qui relativise quelque peu la valeur
« démocratique » de la république de Strasbourg… Ces organes permettent un exercice plus
efficace du pouvoir car ils favorisent une stabilité (chambres secrètes) et une participation des
élites (échevins des corporations) à la vie politique de la cité. Le pouvoir n’est donc pas laissé
exclusivement au conseil et au chef de la ville.
Les chambres secrètes sont au nombre de trois, la chambre des XXI, celle des XV et des XIII.
Leurs membres sont les mêmes : ainsi, les membres de la chambre des XXI qui siègent au
conseil sont répartis entre la prestigieuse chambre des XIII et la chambre des XV qui siègent
séparément.
3.1.5.2.1. La chambre des XXI
La chambre des XXI est à l’origine une assemblée de « sages de la ville » que consultait le
conseil, mais qui ne disposait pas du pouvoir de décision. Il n’acquiert ce droit de vote qu’en
1413, et finit par dominer le conseil. Composé à l’origine de 21 « sages » il passe à 24
membres (1403), puis à 31 (1407) et enfin à 32 (sur 43 conseillers !). Ce conseil détient le
pouvoir effectif : son vote précède celui des autres conseillers, privilège de première
importance et de première influence sur les autres votes. Cependant, le conseil des XXI ne
peut siéger indépendamment. Il n’a en effet aucun statut juridique et ne possède pas de
sceau propre. Ses compétences sont très étendues : la chambre participe à tous les travaux
du conseil, hormis lorsqu’il siège en tant que tribunal. Son pouvoir est de premier ordre
puisque ses membres sont nommés à vie, ce qui leur confère un prestige certain ainsi qu’une
expérience supérieure à celle des conseillers élus pour deux ans. Les 32 membres de la
chambre des XXI se répartissent en deux autres chambres, celle des XV et la plus
prestigieuse, celle des XIII, à raison de 15 membres dans la première et de 13 dans la
seconde ; ne restent alors que 4 membres, les « vacants » (« ledige einundzwanziger ») qui
ont pour fonction de remplacer un membre décédé ou disparu dans l’une des deux chambres.
3.1.5.2.2. La chambre des XV
La chambre des XV est créée en 1433. Son rôle est de contrôler l’application et le
fonctionnement de la constitution, autrement dit de contrôler les dirigeants et de proposer des
mesures propres à améliorer le régime. C’est la chambre qui a le moins de pouvoir mais son
rôle est crucial pour la survie et l’évolution de la République. Elle est aussi compétente en
matière de direction de l’administration, des finances, des constructions, de la police et des
métiers...
3.1.5.2.3. La chambre des XIII
La chambre des XIII est la plus prestigieuse : elle est la survivance d’un comité militaire de 5
membres institué en 1392, lors de la guerre qui suivit la mise au ban de Strasbourg par
l’empereur Wenceslas. Ce conseil est présidé par l’Ammeister et composée de 4 « Constofler »
et de 8 représentants des métiers, dont 4 anciens Ammeister. La chambre des XIII possède
une personnalité juridique propre et dispose d’un sceau particulier. Elle peut siéger
séparément de toute autre institution, mais ne peut décider sans l’accord du conseil et des
XXI.
La chambre des XIII s’occupe des questions militaires et diplomatiques ; elle est responsable
de l’organisation de la milice, du recrutement des mercenaires, de la gestion des fortifications,
de l’importation et de la fabrication des armes, de la composition des ambassades et de la
conclusion des traités.
Ainsi, ce sont donc les chambres qui imposent leur point de vue au conseil, ce dernier ne
conservant pleinement au final que sa fonction judiciaire.
3.1.5.2.4. Les échevins
Les échevins sont à l’origine (1214) assesseurs dans les tribunaux, tous patriciens. Ils
pouvaient être réunis en assemblée sur convocation du conseil afin d’exprimer leur point de
vue sur certaines affaires et d’approuver des décisions importantes.
Leur composition et leur rôle se modifient au XVe siècle : en 1420 que les « Constofler » sont
définitivement éliminés de l’échevinage. En 1437, une ordonnance fixe à 15 le nombre des
échevins au sein d’une corporation. Comme à cette date il existe 28 corporations, il y a en
principe 420 échevins pour la ville... Mais comme certaines corporations ne comptent que peu
d’artisans, il ont beaucoup moins d’échevins, alors que les corporations riches et influentes en
possèdent plus : ainsi les orfèvres, les bateliers ou les merciers ont respectivement 22, 30 et
25 échevins. Finalement, en 1482, après l’élimination des 8 corporations, il y a en tout 300
échevins pour 20 corporations. Ce nombre sera respecté jusqu’en 1789.
Au XVe siècle les échevins siègent dans les tribunaux et peuvent être convoqués au complet
par le conseil, mais uniquement sur décision du conseil et des XXI pour les questions difficiles.
Les échevins délibèrent en collaboration avec le conseil de questions précises qui leur sont
soumises. Leur avis est uniquement consultatif. Enfin, les échevins de chaque corporation ont
le droit d’élire le représentant de leur corporation au conseil grâce à l’ordonnance de 1433.
3.1.5.3. Conclusion
Ainsi, la république de Strasbourg est un régime relativement évolué pour son époque et sa
constitution est assez complète. Elle est exemplaire de la fin de l’emprise de la noblesse sur
les grandes villes qui s’affranchissent de tout gouvernement non élu afin de garder une
indépendance nécessaire à leur développement social et économique. Mais ce régime montre
ses limites dans la mesure où il est relativement ploutocratique, donnant de fait le pouvoir aux
bourgeois les plus influents et les plus riches de la cité. L’évolution des institutions et de la vie
politique strasbourgeoise est un exemple frappant d’une évolution générale qui aboutit à la
création d’une nouvelle élite, la bourgeoisie.
3.2. Le développement de la cité
3.2.1. L’extension de la ville
L’extension de la ville de Strasbourg depuis l’empire romain au second Reich
A partir du XIIè siècle, et jusqu'au milieu du XVe siècle, Strasbourg entre dans une des plus
grandes phases d'urbanisation de son histoire : cette urbanisation est due d’abord à l’action de
l’évêque et du chapitre, puis elle est relayée, et souvent concurrencée, par celle de la
bourgeoisie, formée de commerçants et d’artisans : la société qui est en train de naître ne
cesse de s'étendre par cercles concentriques, appelant à elle toujours plus de biens et plus
d'hommes.
3.2.1.1. La première extension : XIIè
Au début des années 1100, le premier agrandissement de Strasbourg est le signe tangible de
la croissance d'une cité encore dominée par l'évêque : les fonctions artisanales et domestiques
se développent, entraînant l'expansion des différents quartiers et leur assimilation au cœur
d'une seule et même enceinte. Une nouvelle enceinte est créée : elle s’appuie sur le rempart
romain, et, à partir de l'actuelle place Broglie, longe les rues de la Mésange, de la HauteMontée et du Vieux-Marché-aux-Vins avant de rejoindre Saint-Pierre-le-Vieux.
3.2.1.2. La seconde extension : 1200-1220
De 1200 à 1220, une seconde extension porte les limites de la ville au canal du Faux-Rempart
et aux Ponts-Couverts. Cette enceinte délimite une ville de 10 000 habitants et s’enrichit de
nouveaux quartiers autour des églises Saint-Pierre-le-Jeune et Saint-Pierre-le-Vieux. Les
nombreuses tours de fortification qui jalonnent le rempart ne disparaitront du paysage urbain
qu'au XIXè siècle.
3.2.1.3. La troisième extension : 1228-1344
Le troisième agrandissement, entre 1228 et 1334 marque un cap décisif dans l'évolution de
Strasbourg d'un point de vue économique, politique et architectural : il intègre des corps de
métiers dont la ville dépend étroitement et englobant des quartiers de jardiniers, de pêcheurs,
de bateliers et de bouchers (Finkwiller, quai des Bateliers, rue des Bouchers, rue d'Or)
L’enceinte est une construction de briques, aux larges créneaux et portant un chemin de ronde
(Vestiges entre l'église Sainte-Madeleine et la rue du Fossé-des-Orphelins). Elle est flanquée
de tours carrées. Ce dispositif de défense est particulièrement renforcé sur le bras de l'Ill,
ouvert au trafic fluvial : c’est le système des « Ponts-Couverts » : les quatre tours actuelles
faisaient partie des remparts et étaient reliées par des ponts couverts d'une toiture en bois
(disparue au XVIIIè siècle). Ces tours abritent les corps de garde et servent aussi prisons et
veillent sur le canal de navigation et les moulins disposés sur les autres bras de la rivière.
Reste aussi de cette enceinte la « Porte de l’Hôpital ».
Strasbourg : reste de fortifications du Moyen-âge
rue du fossé des Orphelins
Strasbourg Krutenau : partie du mur d’enceinte
médiévale derrière l’église Sainte Madeleine
3.2.1.4. La quatrième extension : 1370-1390
Dans les années 1370-1390, à la fin de la seconde phase de la Guerre de Cent Ans en France,
la population redoute l'invasion des bandes de pillards et de grandes compagnies qui
parcourent la France sans combattre. Aussi la municipalité décide de protéger les parties
Ouest et Nord de la ville. Ce quatrième agrandissement repousse les murailles à l'Ouest et au
Nord-Ouest en assimilant surtout les quartiers maraîchers et les nombreux jardins des
faubourgs Blanc, de Saverne et de Pierre.
3.2.1.5. La dernière extension : 1387-1441
La dernière extension se situe entre 1387 à 1441 et consacre la puissance de Strasbourg :
dans sa volonté de conserver le monopole de la navigation entre Bâle et Mayence, la ville
absorbe vers le sud-est un nouveau quartier de maraîchers et de pêcheurs, la Krutenau, tout
en contrôlant le Rheingiessen, voie d'eau essentielle qui relie l'Ill au Rhin (actuelle rue de
Zurich, le canal ayant été comblé en 1872). Le doublement de la ligne de défense sud au XVè
siècle ne changera pas radicalement la silhouette de Strasbourg. La ville est alors défendue
par une muraille crénelée, portant chemin de ronde, que renforcent selon l'usage des pays
germaniques 28 tours, 8 tours-portes et autant de poternes.
Strasbourg vers 1570. Gravure de Georg Braun et Franz Hogenberg tirée de « Civitates orbis terrarum »
édité à Anvers par Philippe Galle
3.2.1.6. Pôles d’attraction et population
Ainsi, la ville du Moyen Age se structure autour de pôles d'attraction ou de tension entre les
pouvoirs religieux, économique, et politique ; elle est marquée aussi par la rapidité avec
laquelle elle repousse ses murailles à partir de 1202 grâce à un formidable essor économique,
accompagné par la libération progressive de la bourgeoisie de la tutelle de l’évêque puis de la
noblesse. Avant que la peste ne frappe la ville en 1348, celle-ci compte 20 000 habitants.
Après la mort noire elle se repeuple lentement et compte environ 18 000 âmes autour de
1444.
Strasbourg au XVè
3.2.2. Les chantiers
Face à l'ancien camp romain tenu par l'évêque, la ville de Strasbourg, patriciens et bourgeois
affirme à partir du XIIè siècle une identité communale dont l’importance va s’amplifiant et qui
va culminer à la Renaissance : cette identité se manifeste par l’érection de quelques
monuments publics dans le secteur de la place Gutenberg, pôle de la ville bourgeoise. Si les
chantiers de la cathédrale et des églises drainent l'essentiel de l'activité architecturale de la
ville, les chantiers « profanes » traduisent, surtout à partir du XIVe siècle, l'ascendant et la
puissance du pouvoir économico-politique, dont il ne reste malheureusement aujourd’hui que
l'aile orientale de l'Œuvre Notre-Dame et la « douane ».
Strasbourg : la Douane au Moyen Age
3.2.2.1. Les chantiers religieux
Au cours du XIIe siècle, la basilique de Wernher est par cinq fois victime de la foudre et de
l'incendie. En 1176 une nouvelle reconstruction est entreprise. Le style gothique se manifeste
pour la première fois dans le transept de la cathédrale vers 1225. Dès 1240 environ, le
rayonnement triomphe dans le grand vaisseau à triforium ajouré. La façade entreprise en
1277 et les innovations de maître Erwin à partir de 1284 placent Strasbourg parmi les
chantiers les plus importants d'Occident.
La première représentation de la cathédrale achevée. Folio 217 du « Buch der Natur de Konrad von
Megenberg », vers 1440-1450. Réalisé par l’atelier de Diebold Lauber de Haguenau. Heidelberg,
bibliothèque de l’Université
Le gothique est également diffusé durant ce XIIIè par les Ordres Mendiants, notamment par
les Dominicains et les Franciscains. Les églises paroissiales apportent leur contribution
originale au développement du nouveau style : ainsi la nef-halle à Saint-Thomas et la nef à
pilastres à Saint-Pierre-le-Jeune.
Strasbourg : intérieur de Saint Thomas, par Cl. Bech. Collection particulière
Au XIVè est mise en place la grande rose de la cathédrale, (vers 1318) ; l'église des
Dominicains est achevé vers 1325, et la chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale est
construite vers 1340. Dans la seconde moitié du siècle sont construits la chapelle Saint-Jean
de l'église Saint-Pierre-le-Jeune, avec ses contreforts intérieurs (vers 1360) et le chevet de
l'église Saint-Erhard, place de l'Hôpital, avec sa baie axiale élargie à trois lancettes.
Strasbourg : Les Hospices Civils en 1663. Gravure de J.-J. Arhardt, Cabinet des Estampes. L’identification de
la figure que l’on aperçoit sur la nef de la chapelle reste sujette à controverses : certains pensent qu’il s’agit
d’une araignée ; d’autres penchent pour la représentation d’une tumeur… la figure disparut en 1826, lors du
ravalement du mur
Début XVè arrive le maître Ulrich von Ensingen qui introduit le style flamboyant. En 1439
Johannes Hültz, achève la haute flèche de la cathédrale, symbole de la cité, alors que le
baroque flamboyant se manifeste avec brio au Portail Saint-Laurent de Jacques de Landshut
(1495-1505). Quant à la chapelle Saint-Laurent, due au talent de Hans Hammer (1515-1521),
elle marque un apaisement notable à l'approche de la Renaissance. D'autres chapelles
flamboyantes retiennent l'attention : celle de la Trinité (1491), à Saint-Pierre-le-Jeune, celle
des Evangélistes (1521), à l'église Saint-Thomas. Plus modestes, mais élégants, le chevet de
Sainte-Madeleine (1480 et l'église Saint- Jean (1477), restaurée après la dernière guerre.
Strasbourg, gravure de la cathédrale d’Isaac Brunn, 1615. La cathédrale sera jusqu’au XIXè siècle le plus
haut édifice de la chrétienté
De très nombreuses autres chapelles et églises ont malheureusement disparu au fil des
siècles.
3.2.2.2. Les chantiers laïcs
3.2.2.2.1. La Pfalz
Le renforcement de l'indépendance des bourgeois, acquise dès 1262, se concrétise en 1321
par la construction de la Pfalz qui succède au Fronhof épiscopal comme centre de décisions
politiques et administratives. La Pfalz est construite sur la place Saint-Martin (Place
Gutenberg) dans le style gothique. Le bâtiment se compose de deux bâtiments accolés,
construits probablement l'un après l'autre à partir d’un noyau original, sans doute une
chapelle. Le corps principal de l'édifice présente sur le Marché-aux-Grains un pignon à redents
percé de trois rangées de fenêtres tréflées. Parallèlement, le bâtiment oblong qui ferme le
Marché-aux-Poissons possède deux pignons à redents, reliés entre eux par une rangée de
créneaux. Deux tourelles d'angle donnent à l'édifice une certaine solennité. La Pfalz sera
malheureusement détruite à la fin du XVIIIè siècle.
Strasbourg : la Pfalz
3.2.2.2.2. La Chancellerie
Chancellerie de la ville libre est construite en 1463-1464. Le bâtiment sera incendié en 1686.
Son architecture n’est malheureusement pas connue. On sait que l’ornementation du portail
intérieur de l'édifice a été décorée aux armes de Strasbourg par Nicolas Gerhaerdt de Leyde,
qui réalise aussi quelques magnifiques bustes d’hommes accoudés.
4. Histoire artistique
Le Haut Moyen Age
Le XIIè : l’âge roman
L’époque gothique : XIII-XVè
4.1. Le Haut Moyen Age
4.1.1. Les Mérovingiens
Les invasions des peuples germains du Vè ouvrent une période obscure, pratiquement
jusqu’au IXè siècle et la « renaissance carolingienne », ou les témoignages sont rares et
partiels, livrant essentiellement grâce à l’archéologie des tombes mérovingiennes sarcophages et tumuli -, des noms de lieux et de personnes et des dates, grâce à quelques
archives. Sur les monuments, rien : aucune trace par exemple des villae royales de Kirchheim
et de Marlenheim, de Königshoffen ou d'Isenbourg près Rouffach, lieux de résidence et de
chasse des rois mérovingiens Childbert II (590) et Dagobert II (676), rois d'Austrasie.
Si, hors de Strasbourg les tombes ont livré quelques belles pièces (cimetière de Dachstein,
« trésor » de la tombe féminine de Hochfelden, casque de Baldenheim, phalères
d'Ittenheim…), les découvertes faites à Strasbourg n’ont livré que quelques pièces (fibules,
parures…) d’un intérêt secondaire…
Fibules mérovingiennes. Musée
archéologique de Strasbourg
Gobelets en verre mérovingiens des VI
et VIIè. Strasbourg, musée
archéologique
Les phalères d’Ittenheim. VIIè siècle
après JC. Musée archéologique de
Strasbourg
4.1.2. La renaissance carolingienne et ottonienne
Il faut attendre la « renaissance carolingienne » pour trouver des renseignements et des
œuvres plus intéressants : intégrée dans un vaste et puissant empire, délivrée de tout souci
d'invasion étrangère ou de troubles intérieurs, l'Alsace put participer au renouveau intellectuel
qui caractérise la renaissance carolingienne. L'impulsion fut donnée par Charlemagne et
l'Anglo-Saxon Alcuin, soucieux avant tout de combattre l'ignorance du clergé. Ainsi se
constituent dans tous les diocèses des écoles élémentaires et dans certains monastères des
centres d'études où sont remis en honneur les sept arts libéraux ; ainsi est mis en route un
énorme travail de copiage des manuscrits anciens en vue de constituer des bibliothèques et de
permettre une étude approfondie des Pères de l'Eglise et même des lettres classiques.
4.1.2.1. Architecture
De l'architecture précarolingienne et carolingienne rien n'est pratiquement demeuré à
Strasbourg, hormis quelques vestiges fournis par des édifices postérieurs : l’abbaye de Saint
Etienne fondée en 717 par Attale, nièce de sainte Odile et la basilique cathédrale de
Strasbourg, reconstruite par Pépin le Bref, achevée par Charlemagne en 771, que le poème
dédié à la Vierge par le moine aquitain Ermoldus Nigellus décrit sommairement…
Strasbourg : l'église abbatiale Saint Etienne et sa façade-clocher. D’après un dessin de Silbermann
L’architecture ottonienne maintient la persistance de la tradition carolingienne et rappelle des
dispositions des anciennes basiliques romaines : une triple nef limitée par deux imposants
massifs qui intègrent, à l'ouest comme à l'est, des absides et des transepts débordants. C'est
ainsi que devait se présenter la cathédrale de Strasbourg entreprise en 1015, après l'incendie
du premier édifice par Herman de Souabe. Cet ouvrage auquel est attaché le nom de l'évêque
Wernher avait une abside plate, flanquée de chapelles à deux étages, des espaces charpentés
entre le cul de four à l'Est et la voûte d'arête dans le vestibule occidental, une crypte
accessible par un pontile à la manière de San Zenon de Vérone ou de San Miniato al Monte de
Florence, à la hauteur de l'arc triomphal. Le dispositif occidental offrait une tribune sans doute
ouverte sur la nef, sorte de « Laube » comme à Corvey en Westphalie, à Marmoutier, à Saint
Léger de Guebwiller et à Saint-Thomas de Strasbourg.
De cet édifice, détruit en 1176 par un terrible incendie, ne reste que la crypte dans sa partie
orientale : elle est réalisée sans doute dans la troisième décennie du XIè, et achevée en 1037
dans ses parties orientales. Primitivement, elle avait un large déambulatoire (4m60) ; elle
sera dédoublée au XIIè. Elle est composée de trois nefs séparées par des piliers cruciformes et
des colonnes alternées dans les deux premières travées orientales. A l’ ‘est, la crypte se
termine par un mur en hémicycle comportant le sanctuaire à quatre niches et deux ouvertures
(murées). L’appareillage des murs de la partie orientale est couvert d’une taille en arête de
poisson et losanges (typique du décor du XIè, comme par exemple à Altenstadt) sous une
frise composée de feuilles de vignes et de grappes de raisins. La voûte est en berceau.
Strasbourg, cathédrale: la crypte romane
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la
crypte
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
crypte, verrière de l’abside : archange
4.1.2.2. Sculpture
Du XIè siècle datent les chapiteaux et consoles de l'ancienne chapelle de la rue de l'Ail (musée
de l'Œuvre Notre Dame, Strasbourg), ornés de têtes d'homme, de bœuf et de bélier, les
premiers chapiteaux de la crypte de la cathédrale de Strasbourg aux corbeilles ornées de
monstres et de rinceaux noués (1050-1070 ?), quelques consoles et chapiteaux des alentours
de 1070 à Saint Pierre-le-Jeune.
L'art funéraire, qui reste dans la continuité de la tradition mérovingienne, fournit le
sarcophage à croix champlevée trouvé dans le sol, entre le portail Saint Laurent et l'ancien
portail des rois mages, au croisillon nord du transept de la cathédrale (avant 1015).
4.1.2.3. Manuscrits et littérature
Alors que l’on connaît relativement bien le rôle de Murbach, principal centre de la
« Renaissance carolingienne » en Alsace, les connaissances restent fragmentaires pour
Strasbourg : Heddo (entre 750 et 760 ?) fait rédiger un « Sacramentaire de l'Eglise romaine »
sur parchemin pourpré avec lettres d'argent et d'or en tête des chapitres. Bernold (entre 822
et 840 ?) fait traduire sous Louis le Pieux en langue vulgaire des passages de l'Ecriture, pour
être mieux compris de ses ouailles.
La meilleure source de renseignements pour la ville -et l’Alsace- sont les écrits du moine
Ermold le Noir (Ermoldus Nigellus, 790 ?-838 ?) : éxilé d'Aquitaine par Louis le Pieux, Ermold
compose à Strasbourg, sans doute vers 826-827 un poème à la louange de l'empereur afin de
rentrer en grâce. Il s’inspire pour son œuvre de son pays d'exil.
Imbu de culture classique, Ermold imagine que Thalie, la muse de l'idylle, accompagnée de
Rhenus, dieu du fleuve, et de Wasacus, dieu des Vosges, vient célébrer l'Alsace devant
l'empereur : « C'est une terre antique et riche, occupée par les Francs, qui lui ont donné le
nom d'Alsace. La vigne couvre les coteaux, les champs portent les moissons, les Vosges sont
couvertes de forêts, le Rhin fertilise le sol ». Puis chacun des intéressés vient vanter ses
mérites. Wasacus reproche à Rhénus de drainer le blé hors du pays et d'affamer ses habitants,
de faire vendre son « Falerne » aux gens de mer, si bien que le vigneron a soif dans sa propre
vigne ! A quoi Rhenus réplique que les Alsaciens se noieraient dans la graisse et le vin, s'il
n'emportait les produits de la région vers la mer. De plus, il rend possible ainsi l'acquisition,
par nos marchands et ceux de l'étranger, de l'ambre transparent et l'achat aux Frisons
d'étoffes chatoyantes, qui étaient inconnues auparavant ; enfin il vante ses paillettes d'or et
l'abondance de ses poissons. Le poème s’achève par l'éloge de Strasbourg, carrefour de
routes, « florissante d'une prospérité nouvelle ».
4.2. Le XIIè : l’âge roman
Après un Xè siècle troublé l'Alsace connaît un renouveau intellectuel et artistique, qui ira
s'amplifiant jusqu'à l'épanouissement du XIIIè. Cet essor de la civilisation demeure
essentiellement l'œuvre des clercs. A partir du XIIè, l’histoire de l’art est donc bien mieux
connue à Strasbourg et fournit des témoignages biens plus riches.
4.2.1. Architecture
Dans le domaine de l'architecture, l’œuvre majeure est la partie orientale de la cathédrale de
Strasbourg qui perpétue le style un peu lourd des grandes fondations romanes des bords du
Rhin. C’est d’abord l’achèvement de la partie occidentale de la crypte : deux files de colonnes
très sobres aux chapiteaux cubiques mènent vers la nef. Après le terrible incendie de 1176, on
entreprend d’abord la réfection de l’abside dans le plus pur style roman ; puis on remplace la
tour-chœur par une coupole octogonale ; enfin on se lance dans la construction du bras du
transept nord, compartimenté par un énorme pilier cylindrique et couvert de charpente…
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bras nord du transept : voûte sud-est
(vers 1200-1210)
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la
crypte
Strasbourg, cathédrale: le transept sud
Les deux autres réalisations architecturales importantes du siècle dans la cité sont l’église
Saint-Etienne et le rez-de-chaussée du clocher de Saint-Pierre-le-Jeune.
Strasbourg : église Saint Etienne : le chevet
4.2.2. Sculpture
Les grandes œuvres de sculpture du XIIè proviennent principalement de l’atelier d’Eschau qui
autour de 1130 produit les chapiteaux du cloître à Eschau, et à Strasbourg le sarcophage
d'Adeloch, actuellement à Saint-Thomas : la taille se ressent de la connaissance des ivoires,
auxquels elle emprunte le modelé arrondi et lisse, révélant des influences méridionales :
portée par quatre lions couchés, la cuve est décorée d'une arcade occupée, sur les deux faces
principales, par un Christ assisté d'un ange qui bénit l'évêque agenouillé (consécration de son
ministère ou accueil à la vie éternelle ?) et par une figure allégorique (l'Eglise ou une Vertu)
accompagnée de rinceaux et de palmes. Sur les petits côtés : le roi remet le gonfanon à
l'évêque agenouillé que lui présente une femme quelque peu énigmatique. Le couvercle est
postérieur.
Strasbourg, saint Thomas: le sarcophage
d’Adeloch
Strasbourg, saint Thomas : détail du
sarcophage d’Adeloch
Strasbourg, saint Thomas : détail du
sarcophage d’Adeloch
4.2.3. Peinture
De la peinture ne reste pratiquement rien, hormis les dessins du chef-d’œuvre qu’est de
l'Hortus Deliciarum. A la charnière entre le XIIè et le XIIIè siècle, l'Hortus, disparu dans
l'incendie de la Bibliothèque municipale de Strasbourg en 1870, est une vaste compilation
élaborée par les abbesses Relinde et Herrade de Landsberg, morte en 1195, pour l'instruction
et l'édification des nobles moniales du couvent de Hohenburg.
L’échelle céleste. Hortus Deliciarum, après 1150.
Folio 125v, d’après le calque réalisé par M.C.
Engelhardt avant la destruction du manuscrit
La personnification de l’Eglise telle que la
représente l’Hortus Deliciarum
Le milieu stylistique de cette somme est manifestement strasbourgeois, et le manuscrit fut
vraisemblablement réalisé dans un scriptorium strasbourgeois. Cette œuvre considérable
suppose une tradition d'enluminure fortement enracinée dans la ville. Il y a en effet une
parenté évidente entre les dessins de l’Hortus et les cartons des maîtres verriers auxquels, à
la fin du XII° siècle, l'Evêque passera commande pour sa cathédrale. Dans certaines verrières
de la cathédrale, notamment au transept nord, les auteurs des cartons des vitraux sont sans
doute issus du même atelier que les peintres enlumineurs de l'Hortus : longues figures aux
draperies souples, très byzantines, imagerie attentive aux choses de la nature, de la vie des
hommes et aux desseins de Dieu ; de même, les deux roses de l'Ancien et du Nouveau
Testament du croisillon sud du transept de la cathédrale interprètent littéralement les roses de
l'Hortus. Il n'est pas jusqu'aux enluminures, très courtoises, très élégantes, de Tristan et
d’Isolde de Gottfried de Strasbourg qui, dans un mouvement tendant à l'expressivité baroque,
se réclament de cette continuité (vers 1240).
Esther et Mardochée. Le repas. Hortus
Deliciarum
Au registre supérieur, le Christ en
majesté. Au registre médian ; le duc
Etichon confie à sa fille Odile le
Monastère « Hohenburge » qu’il vient de
fonder
L’Hortus Deliciarum : le baptême du
Christ
4.2.4. Vitrail
En dépit de la fragilité du matériau et de l'histoire fort mouvementée du pays, l'Alsace est un
lieu privilégié pour l'étude et pour la délectation du vitrail. Mais il est bien évident que, pour
des temps aussi reculés que le sont les XIè et XIIè siècles, seul un épaulement réciproque de
l'illustration de manuscrit et du vitrail permet une approche plus certaine du milieu artistique.
Strasbourg, cathédrale : vitrail du croisillon nord représentant le cycle de la généalogie du Christ. 1230-1240
Les panneaux romans datent de la dernière campagne romane du XIIè siècle, après 1190 : il
s’agit des médaillons du Jugement de Salomon, des anges et de la Vierge orante, d'un arbre
de Jessé, du chœur et du transept des saints confesseurs et des saints militaires de l'ancienne
nef et surtout de la célèbre « galerie des empereurs et rois du Saint Empire romain
germanique » du bas coté nord. Le maître d’œuvre est certainement maître Gerlach, aidé par
le ou les illustrateurs de l'« Evangélistaire Saint Pierre », qui s’inspirent du milieu byzantin très
influent dans les régions du Haut-Danube et du lac de Constance (la Reichenau et de
l'orfèvrerie mosane : parti des fonds concentriques, tracé des rinceaux comme orfrois et
comme encadrements. Leur style et leur sens de représentation, leurs pratiques
compositionnelles auront une part non négligeable dans les aménagements des vitraux du
siècle suivant à la cathédrale.
Strasbourg, la cathédrale : vitraux de la galerie des
19 rois germaniques du collatéral nord, datant du
XIIIè, mais avec des reprises de panneaux de style
roman du XIIè. De gauche à droite : Frédéric I
Barberousse, Henri II de Bamberg, (seules leurs
tètes sont gothiques, les corps étant romans),
Pépin le Bref et Louis le Débonnaire (tous deux de
facture gothique)
Strasbourg, un des plus beaux vitraux de la
cathédrale : transféré dans le musée de l’œuvre
Notre Dame, il représente sans doute Charlemagne
et date de 1200. A sa gauche, Roland portant le
glaive
4.2.5. Littérature
Le plus grand poète alsacien de cette époque est sans conteste Gottfried de Strasbourg,
auteur du « Tristan », l'œuvre la plus remarquable que l'Alsace ait jamais produite. La vie de
l’auteur est inconnue ; tout au plus le titre de « Maître » qui lui est souvent appliqué, permet-il
de penser que ce fut un bourgeois de Strasbourg, mort vers 1210. Son poème compte près de
20 000 vers, et est inachevé. Gotfried dit lui-même qu'il effectua de longues recherches dans
des ouvrages français et latins, et qu'il découvrit la « vraie relation » dans le poème de
Thomas de Bretagne. L'élégance de ses vers, parsemés de mots et de locutions françaises,
son talent de conteur, son art de la progression dramatique sont admirables. Son génie se
remarque surtout par deux traits, qui le séparent des Minnesänger :
Gottfried de Strasbourg lisant ses vers devant un auditoire de princes. Manuscrit de la « Manessische
Liederhandschrift », XIVè, pl.104. Bibliothèque universitaire de Heidelberg

Gottfried fait appel à la nature pour rendre plus sensible et amplifier la passion des
deux amants, par l’évocation des fleurs, des arbres, de la rosée, du chant des oiseaux,
du murmure de la forêt, du vent et des sources.

Surtout il substitue à l'amour courtois et conventionnel la passion irrésistible,
implacable, si folle que seule peut l'expliquer l'absorption d'un philtre magique.
« Tristan, comme un captif, cherche à se délivrer. Il voudrait diriger son esprit d'un
autre côté et changer de désir ; mais il est toujours retenu dans les mêmes liens et,
lorsqu'il interroge son cœur, il n'y trouve que deux choses, l'amour et Iseut,
inséparables ».
C'est cet accent de profondeur et de vérité qui a maintenu jusqu'à nos jours la résonance de
l'œuvre de Gottfried. Le poème est tant admiré qu’Ulric de Türheim et Henri de Freiberg
l’achèveront entre 1230 et 1290, mais sans le bonheur de leur maître.
4.3. L’époque gothique : XIII-XVè
4.3.1. Le rôle croissant des corporations et des bourgeois
Entre le XIIIè et le XVè siècle, le chantier de la cathédrale occupe l’essentiel de l’activité
artistique de la cité, concentrant autour de lui charpentiers, maçons, sculpteurs, tailleurs de
pierre, peintres, maîtres verriers, orfèvres, vivant tous durant des générations, de cette
grande entreprise. Ce vaste chantier est aussi significatif de l’évolution politique de la ville :
c'est en effet à partir du XIIè et surtout du XIVè siècle que les corporations (ou « tribus »,
« Zunft ») accèdent aux affaires publiques et tiennent un rôle de plus en plus important dans
la vie de la cité. Tous les métiers d'art sont alors regroupés dans ces tribus : celle de
l'Echasse, une des plus anciennes, est composée par les peintres, les peintres-verriers, les
sculpteurs, les orfèvres, les imprimeurs ; celle des Maréchaux, la plus riche, rassemble tous
les métiers travaillant le métal…
A côté de ces ateliers, l'activité de la « loge » de la cathédrale, l’œuvre Notre Dame, se dote
d’une gestion plus saine à la fin du XIIIè siècle, puisque qu’elle passe graduellement sous
contrôle municipal, sans que d’ailleurs se ralentît pour autant l'effort financier du diocèse tout
entier. Strasbourg se verra même proclamée « loge suprême » de l'Empire lors du congrès
des tailleurs de pierre de Ratisbonne en 1459, soit 20 années après que fut mise en place la
flèche de sa cathédrale.
Strasbourg : le musée de l’œuvre Notre Dame
4.3.2. L’architecture
4.3.2.1. La cathédrale
4.3.2.1.1. Les premiers pas du gothique
Tableau de l’histoire de la construction de la cathédrale et influences
Les premières décennies du XIIIè siècle voient l'introduction du style gothique dans la
cathédrale avec l'achèvement du transept de la cathédrale de Strasbourg dans un esprit de
rupture manifeste avec le monde roman. C’est l’œuvre d’un atelier chartrain qui se manifeste
d’ailleurs plus dans la sculpture que dans l’architecture, dans le célèbre « Pilier du Jugement »
(improprement nommé « Pilier des Anges »). Du point de vue architectural, cet atelier couvre
le transept non plus d’une charpente, mais d’une croisée d'ogive : la colonne massive qui se
dresse au milieu du croisillon nord du transept devient au sud un faisceau de colonnettes
autour d'un noyau polygonal, et le chapiteau devient le réceptacle des nervures de la voûte
développées en palmier.
Strasbourg, cathédrale: le célèbre pilier
du Jugement. Vue du transept sur le
chœur
Strasbourg, cathédrale: le célèbre pilier
du Jugement
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
pilier du Jugement
Au même moment est réalisée la chapelle Saint Jean-Baptiste. Cette chapelle est de type
« halle » à trois triples travées reposant sur des piles rondes ou en quatre-feuilles, tout
comme la salle capitulaire qui la surmonte, réduite à deux travées s'appuyant sur des
colonnes. Malgré certaines réminiscences parisiennes ou beauceronnes, l'origine artistique du
maître reste à déterminer. Enfin, une école d’inspiration chartraine réalise ensuite vers 1225 le
portail sud avec ses deux rosaces.
Strasbourg, cathédrale : le transept sud et les deux roses
4.3.2.1.2. La nef
Strasbourg, cathédrale : plan
A partir de 1235 arrive un nouvel atelier de constructeurs qui édifie la nef et impose
définitivement l’esprit gothique classique. Du vieux vaisseau roman ne sont gardées que les
fondations. La construction de la nef se fait en deux phases : une première de 1235 à 1245 et
une seconde de 1253 (date à laquelle on recourt à la vente d’indulgences pour financer les
travaux) à 1275.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le bas-côté sud
Le maître d'œuvre de génie qui a projeté le grand vaisseau de Strasbourg est au courant de
toutes les tendances et de toutes les initiatives des chantiers d'Ile-de-France et de
Champagne. Sa connaissance intime de l'architecture rayonnante lui permet de prévoir
l'évolution et d'y participer. Pendant la seconde campagne, le nouveau maître d'ouvre
Rodolphe le Vieux modifie les projets de construction initiaux pour simplifier l'ensemble : il
choisit de garder une part plus importante de l'édifice roman et y ajoute 4 travées légèrement
plus étroites au lieu des 8 initialement prévues.
Strasbourg, cathédrale : le bas côté nord
Cette nouvelle nef, proche à la fois de l'art champenois (Saint Nicaise de Reims, cathédrale de
Troyes, cathédrale de Châlons-sur-Marne) et de l'art de l'Ile-de-France (abbatiale de SaintDenis, Notre Dame de Paris), subjugue par sa structure rationnelle et sa beauté harmonieuse.
Tempérée par le grès rose, la logique implacable du gothique épanoui chasse la muralité et
propose une élévation lumineuse d'une élégance raffinée. Dans ses proportions, l'élévation à
trois étages respecte le schéma classique « A B A » : le triforium ajouré demeure au milieu de
la paroi, s'intercalant entre les grandes arcades richement moulurées et les fenêtres hautes à
quatre lancettes qui occupent toute la largeur de la travée. Les piliers fasciculés à seize
éléments accentuent la verticalité de l'ensemble alors que le triforium marque fortement les
horizontales. Toutefois, la double baguette médiane de la fenêtre haute semble se prolonger
par une subdivision du triforium, ce qui annonce manifestement la prochaine fusion de ces
deux unités. La baie du collatéral reproduit le dessin de la fenêtre haute. Une arcature
décorative et la coursière viennent enrichir et affiner l'espace du bas-côté.
Strasbourg, cathédrale: le bas côté sud
Strasbourg, cathédrale : collatéral nord
A l'extérieur, une imposante batterie d'arcs-boutants à large tête (cinq mètres) ajourée d'un
quadrilobe assure la stabilité de l'édifice. Chaque arc boutant repose sur une colonnette posée
en délit, procédé qui apparaît pour la première fois à Saint Rémi de Reims. Mais la conception
même de l'arc-boutant strasbourgeois doit beaucoup au système de contrebutement mis en
place à Notre-Dame de Paris vers 1230.
Strasbourg, cathédrale : le flanc sud et la galerie du XVIIè
Le grand vaisseau de Strasbourg, achevé en 1275, est l'un des plus accomplis de toute
l'architecture rayonnante. Son influence sera considérable en Alsace, mais aussi Outre Rhin, à
Fribourg-en-Brisgau, Wimpfen im Tal, Reutlingen ou Halberstadt.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la nef centrale
4.3.2.1.3. La façade occidentale
4.3.2.1.3.1. Maître Erwin
Monnaie (Hälbling) de Conrad de Lichtenberg, évêque de Strasbourg (1273-1299)
En 1276, les fondations de la nouvelle façade sont solennellement bénies par l'évêque Conrad
de Lichtenberg, et la première pierre de la tour Nord est posée en 1277 sur les plans du
« projet A », l'un des plus anciens dessins d'architecture conservés en Occident, datant des
environs de 1260 qui montre, comme la nef et le jubé, l'influence de Saint Nicaise de Reims.
Mais ce projet est rapidement abandonné au profit d’un « Plan B ».
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : projet primitif de la façade ou « Plan A
Le « Projet B » s'inspire de la façade de la cathédrale de Troyes qui comporte 2 tours, 3
portails et un second étage avec une rose centrale. Ce « Projet B » où s'exprime l'un des plus
authentiques génies gothiques, prouve que la métropole alsacienne n'est plus seulement une
plaque tournante dans l'acheminement du nouveau style vers l'Est, mais aussi et surtout un
foyer créateur de première importance. Par son ampleur, son opulence, ses formes nouvelles,
le « projet B » dépasse nettement le gothique sage et rationnel du transept méridional de
Notre Dame de Paris ou de Saint Urbain de Troyes, ses modèles les plus proches. Les flèches
ajourées semblent ajoutées par une main moins experte, et l'extraordinaire rose, touffue et
polyvalente, très différente de celle qui fut finalement réalisée, n'a guère d'équivalent dans le
domaine royal.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : évolution de la façade
Commencée en 1277 conformément au « projet B », la façade est assez avancée en 1284
lorsque maître Erwin dit « De Steinbach », nommé par le Magistrat, prend ses fonctions. Il
achève le premier niveau et établit de nouveaux plans, le maître d'œuvre précédant ayant
commis plusieurs erreurs. Ce « projet C » prévoit un deuxième niveau nettement plus bas et
le remplacement de la rose initiale par une « ronde verrière » beaucoup plus classique,
s'inspirant des roses latérales de Notre Dame de Paris. Cette rose à seize pétales, sans
couronne intérieure, participe cette fois-ci au dédoublement de la paroi et s'inscrit dans un
cadre carré aux écoinçons ajourés. Parmi toutes les roses qui s'épanouissent en Europe à la fin
du XIIIè ou au début du XIVè siècle, celle de Strasbourg demeure l'une des plus accomplies
par sa pureté.
Strasbourg, cathédrale : la grande rose de la
façade
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la rose. Cette
rosace, est composée d'épis de blés, et non de
saints, comme c'est la coutume. Ils sont le symbole
de la puissance commerciale de la ville
Le « projet D », vers 1285, également attribué à Erwin, marque une nouvelle étape dans
l'évolution du chantier. Il montre le narthex avec la rose et les étages latéraux à leur niveau
actuel, c'est-à-dire dépassant nettement la rose. Le décor aveugle du narthex, véritable
façade intérieure, somptueuse et filigranée, rivalise avec les revers de façade de Meaux. La
rose est découpée dans la paroi, sans écoinçons ajourés, et s'élève au-dessus d'un triforium
ajouré pratiquement invisible de l'extérieur. Cette « non correspondance » entre la façade et
son revers a été rendue possible par le dédoublement de la paroi et accentue le maniérisme
inhérent au procédé.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : l’élévation de la façade occidentale
Ralentis par un incendie en 1298, les travaux se poursuivent et en 1318, à la mort de maître
Erwin, le deuxième niveau est partiellement achevé, (fonte de la grande cloche en 1316). Son
fils Jean continue le chantier jusqu’en 1339. L'examen du narthex révèle plusieurs campagnes
qui se situent dans les premières décennies du XIVè. L'élévation latérale de la travée centrale
est particulièrement instructive : entre l'arcade aux multiples moulures et la fenêtre haute à
quatre lancettes qui correspond au deuxième niveau de la façade prend place un triforium
gracile à gables élancés dont la hauteur atteint dix mètres. Cette hauteur inusitée n'est pas
due à un choix esthétique délibéré, mais à la nécessité de rattraper la différence de hauteur
entre la grande nef (32m) et le narthex (38m).
Strasbourg, cathédrale : la façade occidentale
On retrouve donc de légères modifications dans les différents étages de la façade, le premier
comportant les portails, le second la rosace et le troisième les troncs de clochers.
4.3.2.1.3.2. Maître Gerlach
Maître Gerlach continue les travaux de la façade : Entre 1355 et 1365 il édifie le troisième
étage des clochers dont l'architecture n'est pas étrangère à celle de la chapelle SainteCatherine. Chaque face est percée d'un triplet, mais seule la lancette médiane rappelle
discrètement le dédoublement de la paroi. A l'intérieur, de belles voûtes en étoile à ogives
d'angle préparent le passage à l'octogone.
Strasbourg, cathédrale : façade occidentale vue de haut
Gerlach réalise aussi la magnifique chapelle sainte Catherine vers 1340. Ornée et structurée
comme une châsse, elle séduit par sa verticalité et le raffinement de ses remplages
géométriques. L'apport personnel de maître Gerlach reste considérable, notamment dans la
conception des voûtes et dans la modénature. Les voûtes étoilées primitives à clefs
pendantes, remplacées au XVIe siècle par les voûtes curvilignes actuelles, rivalisaient avec
celles de Bebenhausen ou celle de la chapelle Barbazana à Pampelune. L'exemple
strasbourgeois portera ses fruits à la cathédrale de Prague (chapelle Saint Venceslas et
sacristie).
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : les étapes de la construction
Peu avant 1365, on renonce à la construction des flèches. L’enthousiasme de la construction
finale des tours s'évanouit. La crainte de séismes (en 1356, Bâle avait été détruite), les
difficultés financières et les pertes humaines causées par la grande peste de 1349 expliquent
la renonciation aux flèches. Un nouveau projet prévoit la galerie des Apôtres au-dessus de la
rose et un beffroi percé d'élégantes baies tripartites et coiffé d'un couronnement à gables. En
1365 les constructeurs atteignent le niveau de la plate-forme actuelle, conférant à la façade la
silhouette de Notre-Dame de Paris. En 1371 maître Conrad succède à Gerlach et réalise la
galerie au dessus de la rose, particulièrement avec la magnifique galerie des Apôtres.
Strasbourg, cathédrale : la galerie des apôtres de
la façade
Strasbourg, cathédrale : la galerie des apôtres de
la façade, détail
4.3.2.1.3.3. La flèche
A la mort de Maître Conrad, son successeur, Michel de Fribourg (1383-1388) est chargé de
l'exécution du beffroi. Il modifie une ultime fois le projet (vers 1383) pour aboutir à une
« Façade falaise » de type germanique en comblant le vide entre les deux tours par un
énorme remplage, sorte de tour centrale. Mais ce bloc façade, achevé par Claus von Lohre
(1388-1399) ne satisfait pas le magistrat qui fait appel en 1399 à Ulrich von Ensingen qui
vient de commencer la gigantesque tour d'Ulm. Le maître d'œuvre souabe présente un projet
de haute tour comportant un octogone cantonné de quatre tourelles d'escalier, surmonté d'un
petit étage servant de base à une flèche ajourée aux arêtiers gracieusement incurvés. Son
projet à flèche incurvée n'est que partiellement réalisé. A sa mort, en 1419, seuls l'octogone
et son petit étage sont terminés.
Strasbourg, cathédrale : la flèche. Dessin extrait du
« dictionnaire raisonné de l’architecture » de Viollet
le Duc
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : octogone :
intérieur
Le nouveau maître d'œuvre, Jean Hültz de Cologne (1419-1449) modifie une ultime fois les
plans. Il surélève les tourelles d'escalier jusqu'au départ de la flèche qu'il érige selon ses
propres conceptions : une flèche aux arêtiers chargés de tourelles, œuvre d'une rare virtuosité
qui exprime au surplus cette nouvelle recherche d'un style plus anguleux et plus compact.
C'est en 1439, date mémorable, qu’est achevée la flèche vertigineuse, sorte de gratte-ciel
avant la lettre. A ce stade (d'ailleurs définitif), le Magistrat est très satisfait du travail, car il
considère la haute tour non seulement comme le couronnement de la cathédrale, mais aussi
comme une sorte de beffroi symbolisant la puissance et la grandeur de la ville.
Strasbourg, cathédrale : la flèche. Plan extrait du
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : octogone :
personnage regardant la flèche (Musée de l’œuvre)
« dictionnaire raisonné de l’architecture » de Viollet
le Duc
Cette tour de 142 mètres de haut fait de Strasbourg la ville ayant l'édifice le plus haut du
monde ! Elle gardera « ce record du monde » jusqu'en 1847, année où la flèche de l'église
Saint-Nicolas de Hambourg (144 m de hauteur) fut achevée. (Beauvais ou Londres avaient des
flèches plus hautes, mais elles se sont écroulées)
Strasbourg, cathédrale : la flèche
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la flèche
4.3.2.2. Les autres chantiers de la ville
4.3.2.2.1. Saint Thomas
Strasbourg : plan de l’église saint Thomas
A coté de la cathédrale, est mise en chantier dans la seconde moitié du XIIIè siècle l’église
saint Thomas, ancienne abbaye bénédictine fondée par Florent au VIIè qui est reconstruite ; le
massif bâtiment de grès rose construit à partir du XIIIè évoque immédiatement les édifices
rhénans. Le monument s’inspire du chantier de la cathédrale, mais reste curieusement de
style roman par son pignon nord-ouest et ses arcatures lombardes.
Strasbourg, église saint Thomas : vue de la rue de
la Monnaie
Strasbourg : intérieur de Saint Thomas, par Cl.
Bech. Collection particulière
La reconstruction de l'église en style gothique débute en 1270 par le chœur et le transept. Le
chœur à chevet polygonal se contente d'une seule travée droite, tandis que les baies à deux
lancettes présentent à l'extérieur des arcs de décharge. Le transept cloisonné à piles
intermédiaires garde ses parois latérales. Les façades des croisillons sont subdivisées par un
contrefort, comme à Haguenau.
Strasbourg, saint Thomas : l’intérieur de l’église
Une superbe triple nef à piles fasciculées s'insère vers 1290 entre le transept rayonnant et le
massif occidental roman - gothique. Mais les voûtes ne sont lancées que vers 1330, au
moment où deux collatéraux supplémentaires viennent constituer une quintuple halle,
rarissime en Europe. Le contraste entre la large nef principale et les collatéraux extrêmement
élancés sécrète une sorte d'ambiguïté spatiale. La tour de croisée octogonale avec sa coupole
sur trompes d'angle, est la dernière de ce genre réalisée en Alsace (1347).
Strasbourg, église saint Thomas : le transept
Au XVè, l’église s'agrandit de trois chapelles. Datée de 1469, la chapelle Saint-Blaise englobe
aussi des éléments romans. La chapelle Saint-André se contente d'une seule travée voûtée à
clé sculptée. Mais c'est la chapelle des Evangélistes (1521), avec sa porte en accolade, ses
baies aux remplages ondoyants et sa voûte réticulée qui illustre avec bonheur la dernière
phase du gothique.
Strasbourg, saint Thomas
Ainsi Saint-Thomas de Strasbourg est la plus spectaculaire des « Hallenkirche » d'Alsace, ou
« église-halle » aux nefs de hauteur sensiblement égale. L’église est aussi en 1290 le premier
édifice de ce type en Allemagne du Sud.
Strasbourg : coupe de la nef de Saint Thomas
4.3.2.2.2. Saint Pierre le Jeune
Fondée en 1031 l’église St Pierre le Jeune est reconstruite dans le style gothique entre 1250 et
1320. Hormis les encadrements des portes et fenêtres, elle est construite en briques et
recouverte de chaux. Elle se dote vers 1280-1290 d'un imposant chœur profond à quatre
travées, rond point à sept pans de décagone et chapelle axiale. Comme à Reims, la voûte du
chevet occupe une travée et l'abside, la clé étant sur le doubleau. A l'extérieur les arcs de
décharge surmontent les baies à deux lancettes.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le massif
occidental
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : la croisée et le
transept
Entre 1290 et 1320 environ est réalisée la nef élancée à transept occidental. Un élément des
piles octogonales monte jusqu'aux voûtes et délimite les travées. Les fenêtres à trois
lancettes, soulignées par un bandeau, sont relativement grandes et assurent une élévation à
trois étages. Au Sud, le bas-côté est dédoublé en forme de halle (comme à Wissembourg).
Une rangée de colonnes sans chapiteaux reçoit les voûtes et soutient en même temps la culée
intermédiaire des arcs-boutants.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : la nef et le jubé
Vers 1360, l'église Saint Pierre le Jeune s'agrandit de la chapelle Saint-Jean munie de
contreforts intérieurs. La chapelle de la Trinité est édifiée par Hans Hammer en 1491 (Beau
baptistère). On accède à l’église par le portail Sud, le «Portail Erwin» dont les statues de 1897
sont des imitations des originales détruites lors de la Révolution (Vierges sages et folles,
prophètes et saints). L’église possède enfin un très joli cloître reconstitué au XIXè avec des
éléments romans (3 galeries) et gothiques.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le cloître
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le portail sud dit
d’Erwin
4.3.2.2.3. Les édifices des ordres mendiants et des ordres prêcheurs

Les Dominicains et Franciscains, ordres animés d'une spiritualité nouvelle, dont la
naissance et le développement illustrent le fait urbain, sont de grands bâtisseurs. Ces
ordres prennent une importance grandissante et déploient une activité assez intense
et de tous ordres, spéculative, prêchante, charismatique et, aussi... lucrative. Leurs
églises, bien que sobres et dépouillées, sont vastes pour recevoir de nombreux fidèles
et de type « Hallenkirche ». Souvent charpentées, elles se caractérisent par un chœur
très étendu et par de hautes fenêtres. Ainsi l’église des Dominicains construite en
deux campagnes (1254-1260 pour le chœur et la nef, 1307-1345 pour un second
agrandissement réalisant une église-halle à deux hautes nefs centrales dont il reste
une gravure du XVIIè siècle).
Strasbourg : le couvent des Dominicains ou
« Prediger ». Gravure du XVIIè
Strasbourg : l’ancienne église des Dominicains,
détruite pendant le siège de Strasbourg en août
1870. Sur son emplacement s’élève aujourd’hui le
Temple Neuf

De la même époque date l’église des Cordeliers aujourd’hui détruite (emplacement de
l’actuelle place Kléber).
Strasbourg : la place des Cordeliers, actuelle place
Kléber. Gravure du XVIIè

Détail du plan de Conrad Morant de 1548 : de
gauche à droite : l’église et le couvent des
Cordeliers, le « Pfennigturm » (place Kléber) et
l’église des Dominicains (Place du Temple Neuf)
Sur des vestiges de 1182, l'église Saint Nicolas de Strasbourg est reconstruite en
1381.
Strasbourg : l’église saint Nicolas, vue de la Petite France

Fondée par les Müllenheim en 1306, l’église Saint Guillaume est mise à disposition des
moines Guillemites. Le sanctuaire est à nef unique et non voûté, avec un chœur
profond de cinq axes, non voûté lui aussi malgré la présence de contreforts étayant le
chevet. L'église sera remaniée en 1488. De cette époque datent le porche voûté avec
ses roses flamboyantes et son portail sculpté ainsi que le remarquable jubé de trois
travées avec ses clés pendantes. De beaux vitraux du XIVè au XVIIè content des
scènes bibliques ainsi que le cycle de St Guillaume et de Ste Catherine. Certains sont
de la main de Pierre Hemmel.
Strasbourg Krutenau : l’église saint Guillaume,
ancienne paroisse de la puissante corporation des
Bateliers
Strasbourg, saint Guillaume : verrière de la vie du
Christ. Premier quart du XIVè
4.3.2.3. L’architecture civile
Bien que l'architecture civile soit loin d'avoir été négligeable au XIVè siècle, elle a grandement
souffert des aménagements et des modifications d'ordre urbanistique des temps qui suivirent,
de sorte que ses vestiges sont pour la plupart intégrés dans les structures postérieures :
soubassements, portiques et pignons crénelés (aile gauche de l'Œuvre Notre-Dame de 1347).
4.3.3. Sculpture
4.3.3.1. Le chantier de la cathédrale
C’est naturellement le chantier de la cathédrale qui mobilise l’essentiel de l’activité artistique
des sculpteurs, pour la plupart anonymes, des XIIIè et XIVè siècles.
4.3.3.1.1. L’atelier chartrain du transept sud
Au début du XIII° siècle, des artistes venus de Chartres y introduisent le style gothique et
renouvellent la sculpture monumentale. Chose remarquable, la sculpture y précède
l'architecture en leur plein épanouissement. En effet, le transept sud, reconstruit entre 1200 et
1225 reste encore d'esprit roman dans son architecture, comme en témoignent les portails
sud en plein cintre. Mais, dans la décoration du « Pilier du Jugement », des tympans et des
ébrasements des portails, les artistes de Chartres sont nettement novateurs. Ils puisent leur
inspiration et leurs thèmes dans la fonction judiciaire de cette partie de l'église, qui donne sur
le palais épiscopal, dont l'officialité tenait souvent ses assises sur les marches du portail sud,
ou même dans le transept : aussi le pilier appelé communément « des Anges » est en réalité
celui du « Jugement dernier », le Christ trônant en haut, entouré d'anges porteurs des
instruments de la Passion, au-dessus des anges annonciateurs du Jugement, tandis qu'en bas
se tiennent les quatre Evangélistes. A l'extérieur, c'est le juge terrestre, le roi Salomon
(aujourd’hui disparu), qui trône au trumeau entre les deux portails, entouré des douze apôtres
(disparus) et des célèbres statues de l'Eglise et de la Synagogue aux yeux bandés, alors que
les deux tympans décrivent la mort et le triomphe de la vierge.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
portail sud et ses deux tympans
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
pilier des Anges ou du Jugement
Strasbourg, cathédrale : portail sud du
transept, tympan de la mort de la Vierge
Bien que son séjour à Strasbourg fut de courte durée, cet atelier introduit dans les régions de
l'Est le style formé à Chartres et à Sens, où il rencontre les modèles courants du roman tardif
surtout présents dans l'orfèvrerie, dans l'illustration de manuscrits (Hortus Deliciarum) et dans
le vitrail. Ainsi la célèbre « Synagogue » représente le sommet de la sculpture strasbourgeoise
du XIIIè siècle et est l’un des grands chefs d’œuvre de la sculpture gothique. Elle marque,
avec son pendant, l’« Eglise », le point suprême d'équilibre où le langage « classique » de
Chartres est frappé d'un accent pathétique qui là-bas lui fait défaut. Ces œuvres sont les
premières manifestations d'un art proprement strasbourgeois qui sait dépasser, grâce à sa
personnalité, les modèles étrangers. Cette fusion devient un phénomène proprement
strasbourgeois, raffiné dans la souplesse des draperies fines et comme mouillées, et empreint
d'une grande noblesse spirituelle.
Strasbourg, cathédrale : portail sud : la
Synagogue
Strasbourg, cathédrale : portail sud :
l’Eglise
Strasbourg, cathédrale : un des chefs
d’œuvre de la sculpture
strasbourgeoise : la synagogue. Musée
de l’Œuvre Notre Dame
4.3.3.1.2. L’atelier du jubé
La réalisation du jubé de la cathédrale, aujourd’hui disparu, marque une autre étape de
l’histoire de la sculpture, car elle est inspirée d’une autre école inspirée à la fois par la Sainte
Chapelle de Paris, la cathédrale de Reims, et l'église rémoise Saint Nicaise. En dehors de son
style propre, élégant, expressif, aux draperies en poches et en tuyaux, le jubé témoigne avec
et parmi d'autres initiatives en Alsace à partir du milieu du XIIIè siècle d'un processus de
durcissement des formes et d'un développement significatif du sens du volume.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
saint Jean l’évangéliste placé sur le petit
coté sud du jubé de la cathédrale. 3è
quart du XIIIè. Atelier du jubé
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
sacrifice d’Abraham ; revers du jubé de
la cathédrale. 3è quart du XIIIè. Atelier
du jubé
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
apôtre ; petit coté sud du jubé de la
cathédrale. 3è quart du XIIIè. Atelier du
jubé
4.3.3.1.3. L’atelier de la façade occidentale
La décoration des trois portails de la façade occidentale, à partir de la fin du XIIIè siècle,
marque l’autre moment fort de la sculpture gothique strasbourgeoise. À l'ambition du maître
d'œuvre s'ajoute celle des sculpteurs. Ils illustrent pour les portails un grand programme
théologique imaginé sans doute par Albert le Grand. Là encore, au milieu des grandes statues
des Prophètes, se révèle un sens du « pathos » qui définit bien l'art strasbourgeois du Moyen
Age. Après l'austérité des travées de la nef, c'est, au bas de la grande falaise occidentale, un
grand déploiement de sculptures, de thèmes, de styles empruntés à d'autres chantiers, à ceux
de Notre Dame de Paris, dont les statues du portail sud du transept de la cathédrale de
Meaux, la Vierge de Ligny en Barrois à l'angle d'une maison, semblent fixer des étapes vers
nos vierges strasbourgeoises, de Troyes en Champagne peut-être, rencontrant à Strasbourg la
tradition d'un sentiment plus germanique tourmenté, et excessif, dans la sculpture des
prophètes et des Vertus.
Strasbourg, cathédrale : la façade
occidentale
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
portail central de la façade occidentale
Façade occidentale, portail nord :
tympan de la naissance et de l’enfance
du Christ
Façade occidentale, portail sud : tympan
du jugement
Au portail central, le tympan de la Passion du Christ annoncée par les prophètes alignés aux
piédroits, que surmonte le grand gable échafaudant le trône de Salomon et celui de la Vierge,
sur les marches desquels jouent les lions de Juda. Tympan où se mêlent deux factures, deux
styles, l'un à la rudesse expressive des prophètes, l'autre à la plénitude souriante et presque
asiatique des vierges sages et des vierges folles du portail droit.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : schéma des sculptures du portail central
A gauche, côté Nord, cantonnant un tympan de l'Enfance du Christ (refait au XIXè siècle), les
Vertus maniérées, aux traits étirés, combattant les vices écrasés sous leurs pieds. Côté Sud, le
Jugement dernier, restauré, demeurerait assez secondaire si les figures paraboliques des
vierges sages et des vierges folles, les unes accueillies par le Christ, les autres séduites par le
Tentateur, ne venaient pas le signifier de façon spectaculaire, debout aux piédroits qu'ornent
en relief les signes du zodiaque et les occupations des mois.
Strasbourg : la cathédrale, portail centra
de la façade occidentale : les Prophète
Strasbourg, cathédrale : détail du portail
de droite de la façade occidentale, dit
« portail des Vierges sages et des
vierges folles » : le tentateur et une
vierge folle
Strasbourg, cathédrale : détail du portail
de droite de la façade occidentale, dit
portail des Vierges sages et des vierges
folles : l’Epoux divin
Façade occidentale, portail sud: les
vierges sages
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
massif occidental, portail nord : vertu
terrassant un vice
Que ce soit à Reims ou à Amiens, à Bamberg ou à Magdebourg, nulle part ailleurs qu'à
Strasbourg, les draperies qui enveloppent tout à fait le corps n'ont une telle valeur
déclamatoire.
Strasbourg, cathédrale : portail de la
façade occidentale : les prophètes
Strasbourg, cathédrale : Façade
occidentale, portail nord : ébrasement
droit : les Vertus terrassant les vices
Strasbourg, cathédrale : façade
occidentale, portail nord : ébrasement
droit : les Vertus terrassant les vices.
Détail
4.3.3.1.4. Les autres œuvres
Après la réalisation de la façade occidentale, on assiste au XIVè à un certain appauvrissement
de la sculpture strasbourgeoise, qui semble se complaire dans une certaine complication :
arabesque des recoupements, des courbes et des ombres, ou d'ordre expressif : visages
extatiques, « asiatiques » ou d'une ingrate rudesse, draperies contraignantes…
Les programmes iconographiques sont essentiellement représentés par la décoration de
l'étage entre les tours de la façade de la cathédrale de Strasbourg (entre 1360 et 1380
environ) et les sculptures de la chapelle Sainte-Catherine, fidèles au pathétique de leurs
ancêtres les Prophètes du portail ouest, mais manifestant un certain affaiblissement de la
force d'invention du chantier.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la façade entre les deux tours
4.3.3.2. L’art funéraire
Le XIVè siècle privilégie et développe des types de monuments tels que les saints sépulcres,
les plates et hautes tombes à gisants, ainsi que les figures de piété isolées : Vierges à l'Enfant,
saints et piétas. Il est surtout remarquable par l’art funéraire qui produit quelques œuvres de
grande valeur :

Maître Woelfflin de Rouffach se révèle comme le grand « tombier » alsacien du XIVè
siècle : le double monument funéraire élevé à Saint Guillaume aux frères de Werd
montre une description minutieuse, un « inventaire » détaillé de l'armement d'un
chevalier. Au moment où le patriciat marchand et les corporations prennent en charge
les destinées de la cité, Woelfflin rend ainsi un froid hommage à la chevalerie
finissante. La première tombe est celle de Philippe de Werd (1332) ; la seconde, plus
imposante, est celle de son frère Ulrich de Werd ( 1344), Landgrave d’Alsace. Woelfflin
réalisera d’autres œuvres hors de Strasbourg : gisant de l'abbesse Irmengarde de
Bade au couvent de Heilingenthal en Forêt Noire, gisant du chevalier Ulrich de Hus
d'Issenheim (musée Unterlinden), gisant de Conrad Werner de Hattstatt…
Strasbourg saint Guillaume : tombeaux de Philippe (en bas) et Ulrich de Werde par Woelfflin de Rouffach.
Crypte

Le tombeau de l'évêque Conrad de Lichtenberg ( 1299) dans la chapelle Saint Jean
Baptiste à la cathédrale de Strasbourg : baldaquin à trois gables en façade et un gable
de côté, le gisant massif, polychrome, en grand ornement, reposant sur une dalle
surélevée.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : chapelle saint
Jean Baptiste : le gisant de Conrad de Lichtenberg
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le tombeau
de Conrad de Lichtenberg




Le tombeau de Conrad de Lichtenberg a transmis à toute une série de saints sépulcres
son principe architecturel : le premier exemple en est donné à la cathédrale de
Strasbourg, vers 1340, dans la chapelle Sainte-Catherine ; ses nombreux fragments
d'architecture et de sculptures (gisant du Christ et gardiens en armure) sont conservés
à l'Œuvre Notre Dame, dépôt et musée. Ses saintes femmes ont disparu, elles
devaient être voisines des figures dressées aux piliers de la chapelle donnant sur le
collatéral sud : sainte Catherine, sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste, car celles-ci
sont, à leur tour, parentes des saintes femmes et des anges du saint sépulcre de la
cathédrale de Fribourg en Brisgau.
Le sépulcre de l’église Saint-Etienne, vers 1350-1360 est connu par un dessin de Jean
Jacques Arhardt (1670) ; il se peut que ce soit celui de l’église Saint Nicolas de
Haguenau, transféré là au XVIIIè siècle ;
Strasbourg, La chapelle funéraire des Müllenheim de l’ancienne église de la Toussaint
(1370-1380).
D’autres œuvres sont connues par des fragments ou de dessins : fragments trouvés
près de l'église Saint Jean, vers 1400 ; mention écrite de 1311 d’un sépulcre dans
l’église Saint Pierre le Jeune ; mention écrite de 1361 d’un sépulcre dans l’église SaintThomas ; sépulcre dans l’ancienne église Saint Jean à l'Ile Verte selon une relation
écrite après 1371 ; fragments conservés de l’ancienne chapelle du Saint Sépulcre du
couvent des Augustins, (1360-1365)…
4.3.3.3. Autres œuvres
Hormis ces grands sépulcres, l’art funéraire à produit d’autres œuvres plus simples, parmi
lesquelles l'épitaphe à l'effigie de Jean Thaller, chevalier autrichien ( 1356) en bonnet,
aumusse et cotte de l’église Saint Thomas et la pierre tombale de Jean Tauler, le dominicain
mystique ( 1361), provenant du cimetière du couvent de Saint-Nicolas in Undis et conservée
dans l'église du Temple Neuf à Strasbourg.
4.3.4. Peinture
En dépit des pertes, imprécisions, dispersions, l'illustration de manuscrits alsaciens fournit
pour le XIIIè siècle une meilleure base d'appréciation, d'autant que les ensembles importants
du vitrail viennent la conforter même si les parentés véritablement personnalisés entre ces
deux disciplines demeurent rares.
Pourtant, l'éveil de la peinture aux courants nouveaux, au-delà du « Zackenstil » dont le XIIIè
siècle garde longtemps l'empreinte dans le vitrail, s'effectue avec le manuscrit illustré du
« Tristan » de Gottfried de Strasbourg conservé à la Staatsbibliothek de Munich (ms. German.
51) : les dessins prennent la mode vestimentaire et les formes expressives de l'atelier de
l'Eglise et de la Synagogue, de sculpture donc, et créent un véritable album de la vie
courtoise, animé d'un mouvement alerte qui renchérit sur les torsions des corps et des plis du
célèbre atelier et fait virevolter les draperies dans un esprit baroque, dégagé de celui,
véhément aussi, du Zackenstil. Quelques gémellions aux figures de Vertus et d'allégories (au
musée des Arts décoratifs de, Strasbourg, au musée Unterlinden de Colmar) tentent une
percée semblable mais demeurent trop tributaires de l'Hortus pour y réussir.
Page du Manuscrit Germain 51 du Tristant de la Staatsbibliothek de Munich
Au XIVè siècle, la peinture de manuscrits est essentiellement documentée par trois ouvrages
de nature très diverse, tous strasbourgeois :



Le « Mémorial de Saint-Jean à l’Ile Verte », couvent fort adonné à la vie mystique, et
où se retira le banquier piétiste Rulman Merswin ;
La « Vita Suso », des environs de 1360, recueil de piété comme l'indique son titre
(B.N.U. Strasbourg), mais dont l'illustration livre une imagerie d'un niveau artistique
assez moyen, très significatif cependant du style de l'époque.
L'élévation sur parchemin de plus de 3 mètres de haut de la façade occidentale de la
cathédrale, issu de l'atelier du maître d'œuvre Michel (Parler) de Fribourg, fils de Jean
de Gmünd, et situé entre 1360 et 1380. Cet ouvrage d'architecture présente le
programme iconographique de la galerie qui devait former vers 1360 le couronnement
du corps médian de la façade au-dessus de la grande rose, et celui de l'étage entre les
tours érigées à la suite pour combler l'espace d'entre-deux et y suspendre les cloches
de la Ville.
Strasbourg, cathédrale : le « plan A ». Dessin, Musée de l’œuvre Notre Dame
Quant à la peinture murale, L'ancienne église des Dominicains de Strasbourg, détruite en 1870
conservait une Crucifixion des alentours de 1300, dont une copie est détenue par le Service
des Monuments Historiques, d'une incontestable élégance d'écriture, sans doute d’inspiration
« colognaise ».
4.3.5. Vitrail
4.3.5.1. La cathédrale de Strasbourg
Après la magnifique série, encore romane, de la « galerie des rois et Empereurs du saint
empire romain », sont réalisés, jusqu’à environ 1240, les ensembles apparentés à l'atelier de
l'Eglise et de la Synagogue : reine de Saba, rose de l'Ancien Testament, Christ, Jean-Baptiste,
saint Christophe dans le transept, demi médaillon de la Vierge au trône de Sapience provenant
des toutes premières travées de la nef, reléguées aujourd'hui, à l'envers, dans la dernière
fenêtre haute de la nef, côté nord.
Puis arrive, dès après 1240 l'atelier porteur du « Zackenstil », désigné aussi comme
westphalo-saxon, dont témoignent encore les réseaux des bas-côtés, quelques bustes du
triforium, premières travées et de figures en pied de papes et de diacres de la première
fenêtre haute, côté nord. Style volontaire, aux étoffes tendues, brisées de jeux ornementaux
anguleux, aux traits lourds et aux anatomies souvent athlétiques quand elles ne sont pas
effacées par l'amas des draperies.
Début du XIVè sont réalisés les petits sujets sous des arcs en accolade dans les écoinçons
desquels apparaissent souvent les prophètes en buste. Arcs, boutons et enroulements
d'écoinçons (ou médaillons secondaires) sont combinés dans la verrière de la Genèse, fenêtre
nord du narthex de la cathédrale.
Dans les années 1340 est réalisé le grand œuvre du bas-côté méridional de la cathédrale,
série de cinq verrières consacrées à la Vie de la Vierge, à l'Enfance et à la Vie publique du
Christ, à sa Passion et à sa Vie surnaturelle, enfin au Jugement dernier, datation dictée par
des raisons de style et aussi d'implantation de la chapelle Sainte-Catherine entre 1332 et
1349, au droit des deux premières travées. Ces cinq verrières, où l'on suit une évolution
stylistique manifeste et constante, dans l'écriture, dans le coloris et dans l'espace scénique,
ont remplacé la série des prophètes antérieure et constituent l'une des plus riches illustrations
des thèmes mariologiques et christologiques inspirés par la Bible des Pauvres. Elles furent
vraisemblablement précédées, du côté est, par les Combats allégoriques des Vertus et des
Vices, logés aujourd'hui dans la dernière fenêtre haute de la nef, côté nord.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, première verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : la
présentation au temple
Strasbourg, cathédrale : vitraux du bas
côté sud
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, deuxième verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : Jésus et
la femme adultère ; Jésus et la
Samaritaine
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, première verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : la
guérison d’un infirme et la résurrection de
la fille de Jaïre
Il semble aussi qu'avant même l'achèvement de la série, vers 1350 du côté de l'Ouest, les
verrières de la chapelle Sainte Catherine aient été menées à bien autour de 1340, avec leur
baldaquins vertigineux sur des fonds rouges et bleus où scintillent des pastilles bleues et
rouges, qui couronnent la théorie des apôtres égrenant les termes du Credo.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : verrière de la chapelle sainte Catherine, du XIVè
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : chapelle sainte Catherine : verrière avec les saints Jacques le mineur,
Jean et Thomas
Vers 1350 est aussi réalisée la haute verrière du Jugement de Salomon, dans la 6è fenêtre
méridionale de la nef de la cathédrale de Strasbourg, dont les personnages monumentaux se
répartissent dans les quatre lancettes, sous de hauts baldaquins que bordent les inscriptions
commentaires de la scène ; art assez conventionnel qu'anime un coloris un peu trop soutenu
dans le contexte général des verrières de la haute nef.
4.3.5.2. Autres œuvres
Le style « Zackenstil » caractérise les vitraux de la première église des Dominicains, entre
1254 et 1260 : scènes de la vie du Christ, arbre de Jessé, vie de Saint Dominique avec des
nuances, vie de Saint Barthélemy, patron de l'église. Il apparaît encore, et toujours aussi
vigoureux, mais assoupli dans le chœur de l'église Saint-Thomas : scènes de l'Ancien
Testament, de la légende de saint Thomas, médaillon de l'Incrédulité du saint patron, au
centre de la rose en façade occidentale, refaite, il est vrai, mais fidèlement dans le style de
son dessin, donc copié sur le médaillon original.
Du premier tiers du XIVè datent les panneaux à sujets christologiques de la façade nord-ouest
de l'église Saint Guillaume à Strasbourg, qui sont à leur place d'origine. Des Dominicains
(avant 1345) proviennent les séquences de la vie et de la Passion du Christ, transférés dans la
chapelle Saint Laurent de la cathédrale.
Après 1380 vraisemblablement, le chœur de l'église Saint Pierre le Vieux de Strasbourg
(détruit en 1869) est décoré d'un magnifique ensemble de vitraux à thème christologique,
dont le baron de Schauenbourg, a laissé une description en 1865 (fragments au musée de
l'Œuvre Notre Dame). Cet ensemble culminait dans la Crucifixion, entre Saint Jean, conservé,
et la Vierge, disparue ; il comprenait un Gethsémani, une Résurrection, une Adoration des
mages. Art vigoureux, sévère, d'un coloris profond, adouci par la calligraphie propre à
l'écriture du siècle.
Il est plus difficile de situer les vitraux (ou ce qu'il en reste) de la dernière campagne de
vitrerie de l'ancienne église des Dominicains de Strasbourg, achevée sans doute en 1417. La
verrière du Jugement dernier peut le mieux en rendre témoignage, annonçant à la fois l'art
d'un maître de Boucicaut et, sous de grandes architectures peintes à la manière de celles de la
chapelle Sainte Catherine, mais d’une facture plus large, des apôtres assis, aux traits
puissants, aux draperies amples et affirmées, environnent le Christ de physionomie presque
michelangélesque (le Moïse) de la Déisis. Composition centrale classique, mais étonnante de
monumentalité.
4.3.6. Les lettres
Dans le domaine des lettres, les XIVè-XVè présentent une indigence qui contraste avec les
grandes œuvres du XIIIè siècle et celles de l'humanisme. La veine poétique est complètement
tarie et aucune œuvre d'imagination n'est digne d'être citée. La seule exception concerne
l'histoire. Animés d'un fort patriotisme municipal, les bourgeois des villes sont avides de
connaître les grands faits du passé de leur cité et ce besoin suscite la rédaction des trois
chroniques strasbourgeoises du XIVè siècle : celle de Mathias de Neuenbourg, celle de
Closener et celle de Kœnigshofen.



Mathias de Neuenbourg, conseiller juridique de l'évêque, compose une histoire de
l'Empire courant de 1270 à 1350, dont la paternité d'ailleurs lui est en partie
contestée, ainsi qu'une biographie de l'évêque Berthold de Bucheck (1328-1353). Sa
chronique latine, d'un style alerte, riche en anecdotes qu'il recueillit probablement de
témoins des événements, comporte cependant bien des inexactitudes.
Fritsche Closener, chanoine du grand chœur de la cathédrale, inaugure la série des
chroniques en langue allemande, assurées d'une plus large audience. Il a le mérite
d'un style simple, sans prétention, d'une relative objectivité et d'une analyse assez
fine des faits. C’est lui qui relate avec quelques détails les deux révolutions
strasbourgeoises de 1332 et 1349, ainsi que les ravages de la peste noire. 1.1.
Jacques Twinger, de Koenigshoffen, issu d'une famille patricienne de Strasbourg,
chanoine de Saint-Thomas depuis 1395, rédige sa chronique allemande (après en
avoir écrit une latine, perdue), entre 1392 et 1420, date de sa mort. Cette chronique
court jusqu’en 1400. Comme il le dit dans sa préface, il s'adresse aux laïcs cultivés, ne
veut pas s'en tenir aux vieilles histoires, mais veut raconter les faits contemporains
« qui sont lus avec plus d'intérêt que les choses anciennes », et particulièrement les
événements remarquables qui se sont produits en Alsace et à Strasbourg.
Kœnigshofen ne rompt cependant avec la tradition, et sa chronique est d'inspiration
typiquement médiévale, surtout quand on la compare à celle de Froissart, à peu près
contemporaine.
Il débute par la création du monde et manifeste le souci d'écrire une histoire
universelle en même temps que strasbourgeoise et remonter toujours jusqu'aux plus
lointaines origines. Les trois premiers chapitres relatent l'histoire de l'Orient, des Juifs,
de Rome, des papes et de l'Eglise chrétienne ; le quatrième est consacré aux évêques
de Strasbourg, depuis saint Amand ; seul le cinquième traite de l'histoire de la ville,
depuis sa création par Trébata, fils de Sémiramis et fondateur de Trèves, douze cents
ans avant notre ère.
Le récit n'est pas continu, mais découpé en une suite de notices souvent disparates,
sans grand respect de la chronologie ni de l'exactitude. L'auteur ne se prive pas non
plus, pour les événements récents, de faire de larges emprunts, parfois textuels, à ses
devanciers. Mais son récit est vivant, naïf, émaillé d'anecdotes, de saillies, de faits
étonnants. Le sincère patriotisme municipal et impérial qui s'en dégage ne pouvait
manquer de plaire à ses lecteurs.
Telle quelle, cette œuvre rencontra un succès éclatant en Allemagne et passa pour le
modèle de toute chronique urbaine. On en connaît une quarantaine de manuscrits,
dont certains contiennent des insertions concernant d'autres villes. En Alsace même,
elle eut plusieurs continuateurs au XVè siècle. Pourtant, sa vogue semble avoir été
d'assez courte durée, puisqu'il fallut attendre jusqu'en 1698 pour en voir paraître une
édition imprimée.
16eme siecle
1. 16eme Introduction
Avec le XVIè commencent les temps modernes : humanisme, renaissance, réforme,
inventions, grandes découvertes... Le capitalisme prend naissance ; en politique
l'état moderne se prépare avec les nouvelles théories du pouvoir des rois et des
princes. Mais ces changements importants provoquent de violentes crises et
mouvements sociaux.
2. Histoire politique
2.1. La guerre des paysans
Au XVè la situation des paysans s'aggrave. Les seigneurs augmentent taxes et corvées et
exagèrent leurs droits et prérogatives, ce qui mécontente grandement la paysannerie. Ecrits
prophétiques et incendiaires les poussent à l'action. Ainsi l'écrit révolutionnaire de « L'inconnu
du Rhin supérieur ».
A la fin du XVè éclate à Sélestat le mouvement du « Bundschuh » par opposition à la botte
seigneuriale. Ses chefs Hans Ulmann de Sélestat et Jacques Hanser de Blienschwiller gagnent
beaucoup de partisans en Alsace Moyenne et dressent en mars 1493 au pied de l'Ungersberg
un programme d'action : abolition du tribunal de l'évêque et de l'empereur, chasse aux Juifs
usuriers et abolition des impôts injustes. Mis au courant de l'affaire, les autorités arrêtent les
insurgés et les condamnent à mort.
Mais le mécontentement persiste et en 1517 les régions des deux cotés du Rhin se soulèvent.
A leur tête Joss Fritz. Le mouvement est rapidement écrasé mais n'en devient que plus
révolutionnaire. Dès 1524 des soulèvements éclatent à Nuremberg, en Suisse et en Forêt
Noire.
Début avril 1525 de sévères mesures sont prises contre les prédicateurs luthériens. Alors la
révolte éclate et s'étend comme une traînée de poudre, laissant les autorités totalement
paralysées. Du Sundgau à Sarreguemines les paysans se dressent contre leurs seigneurs laïcs
ou ecclésiastiques. La fureur paysanne se déchaîne contre couvents et abbayes
(Schoensteinbach, Oelenberg, Lucelle, Ebersmunster, Pairis, Altorf, Guebwiller...), bourgs et
petites villes (Ribeauvillé, Bergheim, Riquewihr, Kaysersberg, Ammerschwihr...) et châteaux.
Seules les villes bien armées et les châteaux bien défendus arrivent à résister.
Très vite les paysans s'organisent en bandes ayant à leur tête un chef et un comité. On choisit
un chef suprême, Erasme Gerbert de Molsheim. Le programme des paysans : abolition du
servage, liberté de chasse et pêche, libre jouissance des communaux et forêts, suppression
des impôts injustes, limitation des corvées, réglementation des cens.
La réaction, foudroyante, vient principalement du duc Antoine de Lorraine qui craint
l'extension de la révolte chez lui. Au mois de mai, il marche sur l'Alsace. Les paysans qui ont
pris Saverne s'y laissent enfermer. Une armée de secours de 5 000 hommes est massacrée à
Lupstein (Incendie de l'église). Le 17 mai 1525, ceux de Saverne se rendent contre la
promesse de la vie sauve... Ils sont 20 000. Le duc les fait tous massacrer sans pitié. Parmi
eux, Erasme Gerber.
Le duc marche alors vers le sud et le 20 mai écrase une armée de paysans de Haute et
Moyenne Alsace, commandée par Georges Gundram de Dambach, entre Scherwiller et
Châtenois. Il y a 5 000 morts. Puis il rentre en Lorraine par le val de Villé.
Dans la région de Wissembourg et le Sundgau la révolte persiste et ne sera matées qu'en
septembre (Wattwiller). Aussitôt débute la terrible répression de la part des seigneurs :
emprisonnements, exécutions (Plus de 10 000 par le tribunal d'Ensisheim), taxes,
confiscations... Le mouvement est noyé dans le sang et la situation paysanne empire... Ce
terrible incendie restera un épisode court mais sanglant de l'histoire de l'Alsace.
2.2. Le morcellement territorial
La révolte des paysans n'a aucune répercussion sur la situation politique et les destinées de la
province. Le pays conserve de nombreuses seigneuries laïques et ecclésiastiques. Les deux
Landgraviats se maintiennent, celui de Haute Alsace aux Habsbourg, celui de Basse Alsace
(qui n'est plus qu'un simple titre), aux Évêques de Strasbourg.
L’empereur possède le Grand Baillage de Haguenau en Basse Alsace (la ville et 40 villages
alentour), les 10 villes impériales (Décapole) ; le Grand Baillage est souvent engagé
(Habsbourg 1504, Electeur Palatin, Habsbourg en 1557, qui tentent d'en faire une possession
familiale).
Pour ce qui est des autres possessions, l’Alsace est une véritable mosaïque.
2.2.1. La Haute Alsace
Moins morcelée que la Basse Alsace à cause de l’ancien héritage des Ferrette passé aux mains
des Habsbourg, la Haute Alsace est partagée entre quelques grands seigneurs et de puissants
dignitaires ecclésiastiques :




La maison des Habsbourg possède le Sundgau (Seigneuries de Ferrette, Altkirch,
Thann, Rougemont, Belfort, Ensisheim, Cernay, Bollwiller) jusqu'au portes de Colmar,
la Seigneurie de Hohlandsbourg (acquise en 1563 par le baron Lazare de Schwendi),
Kientzheim et le Val de Villé. Mais beaucoup de ces seigneuries sont engagées à
différents nobles. Le pays est administré par un Landvogt, auquel est adjointe en 1523
une régence civile et judiciaire installée à Ensisheim, et en 1570 une chambre des
finances.
Les seigneurs de Ribeaupierre sont très puissants au XVIè et leur domaine s'étend de
Sainte Marie à la Vallée de Munster.
Les seigneuries ecclésiastiques sont celles de l'abbé de Murbach (Vallée de Guebwiller
et de Saint Amarin), celles de l'abbé de Munster et celles de l'évêque de Strasbourg
(Mundat supérieur avec Rouffach).
les comtes de Wurtemberg régissent le pays de Montbéliard et la région de Riquewihr
et Horbourg.
2.2.2. La Basse Alsace
Le morcellement y est bien plus poussé : les seigneurs les plus importants sont l'évêque de
Strasbourg, les comtes de Hanau-Lichtenberg, la ville de Strasbourg, les villes impériales, les
seigneurs de Fleckenstein et la chevalerie immédiate d'empire : Andlau, Ratsamhausen,
Landsberg, Bergheim, Boecklin de Boecklinsau, Zorn, Müllenheim...
2.2.3. La décapole
Elle existe toujours, mais doit se défendre contre les Habsbourg. Mulhouse, trop menacée,
s'affilie à la Confédération Helvétique en 1515 ; Landau était entrée dans la décapole dès
1511. Au XVIè, la décapole doit encore surmonter la crise religieuse ; elle y parvient,
sauvegardant son unité.
2.2.4. Les états provinciaux d’Alsace
La division territoriale, les dangers extérieurs, la faiblesse de l'Empereur provoquent un
rapprochement des diverses puissances alsaciennes. Ainsi naît au début XVIè une nouvelle
institution, les « États Provinciaux » (« Landstände »).
Ceux de la Basse Alsace se réunissent pour délibérer de leurs intérêts communs, suivis par
ceux de Haute Alsace sous l'égide de la maison d'Autriche. Finalement les deux Etats se
réunissent en un seul en 1528 à Haguenau, et dans les années suivantes l'institution continue
à se développer. Les états comprennent toutes les puissances immédiates d'empire, les
princes et seigneurs laïcs ou ecclésiastiques et les villes.
Bientôt les Etats deviennent une institution permanente qui, bien que non reconnue
officiellement et malgré les dissensions religieuses, donne à la province une véritable
personnalité politique. Les Habsbourg et les Evêques de Strasbourg convoquent les Etats pour
la Haute et Basse Alsace et leur action se manifeste dans plusieurs domaines : maintenir la
paix publique, conjurer les dangers extérieurs, entretenir des troupes, promulguer des
règlements de police dans les domaines économiques, financiers et judiciaires (salaires, prix
du blé, mesures anti-mendiants ou anti-alcooliques).
Pendant près d'un siècle les Etats exercent une activité très bénéfique. Malheureusement
l'institution sera ruinée par la guerre de Trente Ans.
2.2.5. L'apogée de Strasbourg
Au début du XVIè, la ville de Strasbourg est à son apogée. Sa constitution se développe avec
son magistrat et son conseil, le collège des échevins et diverses commissions. La ville est
dirigée avec prudence par le patriarcat d'affaires. Vers l'extérieur, la « République » sait se
faire respecter, justifiant l'éloge d'Erasme à Wimpfeling en 1514 : « J'ai vu une monarchie
sans tyrannie, une aristocratie sans factions, une démocratie sans désordre, de la richesse
sans le luxe, le bonheur sans l'orgueil. Peut-on imaginer bonheur plus grand que cette
harmonie ? »
2.2.5.1. Humanisme et renaissance
Depuis le XVè la ville est devenue un centre d'humanisme, de savants, d'artistes. Le plus
célèbre est incontestablement Jean Gutenberg. La réforme s'introduit rapidement dans la cité :
dès 1529 la doctrine de Luther est adoptée officiellement. Mais la ville accueille aussi les
adeptes de différentes tendances protestantes (Calvinistes).
L'instruction se développe rapidement. La renaissance produit de belles demeures : Hôtel de
Ville (Chambre de commerce), Grande boucherie (Musée Historique) et de nombreuses
maisons patriciennes.
L'excellente situation financière, le développement de l'artisanat, le commerce et les affaires
économiques procurent à la ville un grand essor économique. Cette brillante situation, la ville
en est redevable à l’un de ses plus remarquables citoyens, Jacques Sturm de Sturmeck.
2.2.5.2. Jacques Sturm de Sturmeck : 1489 - 1553
Issu d'une vieille famille strasbourgeoise, Sturm possède une remarquable culture humaniste.
Dès 1524 il est membre du conseil et de divers collèges, et joue un rôle prépondérant dans la
direction des affaires municipales, notamment dans la question de l'enseignement. Dès 1526 il
est élu « Stettmeister » et let sera encore à diverses reprises. Pendant de longues années, il
représente la ville dans toutes les conférences politiques et religieuses et se distingue par sa
politique mesurée et habile, par son idéalisme et la hauteur de ses vues. Il défend la ville avec
succès, mais devient aussi l'orateur d'autres cités, assurant ainsi à Strasbourg un rôle de chef
de file.
Or les temps sont difficiles : Réforme, lutte entre la maison des Habsbourg et la France...
Strasbourg adhère à la ligue de Smalkade en 1530 et négocie une alliance avec François Ier.
Mais en 1547 Charles Quint bat la ligue, mettant Strasbourg dans une situation délicate. Grâce
à l'habileté de Sturm lors de la négociation de Nördlingen, la ville garde tous ses droits. Eu
1552 quand Henri II de France, allié à la ligue prend Metz, Toul et Verdun puis s'avance
jusqu'à Brumath, la ville reste fidèle à l'Empereur et ferme ses portes au roi qui rebrousse
chemin.
Jacques Sturm meurt en 1553 à Breuschwickersheim dans un semi exil. Fondateur de la
grandeur de la cité, il fut un brillant personnage qui domina toute son époque.
Malheureusement après sa mort la ville décline rapidement, en raison de la guerre dite « du
Grand Chapitre » (1583ss), de l’intransigeance d’une nouvelle classe politique montante ultraluthérienne et de la « Guerre des Evêques » (1592-1604) qui entraîne la ruine financière de la
ville.
2.2.6. Vie économique et sociale
L'Alsace profite grandement de l'essor du commerce qui caractérise le début des Temps
Modernes. Tous sont unanimes pour faire l'éloge de l'Alsace, de sa prospérité, de sa richesse.
Ainsi le « Weltbuch » de Sébastien Franck (1534) ou la « Cosmographie » de Sébastien
Munster (1552 éd. française), ou encore les éloges de Wimpfeling, Matthias Ringmann
Philesius, Bernard Hertzog, Blinde Rösslin qualifiant le pays de « Edelsass »...
2.2.6.1. Agriculture
Elle est une des plus riches de l'Europe. Les céréales font l'objet d'exportations florissantes.
Les cultures maraîchères dominent dans la région de Strasbourg, Colmar et Sélestat, ainsi que
les plantes industrielles (Colza, chanvre, lin). Arbres fruitiers et châtaigneraies donnent de
bonnes récoltes. Tous ces produits sont vendus en Saxe, Thuringe, Hollande et Angleterre. La
vigne maintient au plus haut niveau sa qualité et sa renommée européenne.
Le gros bétail est élevé dans le Sundgau et les Hautes Vosges où l'on pratique l'alpage et où
l’on fabrique le fromage de munster, déjà réputé. Chevaux, ovins et porcins sont élevés dans
tout le pays.
2.2.6.2. Mines et artisanat
A la fin du XVè sont redécouvertes les mines d'argent de la vallée de Sainte Marie. Elles
avaient été abandonnées au XIVè à cause des difficultés techniques. Mais au XVIè
fonctionnent 67 mines et 10 fonderies. Plus de 2 000 mineurs y travaillent et la ville de Sainte
Marie prend naissance. On trouve aussi dans la vallée du plomb, cuivre et cobalt.
Les gains reviennent aux Habsbourg et aux Ribeaupierre pour la partie sud, et aux ducs de
Lorraine pour la partie nord. Rapidement les mineurs forment la corporation des
« Knappschaft » avec ses coutumes et son juge, le « Bergrichter ».
Vers la fin du XVIè, le rendement minier commence à baisser. Quant au fer, il est exploité à
Giromagny, Framont sur Bruche et en Alsace du nord.
L'artisanat produit pour les besoins de la population et pour l'exportation tissus, cuirs, armes,
vaisselle, bijoux, livres...
L'organisation reste corporative, mais de plus en plus conservatrice : les corporations
deviennent de vrais organes politiques et administratifs : ainsi à Strasbourg il n'y a plus que
20 corporations en 1482 et 10 à Colmar en 1521. Une aristocratie artisanale maintient ses
prérogatives et rend difficile l'accès à la maîtrise. Bien des compagnons restent ouvriers alors
que la maîtrise est largement ouverte aux fils des maîtres ou à des compagnons ayant épousé
la fille d'un maître. Cependant la corporation forme une classe stable et solide qui assure la
force des villes florissantes d'Alsace.
2.2.6.3. Commerce et transports
Le commerce connaît une grande activité, surtout à Strasbourg, où bateliers et armateurs
forment la puissante corporation « A l'Ancre » La Wantzenau forme l'avant-port de la ville.
Mais lors de la Réforme, l'évêque revendique la possession de ce village, et le Magistrat fait
construire un nouveau port vis-à-vis de Kehl. Les bateliers de la ville dominent le fleuve de
Bâle à Mayence. Les échanges sont de même teneur qu'au Moyen Âge, mais leur quantité est
bien plus importante. Deux nouvelles exportations apparaissent : celle d'eau de vie et de
vinaigre.
Strasbourg est un centre de transit considérable. Les marchandises affluent. Déposées à la
douane et soumises à des taxes, elles repartent vers les pays lointains. Ainsi la ville s'assure
d'énormes profits. Les foires contribuent à sa prospérité. Les commerçants de Strasbourg sont
en relation avec tous les pays d'Europe. Mais ils ne fondent pas de succursales à l'étranger et
ne s'adonnent par au trafic maritime. Ils se contentent de faire le commerce de transit des
marchandises européennes, s'enrichissant fortement et devenant ainsi les premiers
capitalistes Alsaciens. Par eux naît le nouveau système du commerce de l'argent et du crédit.
Les Strasbourgeois utilisent les capitaux amassés aux achats de terres puis, fait nouveau, aux
prêts fructueux : la Banque de Strasbourg d'abord privée, puis municipale, est créée en 14821484 et attire rapidement une nombreuse clientèle.
A un moindre degré, les autres villes Alsaciennes participent à ce développement économique,
surtout Colmar, Haguenau et Sélestat.
2.2.6.4. La vie quotidienne
2.2.6.4.1. Les paysans
Les blessures de la Guerre des Paysans se guérissent vite. Les conditions de vie de la
paysannerie restent modestes comme par le passé. On ne parle plus guère des « serfs » non libres, la plupart étant des paysans censiers, les uns pauvres, les autres aisés. Mais la grande
partie des terres reste aux mains des nobles, bourgeois ou clercs. Les modes d'exploitation ne
changent pas, ni la vie matérielle des paysans.
2.2.6.4.2. Les citadins
La vie matérielle s'améliore nettement dans les villes : grandes et belles maisons en pierre
avec portails, larges fenêtres, balcons, oriels. Le mobilier s'enrichit : meubles magnifiques,
abondante vaisselle en terre cuite ou étain, gobelets d'argent. Dans l'habillement, la mode bat
son plein. Banquets, fêtes, danses sont fort abondants. L'Alsace du XVIè donne l'impression
d'une grande joie de vivre.
Mais dès 1550 des changements se produisent : troubles religieux et querelles politiques
créent de nombreux désordres. La nouvelle élite politique au pouvoir tient pour un
protestantisme beaucoup plus puritain et austère… L'insécurité perturbe la vie économique et
quelques faillites inquiètent le milieu économique… Au début du XVIIè, la situation va se
tendre brusquement.
3. Lettres et arts
Le XVIè est aussi le siècle de grands changements dans le domaine des lettres et arts.
L'Alsace participe activement à ce nouvel état d'esprit venu d'Italie, et le XVIè est « Le siècle
d'Or Alsacien ».
3.1. L'Humanisme
L'humanisme se répand surtout par les universités. Mais il n'y en a aucune en Alsace et les
étudiants alsaciens suivent leurs études à Paris, Bologne, puis dès le XVè à Bâle, Fribourg en
Brisgau et Heidelberg.
3.1.1. Les écoles
L'humanisme se propage en Alsace dans la deuxième moitié du XVè à Murbach d'abord avec
Barthélémy d'Andlau (Mort en 1447) qui lance l'école de l'abbaye (Latin, grec, auteurs
anciens). Mais il fleurit surtout à l'école humaniste latine de Sélestat, la plus importante
d'Alsace, sous l'impulsion de Louis Dringenberger qui la dirige entre 1441 et 1474 ; il y réunit
l'élite intellectuelle du pays, et ses successeurs, Jérôme Guebwiller (1501-1509) ou Hans Witz
« Sapidus » (1510-1525) continuent son oeuvre. L'école compte jusqu'à 900 élèves, dont les
célèbres Wimpfeling et Beatus Rhénanus.
3.1.2. Wimpfeling et les humanistes
Jacques Wimpfeling (1450-1528), élève de Dringenberger, continue ses études à Fribourg et
s'y lie avec Geiler de Kaysersberg. Il étudie à Heidelberg, y professe et devient son recteur. Il
est ensuite prédicateur à Spire puis vient s'installer à Strasbourg en 1501, y publie ses
oeuvres et engage de véhémentes controverses, surtout avec Thomas Murner. Il expose ses
vues sur l'enseignement dans son « Adolescentia » et milite pour la création d'une grande
école à Strasbourg, sans cependant y parvenir. Historien, il publie un « Epitome rerum
germanicarum ». Il exerce une grande influence sur tous les humanistes allemands, à. tel
point qu'on le nomme « Praeceptor Germaniae ».
Il devient le chef d'une société littéraire qui groupe Pierre Schott (helléniste), Thomas Wolf
(archéologue), Matthias Ringmann dit « Philesius », chanoine de Saint Dié ( 1511) qui donna
le nom d'Amérique au nouveau continent, Thomas Vogler d’Obernai dit « Aucuparius »
(éditeur), Jérome Guebwiller de Kaysersberg, Ottmar Nachtigall dit « Luscinius » (musicien,
helléniste, éditeur), Jacques Sturm et d'autres. L'école reçut la visite du prestigieux Erasme de
Rotterdam.
En 1515 Wimpfeling s'installe à Sélestat où il groupe autour de lui humanistes et professeurs,
tel Beatus Rhénanus de Rhinau (1485-1547) ami d'Erasme, éditeur, auteur de la « Rerum
Germanicarum libri tres » (1529) et créateur de la célèbre bibliothèque humaniste de Sélestat.
A coté de ces brillantes écoles, il y a d'autres humanistes féconds : le chanoine Sébastien
Murrho de Colmar, Jérôme Boner de Colmar, Jost Galtz et Conrad Pellicanus de Rouffach,
Ulrich Surgent d'Altkirch qui sera recteur de l'université de Bâle.
3.2. La littérature en langue allemande
3.2.1. Sébastien Brant : 1458-1522
C'est le grand écrivain du siècle en langue populaire. Originaire de Strasbourg, il est
professeur à l'université de Bâle puis syndic dès 1501 de sa ville natale. En 1494 il publie à
Bâle sa « Nef des Fous » (« Das Narrenschiff ») qui eut un immense succès. L'auteur
transporte des fous de toutes sortes et de tout milieu en Narragonie. Il dépeint travers,
ridicules et vices des hommes de toutes conditions et fustige leurs mauvais penchants. Brant
est un moraliste qui veut corriger ses contemporains par le rire.
3.2.2. Geiler de Kaysersberg : 1445-1510
Prédicateur à la cathédrale, Geiler exerce une grande influence sur ses contemporains. Il
s'attaque avec véhémence aux abus et demande un retour au Christianisme authentique. Sa
langue est imagée et savoureuse. Il publie lui-même et sera publié après sa mort par ses
amis. Ses plus célèbres sermons sont « Die Émeis », « Des irrig Schaf », « Hellisch Lev » (le
lion infernal), « Von dom Hase im Pfeffer ».
3.2.3. Thomas Murner d’Obernai : 1475-1537
Ce franciscain au langage violent et satirique mène une vie errante à travers toute l'Europe
(Paris, Cracovie, Londres, Bologne, Rostock). Il s'attaque aux abus de l'Eglise, à la Réforme,
aux travers de ses contemporaines « Narrenbeochwöhrung », « Die Gauchmatt » ; « Vom
grossen lutherischen Narren ».
3.3. Les imprimeurs alsaciens
Les imprimeurs servent grandement la diffusion de l'humanisme.





A Strasbourg, après le départ de Gutenberg, Jean Mentelin, son collaborateur, édite
vers 1460 une Bible latine. Son ami Henri Eggestein de Rosheim ouvre une seconde
imprimerie vers 1466. Puis le nombre grandit pour atteindre 21 imprimeries en 1501 :
Jean Gruninger, Mathias Hupfuff, Jean Knoblauch, Mathias Schürer qui édite Erasme,
Jean Schott (Classiques anciens, Géographie de Ptolémée, Kräuterbuch de Brunfels)...
Strasbourg est avec Cologne et Augsbourg le plus grand centre Rhénan d'imprimerie.
A Haguenau travaillent Henri Gran (Epistolae obscurorum virorum) et Thomas
Anshelm (classique) qui va fonder une Académie.
A Sélestat oeuvre Lazare Schürer.
A Colmar, Armand Farckall et Barthélémy Gruninger.
Enfin la renommée des imprimeurs alsaciens franchit les frontières car on en retrouve
à Cologne, Bâle, Lyon, Paris, Venise, Rome et Naples.
3.4. L'organisation de l’enseignement supérieur
L'humanisme jette les bases d'un nouvel enseignement. En vain Wimpfeling avait demandé la
fondation d'une haute école. Son élève Jacques Sturm réalise le projet en faisant appel à Jean
Sturm, né à Cologne en 1507. Professeur au collège de France à Paris, Jean Sturm accepte en
1537 de venir à Strasbourg.
Il créé un « Gymnase » de neuf classes dans l'ancien couvent des Dominicains. On y enseigne
latin et grec, dans l'esprit de la Réforme. Puis y est ajouté un cycle de cinq années d'études
supérieures (Théologie, littérature, médecine, droit, sciences). Cette institution devient une
des Grandes écoles européennes, dirigée pendant 44 ans par Jean Sturm. En 1566 Maximilien
II la transforme en Académie, puis en 1621 elle aura les droits et titres d'une Université. Mais
Jean Sturm sera destitué en 1581 suite à des intriques religieuses et mourra pauvre en 1589.
En Alsace catholique l'enseignement se transforme grâce aux Jésuites. Pierre Canisius projette
en 1555 la création d'un Grand Collège, création qui n'aura lieu qu'en 1581 à Molsheim. En
1617 le pape transforme le collège en université. D'autres collèges Jésuites seront ouverts à
Haguenau, Sélestat et Ensisheim.
Tous ces établissements ont leur théâtre latin où l'on joue auteurs latins et humanistes,
musique, chants chorals... Ainsi l'action de Thomas Valliser (1563-1648) à Strasbourg, les
fêtes de Molsheim de 1618 pour la création de l'Université, ou celles du centenaire de la
Réforme (1620) et de l'Université nouvelle (1621) à Strasbourg.
3.5. Littérature alsacienne dans la seconde moitié du XVIè
siècle
La littérature tend à devenir plus populaire et produit des oeuvres nombreuses et variées:
3.5.1. Contes et histoires populaires




Le franciscain Jean Pauli écrit « Schimpf und Ernst », recueil d'historiettes gaies et
sérieuses.
Georges Wickram publie en 1555 le « Rollwagenbüchlein », anecdotes à raconter en
voyage.
Jacques Frey de Haguenau publie en 1557 sa « Gartengesellschaft ».
Martinus Montanus de Strasbourg édite son « Wegkürzer ».
3.5.2. Les maîtres chanteurs
Ce sont les successeurs des Minnesänger qui forment des écoles avec des statuts bien définies


Les Maîtres chanteurs de Strasbourg, avec Spangenberg et Schaddaeus.
Les Maîtres chanteurs de Colmar fondés en 1546 par Wickram qui reprend des recueils
de chants de Mayence et Nuremberg, fait représenter de petits morceaux dramatiques
(Les dix Ages, Ruses de Femme, Tobie...), et publie plusieurs romans (Rheinhard, et
Gabriotto, Willibald, des bons et mauvais voisins, le Fil d'Or), ce qui le fait considérer
comme le père du roman allemand.
3.5.3. Thêatre populaire et religieux
Il connaît un certain essor dans toutes les villes. On joue des pièces religieuses (Passion, Cycle
de Noël, Joseph en Egypte), des récite légendaires (Tannhaüser, le fidèle Eckart), et des
comédies de carnaval.
3.5.4. Ouvrages polémiques et religieux
Jean Philippe de Sleidan (Sleidanus) écrit en 1555 l'ouvrage la mieux documenté sur la
Réforme. Il existe aussi quelques chroniques intéressantes : celles de Materne Berler, Daniel
Specklin, Bernhard Herzog.
3.5.5. Poésie
La poésie est dominée par la personnalité du poète Strasbourgeois Jean Fischart (1548-1591)
que l'on peut comparer à Murner. Ennemi des catholiques et des Jésuites, il possède une
fougue redoutable. « Das Glückhafft Schiff », « Récit du voyage des Zurichois » (1576),
« Ehzuchtbüchlein », « Flöhatz » et des oeuvres de traduction (Gargantua). Fischart jouit
d'une réputation européenne.
3.6. L'art de la renaissance en Alsace
Il n'y a dans le pays ni rupture ni condamnation brutale du gothique. Le gothique disparaît peu
à peu. L'art religieux se voit relégué au second plan. La Réforme avec son esprit de simplicité
stricte influence négativement l'art religieux et se tourne vers le profane.
3.6.1. La sculpture



Début XVIè elle reste gothique avec Veit Wagner et Hans Hammer à Strasbourg et
Haguenau, Georges Müglich (Croix du cimetière de Colmar, 1507), Hans Bongart
(Maître autel de Kaysersberg, 1518).
Le plus grand sculpteur, Nicolas Hagnover, est encore tout gothique : retable de
l'église de Saverne, Tombeau de l'évêque Albrecht, retable de la cathédrale de
Strasbourg (1501) et sans doute les statues du retable d’Issenheim vers 1505.
La sculpture renaissance n'apparaît que vers 1550 et produit de nombreuses oeuvres
de moindre importance : têtes, reliefs, médailles, décors…
3.6.2. La peinture
Le XVIè est le siècle des grands peintres alsaciens :



Le Retable d'Issenheim : c’est un polyptyque de 9 tableaux réalisé entre 1510 et
1515 par maître Mathias Nithard Grünewald dépeignant la mort du Christ, la mise au
tombeau, Sébastien et Antoine, l’Annonciation, le concert des Anges, la Nativité, la
Résurrection, la tentation d'Antoine, la visite d'Antoine à Paul l'ermite. Ce retable
constitue l'oeuvre la plus originale de l'aube des temps modernes; c'est un des chefs
d'oeuvre de l'art mondial, exposé au musée d'Unterlinden de Colmar.
Hans Baldung Grien : il naît vers 1476 à Gmünd en Souabe. Il se lie d'amitié avec
Dürer. Il vit et meurt à Strasbourg. Son chef d'oeuvre est le retable de la cathédrale
de Fribourg en Brisgau (couronnement de la Vierge, Apôtres, scènes de la vie de
Marie, 1512-16). On lui doit de nombreux tableaux de la vie du Christ, et surtout de
magnifiques gravures et illustrations de livres.
Les grands maîtres graveurs du début du siècle sont Schongauer et Baldung. Mais
il y a beaucoup d'artistes inconnus qui illustrent des livres et autres publications : ainsi
la Nef des Fous, les sermons de Geiler, les écrits de Murner, les Classiques dont le
Virgile de Grüninger édité en 1502. Mais d'autres graveurs ont laissé un nom :
o
o
o

Jean Wechtelin travaille à Strasbourg (1506-1526) : la « Postille » de Geiler
(32 gravures).
Fils de Hans Weiditz l'Ainé, Hans Weiditz le Jeune est élève de Burgkmair à
Augsbourg entre 1512 et 1522. Il illustre l'édition Knobloch de la Bible de
Luther (1524), le « Von dur Artzney beider Glück », traduction de Pétrarque
(1532), et le « Kraüterbuch » d'Otto Brunfels (1530 et 1532).
Daniel Xandel réalise 550 dessins pour le « Kräutterbuch » de Jérôme Bock en
1544
Les peintres de la fin du XVIè
o
Wendel Dietterlin (1550-99) décore le nouvel Hôtel de Ville et l'oeuvre Notre
Dame à Strasbourg. Il publie un « Manuel d'Architecture » avec de nombreux
dessins.
o
Thomas Stimmer de Schaffhouse (1534-1584) passe sa vie à Strasbourg :
décoration de façades, portraits, évènements historiques (concours de Tir de
1576); il réalise les peintures de l'horloge de Strasbourg (Cathédrale).
3.6.3. L’architecture


Les formes gothiques se maintiennent longtemps dans les églises (Ammerschwihr). La
transition s’opère lentement, les deux styles se mêlent : ainsi dans l'église des jésuites
de Molsheim érigée par Christophe Wamser (1614-1618).
Par contre, dans le domaine profane apparaissent de nombreuses oeuvres délicates :
o
o
o
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o

Hôtel de la régence des Habsbourg à Ensisheim (Hôtel de ville) en 1530-47, de
style gothique-renaissance (Salle du conseil).
Hôtel de ville de Mulhouse (1552) avec peintures murales de Christophe
Bockstorffer.
Boucherie (Metzig) de Molsheim (1554)
Hôtels de ville de Boersch, Obernai, Kaysersberg...
Corps de Garde de Colmar avec sa Loggia (1575)
Hôtel de ville de Strasbourg (1585, aujourd'hui Chambre de Commerce), par
Hans Schoch, et second bâtiment de l'oeuvre Notre Dame ; Grande Boucherie
(Musée Historique).
A coté de ces oeuvres officielles, il y a bien des maisons érigées par les riches
patriciens :
o
o
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o
o
Nouveau château de Ribeauvillé.
Hôtel de l'abbé d'Ebersmunster et des chevaliers de St Jean à Sélestat.
Maison Vogelsberger à Wissembourg (1540).
Maison Kammerzell (1589), maison Lauth, Hôtel des Boscklin - Boecklinsau à
Strasbourg.
Maison Pfister (1537) et maison des Têtes 1608) de Colmar.
Maisons de Riquewihr, Rouffach, Sélestat, Obernai avec leurs beaux oriels ;
Nombreux puits à Obernai (Puits des Six eaux, 1579), Boersch, Rosheim,
Ribeauvillé, Riquewihr...
L'architecture strasbourgeoise influence celle de l'Europe Centrale (château d'Aschaffenbourg
par G.Riedinger de Strasbourg, et la célèbre « Architectura von Vestungen » de Daniel
Specklin de Strasbourg, 1536-15$9).
3.6.4. Les arts décoratifs
Il y a des oeuvres de grande classe, expression de la prospérité du payas armoires massives à
colonnes, tables, sièges à dossiers, lits à colonnes; l'orfèvrerie, menuiserie, poterie, étamage,
tapisserie, verrerie produisent des oeuvres fécondes. La vaisselle devient d'une grande
recherche (Hanaps de Ribeauvillé).
Une oeuvre mérite une attention spéciale : l'horloge astronomique de la cathédrale de
Strasbourg créée par les mathématiciens Dasypodius et Wolckenstein et les horlogers Isaac et
Josias Habrecht (1571-1574. restes au Musée de l'Oeuvre).
4. Histoire religieuse
4.1. Situation de l’église à la veille de la réforme
Depuis longtemps on réclame dans l'Eglise une réforme « Dans la cité et dans les membres ».
Mais ni le concile de Constance (1414-18), ni celui de Bâle (1431-1449) n'y parviennent.
L'autorité papale diminue ; les abus du clergé sont nombreux et les laïcs s'immiscent dans les
affaires purement cléricales.
Des hommes clairvoyants s'efforcent de réagir : Geiler de Kaysersberg entre 1479 et 1510 à
Strasbourg, qui ne demande cependant pas une réforme dogmatique, mais essentiellement
morale.
4.1.1. Le diocèse
Le Grand Chapitre n'admet en son sein que des Nobles. L'évêque, noble aussi, n'a d'autre
souci que celui de sa condition matérielle. Les Chanoines possèdent souvent plusieurs
prébendes ou bénéfices. Culte et pastorale son effectués par le bas clergé, mal instruit et mal
payé. Quant à la vie morale du Haut Clergé, c'est un scandale permanent, qui déteint sur le
bas clergé découragé.
4.1.2. Les religieux
La situation morale dans les couvents et abbayes est désastreuse. Moines et moniales mènent
souvent une vie scandaleuse à tout niveau : bonne vie et de bonne chère, mariages très
fréquent...
4.1.3. Les laïcs
La vie des laïcs est aussi dissolue : amusements fréquents beuveries, jeux, laisser-aller total.
Aussi les attaques contre la papauté, évêques, moines deviennent de plus en plus violentes.
Les institutions mêmes de l'Église ne sont point épargnées. Revendications sociales et
révolutionnaires apparaissent, au nom de l'Evangile, contre l'Eglise.
En 1517 Martin Luther devient le porte-parole de cette vague de mécontentement, alors qu’en
Suisse agit Ulrich Zwingli. Bientôt toute l'Europe est ébranlée.
4.2. La réforme à Strasbourg et son extension
La Réforme s'introduit de façon très diverse en Alsace. Strasbourg l'admet très tôt et exerce
une grande influence. Dans les villes impériales et autres territoires les nouvelles idées se
répandent d’une façon inégale. Peu à peu, et surtout après 1555, c'est le principe « Cuius
regio, huius religio » qui va s'imposer.
4.2.1. Les débuts à Strasbourg
Dès avant 1520 les écrits de Luther et d'autres se répandent dans la ville. Les premiers à
prêcher la foi nouvelle sont Mathias Zell, prédicateur à la cathédrale, et Symphorien Pollio,
curé de Saint Etienne. Evêque et chapitre résistent faiblement, alors que le Magistrat
sympathise rapidement avec les Réformateurs et les protège.
D'autres réformateurs arrivent rapidement dans la ville : Wolfgang Capito de Haguenau en
1523, Martin Bucer, Dominicain de Sélestat, marié et excommunié en 1521. Bucer se révèle le
plus ardent défenseur de la Réforme. A son tour, le nouveau prédicateur de la cathédrale,
Caspar Hedio d’Ettingen en Bade, passe à la Réforme.
La même année 1523 le Magistrat ordonne que les sermons soient uniquement faits dans
l'esprit évangélique, donnant à la Réforme une base quasi juridique. Il s'arroge en outre le
droit de haute surveillance en matière de foi et de discipline, et permet aux Réformistes le
droit de jouissance des biens ecclésiastiques.
Certes les adversaires de la Réforme ne manquent pas, mais ils sont contrés par le magistrat.
Ainsi l'évêque Guillaume de Honstein (évêque de 1506 à 1541) qui tente de réformer son
clergé. Ainsi le franciscain Thomas Murner, ennemi le plus acharné de la foi nouvelle ; mais
son « Grand fou Luthérien » est interdit, puis lui-même est chassé de la ville en 1524. Ainsi
l'Augustin Conrad Treger dont le couvent sera pris d'assaut et le recteur de l'école de la
Cathédrale Jérôme Guebwiller qui doit s'installer à Haguenau où il continue la lutte.
La Réforme continue à progresser : en 1524 on commence à dire la messe en allemand.
Excommuniés, les Réformateurs passent à l'attaque : les églises sont enlevées aux
catholiques, le culte catholique est aboli, les images saintes détruites, les ecclésiastiques
expulsés. Malgré les injonctions de l'empereur, le Magistrat interdit la messe et en interdit la
participation aux catholiques, même en dehors de la ville. A la Diète de Spire en 1529, les
représentants de Strasbourg sont parmi ceux qui « Protestent » contre l'interdiction de la
Réforme.
4.2.2. L'organisation de la réforme à Strasbourg
Dès 1530 Strasbourg devient un centre de la Réforme. Les réformateurs de toutes tendances
y trouvent refuge, dont les Anabaptistes et Calvin qui y dirige la paroisse française entre 1539
et 1541. Le Magistrat s'arroge tous les droits en matière religieuse, sécularise les biens de
l'Eglise et en 1533 créé une nouvelle autorité de 21 laïcs (3 par paroisse) sous un directoire de
4 membres du Conseil : cette autorité s'occupe du nouveau règlement ecclésiastique.
Strasbourg adhère à la ligue de Smalkade. Vaincue en 1547 elle doit accepter l'Intérim
d'Augsbourg en 1548. Le traité conclu entre Erasme de Limbourg, évêque de 1541 à 1568 et
le Magistrat pour dix ans, stipule que les catholiques ont accès à la cathédrale, Saint Pierre le
Jeune, Saint Pierre le Vieux et aux chapelles conventuelles. Mais après ces 10 ans le Magistrat
supprime l'Intérim, sauf pour les couvents.
Parmi les tendances réformées, la Confession d'Augsbourg s'impose. Après le départ de Bucer
et la mort de Hedio (1552), Jean Marbach de Lindau (près de Constance) devient directeur au
chapitre Saint Thomas en 1547. Partisan d’un protestantisme austère et intransigeant, il
propage la doctrine de Luther dans le centre Saint Thomas, lutte contre les Catholiques, les
Calvinistes et les Anabaptistes. Il combat Jean Sturm, fait entrer ses partisans dans le corps
professoral, surtout Jean Pappus qui devient après sa mort (1572) superintendant luthérien,
et fait chasser Jean Sturm. Mais la querelle du Grand Chapitre et la guerre des Evêques ruine,
avec la prospérité de la ville, l'espoir du magistrat de gagner tout le diocèse au luthérianisme.
4.2.2.1. La réforme en Alsace
4.2.2.2. Haute Alsace


Les princes Habsbourg, piliers de l'Eglise, maintiennent leurs territoires dans le
Catholicisme, ainsi que les abbés de Murbach (Vallées de Guebwiller et de Saint
Amarin).
Mulhouse passe à la Réforme après son adhésion à la Confédération helvétique, à la
suite des moines Augustins et de deux curés.





Munster et la vallée supérieure de la Fecht se réforment à la suite de l'abbé Burkhard
Nagel. Mais l'abbaye revient au Catholicisme. De sanglantes luttes ont lieu en 1569 à
propos de l'installation d'un curé catholique à Munster, Lazare Schwendi.
Kaysersberg, Turckheim et Ammerschwihr restent au catholicisme.
Colmar reste catholique jusqu'en 1575. Mais suite à l'immigration de Protestants, le
Conseil décide l'introduction de la Réforme à laquelle adhère une grande partie de la
population.
La seigneurie de Horbourg - Riquewihr passe dès 1534 à la Réforme, à la suite des
Wurtemberg, leurs seigneurs.
Les seigneurs de Ribeaupierre passent à la Réforme en 1555 avec Egenolphe III, mais
les territoires, fiefs catholiques, ne suivent pas.
4.2.2.3. Basse Alsace

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
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
Sélestat reste un bastion catholique malgré les efforts du curé Seidensticker et du
recteur Witz-Sapidus.
Obernai et Rosheim gardent la vieille foi ainsi que les territoires épiscopaux (Molsheim,
Saverne, Erstein, Benfeld, Dambach, Marckolsheim).
A Haguenau, au début, Wolfgang Capito est contré par Jérôme Guebwiller. Mais dans
la deuxième moitié du siècle le Magistrat est gagné à la Réforme. Des querelles en
suivent mais la majorité des bourgeois restent catholiques. La Réforme ne peut
s'introduire dans les 40 villages du baillage.
Wissembourg passe à la Réfome à cause de ses relations tendues avec l'abbaye. Elle
soutient la révolte des paysans et en sera durement châtiée par l’électeur Palatin. Mais
en 1560 la Réforme triomphe à nouveau.
Les Seigneurs de Basse Alsace adoptent la réforme en grande majorité : les Hanau
Lichtenberg en 1545 (7 villes et 138 villages), les Fleckenstein, les Lützelstein (Petite
Pierre), les Linange, les Sarrewerden, les Deux Ponts, la noblesse Immédiate
d'Empire.
Barr et Wasselonne, territoires de la ville de Strasbourg, passent à la Réforme.
4.3. La restauration catholique
Le catholicisme sera long à regrouper ses forces et à réagir.
4.3.1. Les débuts
Les évêques des deux diocèses tentent de remédier aux abus du clergé par des synodes,
visites canoniques, règles de discipline ; mais ils se heurtent aux princes et nobles catholiques
jaloux de leur autorité. Ainsi Erasme de Limbourg qui participe au concile de Trente fait appel
au Jésuite Pierre Canisius et projette l'ouverture dune école de Jésuites. Le projet ne sera
réalisé que sous son successeur Jean de Mandersheid-Blanckenheim (1569-1592).
4.3.2. Les jésuites
En 1581 ils ouvrent un collège à Molsheim, et l’établissement acquiert une grande renommée.
De Molsheim, les Jésuites rayonnent, prêchent, enseignent, fondant des confréries et des
congrégations. L'Évêque les charge de visites canoniques dans toutes les paroisses.
Ils prennent en main la formation du clergé. Un séminaire est créé à Molsheim en 1613 et
érigé en université en 1617, nommé Léopoldianum, qui durera jusqu'en 1683, date de la
fondation du séminaire de Strasbourg par Egon de Furstenberg. En Haute Alsace l'archiduc
Maximilien créé un séminaire à Ensisheim dès 1551 qui sera confié aux Jésuites en 1614.
Ainsi, dès la moitié du XVIè, la renaissance du Catholicisme s'intensifie.
4.3.3. La querelle du chapitre et la guerre des évêques
Mais tout va être remis en cause par de longues luttes.
4.3.3.1. La querelle du Grand chapitre
Dès 1584 il y a quatre chanoines protestants au Grand Chapitre. Ils siègent à Strasbourg,
alors que les Chanoines Catholiques siègent à Saverne. Les protestants en cooptent d'autres,
jusqu'à 16 membres prêts à élire le cas échéant un évêque protestant. La querelle sera
violente jusqu'à la mort de l'évêque Jean de Manderscheid en 1592.
4.3.3.2. La guerre des évêques
Le Chapitre élit alors à Strasbourg Jean-Georges de Brandebourg, jeune homme de 15 ans,
comme administrateur épiscopal. Mais à Saverne les Catholiques élisent Charles de Lorraine,
déjà évêque de Metz. Une véritable guerre éclate entre la Maison de Lorraine et le
Protestantisme Alsacien, la Guerre des Evêques, qui va durer de 1592 à 1604. Cette guerre,
aucun des deux partis ne peut l’emporter, mais elle dévaste et désole une grande partie de la
Basse Alsace, et surtout ruine financièrement la ville de Strasbourg.
Finalement Henri IV de France impose sa médiation : le traité de Haguenau est signé en
1604 : Charles de Lorraine devient évêque de Strasbourg. Son concurrent et les chanoines
luthériens reçoivent de substantielles indemnités. Charles de Lorraine meurt en 1607 et
l'archiduc Léopold d'Autriche, coadjuteur depuis 1595 lui succède, étendant l'influence
Habsbourg en Basse Alsace.
4.3.3.3. Situation de l'Eglise à la fin du XVI
Fin XVIè, le protestantisme stagne en Alsace. Le dogmatisme de Marbach et de Pappus
provoque une réaction piétiste, faisant refleurir la piété médiévale. Mais l'opposition entre
catholiques et protestants restera farouche.
Quant à la restauration catholique, elle fait de bons progrès, surtout à Haguenau, Fegersheim,
Griesheim, Marlenheim, Andlau et la Walff.
Mais la Guerre de Trente ans va bloquer net ce renouveau et ruiner tout le pays.
17eme siècle
1. La guerre de trente ans
De 1618 à 1631
Les suédois en Alsace : 1632 – 1634
Les français occupent l’Alsace : 1634 – 1637
La campagne de Bernard de Saxe : 1637-1639
Les dernières années de la guerre : 1640-1648
Les traités de Westphalie
Le XVIIè siècle est pour l'Alsace le temps des guerres et des malheurs qui provoquent la
décadence politique, économique et culturelle. La guerre de Trente ans (1618 - 1648) est
l'épreuve la plus douloureuse, la passion la plus cruelle du peuple Alsacien.
1.1. De 1618 à 1631
La violente opposition entre les Catholiques (Habsbourg) et les Protestants (Princes
Allemands) aboutit en 1608 à la création par les Princes de « l'Union Evangélique » sous la
direction de Frédéric V, l’électeur Palatin. Les Catholiques forment pour les contrer la « Sainte
Ligue » dirigée par Maximilien de Bavière. Strasbourg et Wissembourg adhèrent à l'Union,
mais Léopold de Habsbourg, évêque de Strasbourg tient pour la Ligue.
En 1618 c'est la Défénestration de Prague et l'élection par les Tchèques de Frédéric V roi de
Bohème. Mais Tilly bat Frédéric V qui s'enfuit. Alors en 1621 Ernst de Mansfeld, général de
Frédéric V envahit avec ses mercenaires la région de Wissembourg, Saverne et Haguenau,
dévastant et pillant. Devant la faiblesse de Léopold et les dissensions des Princes, Mansfeld
songe à créer une principauté indépendante avec Haguenau comme capitale. Un de ses
officiers, Von Obentraut, pousse en Haute Alsace, dévastant les villages catholiques et
protestants.
En mars 1622 Léopold contre-attaque et assiège Haguenau. Mais Mansfeld arrive
soudainement : l'évêque se retire et Mansfeld pille à nouveau la Basse Alsace en juillet :
Obernai, Rosheim, Andlau et les villages entre Strasbourg et les Vosges Moyennes et le Mont
Saint Odile souffrent terriblement jusqu'au départ des Lansquenets pour la Lorraine et les
Pays-Bas.
La guerre se poursuit en Allemagne avec l'intervention de Christian du Danemark qui sera
finalement vaincu par Tilly et Wallenstein. En 1627, Ferdinand II publie l'édit de Restitution:
les Protestants doivent remettre aux Catholiques tous les territoires pris depuis 1552; ainsi
Colmar doit revenir au Catholicisme. Entre temps, les efforts de Richelieu aboutissent à une
alliance avec les Suédois contre les Habsbourg.
Le XVIIè siècle est pour l'Alsace le temps des guerres et des malheurs qui provoquent la
décadence politique, économique et culturelle. La guerre de Trente ans (1618 - 1648) est
l'épreuve la plus douloureuse, la passion la plus cruelle du peuple Alsacien.
1.2. Les suédois en Alsace : 1632 – 1634
La foudroyante offensive de Gustave Adolphe se termine tragiquement pour lui à Lützen le 16
novembre 1632. Mais son chancelier Oxenstiern et le général Gustave Horn prennent les
choses en main : Le 7 juin 1632 Strasbourg conclut une alliance avec les Suédois alors que les
généraux impériaux Ossa et Montecuculi placent des troupes dans leurs villes fortifiées ; en
automne 1632 Horn envahit l'Alsace par Kehl. Le 1er septembre Erstein est pillée, puis
Obernai et Rosheim. Benfeld résiste sous les ordres de Louis Zorn de Bulach : elle capitule
après 7 semaines de siège et qu'une armée de secours eut été battue à Ebersheim. Le
gouvernement Habsbourg d'Ensisheim reste totalement inactif.
Rouffach tombe le 21 novembre, Sélestat le 12 décembre. Le gouvernement Habsbourg se
réfugie à Thann, puis à Porrentruy, enfin à Brisach. Le 20 décembre 1632, c’est la chute de
Colmar. Horn quitte alors l'Alsace et le Rheingraf Otton termine la conquête par la prise de
Thann et de Belfort. Haguenau doit accepter une garnison suédoise : au début de 1633 tout le
pays est aux Suédois, sauf Saverne et Dachstein.
Devant le saccage et le pillage, les paysans du Sundgau se soulèvent fin janvier 1633 : il
prennent Ferrette, tuent le comte d'Erlach, marchent vers Bâle et Belfort, mais une colonne
est massacrée à Blotzheim par Von Harpff, et l'autre par Otton à Vézelois en mars. Par contre,
le comte Lorrain de Salm, parti de Saverne, reprend Haguenau aux Suédois.
Au printemps 1633 le comte Christian de Birkenfeld remplace Otton. Il écrase l'armée lorraine
à Pfaffenhoffen en août, mais ne peut reprendre Haguenau. En automne, l'armée Espagnole
catholique du duc de Feria arrive en Alsace. Les Suédois évacuent en grande partie la Haute
Alsace et lèvent le siège de Brisach. Les Espagnols passent en Souabe. Toutes ces armées
vivent sur le pays dont la situation matérielle devient catastrophique.
1.3. Les français occupent l’Alsace : 1634 – 1637
C'est alors que Richelieu, pour contrecarrer la politique dos Habsbourg intervient directement.
Fin 1633 le comte de Hanau - Lichtenberg met ses biens sous protection française : les
armées royales occupent Bouxwiller, Neuwiller et Ingwiller. En janvier 1634 le comte de Salm
demande au Maréchal de La Force la protection pour Haguenau et Saverne, à condition que
ces villes réintégrassent l'Empire après la guerre. Le 6 septembre 1634, les Suédois sont
battus à Nördlingen et implorent l'aide de la France : le 9 octobre un traité stipule que toutes
les places fortes d'Alsace aux mains des Suédois passent au Français, hormis Benfeld, tout en
garantissant droits et privilèges de ces villes (Colmar, Sélestat, Marckolsheim, Turckheim,
Ensisheim, Munster, etc...). Prudent, le magistrat de Colmar conclut un accord spécial à Rueil
pour réitérer les garanties. Ainsi, à la fin de 1634 une grande partie de l'Alsace se trouve entre
les mains de Louis XIII.
Richelieu va plus loin : par le traité de Saint Germain il place l'armée Suédoise (en fait une
majorité de mercenaires) sous le commandement du jeune Prince Bernard de Saxe-Weimar,
lui entretient une armée de 18 000 hommes et lui accorde les droits sur les territoires
alsaciens des Habsbourg. L'Alsace connaît alors ses plus terribles années de guerre : les
armées les plus diverses s'installent, pillant, dévastant, torturant, brûlant, massacrant et se
comportant en pays conquis : Impériaux, Croates, Polonais, Français, Lorrains, Suédois,
Espagnols... La misère la plus noire règne avec son cortège de famines, misère et épidémies.
Jamais le pays n'a connu telle détresse.
1.4. La campagne de Bernard de Saxe : 1637-1639
En juillet 1637 le Prince Bernard passe en Alsace, prend Ensisheim et tout le pays jusqu'à
Benfeld. En automne il conquiert le Brisgau, Seckingen, Waldshut, Rheinfelden, et assiège
Breisach, défendue par le Baron Jean Henri de Reinach. La ville tombe le 17 décembre 1638
après deux mois de résistance acharnée.
Bernard de Saxe Weimar caresse alors l'idée de créer une grande principauté indépendante
formée de la Haute Alsace, du Brisgau, de la Franche Comté et de la Bourgogne. Mais tel n'est
pas le plan de Richelieu : les relations se tendent de plus en plus… lorsque le Prince meurt
subitement – et mystérieusement - le 18 Juillet 1639 à l’âge de 34 ans.
Par de l'argent et des promesses, Richelieu soudoie les officiers de l'armée weimarienne :
celle-ci, par la convention du 9 octobre 1639 se met au service de la France : Mr. D'Oysonville,
lieutenant de Louis XIII devient l'adjoint du gouverneur de Breisach, le comte d'Erlach. Peu
après, d'Oysonville devient « Intendant de Justice, police et finances de l'Alsace, du Brisgau et
du Sundgau ».
1.5. Les dernières années de la guerre : 1640-1648
Après cette convention, les Weimariens quittent l'Alsace qui cesse d'être un champ de bataille.
Sauf Strasbourg et Mulhouse, toute l'Alsace est aux mains du Roy Très Chrétien. Mais en 1642
le pays est à nouveau ravagé par le duc de Lorraine et le passage de l'armée française de
Guébriant repoussée d'Allemagne. La guerre s'achève en Bohème et en Bavière : Ferdinand II,
battu par les Français et les Suédois se résigne en 1648 à signer les traités de Munster en
Westphalie.
1.6. Les traités de Westphalie
En fait, les négociations sont engagées dès 1644 à Munster et Osnabrück entre les français
d'Avaux et Abel Servien, les Impériaux Von Trautmannsdorf et Volmar, le Suédois Oxenstiern.
Strasbourg y délègue de docteur Otto et Colmar Balthasar Schneider, qui ont la partie difficile
face à d'aussi chevronnés diplomates.
Bientôt la France demande de grandes parties de l'Alsace, contrairement aux accords de 1633
et 1634. Schneider se bat pour la sauvegarde des droits et privilèges impériaux des villes
d'Alsace. On le rassure, mais la méfiance des villes grandit. Aux préliminaires de paix (13
septembre 1646), la France aurait la possession des territoires alsaciens des Habsbourg, mais
les villes libres garderaient leur immédiateté d'Empire. La signature définitive du 24 octobre
1648 ne change pas grand'chose. Strasbourg sauve son indépendance. Les articles 75, 76 et
89 stipulent en particulier :



Les Habsbourg cèdent à la France le Sundgau, Brisach, les seigneuries autrichiennes
avec Ensisheim, le titre de Landgraviat de Haute Alsace, le Grand Baillage de
Haguenau avec ses 40 villages et les villes de la Décapole.
Le roi de France acquiert le titre de Landgrave de basse Alsace, ce qui lui permettra
bien des prétentions dans le futur.
Le roi de France garantit leur immédiateté d'empire aux Seigneurs et Villes d'Empire
(Décapole, évêque de Strasbourg, évêque de Bâle, Abbés de Murbach et Munster,
Seigneurs de La Petite Pierre, Hanau Lichtenberg, Fleckenstein, Chevaliers d'Empire)…
Le traité comporte la clause « ita tamen » à savoir que cette déclaration ne devait pas porter
préjudice aux droits souverains acquis par le roi. Ainsi formulée, cette décision, voulue par les
deux camps, permet d'interpréter le traité comme on le veut. Ainsi naît la « Question
d'Alsace » : ce sera le droit du plus fort qui l'emporterait...
1.2. L’Alsace devient française
Les premières années : 1648 – 1655
Le premier intendant. Le conseil souverain
Les tensions entre la décapole et la France
La guerre de Hollande
Paix de Nimègue et Chambres de Réunion
La prise de Strasbourg : 1681
Les dernières guerres de Louis XIV
2.1. Les premières années : 1648 – 1655
Après 1648 la situation en Alsace reste confuse d'autant plus qu'à Paris la fronde secoue le
pouvoir de Mazarin. En 1649 le comte d'Harcourt est nommé premier administrateur d'Alsace
« Gouverneur et Lieutenant Général pour Sa Majesté en la Haute et la Basse Alsace et Grand
Bailli de Haguenau... » Mais D'Harcourt est davantage préoccupé par la Fronde et ne sait trop
quel est son rôle en Alsace. La Province se voit tenue de payer sa part de l'indemnité de
guerre à la Suède, somme trop élevée pour cette province exsangue. En outre le duc de
Lorraine, à qui le traité n'avait pas rendu son duché, continue la guerre : en 1652 ses troupes
pillent Ribeauvillé puis razzient en Haute et Basse Alsace ; il faut réunir une milice pour le
chasser.
D'Harcourt arrive en Alsace en 1652. Frondeur, il rêve de faire de l'Alsace une principauté à lui
et négocie avec l'agent espagnol Lisola. Il se heurte à la Décapole, négocie avec elle, mais est
désavoué par Mazarin. La Fronde s'écroule et en 1654 par l'accord de Bâle, d’Harcourt
abandonne son poste contre une forte rente. A partir de 1655 cette situation confuse va
changer.
2.2. Le premier intendant. Le conseil souverain
Pour attirer les Alsaciens dans le giron français, Mazarin nomme un fonctionnaire jeune et
énergique, Charles Colbert de Croissy, 26 ans, frère du futur ministre. Il est nommé intendant
« des finances et de la police » en 1655, puis ses fonctions sont élargies « à la justice et aux
vivres ». Autoritaire, réaliste, incorruptible, administrateur habile, il est d'une activité
débordante.
Il se rend compte que les Alsaciens veulent la paix, la sécurité, le travail et la production.
Pendant 7 ans il oeuvre à relever le pays, à faire disparaître les ruines, à introduire une
administration saine et efficace.
Pour commencer, il s'efforce de voir clair clans la mosaïque politique alsacienne qui cadre mal
avec les structures d'un état Français centralisé. Pendant deux ans, il fait examiner en détail la
situation de l'Alsace et rédige son célèbre « Mémoire » au roi. En 1656 un premier objectif est
atteint: celui de la création du « Conseil supérieur d'Alsace », cour de justice suprême
siégeant à Ensisheim, qui devient peu après le « Conseil souverain d'Alsace » auquel sont fixés
deux buts:


Juridique : tous les Alsaciens sujets du Roi s'y adressent pour obtenir justice.
Politique : interpréter dans le sens français les articles ambigus de 1648 dans le
dessein de faire de l'Alsace une province française.
L'ouverture solennelle du Conseil a lieu le 4 novembre 1658.
2.3. Les tensions entre la décapole et la France
Selon le traité de 1648, la Décapole doit continuer à dépendre du Saint Empire. Mais selon
l'une des clauses, elle doit reconnaître le Roi de France comme Grand Bailli. Or le
gouvernement royal très centralisateur ne peut laisser cette équivoque subsister ; aussi la
Décapole devait s'attendre à des mesures limitant ses privilèges:



La première vient du Conseil Souverain qui décide de soumettre la Décapole à la
même juridiction que les domaines « ci-devant » autrichiens. Mais devant la fermeté
de l'intendant, toutes les villes (sauf Colmar) se soumettent.
En décembre 1659 Louis XIV fait don à Mazarin du Comté de Ferrette, des seigneuries
de Delle, Belfort, Thann, Altkirch et Issenheim, et le nomme gouverneur et Grand
Bailli. Le cardinal meurt en 1663 et fait hériter son neveu Charles Armand de la
Meilleraye, époux d'une de ses nièces. Cet incapable commet bien des erreurs : il
demande en décembre 1661 aux villes le serment de fidélité au roi : elles refusent.
Mais la situation avait changé ; après une nouvelle demande, les villes se soumettent
et prononcent le serment le 10 janvier 1662… tout en demandant l'intervention de
l'Empereur Léopold I.
En 1663 une délégation de la Décapole se rend à la diète qui négocie avec
l'ambassadeur de France De Gravel, partisan d'un règlement pacifique. Mais Louis XIV
refuse de soumettre la question à un tribunal arbitral. Les villes refusent alors toutes
les propositions faites par le duc de Mazarin et restent sur leurs positions (Colmar
frappe encore sa monnaie en 1666 aux armes de l'Empire). De son coté, Gravel gagne
du temps en faisant créer une commission d'arbitrage de 8 membres (4 de chaque
coté) qui discutent avec une lenteur calculée de 1666 à 1672. La commission décide
en 1672 que le roi de France a droit de protection, mais non de suzeraineté. Ce qui
mécontente le souverain... Mais celui-ci a une autre préoccupation bien plus
importante : la guerre.
2.4. La guerre de Hollande
En 1673 une vaste coalition européenne se forme contre Louis XIV qui décide de prendre des
mesures militaires, notamment en Alsace : En novembre 1672, les troupes françaises
démolissent le pont entre Strasbourg et Kehl.
En juin 1673, après que le prince de Condé, chef des troupes du Rhin se fut plaint au roi de
l'incapacité du duc de Mazarin, Le Roi décide d'agir en personne et se porte vers l'Alsace avec
des milliers d'hommes, afin de briser la résistance de la Décapole et surtout celle de Colmar.
Louvois fait savoir à la cité que le roi, se rendant à Brisach serait offensé par la vue des
canons sur les remparts de la ville. Peu de jours plus tard, le 28 août, le marquis de Coulanges
pénètre dans Colmar par ruse et l'occupe. Les bourgeois doivent livrer leurs armes, et dès le
30 août 1673, 6 000 soldats, paysans du Sundgau et mineurs de Sainte Marie démolissent les
remparts. Par la suite, Louvois ordonne la destruction des remparts de Sélestat, Haguenau,
Wissembourg, Munster, Obernai, Rosheim.
En 1674 les Français tentent d'interdire aux Impériaux le passage du Rhin. Vaubrun occupe à
cet effet le territoire neutre de Strasbourg. Le Magistrat fait alors reconstruire le pont de Kehl,
et le 29 septembre 1674 le Duc de Lorraine et le Duc de Bournonville entrent clans la ville à la
tête des Impériaux.
Aussitôt Turenne, commandant en chef des armées royales, se porte à l'ennemi. Le 4 octobre
il livre bataille à Entzheim. Le terrible combat reste indécis et fait 6 000 tués et blessés.
Frédéric Guillaume arrivant en renfort avec ses 22 000 Brandebourgeois, Turenne se replie
sagement en Lorraine et les Impériaux établissent leurs quartiers d'hiver, pillant et saccageant
les villages.
Turenne marche alors vers le sud par Épinal et Remiermont. Il atteint Belfort le 19 décembre
et débouche en Alsace du sud ; les Impériaux, totalement surpris, attaqués à Brunstatt le 28
décembre, refluent en désordre vers le nord. Ils créent en hâte une ligne de défense entre
Colmar et Turckheim. Prévoyant l'échec d'une attaque frontale, Turenne passe par le flanc de
la montagne, débouche dans la vallée de Munster et s'empare de Turckheim le 5 janvier 1675,
menaçant de déborder l'ennemi. Brandebourgeois et Impériaux évacuent l'Alsace en désordre.
Turenne réduit les nids de résistance comme Dachstein (30 janvier), occupe toute l'Alsace
mais offre à Strasbourg la réconciliation avec la France, ce que le Magistrat accepte avec
empressement, promettant de s'en tenir à une stricte neutralité. En juin, le Maréchal passe le
Rhin, mais est tué peu après à Sasbach (27 juillet). Les troupes françaises refluent en Alsace,
poursuivies par les Impériaux.
Entre 1676 et 1677 aucun belligérant n'emporte de succès décisif en Alsace, mais le pays est
ruiné du nord au sud comme aux plus sombres jours de la guerre de Trente Ans. Louvois
ordonne de détruire les châteaux et villes fortifiées pour qu'ils ne servent pas de point d'appui
à l'ennemi. En 1677 Haguenau est rasée ainsi que Wissembourg ; Saverne et Bouxwiller
perdent leurs remparts. La plupart des châteaux des Vosges du nord sont démantelés. En
1678 encore les troupes passent et repassent dans le pays, semant mort et dévastation;
Louis XIV peut cependant tenir tête à la coalition.
2.5. Paix de Nimègue et Chambres de Réunion
2.5.1. La paix de Nimègue
Le 5 février 1679 la paix est signée à Nimègue entre Léopold I et Louis XIV. Invaincu, le Roi
de France se voit confirmer le traité de Westphalie. En outre il reçoit le Brisgau et Fribourg.
Breisach devient capitale de l'Alsace.
A l'apogée de sa puissance, le roi en profite pour clarifier la situation en Alsace. En 1679
l'incapable duc de Mazarin est remplacé par Montclar, un officier remarquable et énergique qui
demande aux villes libres en septembre le serment au roi. Nulle ne résiste sinon Colmar, vite
matée. "Le conseil souverain" est transféré en Alsace en 1674 et acquiert le pouvoir d'un
Parlement sans en avoir cependant le titre.
2.5.2. Les Chambres de Réunion
Ces Chambres, réunies à Besançon, Metz et Brisach, devaient établir lesquelles des terres
avaient relevé à un quelconque moment de leur histoire des territoires, biens ou titres cédés à
la France en 1648. La Chambre de Brisach décide que toutes les seigneuries non encore
françaises d'Alsace avaient jadis été dans la dépendance du grand Baillage ou des
Landgraviats de Haute et Basse Alsace, peu importe que ces Landgraviats ne fussent plus
guère que des titres.


En janvier 1680 grand nombre de seigneurs étrangers sont invités à présenter au
Conseil leurs titres féodaux et à prêter hommage au Roi pour leurs terres alsaciennes :
il s’agit entre autres des puissants Margrave de Bade, Baron de Fleckenstein, Duc de
Palatinat - Deux Ponts, Comte de Veldenz, Comte de Linange… Tous soulèvent de
véhémentes protestations.
Le 22 mars 1680 ces seigneuries sont placées automatiquement sous suzeraineté du
roi, avec obligation aux seigneurs du serment et apposition des armoiries royales.
Devant les protestations des seigneurs à la Diète, un second arrêt du 9 août 1680
étend l'obligation de serment aux seigneurs et villes d'Alsace pour tous leurs
territoires : l'Évêque De Strasbourg, la ville de Strasbourg, Les Hanau - Lichtenberg,
Petite Pierre, la chevalerie immédiate, le Duc de Wurtemberg (Pour Montbéliard et
Horbourg - Riquewihr), le Prince abbé de Murbach, le duc de Lorraine. N'ayant d'autre
solution, tous se soumettent. Ainsi toute l'Alsace est française, sauf Mulhouse et
Strasbourg.
2.6. La prise de Strasbourg : 1681
Sans Strasbourg, l'Alsace est incomplète. Sa prise, sans perdre un seul homme, marque
l'apogée politique des « réunions ».
Cela commence par la prise de possession par l'intendant de La Grange des baillages de
Wasselonne, Barr et Dorlisheim. Strasbourg, abandonnée par l'Empereur, ne peut que
protester.
En été 1681 on amène aux environs de la ville 30 000 hommes commandés par Louvois et
Montclar. Le 28 septembre, le pont du Rhin est occupé. Le 29 la ville est encerclée. Montclar
déclare au Magistrat que la ville doit se rendre sans faire de difficultés… A Illkirch, Louvois
reçoit une délégation du Magistrat et lui ordonne de se rendre avant le 30 à sept heures du
matin, faute de quoi la ville sera bombardée. Après de longues délibérations, le Magistrat
décide de se rendre. La reddition, signée à Illkirch le même jour stipule les clauses suivantes :





Strasbourg devient ville française.
Strasbourg garde ses droits, libertés et coutumes, peut lever des impôts et conserve
sa municipalité.
Les institutions religieuses et sociales, ainsi que l'université protestante sont
maintenues.
La cathédrale est rendue au culte catholique.
L'arsenal est livré au roi et la ville est occupée par une garnison française.
Le 4 octobre la Ville prête serment à Montclar et au gouverneur militaire, le Marquis de
Chantilly. Le 14 octobre une délégation du magistrat rend hommage au Roi à Sélestat. Le 20
Egon de Fürstenberg, prince - évêque partisan de la cause française prend possession de la
cathédrale. Le 23 octobre Louis XIV entre dans la ville dont Vauban venait de commencer les
fortifications. Un Te Deum à la cathédrale scelle l’événement.
Ainsi, sauf Mulhouse, toute l'Alsace est française et rapidement elle est protégée sur le Rhin
par la « Ligne Vauban » : Sarrelouis, Landau, Fort Louis du Rhin, Haguenau, Phalsbourg,
Strasbourg, Neuf Brisach, Sélestat, Huningue, Belfort.
Dans le Saint Empire, l'indignation grandit. Mais l'Empire est trop faible, d'autant que
Léopold I doit faire face aux Turcs. Aussi le 15 août 1685 l'armistice de Ratisbonne stipule que
l'Alsace et Kehl devaient rester à la France.
2.7. Les dernières guerres de Louis XIV
2.7.1. La guerre de la ligue d’Augsbourg : 1688-1697
Cette guerre ne se déroule pas en Alsace, mis à part le sac de Wissembourg en 1694 par les
Hussards hongrois. Au traité de Ryswick, la France ne cède que le Brisgau, Brisach, Kehl et
Philippsbourg. La ville de Strasbourg avait caressé l'espoir de recouvrer sa liberté… Il fallut,
par de nombreuses et lourdes taxes, empêcher bien des familles patriciennes de quitter la ville
après le traité. Ayant dû abandonner Vieux Brisach, le roi fait construire en 1699 la forteresse
de Neuf Brisach, un chef d'oeuvre de Vauban.
2.7.2. La guerre de succession d’Espagne : 1701-1714
Elle met à plusieurs reprises l'Alsace à contribution. En 1702 les Impériaux prennent Landau et
l'Alsace du Nord. Mais Villars franchit le Rhin à Huningue, envahit la Bade et force les
Impériaux à se retirer. En 1703 Vauban assiège et prend Vieux Brisach. En septembre 1705
les Impériaux entrent en l'Alsace du Nord, prennent Haguenau et assiègent Fort Louis. En mai
1706 une contre attaque de Villars rétablit la situation. La guerre devient cependant très
lourde pour la France.
En 1709 les Impériaux pénètrent en Haute Alsace mais sont repoussés par le maréchal Du
Bourg au combat d'Ottmarsheim. Louis XIV se voit cependant contraint de négocier à
Gertruidenberg ; il offre l'Alsace à l'Empereur ; mais les coalisés imposent de telles conditions
que le roi continue la guerre. Il rétablit la situation, mais à son tour se montre trop intraitable
avec Charles VI. La paix est signée avec la Hollande et l'Angleterre à Utrecht en 1713. Villars
reprend Landau et Fribourg. Charles VI signe alors la faix de Rastatt le 6 mars 1714: l'Alsace
avec Landau reste à la France qui cède cependant la Franche Comté, Kehl, Vieux Brisach et
Fribourg.
Ainsi l'Alsace reste définitivement à la France. Un nouveau chapitre s'ouvre pour son histoire.
3. La nouvelle situation politique
Généralités
L'administration française
Les territoires alsaciens
3.1. Généralités
Après ces longues années de guerre la totalité de l'Alsace, sauf Mulhouse, est donc française.
Ce rattachement n'est pas chose simple: population, langue, coutumes, organisation politique
font de l'Alsace une province française très différente. Au centralisme français s'oppose la
tradition d'autonomie propre à l'Empire.
Aussi le gouvernement français procède avec prudence: il introduit en Alsace sa législation et
son administration, mais y laisse subsister les us et coutumes du pays. L'Alsace forme une
province au même titre que la Normandie ou la Bourgogne, sous cette réserve que le
gouvernement la considère comme « Province à l'instar de l'étranger effectif », car elle n'est
pas incluse dans le système douanier du Royaume et elle peut donc continuer à s'adonner au
commerce Rhénan.
La carte politique ne change pas. Le gouvernement se contente de superposer aux organes
locaux des autorités de surveillance et de direction et introduit une administration générale du
pays. Le gouvernement fait régner l'ordre et la sécurité, et après la mort de Louis XIV le pays
peut rapidement se relever.
3.2. L'administration française
3.2.1. Gouverneur et intendant
Peu à peu l'administration française s'installe en Alsace. A la tête de la Province, le
gouverneur, personnage issu des grandes familles nobles de France : les Du Bourg, De
Broglie, De Contades... Mais le pouvoir royal réel repose entre les mains de l'Intendant, chef
de l'administration. Ceux des XVII et XVIIIè seront énergiques et compétents. Ils tentent de
comprendre les particularités de la Province, sa situation politique, religieuse, culturelle et
linguistique. Ils font rédiger de gros « Mémoires » et certains défendent souvent la Province
vis à vis du gouvernement central et de la Cour.
En voici la liste, jusqu'à la Révolution:
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Colbert de Croissy : 1656-1662.
Charles Colbert : 1662-1670.
Poncet de la Rivière : 1670-1674.
De la Grange : 1674-1698.
Le Pelletier de la Houssaye : 1700-1716.
Bauyun d'Angevilliers : 1716-1724.
Feydau de Brou : 1728-1743.
De Vanolles : 1744-1750.
De Sérilly : 1750-1752.
De Lucé : 1753-1764.
De Blair: 1764-1778.
De Chaumont de la Galaizière : 1778-1789.
La principale tâche des premiers Intendants est le relèvement matériel du pays : pour ce ils
chargent le pays de lourds impôts très impopulaires tels la taille, la subvention ordinaire, la
capitation (1695), le vingtième (1749), et pour l'entretien des digues du Rhin les « épis du
Rhin ». Viennent s'y ajouter des impôts extraordinaires (600 000 livres en 1694) et des dons
gratuits. Enfin il y a les corvées et taxes dues aux seigneurs... En 1777, la province paye
380 0000 livres. En 1789 elle en payera 900 0000 !
3.2.2. Prêteurs royaux et régence
Au dessous des Intendants, dans les grandes villes, siègent les préteurs royaux qui ont le
contrôle de surveillance et de direction. Ils surveillent, dans le sens des intérêts du pouvoir,
les conseils municipaux aux sessions desquels ils siègent. Ils décident de fait en véritables
maîtres des cités : ainsi à Strasbourg les préteurs Frédéric Ulrich Obrecht (16811-1701) ou le
baron de Klinglin qui dilapidera les finances de la ville...
Quant aux grandes seigneuries, elles sont dotées de régences qui relèvent à la fois du
Seigneur et de l'Intendant. Les régences s'occupent de l'administration, des finances, de la
justice. A leur tête, un président qui surveille les baillis (plusieurs par seigneurie). Le bailli,
nommé par le seigneur, administre sa circonscription, surveille les prévôts (« Schulteiss ») et
les maires d'après les ordres de la régence, lève l'impôt et préside la juridiction inférieure.
3.2.3. Le conseil souverain d’Alsace
C'est la grande nouveauté introduite en Alsace, qui s'occupe de la juridiction supérieure. Après
le traité de Ryswick le Conseil est transféré de Brisach à Colmar (1698).
Après son rôle politique essentiel lors des Réunions, il devient un rouage judiciaire de premier
plan dans la Province. Il joue le rôle de tribunal d'appel duquel relèvent tous les tribunaux des
seigneurs et des villes. Pour tous les jugements rendus on pouvait faire appel à sa
juridiction... Aussi les premiers présidents jouissent-ils d'une grande réputation : Claude le
Laboureur (1682ss), les De Corberon père et fils (1700 1747), les Boug... L'activité du Conseil
améliore considérablement la justice en Alsace dans le sens de l'équité.
Les magistrats font construire à Colmar et environs de magnifiques demeures et la ville prend
une allure toute nouvelle. L'installation du Conseil à Colmar provoque surtout la venue d'une
grand nombre de familles de gens de robe : les Boug et Dartein du Périgord, les Danzas de
Navarre, les Salomon de Venise, les Le Laboureur de Paris, les Chauffour de Bobigny...
Rapidement ces familles deviennent alsaciennes à part entière (Chauffour) et contribuent à
faire de l'Alsace une terre française.
3.3. Les territoires alsaciens
La carte politique de l'Alsace ressemble fort à celle du XVè, hormis que tous les seigneurs
reconnaissent la suzeraineté française. Seuls les territoires des Habsbourg sont donnés par le
Roi à des Nobles français (Ainsi Hohlandsberg aux Montclar). La seigneurie de Ribeaupierre
passe à la mort du dernier seigneur, Jean-Jacques (1673) aux Birkenfeld et aux Palatinat Deux
- Ponts dont le dernier, le prince Max, colonel du Régiment Royal Alsace, jouit d'une grande
popularité. En Basse Alsace, à la mort du dernier Fleckenstein en 1720 la seigneurie passe aux
Rohan Soubise, alors que le comté de Hanau Lichtenberg passe aux Hesse Darmstatt en 1736,
qui reconnaissent la suzeraineté française. Seule la ville de Mulhouse reste membre de la
Confédération Helvétique.
Ainsi l'Alsace garde l'aspect d'une mosaïque de petites et grandes seigneuries.
4. Les étapes de la francisation
Destructions et reconstructions
Le repeuplement du pays
Francisation et religion
Les nouvelles hiérarchies sociales
4.1. Destructions et reconstructions
4.1.1. Les destructions
Elles varient d'amplitude et d'intensité suivant lieux et époques. Il y a trois vagues de
destruction importantes : la guerre de Trente Ans, l'invasion des Impériaux en 1673-1675, et
les guerres de la ligue d'Augsbourg et de Succession d’Espagne ; les deux dernières épargnent
le territoire mais en ruinent l'économie par des livraisons en tout genre.
Il y a diverses zones profondément atteintes :
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Zone du Kochersberg : les territoires sont abandonnés, les paysans se réfugient à
Strasbourg et Saverne, l'endettement rural est considérable : le créancier prend le
visage du juif, du bourgeois ou du laboureur voisin épargné...
Zone du vignoble : Plus de la moitié des vignes sont à l'abandon, situation due
davantage à l'épidémie qu'aux destructions : 1631, 1637, 1667 et 1668 sont des
années de peste...
Zone du Sundgau : directement atteint par les destructions des Suédois, les troubles
de la Fronde, l'invasion des Lorrains. Le plat pays est durement touché et le refuge
suisse joue à plein...
Zone de la Montagne et des Chaumes où les chalets marcaires offrent autant de
refuges ; mais le bétail a disparu et le commerce par les cols a cessé...
4.1.2. Les reconstructions
La reconstruction est le résultat d'un acte de volonté des bourgeois de Strasbourg et Colmar,
du comte d'Hanau Lichtenberg, mais aussi et surtout de l'administration royale : attirer
l'étranger hors de ce réservoir naturel épargné qu'est la Suisse, à la suite de la crise
économique qui atteint les Cantons en 1650 et de la jacquerie de 1653, le fixer sur ses terres,
l'inciter à produire, tel est le but recherché.
4.2. Le repeuplement du pays
Une ordonnance royale de 1661 appelle les Français et étrangers à « se retirer dans le pays
d'Alsace » et promet des terres abandonnées ou non revendiquées. De leur coté les seigneurs
agissent dans le même sens.
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Après leur révolte malheureuse de 1653 de nombreux protestants Suisses viennent du
pays de Berne s’installer dans les territoires protestants de Basse Alsace (Hanau Lichtenberg) alors que des catholiques Suisses du Voralberg, de Suisse Centrale et du
Tyrol s'installent dans le Sundgau : ainsi les nombreux noms de famille tels
Schweitzer, Anstett, Zumstein, Baumgartner, Studer, Vögeli, Frey, Lichti...
Des Tyroliens s'installent dans la vallée supérieure de Saint Amarin et le Haut Val de
Munster où ils fondent le village catholique de Mittlach...
Les Lorrains parlant français entrent dans les vallées vosgiennes, provoquant le
déplacement de la frontière linguistique : Le Bonhomme (Didolshausen), Lapoutroie
(Schnierlach), Orbey (Urbeis), Labaroche (Zell)…
Des Provençaux s'installent à Steige, des Picards fondent Chalampé, des Huguenots
entrent en Alsace Bossue...
L'apport Italien et Savoyard est lui aussi important...
L'immigration est renforcée après l'édit de 1662 par d'autres faveurs : exemption d'impôts
pour 6 années, bois de construction gratuit. D'autres mesures sont prises encore en 1682 et
1687.
Vers 1650 la population comprend 250 000 âmes. Elle augmente, mais les guerres de Louis
XIV sont autant de freins : la population n'est que de 260 100 âmes vers 1697... La paix du
XVIIIè va favoriser un extraordinaire accroissement : 430 000 vers 1750, et 700 000 vers
1790, ce qui prouve la vitalité alsacienne retrouvée au XVIIIè…
.3. Francisation et religion
La révolution la plus profonde que connaît l'Alsace vient en fait moins des nouvelles données
politiques (« Ne point toucher aux usages de l'Alsace ») ou économiques (le pays demeure lié
aux réalités Rhénanes), que spirituelles et religieuses : après 1681, avec les Français, l'Alsace
entière entre dans le camp victorieux de la Contre - Réforme catholique, phénomène qui va de
pair avec l'affirmation autoritaire des droits du roi : ainsi la célèbre phrase de Charles Colbert
a un abbé d'Andlau : « En Alsace, le Saint Esprit est aux ordres du Roy ! ».
4.3.1. Première étape : la reconstruction catholique
Restauration matérielle par la reconstruction du temporel des abbayes et des cures, défense
des droits du monarque selon la tradition gallicane face aux empiètements de l'évêque de
Bâle, introduction de prêtres et religieux de France, rattachement du clergé régulier aux
Provinces de France (Jésuite d'Ensisheim), obligation faite aux novices de devenir sujets du
roi, telles sont les principales mesures prises par les Intendants.
Plus subtile est l'intervention royale dans l'élection des évêques de Strasbourg : en 1662 le roi
agit sur le chapitre et obtient l'élection d'un « client » de la France, François Egon de
Furstenberg. Il sera un allié précieux pour la France, ainsi que son frère Guillaume Egon qui lui
succédera en 1682.
4.3.2. Deuxième étape : la lutte anti-protestante : 1673
Très rapidement Louis XIV développe la politique d'application restrictive des textes de Nantes
(1598) et d'Alès (1629). La révocation de l'Edit de Nantes (1685) ne fut jamais appliquée en
Alsace, mais un certain nombre de mesures tendent à modifier l'ancien statut et à introduire
peu à peu la prééminence du catholicisme :
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En 1671 La cathédrale de Strasbourg est restituée au culte catholique. Les protestants
s'installent au Temple Neuf en 1681.
En 1702 l'université de Molsheim est transférée à Strasbourg.
Jusqu'en 1685 le « simultanéum » est prescrit : les églises sont partagées en deux, le
choeur passant aux catholiques dès qu'ils sont 7 familles.
Après 1685 « l'alternative » ordonne que chaque charge soit remplie alternativement
par un protestant et un catholique au décès des titulaires.
Baillis, prévôts et greffiers sont obligatoirement de foi catholique.
Peu de personnes résistent à de telles pressions, auxquelles s'ajoutent de douces
« violences », de fréquentes vexations, l'installation de « Curés royaux », la délivrance ou non
de « Quartiers d'hiver »... Il ne faut toutefois point négliger le considérable effort de
conversion entrepris sous l'impulsion des Jésuites et de Capucins... l'Eglise apporte un soin
particulier à la jeunesse : fondation de l'Université épiscopale, du Collège Royal, du couvent
des Visitandines et du foyer de la Congrégation de Notre Dame...
4.4. Les nouvelles hiérarchies sociales
Au cours du siècle se définissent de nouvelles hiérarchies sociales : Strasbourg, jusque là
étrangère à la province, en devient le centre administratif et politique. De là, nobles et
bourgeois propriétaires dominent le plat pays où le paysage rural a retrouve sa structure
traditionnelle sans modification des liens juridiques ni des conditions économiques et fiscales.
Du nouveau pouvoir, la bourgeoisie a obtenu l'essentiel : le maintien de ses rites, la
persistance de ses assemblées, le caractère oligarchique de ses Magistrats. Elle a souffert
dans ses convictions religieuses, mais l'élimination des tièdes et des opportunistes a trempé la
volonté de résistance des autres. La fonction commerciale traditionnelle diminue au profit
d’une autarcie économique qui trouve dans la guerre ses propres débouchés. Si l'ordre et la
sécurité règnent, si le loyalisme royal est parfait, la misère reste cependant grande et les
errants nombreux quand se termine le règne du Roi-Soleil.
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