republique democratique du congo

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REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
UNIVERSITE DE LUBUMBASHI
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
LA QUESTION DE LA VERITE
LECTURE DE LA LOGIQUE DE LA DECOUVERTE SCIENTIFIQUE
de Karl Popper
Travail présenté et défendu en vue de
l’obtention du Diplôme d’Etudes
Approfondies en Philosophie.
.
Par Jean Barhacikubagirwa Murhega
Assistant en Philosophie/ UNILU
Directeur : François Nkombe Oleko
Professeur Ordinaire
Lubumbashi 2009
I
EPIGRAPHES
« Nous ne savons pas, nous ne pouvons que conjecturer. »
Karl POPPER
« Développez vos idées de façon qu’elles puissent être critiquées ; attaquez-les
impitoyablement ; n’essayez pas de les protéger, exhibez leurs points faibles ;
éliminez-les aussitôt qu’elles auront été prises en défaut.»
Karl POPPER
« La science naît dans des problèmes et finit dans des problèmes.»
Karl POPPER
« Nous tirons un enseignement de nos erreurs. En découvrant que la
conjecture était fausse, nous aurons beaucoup appris quant à la vérité, et nous en serons
davantage approchés. »
Karl POPPER
« Obsequium odiun vritas parit »
Publius Terentius Afer
Jean MURHEGA
II
DEDICACE
A nos Parents Léopold MURHEGA
et collette LUHINZO
A nos sœurs Théodosie, Nsimire,
Béatrice, Lydie et à notre jeune frère Martin.
A mon épouse Solange Nyamwezi, femme tant désirée
Au Professeur Nkombe
Nous dédions ce travail
Jean MURHEGA
III
IN MEMORIAM
Nous faisons mémoire de tous les nôtres
qui nous ont quitté prématurément ainsi que le Père Villa,
le Frère lino.
Requiescant in pace.
Jean MURHEGA
INTRODUCTION GENERALE
L’amour de la sagesse est essentiellement une quête insatiable de la vérité, car celle-ci
échappe continuellement à l’homme. Cependant, la fugacité de la vérité pousse l’homme à
une recherche permanente et inlassable. Personne n’aspire à la fausseté. « La recherche
philosophique, en effet, implique un choix initial ou plus exactement une croyance ; que la
vérité existe (…) une fois soutenue par expérience même de la réflexion. Penser, en effet,
c’est vouloir connaître, mais personne ne désire ou ne cherche une connaissance fausse. »1
La vérité est fondamentalement l’opposé de l’erreur. La vérité est une affirmation de
ce qui existe, et la négation de ce qui n’est pas. Cette acception est celle d’un jugement. Elle
est cependant récusée par les idéalistes ainsi que les réalistes. Les premiers pensent que la
vérité se réduit à un accord de la pensée avec elle-même, les seconds le problème de rapport
entre la réalité et la vérité des jugements.
La vérité est un caractère dont sont dotés certains jugements. Elle est le fruit de l’effort
de la recherche, des retouches et des rectifications successives, car elle n’est point donnée
toute faite. Paraphrasant William James, nous soutenons que la vérité ne nous attend pas pour
la découvrir comme l’Amérique attendait Christophe Colomb. Tout homme, en quête de la
vérité, s’évertue à éviter l’erreur, la fausseté. Tel est réellement l’idéal qui n’est jamais atteint.
C’est dans cette perspective que les hommes des sciences se présentent comme véritablement
chercheurs de la vérité et en sont réellement défenseurs.
0.1. PROBLEMATIQUE
L’amoureux de la sagesse a soif de connaître, de cerner la vérité de ce qui l’attire et
qui amorce en lui le mouvement de la recherche. Théoriquement, la vérité est à chercher en
vue de connaître. Jeanne Parrain – Vial note que « la philosophie est une discipline qui se
caractérise par l’amour de la vérité (…). Le but de la recherche philosophique c’est la vérité,
les concepts n’ont des valeurs que dans la mesure où ils l’aident à l’atteindre (…). Tous les
grands philosophes ont affirmé leur vocation à la recherche du vrai dans l’ordre théorique,
comme dans l’ordre pratique (…). Tous les philosophes ont espéré de toute leur âme que la
contemplation du vrai assurerait la paix, l’accord des esprits se réalisant dès que les
intelligences seraient purifiées des erreurs et des préjugés (…). Aucun philosophe ne s’est cru
1
PARRAIN-VIAL, J., Tendances nouvelles de la philosophie, Le centurion, Paris, 1978, p. 21.
totalement purifié et n’a cru posséder la vérité (…). La philosophie étant essentiellement
œuvre de réflexion personnelle, (…) chaque philosophe doit recommencer pour son propre
compte la recherche du vrai. »2
L’histoire de la philosophie prouve à suffisance qu’il n’y a pas de vérité à la manière
d’un théorème ou une loi physique. Chaque amoureux de la sagesse remet en question ses
prédécesseurs et à son tour, il sera réfuté par la postérité. En paraphrasant Georges Gusdorf,
nous soutenons qu’aucune philosophie n’a pu mettre fin à la philosophie même si cela était le
vœu secret de toute philosophie. La perspective philosophique insinue que la vérité
n’appartient pas davantage à quelqu’un individuellement mais elle se trouve devant tout un
chacun, raison pour laquelle la conscience philosophique demeure anxieuse, insatisfaite de ce
dont elle est dotée et, par conséquent, s’adonne à la recherche continuelle de la vérité pour
laquelle elle se soupçonne être assignée.
Depuis longtemps, la théorie de la vérité - correspondance entre un jugement et un fait,
chère à l’aristotélisme et au thomisme, a été soutenue pour justifier l’existence de la vérité.
Cette définition manifestement réaliste de la vérité – correspondance, de l’esprit à la chose, a
été réalisée et dépassée par différents courants philosophiques surtout à l’époque
contemporaine. Mais ce dépassement n’en est vraiment pas un, car la théorie de la vérité –
correspondance continue à se manifester sous des jours nouveaux. C’est alors que
Wittgenstein use de sa thèse du reflet isomorphique de la réalité par l’énoncé doué de sens
pour prouver le caractère de la vérité. Les néopositivistes du Cercle de Vienne y ajoutent le
critère de vérifiabilité. Dans ce cas, vérité et fausseté sont applicables aux propositions, car
seule la proposition est exclusivement susceptible d’être vraie ou fausse. Que la chemise soit
verte, blanche, cela est affaire de la réalité et non de la vérité. Pour les néopositivistes, la
condition sine qua non pour avoir un sens, c’est se rassurer si la proposition à laquelle on a
affaire peut être confrontée aux données de l’expérience en vue de percevoir si elle exprime
un état de choses correspondant. Grâce à ce nouveau critère, Rudolf Carnap disqualifie les
énoncés de la métaphysique. Le néopositivisme conçoit la philosophie comme une élucidation
des propositions scientifiques se référant exclusivement à l’expérience, origine de toute
connaissance.
Alfred Tarski reprend la théorie de la vérité – correspondance dans la sémantique. Le
commentant, Jean-François Malherbe écrit que « ce concept est sémantique, car il exprime
une évaluation de la relation liant un énoncé aux objets dont il parle, à sa référence. Il est
2
PARRAIN-VIAL, J., op. cit , pp. 20-23.
parfois possible de définir un concept de vérité, à condition toutefois de distinguer
soigneusement deux niveaux de langage : le métalangage dans lequel le concept est défini et
le langage objet pour lequel ce concept est défini dans le métalangage. »3
Grâce à son enseignement Karl Popper utilise les concepts de vérité et fausseté et fait
remarquer que cette mutation n’a pas d’impact sur sa méthodologie. Il précise son approche
de la vérité, à savoir, vérité – approximation : « la réfutation d’une théorie (…) constitue à elle
seule un progrès qui nous fait approcher de la vérité.»4
De ceci, nous constatons que Karl Popper est préoccupé de la question de la vérité et
adhère à la théorie de la correspondance en estimant qu’il y a une correspondance entre les
théories et les faits qu’ils décrivent.
Il est alors clair que nous devons provisoirement considérer comme fausses, toutes
nos opinions passées, antérieures tout en méditant sur les raisons que nous pouvons détenir de
les mettre effectivement en doute en vue d’une vérité indubitable. Karl Popper, suite à sa
théorie de falsifiabilité de toute théorie scientifique, a explicitement et/ ou implicitement
admis la théorie de la vérité comme correspondance entre un énoncé linguistique et la réalité
extralinguistique. La vérité est toujours fugace, nous ne pouvons prétendre l’avoir atteinte.
C’est alors qu’elle stimule le désir de l’homme de continuer à vouloir l’approcher. Elle pousse
tout homme à penser en fonction d’elle et en vue de sa recherche.
Dans ce contexte, certaines interrogations retentissent, notamment : Qu’est-ce que la
vérité ? Y a-t-il des degrés de vérité ? Y a-t-il une vérité ? A quoi reconnaît-on la vérité ? A
quel signe et comment connaît-on la vérité ? La vérité peut-elle engendrer l’erreur ? Peut-on
reconnaître le droit à l’erreur quand on a le souci de la vérité ? Peut-on penser à des vérités
indiscutables, irréfutables ? Quand est-ce qu’on pense avoir énoncé la vérité ? Quel est le
critère de la vérité ? Comment l’erreur est-elle possible ? Ces interrogations mobilisent nos
efforts tout au long de cette dissertation, tout en ne prétendant pas y fournir des réponses
exhaustives. Sans nier qu’on puisse être dans la vérité, Karl Popper refuse à la vérité son
caractère ou sa prétention de se supposer manifeste. Cette position présente une rupture avec
la tradition subjectiviste du savoir stipulant que la certitude du tenir pour la vérité est le
meilleur chemin vers la vérité. Il remet en question l’épistémologie subjectiviste et propose
une épistémologie nouvelle.
MALHERBE, J. – F., La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique, P.U.F., Paris, 1979, pp.121122.
4
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 10.
3
0.2. CHOIX ET INTERET DU SUJET.
La question de la vérité ne laisse personne indifférente, aussi bien l’épistémologue que
le moraliste et l’homme ordinaire. La question de la vérité est une question vitale et
fondamentale, une problématique existentiale. Les hommes sollicitent que leurs femmes leur
disent la vérité et vice-versa, les pasteurs prétendent livrer la vérité aux apostats, aux
prosélytes; les magistrats, pour établir des faits, recherchent des preuves confirmant la vérité
de leur constat… La vérité est l’apanage de tout le monde et on y porte plus d’attention
particulière. Elle fait partie du quotidien de la science où sa pertinence est indéniable. C’est
ainsi que même si elle est dénaturée, elle demeure et demeurera au centre de la préoccupation
scientifique. Philosopher insinue la recherche de la vérité avec toute son âme « notre principal
propos en philosophie et en science devrait être la recherche de la vérité »5.
Il est clair que le vœu des scientifiques est d’être en présence d’une vérité afin d’éviter
une confusion, un paradoxe entre les niveaux successifs du langage, entre la langue par
laquelle nous exprimons des choses et la métalangue par laquelle nous parlons la langue.
Nous sommes souvent victimes de cette confusion en maniant des notions sémantiques
comme celles de la vérité ou de la fausseté. Ce vœu montre l’importance qu’il y a à élucider la
notion de vérité, qui constitue une pierre angulaire de notre existence. Nous voulons donc
expliciter la notion de « vérité », en tentant de lui ôter ses ambiguïtés et de dégager sa
véritable nature. C’est dans ce contexte que nous nous sommes intéressé aux thèses
développées dans l’épistémologie de Karl Popper, notamment :
1. Toutes les théories sont des hypothèses, toujours provisoires, conjecturales et susceptibles
d’être renversées suite à leur caractère inexhaustible.
2. L’erreur est instructive. La critique des théories prouve que les erreurs instruisent. Il est
difficile de prouver que la théorie émise ne soit pas perdante. Le scientifique ne cherche que
le contenu de fausseté de sa meilleure théorie en la soumettant à l’épreuve, en la réfutant, en
la testant.6
L’histoire des sciences se fonde sur des rêves irresponsables, d’obstination et d’erreur. En
réalité la science est l’une des rares activités de l’homme où les erreurs sont systématiquement
5
6
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 54.
Cf. POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 93.
critiquées et rectifiées avec le temps. En science, les erreurs sont instructives et cela justifie le
fait de parler du progrès en ce domaine.7
3. Nous justifions nos préférences en faisant appel à l’idée de vérité: la vérité joue le rôle
d’une idée régulatrice. Nous testons pour la vérité en éliminant la fausseté. Nous devons
proposer en science et en philosophie, des théories qui s’approchent un peu plus de la vérité
que celles de nos prédécesseurs.
4. Nous sommes des chercheurs de vérité, mais nous n’en sommes pas les propriétaires, car la
notion de meilleure approche, ou de meilleure approximation de la vérité ou de proximité plus
grande avec la vérité ou de plus grande vérisimilitude est alors le but de la science comme la
vérité est fugitive. C’est dans cette perspective que s’inscrit notre sujet, à savoir : La question
de la vérité. Lecture de la logique de la découverte scientifique de Karl Popper.
0.3. HYPOTHESE DU TRAVAIL
Toutes les conceptions de la vérité apportent chacune des éléments pertinents, mais
nous pensons que la conception de Karl Popper, soutenant la vérité approximative, est la
plus féconde pour le progrès scientifique aujourd’hui. Personne ne peut prétendre atteindre la
vérité pleine, car elle est totalement et manifestement fugace, elle est glissante et son
approche, sa proximité semble être une de ses véritables caractéristiques ou manifestations.
Si nous parvenons à nous inscrire dans la logique de Karl Popper, en estimant que
toutes nos théories ne sont que conjectures et donc sont provisoirement vraies et très
susceptibles de critiques, alors le progrès de la science se réaliserait sans encombre, car
personne n’aurait la prétention de la vérité absolue. Dans cette perspective, la connaissance
scientifique progresserait sur base des théories existantes, corrigées, modifiées ou réfutées.
0.4. METHODE DE TRAVAIL
Pour mener à bon port ce travail sur Karl Popper, il sied de préciser que nous nous
servirons des méthodes : herméneutique et critique. La première nous aidera à interpréter la
pensée poppérienne, en vue de la comprendre. C’est dans cette perspective que ce travail
s’appesantira sur la critique afin de présenter de quelle manière le progrès scientifique doit se
réaliser en procédant par rectification des erreurs. Comme le soutient Gaston Bachelard « il
7
Cf. POPPER, K., Conjectures et Réfutations: La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 321.
n’ y a pas de vérités premières, il n’y a que des erreurs premières ».8 Nous examinerons la
notion de la falsifiabilité, la méthodologie du couple conjecture-réfutation pour en mesurer la
pertinence et la validité.
0.5. DELIMITATION DU TRAVAIL
La pensée de Karl Popper est très complexe. Il est l’un de plus grands philosophes des
sciences du XXème siècle mais il est également un philosophe politique et social. Il est donc
pertinent de préciser que sa philosophie a deux orientations : une réflexion épistémologique
sur le raisonnement et la découverte scientifique et une réflexion critique du totalitarisme.
D’aucuns n’ignorent qu’il est très célèbre pour son faillibilisme en sciences, raison pour
laquelle nous avions opté pour son orientation épistémologique en étudiant la question de la
vérité
0.6. ETAT DE LA QUESTION
La subtilité philosophique d’ordre épistémologique n’échappe à aucun philosophe et
certains y réfléchissent à la lumière de Karl Popper. Ce travail n’est pas le premier sur Karl
Popper dans son domaine épistémologique. Tant d’autres travaux ont été réalisés sur la pensée
poppérienne dans la multiplicité des domaines de recherche en épistémologie et en
philosophie politique et sociale. Citons notamment, certains livres comme celui de (d’):
1. Jean – François Malherbe, La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique expose
la philosophie de Karl Popper en deux temps : son épistémologie et sa philosophie politique et
sociale.
2. Emmanuel Malolo Dissakè, Karl Popper, langage, falsificationnisme et science objective,
aborde la problématique du langage, l’objectivité dans l’épistémologie de Karl Popper.
3. Jean Beaudouin, Karl Popper, exploite la philosophie des sciences de Karl Popper en
mettant en exergue la notion d’épistémologie problématiste.
4. Alain Boyer, Introduction à la lecture de Karl Popper, présente une lecture poppérienne
en mettant l’accent sur la clarification de certains concepts en usage chez Karl Popper.
Nombreux sont les articles publiés sur la pensée de Karl Popper, citons :
8
BACHELARD, G., cité par VERGEZ, A. et HUISMAN, D., Histoire de Philosophie illustrée par les
textes, Nathan, Paris, 1996, p. 336.
1. Ali Benmakhlouf, « Karl Popper le savoir de l’ignorance », présente la pertinence des nos
erreurs dans le progrès scientifique.
2. Anthony Anietie Essien, « La falsifiabilité comme critère de scientificité » met en évidence
le paradigme de falsifiabilité comme fondement méthodologique de la scientificité.
Des colloques ont été organisés sur la pensée de Karl Popper spécialement celui
de son centenaire organisé par l’Université de Tunis. Nous avons aussi trouvé des études sur
Karl Popper dans la Revue Ardente des étudiants jésuites de Kimwenza à Kinshasa.
Notre préoccupation est de parvenir à présenter la pertinence de la question de la vérité
approximative dans la Philosophie des Sciences de Karl Popper. Nous y découvrirons la
notion de l’épistémologie objective, celle sans sujet connaissant, une épistémologie pessimiste
de Karl Popper qu’il oppose à l’épistémologie traditionnelle, subjective, optimiste, celle du
sujet connaissant.
07. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Le présent travail est subdivisé en quatre chapitres encadrés de l’introduction et de la
conclusion générales.
Le premier chapitre réalisera l’inventaire des certaines conceptions de la vérité
connues dans l’histoire de la philosophie Nous tenterons de classer les différentes questions
de la vérité en considérant leurs visées.
Le deuxième chapitre traitera de la question de la vérité chez Karl Popper. Ayant subi
les influences de la relativité d’Albert Einstein et la notion de la vérité sémantique d’Alfred
Tarski, Karl Popper s’est mis à critiquer le positivisme logique surtout sa méthode inductive,
son couple hypothèse-confirmation et son principe de vérificabilité. Il élaborera une
épistémologie objective basée sur la méthode de falsifiabilité ou de conjecture-réfutation.
Le troisième chapitre portera sur l’épistémologie sans sujet connaissant. Contrairement
à l’épistémologie traditionnelle, celle du sujet connaissant, Karl Popper postule une
épistémologie sans sujet connaissant, car le monde objectif est autonome du sujet et formé des
ensembles des théories.
Le quatrième chapitre présentera une critique de la pensée poppérienne dans son
orientation épistémologique. Il tentera de relever les mérites et les limites de Karl Popper et
laissera ouvert le champ épistémologique poppérien en vue des remarques édifiantes tenant
compte de sa complexité.
CHAPITRE PREMIER
CERTAINES CONCEPTIONS DE LA VERITE
1.0. INTRODUCTION
Jésus devant Pilate déclare : « je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre
témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit : qu’est-ce que
la vérité ?»9
Le concept de vérité n’a pas échappé à la subtilité de plusieurs philosophes tout au
long de l’histoire. Mais son usage a toujours prêté à confusion suite à son acception réduite
tantôt à la réalité, tantôt à l’utilité,… Nous voulons approcher cette notion de vérité comme
qualité d’une proposition constative. Selon René Descartes, la vérité est une notion si
transcendentalement claire et, par conséquent, il est impossible d’en passer outre. Nous
examinons une balance avant de nous en servir. Il en est de même pour la notion de la vérité.
Nous estimons la vérité d’une proposition comme la conformité de ce qui est à la réalité.
L’absence de contradiction, la cohérence est le propre du raisonnement, de sa validité. La
notion de vérité régule le domaine non seulement scientifique où l’on aborde les procédures
de la connaissance mais aussi celui de la logique où l’on aborde la validité, celui de la
pratique où l’on considère le domaine du bien et celui de la pragmatique où l’on cherche
l’utile, la réussite.
L’utilisation du concept de vérité dans les langues naturelles dont la syntaxe et la
sémantique sont loin de satisfaire aux exigences de l’univocité a provoqué des antinomies, des
relativités et des difficultés pouvant conduire exactement aux paradoxes. Toutes ces
approches ont traversé l’histoire de la philosophie et ont concouru à l’évolution de la science.
Le progrès de la science se fonde sur une succession des réfutations les unes aux autres.
La notion de la vérité a toujours attiré l’attention des penseurs. Par exemple, la
conception de la vérité veut réaliser l’accord de la pensée et du réel en cherchant à rendre
compte du monde extérieur ; la vérité est la copie de la réalité. Elle est un « terme et concept
éminemment problématique, car ils marquent l’excellence indépassable de la pensée et du
9
Bible de Jérusalem : Jean 18, 37b-38.
langage et sont, par conséquent, des signes de puissance. Tout acte de jugement et
d’énonciation présuppose la vérité comme son instance de légitimation implicite. »10
Présenter certaines conceptions de la vérité revient à préciser que le critère
d’isomorphie est important pour parvenir à une classification de quelques approches de la
vérité, car ce critère rappelle que les assertions ne sont vraies que si elles rendent compte la
réalité, si elles sont isomorphes à la réalité. Le critère d’isomorphie insinue qu’il existe les
similitudes formelles des structures entre des systèmes d’équations présidant aux phénomènes
physiques différents. Il est une théorie de la forme stipulant qu’il n’ y a pas de différences
entre les formes psychiques, les formes physiologiques…Il s’agit de la théorie de la véritécorrespondance qui a marqué l’occident et continue à se manifester de nos jours. La vérité est
toujours un mouvement vers. L’homme est naturellement appelé à connaître. Prédisposé à
cette vocation, il effectue la démarche d’aller vers l’objet à connaître en vue de le découvrir.
Le but ultime de la science est la vérité. C’est à cela que tout chercheur aspire. Il se heurte à
des antinomies, car la vérité qui se montre ne fait que lui échapper. La vérité est glissante
comme les pentes des régions montagneuses pendant la saison pluvieuse. Cette fugacité
engendre en tout chercheur l’audace et la convoitise d’aller vers. Certains prétendent
l’atteindre et d’autres pensent qu’on ne peut que l’approcher. Cerner la vérité pose problème,
car plusieurs tendances se proposent de l’identifier en nous offrant des conceptions
diamétralement opposées. Parcourant l’histoire de la philosophie, nous constatons que
plusieurs conceptions de la notion de la vérité ont été mises en exergue, notamment : vérité
monstration, vérité correspondance, vérité cohérence, vérité utilitaire, vérité impossible, vérité
consensuelle, vérité approximative …La classification de ces multiples conceptions est
difficile comme l’écrit Louis-Marie Marfaux : « Il serait vain, de chercher à classer
historiquement les conceptions de la vérité : elles sont au moins aussi nombreuses que les
théories de la connaissance. »11 Nous allons essayer de fournir une ébauche de classification
pour le besoin de clarification : « Le but de la philosophie est la clarification logique des
pensées (…). Une œuvre philosophique se compose essentiellement d’éclaircissements. »12
10
GODIN, C.,, Dictionnaire de philosophie, Fayard, Paris, 2004, p. 1400.
MARFAUX, L.-M., Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Armand-Colin, Paris,
2005, p. 589.
12
WITTGENSTEIN, L., Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, Paris, 1993, p. 57.
11
1.1. LA CONCEPTION DE LA VERITE MONSTRATION
Abordant la conception de la vérité comme monstration, nous focaliserons notre
attention sur quelques figures emblématiques, à savoir : Parménide, Socrate, Platon, Hegel,
Husserl, Heidegger.
1.1.1. Parménide
Selon Parménide, la pensée a pour objet l’être, on ne peut penser ce qui n’est pas. Les
conditions de l’intelligibilité définissent les conditions de l’existence. Le vide, le néant, le
mouvement sont impensables. Parménide formule sa théorie de la connaissance en ces
termes : « le vrai est l’intelligence, la norme de l’être ». Frappé par l’être, il affirme que ce
qui est et qui ne peut pas ne pas être, c’est l’être ; donc l’être est et le non-être n’est pas. C’est
l’être pur. Parménide formule les principes d’identité (ce qui est est), du tiers exclu (être ou ne
pas être) et de non-contradiction (on ne peut pas à la fois être et ne pas être). Ce sont les
principes de base de la pensée.
Pour lui, il y a la voie de la vérité c’est celle du réel dont le principe est : « ce qui est,
est ; ce qui n’est pas, n’est pas ». Cette voie de la vérité est une théorie du réel, car ce qui est,
est créé, il ne peut dériver ni de l’être ni du non-être, impérissable, continu, car rien ne
pourrait briser sa continuité dans l’espace, inchangeable. La vérité est l’intensité de l’être
même.13
1.1.2. Socrate
A la recherche de la vérité, la dialectique socratique procède par ironie pour détruire
les opinions fausses, les préjugés. Socrate utilise ensuite la maïeutique en vue d’accoucher la
vérité. Il n’enseigne pas, n’apporte pas de solutions toutes faites. Cette procédure est un
mouvement, une dynamique vers la vérité qu’on espère atteindre. La vérité n’est pas chose à
être imposée du dehors. Elle est présente dans l’esprit de l’interlocuteur. Elle doit être
cherchée et trouvée, car on ne sait vraiment que ce qu’on a découvert ou redécouvert soimême. Par des nouvelles interrogations conduites avec art, Socrate dirige l’attention de
l’auditeur là où il faut pour qu’il découvre lui-même la vérité. Chercher et apprendre c’est
connaître la vérité, c’est la reconnaître. Il amène l’auditeur à dégager lui-même le vrai. Tout
13
Cf. THONNARD, F.-J., op. cit., p.18.
homme enfante le vrai en se connaissant soi-même. Cette démarche est inductive, car en
multipliant les cas concrets Socrate conduit le dialogue jusqu’à la découverte d’une vérité
générale qui rend compte de tous les cas. Il veut tourner l’intelligence des hommes vers la
vérité pour laquelle elle est faite, la connaissance du vrai pour bien se conduire.
Socrate s’efforçait de faire jaillir la vérité de la discussion. Ce qu’admet
Gorgias, Polos le conteste ; ce que Polos a accordé, Calliclès le refuse. Le raisonnement
solide, véhiculant la vérité, est celui auquel ni Gorgias ni Polos ni Calliclès ni aucun autre ne
saurait opposer une objection. La vérité est dans ce contexte une schématisation de la pensée ;
elle est comprise comme une technique du discours, du jugement correct ; il y a ici un
mouvement vers un consensus autour d’une idée éprouvée qui devient inattaquable14.
1.1.3. Platon
Pour Platon, la philosophie est une recherche amoureuse de la vérité. La connaissance
humaine nous aide à reconnaître notre ignorance pour éprouver en nous le réveil de la réalité.
Platon utilise la méthode dialectique en la définissant comme un ensemble des efforts
de spéculation et des résultats obtenus dans la recherche de la vérité, car il faut aller à la vérité
avec toute son âme. Il s’agit d’une méthode de purification qui dégage progressivement l’âme
intellectuelle de ce qui est sensible, du corps et l’élève vers le monde des idées. La
purification est la dialectique de l’amour, car l’âme intellectuelle est attirée par le bien idéal :
« Cette ascension progressive revêt aussi une forme plus dialectique et devient une discipline
scientifique. La méthode est alors constituée d’approximations successives par lesquelles on
s’élève peu à peu vers la pleine vérité. »15
Les simples perceptions passagères des choses sensibles ou les pures imaginations
fugitives concourent à l’engendrement de la conjecture. Progressivement, un effort de
stabilisation et de généralisation favorise les définitions scientifiques. En réalité, cet effort est
incomplet et provisoire comme son soubassement est à trouver dans les opinions reçues,
transmises par les poètes et les traditions religieuses, aussi les comparaisons et les simples
vraisemblances. L’ensemble des conjectures et des croyances aboutit à une opinion. Mais les
sciences exactes, mathématiques et géométrie, habituent l’esprit à la recherche des essences
tout en gardant une base hypothétique peu sûre ; en les admettant, on demeure dans l’ordre
14
15
Cf. THONNARD, F.-J., op. cit., pp. 45-46.
THONNARD, F.-J., op. cit., p. 53.
hypothétique sans atteindre l’absolu. Il s’agit d’une connaissance raisonnée mais imparfaite.
L’expression ultime de tout est à situer dans les idées, en les contemplant elles-mêmes. Plus il
y a de conformité entre la connaissance et son objet ; plus il y aura de vérité.16
Le monde intelligible est celui de la science certaine, un savoir assuré, par l’intuition
rationnelle des idées et des vérités éternelles, relations logiques nécessaires entre les idées.
Pour Platon, connaître la vérité c’est connaître l’essence des choses, ce qu’elles sont en ellesmêmes ; connaître les idées. Utilisant l’allégorie de la caverne, Platon illustre sa dialectique,
la marche vers la vérité. Dans la caverne, on est habitué aux ombres. En sortant de la caverne
on accède à la réalité des choses, à la lumière du soleil. On peut fixer le soleil lui-même,
c’est-à-dire contempler le monde des idées éternelles. La chose n’est vraie que dans la mesure
où elle participerait à la vérité de l’idée du vrai. L’homme connaît par les idées innées, par
réminiscence, car son âme a contemplé le monde des idées avant de s’incarner dans le corps,
sa prison.
1.1.4.
Hegel
L’idéalisme postkantien nous présente une conception de la vérité dans la mesure où
l’objet serait réalisé par l’activité d’une conscience transcendantale, commune à tous les
esprits. La vérité n’est vérité que si toutes les connaissances sont unanimes. Elle insiste sur
l’accord avec la conscience transcendantale et son accord avec elle-même : « le sens commun
en donne une interprétation très simple : la vérité serait une simple copie de la réalité, la
présence même de la réalité dans ma conscience qui la reconnaît. La vérité c’est-à-dire la
connaissance vraie serait une simple réception de la réalité. »17
Nous remarquons que les penseurs de l’idéalisme postkantien retournent à la
conception classique de la vérité-correspondance, car la vérité est une réalité, une
reconstruction de l’expérience par les concepts. A ce stade, le jugement doté de la vérité
n’atteint le fait qu’à travers des techniques expérimentales. L’exemple de la mesure du temps
est ici pertinent. Ce jugement: « ce matin à huit heures cinq minutes, il faisait dix-sept
degrés » qui paraît tout simple et élémentaire, suppose déjà un haut niveau d’abstraction et
diverses techniques expérimentales : Les techniques relatives à la mesure du temps et
l’utilisation du thermomètre. Pour que mon auditeur comprenne le sens de ce jugement, il faut
16
17
Cf. THONNARD, F.-J, op. cit., pp. 55-57.
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 252.
qu’il sache que la chaleur dilate le corps et qu’en soutenant qu’il : « fait dix-sept degrés »,
j’indique la hauteur de l’alcool dans un petit tube attaché à une règle graduée posée sur ma
fenêtre. […] Mon jugement se réfère à la technique du thermomètre, qui suppose elle-même
la théorie de la dilation […] le jugement vrai transpose et reconstruit la réalité à travers tout
un réseau de manipulations techniques et d’opérations intellectuelles. »18
Pour Hegel, la marche dialectique de l’esprit part de l’Etre vide, passe par la thèse,
l’antithèse et la synthèse jusqu’à l’Absolu (l’Etre plein). Le développement dialectique qui
est à la fois mouvement de l’être et celui du logos concourt à l’établissement d’une vérité dans
le savoir absolu. La vérité est alors un résultat.19
Hegel identifie l’Idée à la vérité mais il montre qu’il ne s’agit pas de la vérité que l’on
peut trouver dans les propositions. Il s’agit du vrai en soi et pour soi, c’est l’Absolu.
1.1.5. Husserl
Pour les phénoménologues, la vérité d’une affirmation est constituée par
l’intentionnalité de la conscience percevante et par la réalité perçue qui s’offre. Toute
évidence remonte à la chose perçue qui s’offre. La vérité est dans l’existence humaine en tant
que consciente. L’Etre-homme est un être dévoilant parce qu’il est conscient. Cette vérité du
jugement suppose que l’homme se trouve dans la vérité, et par conséquent, elle suppose que la
réalité ne soit pas cachée, alors le jaillissement de la vérité est un événement historique, c’està-dire un dévoilement de la réalité se produisant à un moment de l’histoire. Selon Husserl une
connaissance est garantie vraie seulement si toutes les manifestations possibles de son objet la
confirment nécessairement comme étant tel. Au fait, « la notion d’évidence noue les deux
termes dont s’occupe toute épistémologie : l’être et le connaître (…). Au fait, en
phénoménologie est évidente, la connaissance dont l’objet est présent à la connaissance ; la
vérité est une qualité de la connaissance qui lui vient de la présence en personne de la chose
elle-même. C’est la qualité suprême de la connaissance, par définition, une connaissance
évidente est objective, vraie, intuitive, actuelle. »20
Les descriptions phénoménologiques montrent l’homme ancré dans le monde, inséré
dans l’histoire. L’histoire raconte ce qui est arrivé en un temps, a disparu en un autre et a été
évincé par autre chose. Soutenir que la vérité est éternelle, c’est affirmer qu’elle ne tombe pas
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p.253.
Cf. MORFAUX, L.- M., op. cit, p. 591.
20
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 208.
18
19
dans le domaine de ce qui passe et elle n’a pas d’histoire. Toute vérité est inadéquate, car la
chose ne se donne totalement. Elle ne se rencontre que par la face sous laquelle nous
l’abordons. Et nous savons que «selon notre insertion dans le monde nos évidences peuvent
s’avérer différentes : comme il y a une pluralité des perspectives du même monde il y aura
une pluralité des vérités. »21
1.1.6. Heidegger
Pour Heidegger le dévoilement de la proposition doit concourir à la vérité de l’étant,
de l’être-là. Tout énoncé doit s’enraciner dans l’être du Dasein, c’est alors que la vérité de
l’énoncé doit être relative aux étants. C’est l’être-là qui, une fois dévoilé, doit être
authentique. La vérité est dans la monstration du Dasein, lieu par excellence où se réalisent
non seulement le dévoilement mais aussi le revoilement. La vérité dérive d’un étant réel et
devient une vérité ontologique, la vérité du jugement se trouve dans l’être de l’étant. Quand
l’étant parvient à se dévoiler, il manifeste la vérité grâce à la monstration. Alors la vérité du
Dasein « consiste en ce que l’étant il doit ainsi se dévoiler en identité avec la manière dont il
est montré en train d’être dans l’énoncé. »22
La vérité est celle de l’étant, elle est dévoilement ou revoilement. L’authenticité c’està-dire la vérité est le dévoilement, la révélation de l’étant apparaissant essentiellement et
fondamentalement dans la lumière connue lui-même de l’être. Avec Heidegger, le thème de la
vérité acquiert une nouvelle acception. Le nouveau contexte dans lequel on peut débattre la
question de la vérité suscite la question du sens de l’être. Heidegger est rassuré que la vérité
soit comparée à l’être. En plus, il s’évertue à rompre cette conception philosophique classique
comme celle de saint Thomas d’Aquin selon laquelle la philosophie se veut être un cadre
logique dans lequel le sujet est séparé du monde. Il tend à rompre ce schéma à travers
l’ontologie herméneutique ; celle-ci opère dans un cercle qui se veut dans une structure
ontologique de l’être-là en direction de l’élucidation du sens de l’être et vice versa. Il s’agit
de l’ontologie fondamentale, c’est-à-dire l’analyse structurale de l’être-là. L’ontologie
herméneutique est circulaire. L’être-là est essentiellement ouvert, car le « là »
désigne
l’ouverture essentielle. L’être-là étant lumineux, il est nécessairement vrai, il est dans la
vérité, il ne s’agit pas d’une confusion qui confirmerait que l’être-là soit la vérité, mais nous
savons que dans la luminosité de l’être-là, l’étant subsiste en se montrant, en apparaissant à la
21
22
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 213.
HEIDEGGER, M., L’être et le temps, Gallimard, Paris, 1964, p. 269.
lumière, en se dissimulant dans l’obscurité. L’énoncé se fonde sur l’être-au-monde ; le
langage est un mode d’ouverture de l’être-là, ce qui revient à préciser que la vérité de
l’énoncé se fonde dans la vérité (luminosité) de l’être-là. L’énoncé signifie avant tout
monstration, apophasis (dévoilement). Dans cette conception, l’énoncé est une revelatio de
l’étant. Le jugement doit d’abord dévoiler, montrer un étant auprès duquel la personne se
situe. Par exemple, le dos tourné vers le mur, on émet l’énoncé suivant : « Le tableau pendu
au mur est incliné ». Ce jugement ne peut être vérifié que lorsque le sujet, se retournant,
constate la situation du tableau. On n’a pas considéré le jugement (le tableau est incliné) avec
la chose (le tableau). Il y a seulement un se sentir-auprès-de-la chose. La comparaison du
jugement ne s’est pas limitée à vérifier une concordance (adaequatio) avec l’objet. Avant
tout le jugement a dévoilé, a montré un étant auprès duquel la personne se situe23.
Dans ce contexte, l’énoncé fait voir l’étant dans son dévoilement. La vérité se situe
dans le jeu dévoilant-dévoilé, l’un étant le comportement propre de l’être-là qui énonce,
l’autre le propre de l’étant révélé. Ce mouvement dévoilant-dévoilé se fonde dans la structure
de l’être-là, ouverture, est toujours dans la vérité. Heidegger a exercé une méthode circulaire
(cercle herméneutique) en vue d’élucider le sens de l’être-là pour dévoiler le sens de l’être et
vice versa. Cette manière ne postule ni la causalité ni la cause première. Heidegger se
demande pourquoi l’être doit être le premier concept, le plus général, auquel tous les autres
se réduisent.
Pour lui, la vérité est ouverture, c’est-à-dire la vérité est fondée dans l’être-là ouvert, si
bien qu’avant l’apparition de l’être-là il n’y avait pas de vérité, puisque n’existait pas un
horizon d’apparition ou d’ouverture. Pour lui, les vérités newtoniennes n’étaient pas vraies
avant Newton, car il n’y avait pas de clairière ou condition de dévoilement. La condition de
toute vérité est le jeu dévoilant-dévoilé. Il s’agit d’une manifestation, d’une révélation.
Heidegger s’appesantit sur la définition ordinaire de la vérité : la vérité n’est donc pas dans les
choses en tant que telles, elle est à situer dans le rapport entre les choses et les idées sur les
choses. On parle de la vérité quand la chose se trouve en accord avec ce que nous pensons
d’elle. On se rapproche par là de la définition classique de la vérité comme accord, adéquation
entre l’idée et la chose, jugement et réalité : « le lieu de la vérité est le jugement (l’énoncé).
L’essence de la vérité est dans l’accord du jugement avec son objet. Aristote, père de la
23
Cf. PEGORAGO, O., « Notes sur la vérité chez Saint Thomas d’Aquin et Martin Heidegger » in Revue
Philosophique de Louvain,, Tome 74, 1976, p. 50.
logique, a rapporté la vérité aux jugements comme le lieu d’origine même, il a mis en vigueur
la définition de la vérité comme accord. »24
A cette époque, la vérité était toujours définie comme l’adéquation, la correspondance
ou la concordance, mais selon Heidegger, ces notions s’enracinent dans la monstration du
Dasein. Il est clair que Heidegger insiste sur l’alitheia, le fait de ne pas se cacher. Il s’agit
d’une autorévélation toujours incomplète de l’être. Même quand l’être se révèle, il se soustrait
à l’être.
1.2. LA CONCEPTION DE LA VERITE CORRESPONDANCE
La conception classique de la vérité est la correspondance entre l’idée et la réalité. Le
sujet étant séparé de l’objet, on doit les rapprocher par la médiation du jugement dans la
théorie obscure et compliquée de l’abstraction.
La vérité implique la conformité de l’objet, de la chose à ce qui est dit : « ce à qui
l’esprit peut et doit donner son assentiment (par suite d’un rapport de conformité avec l’objet
de la pensée, d’une cohérence interne de la pensée). C’est la connaissance conforme au réel
[…]. Ce qui est conforme à l’apparence, qui n’est pas imité.»25
La théorie de la vérité-correspondance a profondément marqué la philosophie
occidentale. Cette conception insinue une notion réaliste et rationaliste de la vérité. La vérité
n’est vérité que sur base de l’expérience ; il faut parvenir à la percevoir. La vérité est perçue et
devient vérité perceptible ; c’est-à-dire que nous l’affirmons en rapport avec ce que nous
percevons, en conformité avec le dire. Elle est alors le fruit de l’expérience, car
« l’expérience dans son ensemble est alors opposée, soit à la mémoire, soit à la raison.»26
Dans ces conditions, une proposition n’est susceptible de véhiculer la vérité que si
elle est capable de conformer son dire à la réalité que nous percevons réellement. La véritable
source de connaissance devient alors la conformité du dire au réel. Le propre de la vérité est
d’être dotée d’une valeur probante et de présenter les liaisons régulières entre le dire et la
chose perçue ou connue. Cette théorie prouve à suffisance que la vérité n’est vérité que
lorsque la proposition affirme ou infirme ce qui est tel qu’on le dit. La vérité s’offre comme
un objet, comme ce qui vient représentativement à la connaissance. C’est une réalité
subsistant en elle-même, indépendamment de toute connaissance ou idée. La connaissance
24
HEIDEGGER, M., Etre et Temps, Gallimard, Paris, 1986, p. 265.
REY, A. (dir.), Dictionnaire Micro Robert, Montréal, 1998, p. 1399.
26
LALANDE, A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, P.U.F., Paris, 1960, p. 322.
25
revêt comme vérité, la conformité du dire à l’objet. La conception classique de la vérité
correspondance stipule qu’être dans le vrai, c’est représenter fidèlement la réalité. Pareille
notion de vérité exprime l’exigence intellectuelle de faire correspondre la pensée et le
discours de l’être humain à la réalité. Le problème est de déterminer la forme de la pensée et
du discours véridiques.
La vérité comme correspondance entre la pensée et le réel prouve que la vérité
n’existe pas : il n’y a que des faits ou des énoncés vrais. La vérité est une abstraction, elle est
une propriété du discours et non la réalité sur laquelle porte ce discours et c’est par extension
que l’on parle du vrai or, du vrai cuivre ou du vrai stylo.
Notre attention a été retenue par Aristote, Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin,
L’atomisme logique, Le positivisme logique, Alfred Tarski,…
1.2.1. Aristote
La conception de vérité-correspondance remonte à Aristote : adaequatio rei
intellectus, adéquation entre la proposition et la chose décrite. Aristote se sert de la méthode
dialectique a posteriori. Il part des faits sensibles, car, pour lui, la meilleure connaissance est
celle qui est acquise par les sens. Elle est construite. Cette notion de la vérité comme
concordance est la plus célèbre. Le terme adéquation signifie conformation ou conformité.
Cependant, cette méthode dialectique d’Aristote est liée à la raison, elle est alors empicorationnelle. Grâce à elle, Aristote recherche les faits qu’il soumet à la raison. Dans la
recherche de la vérité, il commence par examiner les opinions de ses prédécesseurs en les
critiquant. Il se soucie d’une connaissance unifiée. La vérité n’est pas dans le concept ou dans
la simple représentation mais l’union ou la séparation. Le vrai, c’est l’affirmation de la
composition réelle du sujet et de l’attribut ou la négation de leur séparation réelle. Penser c’est
nécessairement affirmer ou nier un prédicat d’un sujet.
Aristote estime que la vérité est la conformité d’une proposition avec la réalité. Une
proposition est vraie si les faits sont tels qu’elle les décrit ou s’ils ne sont pas comme elle dit
qu’ils ne sont pas. Dans le cas contraire, elle est fausse. Pour Aristote, la vérité d’une
proposition implique que les faits soient tels qu’elle les décrit. Les faits sont tels que la
proposition les décrit, comme la proposition dit qu’ils sont. Il y a asymétrie radicale entre le
discours et la réalité en rapport à la vérité. Cette conception est réaliste, raison pour laquelle
elle est appelée correspondance.
1.2.2. Saint Augustin
A l’époque patristique, pour Saint Augustin, la quête de la vérité obéit à un
mouvement qui conduit vers l’intérieur de soi. Tout jugement, même l’erreur, présuppose la
certitude de l’existence de soi, car si je me trompe, je suis, puisque l’on ne peut se tromper si
l’on n’est. Cependant, ce mouvement de retour vers soi-même se présente en même temps
comme ascension vers Dieu, le fondement originel de la vérité qui habite au cœur de
l’homme. C’est exclusivement au moyen de la foi, dans la lumière du verbe divin qui illumine
l’âme humaine, que la connaissance de la vérité est possible.27
Dans sa théorie de l’exemplarisme, il soutient que seul Dieu est la vérité subsistante,
par conséquent, tous les êtres découlent de cette vérité subsistante : Seule la vérité subsistante
est créatrice, car si Dieu possède en son verbe l’idéal de tout, pourquoi ne serait-il pas l’artiste
créateur de tout.28
L’adéquation suppose la conformité des choses créées à Dieu, la cause exemplaire,
dans la pensée divine créatrice. Toute vérité humaine a son fondement dans les vérités
éternelles qui sont de l’ordre de l’entendement divin. Ce sont des vérités rationnelles et
éternelles comme les principes mathématiques où elles sont nécessaires et immuables. Elles
sont contenues dans l’intelligence de Dieu.
1.2.3.
Saint Thomas d’Aquin
Saint Thomas d’Aquin a défini la vérité comme adéquation. Pour lui, la vérité se
trouve au centre de la philosophie. La vérité exprime la convenentia des êtres entre eux. Et
pourtant la convenentia ne se donne que dans l’âme, celle-ci est capable de se rendre
semblable à tous les êtres et elle est égale à toutes les formes : « Cette convenance des choses
avec l’âme s’établit à travers la correspondance entre l’être et l’intelligence. Ainsi la vérité
peut être définie : adéquation de la chose et de l’intelligence. »29
La notion de la chose est synonyme dans ce contexte de ens, de l’être. L’être désigne
l’acte d’exister, l’essence de la chose et la chose fait allusion à l’essence et ensuite à l’acte
d’exister. Dans la tradition scolastique, l’intelligence revêt plusieurs significations, à savoir :
27
Cf. BESSE, J.M. & BOISSIERE, A., Précis de philosophie, Nathan, Paris, 1996, p. 12
Cf. THONNARD, F.-J., op. cit., pp. 222-223.
29
PEGORARO, O., art. cit., p. 46.
28
« faculté de comprendre (intelligence), habitude des premiers principes (sagesse) et acte de
comprendre (intellection). L’intellection est le verbum mentis ou species expressa.»30
Saint Thomas d’Aquin utilise le concept d’intelligence surtout comme acte de
comprendre. L’intelligence est donc le judicium de se prononcer par la mens : « Le verbum
mentis est la chose qui se donne à l’intelligence dans l’acte d’intellection : ainsi l’intellection
de l’intelligence, non seulement est ce qui est intelligé, mais aussi le par quoi la chose est
intelligée. »31
L’adéquation exprime une relation de proportionnalité existant entre la chose et le
jugement. Pour exprimer la proportionnalité, Saint Thomas d’Aquin utilise les vocables de
assimilatio,
convenentia,
correspondentia,
commensuratio : « La
ratio
veri
est
correspondance de l’être avec le sujet connaissant (…). L’être est apte à communiquer sa
forme et le sujet est capable de la recevoir. (…) Il y a l’adéquation (adaequatio et assimilatio)
de l’intelligence et de la chose. C’est en cela que consiste formellement la vérité constituée
par l’union de l’être dans l’intelligence. A Ce moment, l’étant et le sujet sont conformes, ont
la même forme, sont en conformité. On établit ainsi l’assimilatio du connaissant par rapport à
la chose connue (…). Le sujet connaissant prononce, déclare et manifeste l’être (forma rei)
pour soi-même. A ce stade, on semble avoir expliqué la vérité mais elle est impossible dans le
thomisme sans l’intervention de la cause première. L’ultime raison de la vérité est Dieu. En
lui, comme créateur, sont présentes les formes des choses. »32
Dieu connaît les choses en lui-même en tant que son essence contient la similitude de
toutes les choses. Ces similitudes sont des raisons éternelles qui sont imitées par les créatures
existant dans le temps. Le fondement de la vérité est dans les raisons éternelles imitées par
les formes créées. La vérité se fonde dans la relation triangulaire entre Dieu, la créature et
l’intelligence : « La vérité est dans l’intelligence divine sur un mode impropre et secondaire ;
et dans les choses sur un mode impropre et secondaire puisqu’elle n’est en elles que par
référence aux deux premières vérités. »33
De ce fait, Dieu est la cause ultime de la vérité, en lequel doit se fonder toute vérité.
La cause première paraît comme le fondement de toute vérité. La dérivation de toutes vérités
est la vérité suprême. Cette conception métaphysique est fidèle au platonisme et à
l’aristotélisme, car les classiques partent d’un point jugé évident et on en déduit
rigoureusement les autres vérités. Pour le thomisme, la vérité est adéquation et aucune vérité
30
PEGORARO, O.,
PEGORARO, O.,
32
PEGORARO, O.,
33
PEGORARO, O.,
31
art. cit., p. 46.
art. cit., p.47.
art. cit., p. 47.
art. cit., p. 48.
n’est possible sans la lumière éternelle dont l’intelligence est participation. La vérité est
éternelle, car Dieu est éternel et en lui sont les raisons des choses. Il est l’ultime fondement de
la vérité même scientifique. La théorie de la vérité-adéquation considère la vérité comme une
relation entre ce qui a la propriété d’être vrai comme un jugement et quelque chose dans la
réalité qui le rend vrai comme un fait, un phénomène. L’adéquation de la chose à la pensée
concourt au fait qu’en affirmant quelque chose du monde, le jugement établit un rapport entre
notre pensée et la réalité. La vérité réside dans la nature de ce rapport d’adéquation.
La vérité trouve son fondement dans la nature des choses, par exemple, pour penser il
faut exister. Cette vérité est apodictique, elle ne pourrait pas ne pas être. Et pourtant, la vérité
peut être contingente, dérivant, par exemple, d’un fait réel qui aurait pu ne pas se produire.
Par exemple, le père Bernard est un prêtre écrivain. Une fois que ce jugement est vrai, il l’est
pour toujours, car il n’est vrai que c’est à partir de telle période où le Père Bernard est prêtre
et écrivain. Dans ce contexte l’intelligence est capable de percevoir ou d’affirmer la vérité.
Avec saint Thomas d’Aquin, la conception classique de la vérité comme adéquation de
l’intelligence à la chose traduit un premier décollement. La vérité ne qualifie plus la réalité,
mais un certain type de rapport symbolique à elle. En faisant de la vérité une valeur
intrinsèque à certaines catégories de propositions rigoureusement définies et en lui donnant
des critères intrinsèques d’existence, la pensée contemporaine a tendu à mener à son terme ce
processus de désontologisation. La vérité était considérée comme une réalité stable, profonde,
essentielle d’où l’expression de la vérité d’un être : « la confusion de la vérité et de la réalité
remonte au platonisme, et, au-delà, à Parménide. »34
Progressivement, la vérité devient une qualité de ce qui est conforme à la réalité telle
qu’elle et non telle qu’on se l’imagine. En philosophie de l’art, on parle de l’expression fidèle
du et/ou au modèle, un portrait saisissant de vérité pour éviter la caricature. Le portrait traduit
toutes les parties du modèle. A ce stade, la vérité appartient en propre au jugement : ni un
concept ni un raisonnement ne peuvent à proprement parler être dits vrais. On dit d’un
concept qu’il est adéquat ou fécond ou simplement utile et d’un raisonnement qu’il est valide.
1.2.4. L’ATOMISME LOGIQUE
Pour Wittgenstein, dans le Tractatus logico-philosophicus, ouvrage qualifié de Bible
de l’empirisme logique, toutes les propositions philosophiques sont des pseudo-propositions,
34
GODIN, C., op. cit., p. 1401.
elles sont dénouées de sens, car seules les propositions élémentaires, décrivant des états des
choses, sont douées de sens. D. Hume, J.S. Mill, E. Mach, G. Frege, B. Russel, N. Whitehead
et L. Wittgenstein se présentent comme ancêtres du Cercle de Vienne. Pour Wittgenstein, une
proposition qui représente un état des choses possibles est dotée de signification, véhicule un
sens. Comprendre une proposition revient à savoir ce qu’elle représente, savoir si elle est
vraie. Comprendre une proposition revient à cerner ce qui se réalise quand elle est vraie. Le
sens d’une proposition est le mode de sa vérification35.
Pareille thèse se situe à l’origine du principe de vérification du positivisme logique.
Toute proposition qui ne réussit pas à subvenir à ce principe est fondamentalement dépourvue
de sens. Une telle proposition est à éliminer du discours, car les jugements synthétiques sont
tous a posteriori et s’expriment dans les propositions empiriques vérifiables de la science36.
Dans ce cas, F. Waismann, en commentant les aphorismes contenus dans le Tractatus logicophilosophicus, confère au principe de vérifiabilité une formulation explicite :
1. le sens d’une proposition est sa méthode de vérification,
2. le sens d’une question est la méthode utilisée pour y répondre,
3. Comprendre une proposition signifie savoir comment on doit arriver à une décision sur la
question de savoir si elle est vraie ou fausse. 37
Ce principe de vérifiabilité fait que parmi les propositions synthétiques, seules les
propositions des sciences empiriques sont déclarées sensées. Un énoncé non-scientifique est,
par conséquent, insensé, c’est un pseudo-énoncé. La métaphysique est totalement dépourvue
de sens. Comprendre une proposition veut dire savoir ce qui est le cas lorsqu’elle est vraie. On
parvient à la compréhension d’une proposition lorsqu’on comprend ses constituants.38
Wittgenstein n’a jamais considéré comment la
proposition est susceptible d’être
vérifiée. Le principe de vérification constitue une spécification restrictive du principe de
l’empirisme. Il admet qu’une proposition a une signification cognitive, si elle est susceptible
d’être vérifiée complètement par une évidence de type observationnel. Il est alors sûr qu’une
proposition a une signification empirique si et seulement si, elle n’est pas analytique et est une
conséquence logique d’une classe finie et logiquement consistante de proposition
d’observation. Chez les néo-positivistes logiques, le principe de l’empirisme coïncide avec le
principe de la non signifiance de la métaphysique. La démarcation entre la science et la
métaphysique est la même que celle qui existe entre le sens et le
35
Cf. WITTGENSTEIN, L., op. Cit., p. 53.
Cf. MALHERBE, J.-F., op. cit., pp. 45-47.
37
Cf. WAISMANN, F., cité par MALHERBE, J.-F., op. cit., p. 46.
38
Cf. WITTGENSTEIN, L., op. cit., p. 53.
36
non-sens. Cette
identification a été critiquée par Karl Popper qui estimait que l’on peut faire une distinction
satisfaisante entre la science et la métaphysique sans avoir besoin de considérer cette dernière
comme dénuée de sens.
1.2.5.
L’EMPIRISME LOGIQUE
Les néo-positivistes du Cercle de Vienne, penseurs éminents, physiciens,
mathématiciens, sociologues et économistes, philosophes se rencontrèrent à Vienne en vue de
traiter des problèmes de la connaissance scientifique, de sa logique, de sa vérité. Les activités
de ce Cercle connaissent un bouillonnement intellectuel sans précédent. Le Cercle de Vienne
se fait défenseur d’une sorte de néo-positivisme fondé sur un empirisme logique, c’est-à-dire
sur la tendance qui fonde la connaissance sur sa seule expérience surtout l’expérience
sensible. Les énoncés spéculatifs ne renferment de sens que s’ils sont justifiés ou vérifiés par
les données d’ordre expérimental. Ils veulent construire une représentation scientifique du
monde qui se démarque de toute approche métaphysique et théologique. Pour eux, les
théories scientifiques présentent un statut définitif quand elles sont justifiées par l’expérience ;
par conséquent, elles sont vraies, définitivement établies et certaines. Elles atteignent une
vérité absolue. C’est dans cette optique que la vérifiabilité ou la confirmation des théories par
l’expérience est le critère de démarcation entre science et métaphysique et différencie la
science et la pseudo science: « La démarcation entre science et métaphysique coïncide avec la
frontière qui sépare le sens du non-sens. »39
Pour les néo-positivistes logiques, les énoncés qui appartiennent à la science
empirique pour lesquels l’analyse logique peut déterminer la signification ou à partir desquels
on peut déduire la signification à celle des énoncés les plus simples sont pourvus de sens. Les
autres se révèlent vides de sens ou dépourvus de sens si on les entend à la manière des
métaphysiciens.40
Les néo-positivistes logiques comme Neurath et Hempel ont défendu la notion de la
vérité comme cohérence. Selon eux, la vérité ou la fausseté n’émane pas d’une confrontation
avec la réalité extra-linguistique mais seulement de la compatibilité ou de son incompatibilité
avec d’autres propositions dans le même système. Les néo-positivistes logiques préconisent
que le critère de scientificité ou de démarcation entre science et non-science est la
39
POPPER K., Conjectures et Réfutations: La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 373.
40
Cf. NEURATH, CARNAP et HAHN, cités par MALHERBE, J.-F., op. cit., p. 38.
vérifiabilité. Ce principe se présente comme un ensemble d’opérations qui sont mises en
exergue pour mettre à l’épreuve une hypothèse. Dans cette circonstance, la vérifiabilité porte
sur des cas singuliers, contrairement à la démonstration portant sur un caractère général.
André Lalande note que la vérifiabilité consiste à : « contrôler une hypothèse, une croyance,
par la comparaison des conséquences qu’elle implique aux faits observés (…). Prouver,
reconnaître ou faire reconnaître quelque chose pour vrai par l’expérience ; (…) les faits
vérifient une prédiction, une théorie et aussi qu’une assertion se vérifie, quand l’événement
donne raison à son auteur. »41
La vérificabilité passe pour le critère de la scientificité. Cette conception se fonde sur
la démarche inductive consistant à tirer à partir des observations répétées ou des expériences
faites, des lois pouvant régir les faits. Le schéma inductiviste prouve qu’une théorie implique
des prédictions, si elles s’avèrent fausses, la théorie n’en est pas une ; si au contraire, ces
prédictions sont vraies, la théorie se veut valable. Subséquemment, la vérifiabilité se révèle
comme une accumulation des cas favorables susceptibles de prouver une hypothèse. Pour
Jean Ladrière, ce support empirique apporte une garantie positive de vérité dans le cas de la
vérifiabilité. La méthode inductive se propose de partir des énoncés singuliers, particuliers
pour en arriver à des énoncés universels : « L’induction fait continuellement appel à
l’expérience. Dans l’induction, l’esprit part généralement des données de l’expérience qui
sont singulières, pour conclure à l’expérience d’une vérité universelle (loi, principe, …). Le
sujet de la conclusion (du conséquent) a donc une extension plus grande que les sujets des
différentes propositions antécédentes (…) L’induction envisage le sensible particulier sous un
point de vue universel. »42
André Lalande précise que l’induction est une « opération mentale qui consiste à
remonter d’un certain nombre des propositions données, généralement singulières ou
spéciales, que nous appellerons inductrices, à une proposition ou à un petit nombre des
propositions plus générales, appelées induites, telles qu’elles impliquent toutes les
propositions inductrices. »43
La doctrine la plus rependue soulignait que la science revêt les caractéristiques basées
sur l’observation et la méthode inductive et, par conséquent, la métaphysique et les pseudosciences, notamment l’astrologie, utilisent la méthode spéculative. Dans pareille condition,
elles sont à exclure des sciences. Le néopositivisme utilise un langage logique univoque,
41
LALANDE, A., op. cit., pp.1195-1196.
DIRVEN, E., Introduction aux logiques, Saint Paul Afrique, Kinshasa, 1980, p. 31.
43
LALANDE, A., op. cit., p. 507.
42
construit, pour éviter le danger de l’ambiguïté propre aux langages naturels et responsable des
sauts métaphysiques.
1.2.6.
Alfred TARSKI
L’engagement et la pertinence que Karl Popper porte à l’endroit de la vérité
proviennent de sa rencontre avec Tarski : « La rencontre de la personne et de l’œuvre de
Tarski donne un nouvel élan à la spéculation poppérienne. Celle-ci emprunte, en effet, à
Tarski l’idée qui demeurait complexe de vérité-correspondance, selon laquelle un énoncé peut
être tenu pour vrai dès lors et seulement s’il correspond à certains faits. La sémantique
tarskienne permet ainsi à Popper de restaurer le problème de la vérité dans ses droits sans
disqualifier pour
autant le principe de faillibilité puisqu’il ne s’agit nullement ici de
proclamer un critère général de la vérité mais seulement d’établir les conditions auxquelles
une proposition verbale peut correspondre à un fait ou à un ensemble de faits. »44
Alfred Tarski s’assigne la mission fondamentale d’établir une façon matériellement
correcte d’identifier les vocables sémantiques dans le métalangage. Ceux-ci sont utilisés dans
le métalangage à titre de nouveaux concepts primitifs et leurs propriétés fondamentales sont
établies par l’entremise d’axiomes. De ces axiomes, on remarque les énoncés assurant l’usage
matériellement approprié des concepts en question. A ce stade, la sémantique devient une
théorie déductive indépendante fondée sur la morphologie du langage. Les concepts
sémantiques se définiront en termes des concepts usuels du métalangage et seront réduits à
des concepts purement logiques, aux concepts du langage étudié et aux concepts spécifiques
de la morphologie du langage. La morphologie comprise in lato sensu aura la sémantique
comme une de ses parties.
Alfred Tarski indique comment définir un prédicat de vérité pour chacun de langages
bien formés, mais sa définition s’applique à différents prédicats. Il n’a pas la prétention de
définir la vérité, mais cherche à prouver qu’on peut faire un usage de la notion de vérité.
Autrement dit, qu’une théorie de la vérité pouvait être consistante. En cherchant à établir le
fondement de la sémantique, Alfred Tarski privilégie la voie d’une définition éliminatrice du
prédicat de vérité. Il définit le prédicat à partir des concepts logiques. Il estime que le concept
de vérité d’un énoncé est une assertion dans le métalangage. Distinguant le métalangage dans
lequel on décrit les énoncés du langage-objet, Alfred Tarski instaure le concept de vérité
44
BEAUDOUIN, J., Karl Popper, P.U.F., Paris, 1989, p.9-10.
sémantique exprimant une évaluation de la relation liant un énoncé aux objets dont il parle, à
la référence. Karl Popper se laisse imprégner des idées fondamentales de la théorie de la
vérité sémantique d’Alfred Tarski. Il croit que cette théorie est l’une des plus grandes
découvertes faites dans le domaine de la logique mais elle est très mal comprise et dénaturée.
La théorie de vérité sémantique d’Alfred Tarski est confondue à l’idée de vérité d’Aristote et
beaucoup estiment que la vérité est une correspondance avec les faits ou avec la réalité. En
réalité, l’idée selon laquelle un énoncé correspond aux faits ou à la réalité revient à signifier
qu’il ne s’agit pas d’une correspondance consistant en une similitude des structures. En vue de
dissiper ce malentendu, Alfred Tarski réduit la notion de correspondance à celle de
satisfaction ou d’accomplissement. Karl Popper le commente en ces termes : « le succès
principal de l’invention par Tarski d’une méthode pour définir la vérité (en ce qui concerne
les langages formalisés d’ordre fini) est la réhabilitation de la notion de vérité ou de
correspondance à la réalité, notion qui était devenue suspecte. En la définissant en termes de
notions logiques non suspectes (non sémantiques), il a établi sa légitimité. Il montra ainsi
qu’il est possible d’introduire au moyen d’axiomes une notion de vérité matériellement
équivalente en termes de langages formalisés d’ordre fini. Il a réhabilité par l’utilisation
critique de la notion indéfinie de vérité pour les langues ordinaires non formalisés. »45
Jean François Malherbe ajoute : « Tarski introduisit en logique et en philosophie
l’idée moderne de vérité comme concept sémantique (…). Il restaure ainsi la légitimité du
concept de vérité comme correspondance aux faits en évitant notamment le fameux paradoxe
du menteur qui consiste à se demander sans fin quelle est la valeur de vérité de l’énoncé :
l’énoncé est écrit sur cette page est faux. Si cet énoncé est seul sur une page. C’est donc en
distinguant les niveaux de langage que Tarski instaure le concept moderne de vérité
sémantique. Ce concept est sémantique car il exprime une évaluation de la relation liant un
énoncé aux objets dont il parle, à sa référence. »46
Karl Popper utilise les concepts de vérité et de fausseté. Dans le sens d’Alfred
Tarski : « j’accepte la théorie du sens commun (défendue et raffinée par Alfred Tarski) que la
vérité est une correspondance avec les faits (ou avec la réalité) ; or plus précisément qu’une
théorie est vraie si et seulement si elle correspond aux faits. »47
Ostensiblement Alfred Tarski a réhabilité la théorie de la vérité-correspondance en
esquissant des méthodes pour définir ce concept en ce qui concernait une classe d’autres
45
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 70.
MALHERBE, J.-F., op. cit, p. 121.
47
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 55.
46
langages formalisés. Il avait prouvé qu’il existe d’autres façons analogues et essentielles
d’introduire la vérité : pas par définition mais par axiome. Ces méthodes, présentant la vérité
sous forme d’axiomes et de définitions, n’étaient pas fondamentales, car elles étaient
restreintes à des langages formalisés. Mais grâce à Alfred Tarski, la notion de vérité peut être
utilisée dans le discours ordinaire, dans son sens courant de correspondance aux faits. Alfred
Tarski indique qu’après avoir compris la divergence entre un langage-objet et un métalangage
il n’était plus bien difficile de comprendre comment un énoncé pouvait correspondre à un
fait.48
La définition tarskienne de la vérité-sémantique
s’accordera amplement avec la
falsifiabilité poppérienne, car elle ne prétend fournir aucun critère général de la vérité. Elle ne
consiste pas à prendre en considération le rapport absolu entre la réalité et le langage mais
s’assigne comme finalité la recherche des conditions linguistiques indispensables pour que
l’on puisse parler de correspondance, des conditions où l’on parvient à la fois à décrire les
faits et à nommer des énoncés dans un métalangage.
1.3. LA CONCEPTION DE LA VERITE COHERENCE
1.3.1. La syllogistique aristotélicienne
La notion de la vérité logique est à découvrir à partir du jugement et du raisonnement :
« la vérité de la conclusion ne sera acquise que sous l’hypothèse de la vérité de toutes les
prémisses, lesquelles peuvent n’avoir été données qu’au titre de simples suppositions ou
hypothèses (…) La seule vérité des prémisses suffise à garantir la vérité de la conclusion (…)
La vérité de toutes les prémisses est nécessaire pour que, par ce raisonnement, la conclusion
soit démontrée, mais elle n’est pas nécessaire pour que la conclusion soit vraie de son côté.
La théorie logique que nous voulons élaborer dans ces leçons se réfère à une notion de la
vérité (des propositions) qui est antérieure à cette théorie et que nous utilisons pour
caractériser (sinon pour définir) la notion logique de la validité d’un raisonnement.»49
Nous savons que la logique classique est binaire, car elle postule deux valeurs de
vérité possibles, le vrai et le faux. La logique classique ne considère donc pas l’éventualité
d’une valeur tierce, comme la logique trivalente, par exemple d’une valeur intermédiaire entre
le vrai et le faux (comme serait le plus ou moins probable), ni une valeur plus forte que le vrai
48
49
Cf. POPPER, K., La quête inachevée, Calmann-Lévy, Paris, 1981, p.142.
DOPP, J., Notions de logique formelle, Béatrice-Nauwelarts, Paris, 1965, pp. 11-16.
(comme serait le nécessairement vrai), ni une valeur plus faible que le faux (comme
l’impossible). Elle est alors une logique bivalente50.
La vérité revêt la qualité d’un énoncé correctement inféré à partir des propositions
premières. Le critère de cohérence remplace celui d’adéquation, de correspondance. La vérité
cohérence est une conception selon laquelle un énoncé n’est vrai que s’il fait système ou entre
dans une relation de cohérence avec un ensemble d’autres énoncés.
Pour ce faire, nous pouvons exploiter ce syllogisme :
Tous les métaux sont solides
Or le mercure est un métal
Donc le mercure est solide.
Nous parvenons à constater qu’il n’y a pas conformité de la pensée à la réalité, car
tous les métaux ne sont pas nécessairement solides. Et au niveau de la conclusion, les
affirmations sont fondamentalement gratuites, sans aucune correspondance à la réalité mais ce
syllogisme est correct, car il obéit aux huit lois formelles du syllogisme. La vérité du
syllogisme c’est sa cohérence et non sa correspondance à la réalité. René Robaye définit la
logique comme un ensemble des lois propres à tout discours descriptif capable de vérité ou de
fausseté et doit répondre à sa finalité de transmettre la vérité. 51
La logique étudie les relations, les rapports entre les énoncés ; dans pareille
circonstance elle est une science du raisonnement. Le raisonnement n’est ni vrai ni faux, car il
ne peut être que valide ou invalide conformément aux règles qui régissent sa structure. La
question de la vérité des prémisses et de la conclusion est différente de celle de la validité du
syllogisme. Il n’est pas alors permis de penser que la conclusion étant vraie le syllogisme l’est
aussi, pas du tout. En logique, on n’est pas autorisé de se prononcer sur la vérité des
prémisses, cela relève des sciences empiriques. La logique s’intéresse à la structure, à la
forme du raisonnement.
Nous pouvons étudier la vérité de ce syllogisme avec les méthodes modernes. Une fois
formalisé, il est vérifiable par la méthode des tables de vérité, des tableaux sémantiques, la
méthode indirecte… On s’apercevra que ce syllogisme est une tautologie, qu’il est toujours
vrai. Dans ce sens, cette forme du syllogisme est une loi logique ; c’est la vérité formelle.
La vérité peut être aussi définie comme la non-contradiction d’un système des
jugements. Dans cette conception, la vérité s’applique non seulement à la vérité formelle mais
50
51
Cf. DOPP, J., op. cit., p. 26.
Cf. ROBAYE, R., Introduction à la logique et à l’argumentation, Academia-Erasme, Louvain-La-Neuve,
1991, p.11.
aussi à la vérité expérimentale. Dans le contexte d’une vérité formelle, nous remarquons que
le syllogisme énoncé ci-dessus est logiquement correct, car la conclusion ne contredit pas les
prémisses. Elle est susceptible de vérité par rapport aux prémisses et, d’ailleurs, elle
s’identifie aux prémisses et soutient la même chose qu’elles et est alors tautologique. Ironie
du sort, on constate que matériellement la conclusion ainsi que l’une des prémisses sont
fausses c’est-à-dire que le dire ne correspond pas à la réalité : « la vérité formelle ignore donc
la réalité, elle est seulement l’accord de l’esprit avec ses propres conventions. La vérité
formelle triomphe en mathématique. »52
Si nous soutenons que la somme des angles d’un triangle vaut même deux angles
droits, c’est vrai, c’est non-contradictoire selon le postulat euclidien mais faux en géométrie
non-euclidienne. Il est connu que le triangle donnera la somme de ses angles en 180°. La
somme de ces angles vaut deux angles droits. La vérité expérimentale est à déceler en cette
proposition : « il pleut maintenant ». Pareille proposition prétend à la vérité matérielle,
expérimentale et pas seulement à la vérité formelle. Cette affirmation concerne le réel. Il faut
un accord et une identification de cette proposition sur un donné matériel. Parvenir à affirmer,
cette vérité non-contradictoire, requiert que l’on vérifie par d’autres jugements si réellement il
pleut : par exemple « j’entends des gouttes d’eau » , « je vois que la parcelle est mouillée ». Si
ces jugements vérifiés sont non contradictoires, nous pouvons conclure à la vérité de la
proposition
« il pleut maintenant ». C’est ainsi que Jean Ladrière écrit : « La vérité d’une
proposition théorique est conçue comme son accord avec le contenu de l’expérience. Le
moyen de s’assurer de cet accord consiste à réaliser une confrontation entre les deux termes
en présence : La proposition à éprouver, la donnée expérimentale.»53
1.3.2. Les rationalistes
Les rationalistes s’adonnent à la conformité entre la connaissance et les objets idéels;
c’est-à-dire à ce qui peut être conçu d’une manière abstraite. A ce niveau, la connaissance
revêt comme vérité un objet idéel, abstrait. Par exemple, en mathématiques, le géomètre
définit le point, la ligne, l’angle, le plan, le cercle, le triangle, le rectangle, le carré,…Ces êtres
mathématiques, tout comme les quatre opérations fondamentales, ne sont pas d’objets à
découvrir dans la nature. La définition du cercle ne désigne pas un objet de la nature mais la
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 255.
LADRIERE, J., « Vérité et praxis dans la démarche scientifique » in Revue philosophique de Louvain, Tome
72, ( mai 1974), p. 285.
52
53
définition du cercle crée le cercle. Par conséquent, le cercle, d’une manière concrète, n’existe
pas dans l’univers mais n’existe que dans l’esprit comme un substitut mental de la forme
circulaire, découverte dans les objets circulaires. Parvenir à définir le carré comme une figure
géométrique quadrilatère, dont les quatre angles sont droits et les quatre côtés égaux, est une
forte manière de construire et de créer le carré. C’est l’acte de la raison qui intervient en vue
de parvenir à la vérité-correspondance-créatrice.
Le caractère abstrait de la vérité-correspondance-créatrice est à constater dans
plusieurs domaines, entre autres : celui de la constitution des nombres. Dépassé l’enfance,
l’on ne se réfère plus aux objets ou aux doigts pour compter mais on comprend directement
dix, trente et manifestement, les nombres sont toujours abstraits. Cette théorie de la vérité fait
table rase des conditions physiques, de toutes les manifestations psychologiques du sujet.
Grâce à elle, nous parvenons à la formation des concepts des figures géométriques comme des
objets rectangulaires au concept rectangle et nous parvenons à en étudier les propriétés
générales. Toutes ces données idéelles n’existent précisément pas, elles sont le fruit de l’idée.
La notion de la vérité-correspondance-créatrice a réellement comme objet de son jugement,
un objet idéel, une idée. Affirmer que le cercle est une courbe plane fermée, dont tous les
points sont à égale distance d’un point fixe, revient à insinuer que la vérité contenue dans
cette proposition est constituée d’une idée, d’une représentation de l’esprit et non pas une
réalité subsistante en elle-même et indépendante. Dans cette perspective, les conditions de la
vérité sont à situer dans les idées elles-mêmes. La vérité consiste dans la conformité de
l’intellect à la réalité. Veritas est adaequatio intellectus et rei. La proposition est le lien
approprié de la vérité et celle-ci doit apparaître dans la coïncidence du jugement avec la
réalité.
Les rationalistes sont d’accord que l’évidence est le critère de la vérité. Cette évidence est
rationnelle, elle est donc celle des idées et des relations logiques entre les idées : « Le
jugement vrai se reconnaît à ses caractères intrinsèques : il se révèle vrai par lui-même il se
manifeste par son évidence. »54.
La vérité est à elle-même son propre signe. Celui qui a une idée vraie sait en même
temps qu’il a cette idée et ne peut en douter. L’idée vraie se présente comme la règle de la
vérité. De même que la lumière se montre soi-même et montre avec soi les ténèbres, ainsi la
vérité est à elle-même son critérium et elle est aussi de l’erreur. Les idées qui sont claires et
distinctes ne peuvent jamais être fausses. La vérité des substances ne réside qu’en elles-
54
VERGEZ, A. & HUISMAN, D. , Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 251.
mêmes, parce qu’elles sont conçues par elles-mêmes. Si quelqu’un disait qu’il a une idée
claire et qu’il ne sait pas si elle est fausse ou vraie, cela serait absurde. L’existence d’une
substance, tout comme son essence, est une vérité éternelle. 55 Et Nicolas Boilleau affirme que
ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément.
1.3.2.1. René Descartes
René Descartes, pour arriver au critère de vérité, part du doute méthodique consistant
à mettre délibérément, provisoirement en doute toutes les connaissances antérieurement
acquises. La certitude qui y résisterait serait alors le critère infaillible de la vérité: « Après
cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine, car
puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensais que je devais aussi savoir
en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci, je pense,
donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour
penser il faut être, je jugeais que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que
nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies. »56
La théorie de René Descartes au sujet de la vérité est celle d’une évidence-vérité :
« une proposition est évidente si tout homme qui en a la signification présente à l’esprit et qui
se pose expressément la question de savoir si elle est vraie ou fausse, ne peut aucunement
douter de sa vérité.»57
René Descartes en face du cogito repose sur le simple fait que pour penser il faut
exister. C’est une forte identification de la pensée à l’existence. La clarté et la distinction des
idées est alors le véritable critère de vérité, car les idées comme celle du corps (res extensa),
l’idée de l’esprit (res cogitans), l’idée du parfait (res perfaciens) sont innées. Parler de la
vérité dans la pensée cartésienne revient à préciser qu’elle repose sur le fait qu’à l’idée
correspond un objet réel ou réalisable, car l’idée du corps nous rassure indubitablement que le
corps est quelque chose qui peut exister réellement.58
Cf. SPINOZA, B., Œuvres complètes, Gallimard, Paris, 1954, p. 315.
DESCARTES, R., Discours de la méthode, Paris, 1972, p. 19.
57
LALANDE, A., op. cit., pp. 310-311.
58
Cf. LADRILLE, G., Cours de critique des connaissances, Institut Saint Jean Bosco Kansebula, Lubumbashi,
Inédit, 1994-1995, pp. 22-23.
55
56
René Descartes et B. Spinoza pensent que l’idée claire et distincte, qui apparaît
évidente est une idée vraie et on ne doit plus chercher au-delà : « les idées qui sont claires et
distinctes, précise Spinoza, ne peuvent jamais être fausses.»59
C’est dans cette optique qu’il affirme que la vérité d’une idée est assumée par son
intelligibilité intrinsèque ; dans la mesure où elle est clairement intelligible, on est assuré
qu’elle a un objet réel ou réalisable. De son côté Leibniz estime que seuls les jugements
analytiques sont vrais, car le prédicat s’y obtient en analysant la notion du sujet à l’instar du
fait qu’un corps est une chose étendue.60
Pour René Descartes, il faut arriver à une vérité indubitable, c’est alors qu’il récuse la
philosophie scolastique de son époque, jugée inauthentique, car elle n’aboutit à aucune vérité
indubitable, indiscutable. Il refuse de s’engager dans toute direction ne fournissant pas la
certitude. Il se propose de trouver pour la philosophie un point de départ indubitable. Frappé
par le chaos dans la pensée philosophique et par le succès grandissant des sciences positives,
René Descartes entreprend la critique de la connaissance, avec la conviction préalable de la
solidité de la connaissance scientifique. Il pense qu’aucune connaissance ne peut être
objective si elle ne procède pas à la manière des sciences positives. De cette critique, il
applique le doute méthodique c’est-à-dire la mise entre parenthèses de tout ce dont il est
possible de douter. C’est dans le doute qu’il trouve sa vérité indubitable. Le véritable critère
infaillible de vérité c’est l’évidence rationnelle c’est-à-dire l’évidence des idées et des
relations logiques entre les idées. La vérité évidence consiste dans ce qui ne peut être révoqué
en doute par un esprit raisonnable. René Descartes utilise le doute méthodique dont le but est
l’acquisition d’un savoir indubitable. C’est déjà une procédure de falsification, car il procède
par rejeter tout ce qu’il juge faux. Le doute élimine tout pour arriver au socle inébranlable.
1.3.2.2. Emmanuel Kant
La notion de la vérité-correspondance a marqué complètement l’Occident. Emmanuel
Kant tente de la modifier. Pour lui, la vérité est l’accord de la connaissance avec son objet.
Dans cette optique, la vérité d’une connaissance dépend de son contenu qui ne peut être
soumis à aucun critère universel, car il varie selon l’objet de cette connaissance. Au fait, cette
approche insinue que la vérité n’est pas l’accord de la pensée avec ce qui est, la chose-en-soi
mais elle est l’accord de la pensée avec elle-même ou avec les lois générales de l’entendement
59
60
SPINOZA, B., op. cit., p. 58.
Cf. LADRILLE, G., op. cit., p. 23.
et de la raison. L’objet est construit selon les lois générales de tout esprit humain. Thonnard
précise que « l’objet central du problème critique est le jugement, seul dépositaire de la vérité
ou de l’erreur. »61
Pour Emmanuel Kant, tous les philosophes précédents ont négligé d’examiner la
question de la vérité en faisant semblant de passer outre la raison, instrument par excellence
avec lequel on réalise la philosophie. Il réalise une distinction entre les jugements
synthétiques et analytiques. Les jugements analytiques sont ceux dont le prédicat est impliqué
dans le sujet. Par une simple analyse du sujet, nous y découvrons le prédicat ; par exemple,
« les corps sont spatiaux » : Ce jugement insinue que la spatialité est impliquée dans l’analyse
de la corporéité. Quant aux jugements synthétiques, il estime que le prédicat n’est pas compris
dans le sujet mais il y est ajouté ; par exemple, « le ciel est bleuâtre ». A dire vrai, le ciel ne
l’est pas nécessairement ; la bleuâtreté est quelque chose qu’on ajoute au ciel. Comment alors
les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Il est réellement impossible de dériver
une connaissance nécessaire et universelle de la connaissance sensible. Aucune connaissance
a priori n’est possible à partir de la connaissance sensible. L’intelligence n’a pas à se laisser
faire par les choses sensibles. Pour Emmanuel Kant ce sont les objets qui se règlent sur notre
connaissance contrairement à la conception classique où c’est la connaissance qui se règle sur
les objets : c’est à ce niveau que l’on parle de la révolution copernicienne. Le critère de la
vérité devient l’accord de la connaissance avec les règles formelles de la pensée telles que les
établit la logique formelle qui évalue la cohérence, la non-contradiction des connaissances. Ce
n’est pas la connaissance qui se replie à l’objet mais c’est l’objet qui se conforme à la
connaissance, l’objet en tant que constitué par l’intelligence. La vérité est dans le jugement et
non dans l’objet, en soutenant que les sens ne nous trompent pas, ce n’est pas qu’ils jugent
juste mais puisqu’ils n’ont jamais jugé du tout. La vérité est à situer dans le jugement c’est-àdire dans le rapport de l’objet à notre entendement.62
Pour Emmanuel Kant ce n’est pas l’intelligence qui doit se conformer à l’objet et l’on
parlerait de l’objectivisme mais c’est l’objet qui doit absolument se conformer à l’intelligence
subjective. Pour découvrir la vérité, les choses ne doivent, en aucun cas, être les objets de
notre connaissance si elles ne sont pas soumises à certaines conditions a priori venant du
sujet. L’intelligence donne, impose aux matériaux, que la connaissance sensible lui propose,
ses formes propres de connaissance. Il existe deux formes a priori, à savoir : la connaissance
sensible et la connaissance intellectuelle. La connaissance sensible nous donne les choses,
61
62
THONNARD, F. – J., op. cit.., p. 624.
Cf. THONNARD, F .-J, op. cit., pp. 625-626.
l’intelligence les comprend, place un lien, les voit ensemble, les classe en catégories et les
unifie. A ce stade, où les choses nous sont données, il s’opère réellement une synthèse de la
forme et de la matière. Par conséquent, les formes espace-temps ont été imposées à la donnée
sensible par la sensibilité du sujet. Quant à la connaissance intellectuelle, l’objet est pensé
c’est-à-dire qu’on doit parvenir à réaliser une synthèse entre ce qui est donné et une catégorie
de l’intelligence. La seule connaissance valable et possible est donc le jugement synthétique a
priori, car il est doté d’un caractère de connaissance universelle et nécessaire : « Dans les
jugements synthétiques a priori, la raison fait attribuer au sujet le prédicat étranger et, en plus
de l’intuition sensible, une condition présupposée, indépendante de l’expérience et qui lui est
surajoutée pour la revêtir de nécessité et d’universalité […] eux sont scientifiques, parce que,
en tant que synthétiques, ils enrichissent et font progresser la science, […] ils sont nécessaires
et universels. »63
Il est alors clair que les jugements synthétiques a priori sont immanquablement
universels, car n’étant pas fondés sur l’expérience ni justifiés par elle. Cela revient à affirmer
que ces jugements synthétiques a priori sont posés a priori par notre esprit. Par exemple, « les
corps de même nature ne s’attirent pas ». La vérité de cette proposition réside dans le fait que
les jugements sont posés conformément aux lois de l’esprit. D’une façon innée, l’esprit
humain comporte un certain nombre de formes a priori, comme les catégories, susceptibles
d’être appliquées aux phénomènes pour les relier entre eux conformément aux lois générales
et objectives de l’esprit.
Les lois générales ne dépendent aucunement pas de la subjectivité individuelle d’un
tel ou tel autre sujet. C’est cette nouvelle manière de concevoir la vérité qui renverse la
conception classique de la vérité correspondance insinuant une vérité objective. C’est le
rapport de la connaissance à l’objet qui est maintenant constitué par l’ineffable activité de la
connaissance.
Emmanuel Kant a introduit une révolution copernicienne en refusant de se référer à
l’expérience et en mettant en exergue les jugements synthétiques a priori. Mais on constate
que dans les jugements synthétiques a posteriori l’expérience n’est pas totalement absente :
« dans les jugements synthétiques a posteriori, la raison fait attribuer au sujet un prédicat
étranger et uniquement l’expérience actuelle : par exemple : « j’ai mal aux dents » ; « cette
eau est chaude, cette pierre tombe » (en tant que le fait est simplement constaté
63
THONNARD, F.-J., op. cit., pp. 625-626.
actuellement) ; et ces jugements ne sont pas non plus scientifiques, parce qu’ils restent
purement subjectifs, valables uniquement pour celui qui les prononce.»64
Les jugements analytiques et les jugements synthétiques a posteriori véhiculent la
vérité dans la perspective de la conception classique de la vérité. Pour Emmanuel Kant, le
noumène est inconnaissable, infranchissable mais il entre dans les catégories de la sensibilité
pour engendrer le phénomène qui entrera dans les catégories de la raison pure pour devenir
idée.
1.4. LA CONCEPTION DE LA VERITE UTILITAIRE
Dans la préface de l’ouvrage du professeur Koba Bashibirira, Pour ou contre le
sacerdoce de la femme, le Professeur Nkombe Oleko note que « pour le pragmatisme, la
vérité est relative au contexte socio-culturel et son critère est l’utilité pratique, l’efficacité […]
l’être n’est pas vrai, mais devient vrai par la monstration de son efficacité pratique.»65
Nous retrouvons cette conception utilitaire de la vérité chez les sophistes, chez
Nietzsche, chez les philosophes du langage ordinaire et chez les pragmatistes.
1.4.1. Les Sophistes
Les ioniens, les éléates, les atomistes, à la recherche de la réalité primordiale qui fonde
l’univers, progressaient par contradictions. Anaxagore a réussi à ramener l’ensemble de la
nature et de ses phénomènes à l’intelligence comme à leur première source.66
C’est dans cette confusion de la pensée qu’apparaissent les sophistes, sous le siècle de
Périclès. Ceux-ci s’inscrivent totalement en faux contre la prétention à atteindre la vérité :
« ils ne veulent pas la vérité, car les contradictions de leurs devanciers les ont pratiquement
amenés à désespérer de l’atteindre.»67
Le critère de la vérité que les sophistes posent est celui de l’homme, car la vérité est
pour chacun ce qui lui semble satisfaisant et selon sa convenance. La vérité dépend de tout un
chacun, elle est relative : « comme le disait Protagoras quand il affirmait que l’homme est la
64
THONNARD, F.-J., op. cit., p. 625.
KOBA BASHIBIRIRA, P., Pour ou contre le sacerdoce de la femme, Médias Paul, Lubumbashi, 2007, p. 9.
66
Cf. THONNARD, op. cit., p. 27.
67
THONNARD, op. cit., p. 27.
65
mesure de toute chose, et que par conséquent tels phénomènes me paraissent à moi, tels ils
sont pour moi, et que tels ils te paraissent à toi, tels ils sont pour toi. »68
Anatole France précise que « l’homme ne connaîtra de l’univers que ce qui
s’humanisera pour entrer en lui, il ne connaîtra que l’humanité des choses.»69
Socrate aussi faisait écho à ce scepticisme en disant « n’arrive-t-il pas parfois qu’au
souffle du même vent l’un de nous frisonne et non l’autre ? Que dirions-nous alors de ce
souffle de vent envisagé tout seul et par rapport à lui-même ? Qu’il est froid ou qu’il n’est pas
froid ? Ou bien en croirons-nous Protagoras qu’il est froid pour qui frisonne et ne l’est pas
pour qui ne frisonne pas ? »70
Dans cette perspective, la vérité n’existe pas en dehors de la pensée de l’homme. Elle
ne doit exister que dans ou pour la conscience du sujet, comme objet de connaissance. Dans
pareil cas, il n’ y a pas de vérité en soi qui existerait sans aucun rapport, car il n’y a de vérité
qu’en nous et par nous. Les sophistes s’appesantissent sur la rhétorique, l’art de persuasion,
l’art de vaincre sans avoir raison. Dans le cadre de la démocratie athénienne, la rhétorique
verse dans la démagogie. La vérité du politicien est l’efficacité de son discours pour se faire
élire. A ce stade, la vérité est proportionnelle à la satisfaction du sujet. Les penseurs sont
réellement en désaccord sur la même proposition et chacun y dégage sa vérité conformément
à lui seul. Nous ne percevons la vérité que si nous la découvrons en nous-mêmes.
Protagoras soutient contre Socrate que la vertu peut être enseignée et se transmettre
par approximation ou probabilités d’ordre pragmatique. Il faut agir sur les hommes en usant
de la persuasion.
La sophistique devient l’amour du succès et du gain, car le but des Sophistes n’est plus
ce qui est à connaître mais les intérêts du sujet qui connaît. Ils détournent la science de son
objet et la soustraient à sa règle. Ils ne voulaient pas la vérité, ils ne cherchaient qu’à faire
apparaître leur propre supériorité. Ils se souciaient des résultats à être utiles et à donner
satisfaction à leurs disciples. Ils cherchaient le rendement maximum des facultés humaines.
Ils inaugurent le relativisme, le scepticisme. Tout est relatif aux dispositions du sujet et que le
vrai est ce qui paraît tel à chacun.
Ils aimaient le paradoxe, la discussion pour elle-même dans le désir de leur triomphe
personnel plus que la recherche sincère de la vérité, à laquelle ils ne croient, d’ailleurs, pas.
La sophistique selon Socrate est l’art de faire prévaloir les mauvaises causes sur les bonnes.
68
PLATON, Protagoras, Ethydème, Gorgias, Menexène, Ménon, Cratyle, Flammarion, Paris, 1967, p. 394.
ANATOLE FRANCE cité par VERGEZ, A. et HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE,
Nathan, Paris, 1990 , p. 257.
70
PLATON, Théétète, Ed. Garnier, Paris, S.d., p.152.
69
La philosophie devient à leur époque une heuristique dans laquelle ils déployaient virtuosité et
cynisme, elle n’est plus la recherche de la vérité.
Protagoras est le premier à nier une expression définitive du réel comme la
connaissance. Il affirme l’impossibilité pour l’homme de résoudre les antinomies de l’esprit et
de l’être. Pour lui, chacune des choses est telle qu’elle apparaît à chacun des hommes. Pas de
vérité indépendante de nous. La sensation est nécessairement vraie, c’est-à-dire nous voyons
ce que nous voyons. Le jugement est aussi vrai, car il traduit nos impressions, c’est-à-dire
qu’il n’est ni vrai ni faux.
Le sujet dans la conception sophistique de la vérité est le critère de la vérité et est
régulièrement dynamique. Il est capable d’affirmer une chose aujourd’hui et changer d’avis
demain. Ce sujet vit dans la versatilité à propos de la vérité, car à chaque instant il découvre
une vérité et ce qui l’était ne l’est plus et régulièrement il en découvre autant qu’il le pourra
au fur et à mesure que la vérité répond à ses intérêts. Comme les choses ne sont réelles que
selon le sujet, cela prouve, par surcroît, qu’elles ne seront pas toujours réelles chaque jour et
progressivement le sujet découvre d’autres et passe d’une vérité à l’autre. On assiste à une
succession des vérités. Cette vérité relative est purement inconstante, car son critère c’est
l’homme et pourtant celui-ci est dynamique. Dans cette ambiance, la vérité est une
appréciation subjective. Nous savons que dans la subjectivité, chaque point de vue si
satisfaisant et rassurant qu’il paraisse aujourd’hui, ne le sera pas demain et il est donc
susceptible d’être contredit par le cours des événements. Pareille vérité est fonction du sujet
qui l’apprécie, elle naît de ce sujet et n’est possible que pour une certaine durée. Raison pour
laquelle la vérité relative est muable. Elle est le fruit de l’appréciation de chaque sujet et
appartient à l’essence de l’entendement, elle est également fonction de l’acte par lequel
chaque sujet la comprend en rapport avec ce qui est devant lui. Pour ce faire, la vérité gît
dans le sujet, dans sa conscience et elle n’est que pour et par le sujet : « L’affirmation sur un
même objet diffère non seulement d’un individu à un autre mais chez le même individu selon
les moments (le monde ne me paraît pas de la même façon quand je suis gai ou triste) et
même selon les perspectives d’observation (une tour vue carrée de près paraît ronde de
loin).»71
71
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie – terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 258.
1.4.2.
Nietzsche
La pensée de Nietzsche récuse l’idée d’une vérité objective et prône le credo des
volontés faibles en vue de se protéger contre les volontés fortes. C’est le vouloir de l’homme
qui décide de la vérité, celle-ci est proportionnelle à la volonté humaine. Les jugements
véhiculent la vérité ou la fausseté selon la volonté forte ou faible. La proposition, « il faut
respecter les faibles » est une vérité pour les faibles mais une fausseté pour les forts qui
estiment que ceux-là sont à asservir, à dominer, à écrabouiller. Dans son ouvrage Gai Savoir,
Nietzsche veut répondre à la question qu’il y pose, à savoir : Qu’est-ce que cette volonté
absolue de vérité ? Est-elle la volonté de ne pas se tromper soi-même ? Mais pourquoi ne pas
vouloir se tromper ? Chez le volontariste, la vérité est une arme terrible, elle doit libérer. Dans
sa société l’idée de vérité devient vérité-libératrice. Nietzsche prône l’existence d’une vérité
objective, car seules les faibles volontés estiment qu’elles existent, en vue de se pratiquer
contre les forts. Le vouloir de l’homme décide du vrai. Les affirmations sont vraies ou fausses
en dépendance de la volonté forte ou faible dont elles sont dotées.
1.4.3. Les pragmatistes
Les philosophes du langage ordinaire comme le second Wittgenstein, Austin,
Searle…sont les devanciers des pragmatistes. Pour eux, le sens d’une proposition est son
usage. Ce n’est pas l’articulation interne qui engendre le sens d’une proposition mais son
usage dans un contexte intra et extralinguistique. D’où leur slogan : « meaning is use ». La
conception wittgensteinienne de jeux du langage veut dire que le sens naît, non pas dans le
rapport entre le discours et le monde mais dans la structure interne où les différents éléments
du discours se renvoient les uns aux autres, selon les règles bien précises. On est proche ici de
Ferdinand de Saussure pour qui la langue est faite de différences, c’est-à-dire qu’elle est un
système où les différents éléments se renvoient les uns aux autres et se définissent dans cette
interdépendance.
Le pragmatisme nous présente la vérité comme un succès, une réussite, c’est-à-dire
que la pensée est incontestablement au service de l’action. Les idées sont à ce stade des outils
dont nous devons nous servir pour bien agir. La vérité est donc celle qui paie mieux, celle qui
a le plus de rendement, celle qui est plus efficace. La vérité est donc l’utile. La vérité d’une
proposition, d’une idée n’est pas une propriété stagnante et inhérente en elle. La vérité arrive à
une idée. Elle devient vraie, elle est rendue vraie par les événements. Il s’agit à la manière
aristotélicienne du passage de l’acte à la puissance, d’une hypothèse (vérité potentielle) à la
vérification du fait (vérité actuelle). La vérité est un événement, elle échoit comme une
propriété en mouvement qui, à un moment donné, s’empare de l’idée, s’introduit en elle
pendant un temps plus ou moins long en faisant ressentir son action, tout en ayant déjà porté à
bon port sa mission. Durant ce processus, l’idée devient lumineuse et revêt de la capacité
d’opérer en vue de l’utilité dans le contexte précis où elle s’applique : « Le vrai ne copie pas
quelque chose qui a été ou qui est : il annonce ce qui sera ou plutôt il prépare notre action sur
ce qui va être.»72
Les pragmatistes soutiennent que la vérité n’est vérité que dans la mesure où elle serait
avantageuse. Dans cette perspective, une loi chimique ne véhicule la vérité que quand elle a
des applications techniques fécondes. Par exemple, la loi de Lavoisier : « rien ne se perd, rien
ne se crée mais tout se transforme », s’illustre dans les applications, par exemple nous
remarquons que l’oxygène que nous aspirons, nous le transpirons sous forme de dioxyde de
carbone CO2. Celui-ci est capté par les plantes qui, grâce aux rayons solaires, transforment ce
CO2 en oxygène et matières organiques par la photosynthèse. La vérité n’est véritablement
vérité que dans la mesure où elle serait capable de calmer totalement nos inquiétudes au
besoin les assouvir, c’est-à-dire qu’elle doit assurer notre confort intellectuel. Dans cette
orientation, la vérité n’est plus dotée de la valeur de la raison mais elle devient une vérité
dotée d’une valeur de l’existence : « la vérité pour l’homme, c’est ce qui fait de lui un
homme. La vérité, c’est ce qui m’épanouit ce qui me délivre et m’accomplit. La vérité, ce
n’est point ce qui se démontre. Si dans ce terrain et non dans un autre les orangers
développent de solides racines et se chargent de fruits, ce terrain-là, c’est la vérité des
orangers. Si cette religion, si cette culture, cette échelle de valeurs […] et non telles autres
favorisent dans l’homme cette plénitude, délivrent en lui un grand Seigneur qui s’ignorait,
c’est que cette échelle de valeurs, cette culture sont la vérité de l’homme.»73
Dans la conception pragmatique de la vérité, nous assistons à l’utilité de la vérité,
c’est-à-dire à une vérité-utilité. La vérité dépend de tout un chacun conformément à ses
convictions ou à ses croyances qui concourent à sa survie, à sa satisfaction, à ses aspirations.
Cette notion de la vérité-utilité est soutenue par W. James. Il affirme que la vérité est relative
à chaque sujet, à ses besoins personnels hormis les besoins utiles à tous. Il estime que nous
72
73
JAMES, W., cité par BERGSON, H., La pensée et le mouvement, P.U.F., Paris, 1938, p. 247.
VERGEZ, A. & HUISMAN, D., Cours de philosophie. Terminales ABCDE, Nathan, Paris, 1990, p. 254.
pouvons affirmer que l’idée, la chose dénote d’une vérité, comme elle est utile et, par
conséquent, ce qui est utile dénote à son tour de la vérité.
Le pragmatisme est accusé de subjectivisme. Pour échapper à cela John Dewey
affirme que la vérité consiste dans une utilité sociale. Pour autant, il ne parvient pas à
résoudre le problème de la vérité utilité, car plusieurs vérités contradictoires peuvent exister
dans le fait que différents hommes peuvent trouver leur utilité dans des idéologies, des
systèmes opposés. Dans pareille circonstance l’erreur se présente comme une inefficacité, un
échec.
1.5.
LA CONCEPTION CONSENSUELLE DE LA VERITE
La conception consensuelle de la vérité surgit dans la sémiotique de Charles Senders
Peirce dans le but de répondre à la question « que se passe-t-il lorsque les prétentions idéales à
la validité des actes de parole sont remises en question et que l’accord qui rend possible la
compréhension est brisé ? »74
La théorie consensuelle de la vérité fournit une explication de la signification du mot
vérité, notamment la recevabilité rationnelle. Les membres de la communauté scientifique ont
une préoccupation majeure consistant à s’intéresser à la vérité. Ils doivent espérer qu’ils
peuvent atteindre la vérité indéfiniment tout en acceptant de sacrifier leurs opinions
subjectives au prorata des opinions objectives.
L’agir communicatif et le consensus discursif constituent deux formes de la
communication en langage ordinaire. Un jeu de langage est réellement en vigueur à condition
que les actants parviennent à se comprendre surtout au sujet de leurs énonciations.
L’intercompréhension est pertinente et prolifique dans la prétention de s’exprimer d’une
manière compréhensible, de dire quelque chose d’intelligible, d’appréhensible, de se faire
comprendre et d’arriver à un consensus avec l’interlocuteur. Dans ce contexte, il s’agit de la
discussion de la possibilité d’une démarcation entre le vrai et le faux consensus en élucidant
la question de savoir comment les prétentions à la vérité peuvent être falsifiées ou testées. La
théorie consensuelle de la vérité nous met dans une situation dans laquelle on ne peut
attribuer un prédicat à un objet que dans la mesure où, avec le locuteur, on pourrait attribuer le
même prédicat au même objet.
74
RENAULT, A., (dir.), Histoire de la philosophie politique : Les philosophies politiques contemporaines,
Tome V, Calmann-Lévy, Paris, 1999, p. 198.
La condition requise pour la vérité des énoncés est exclusivement le consensus
potentiel ou possible de tous les autres. Nous ne pouvons affirmer que A ∩ B en logique des
classes correspond à la conjonction en logique des propositions, si nous sommes capable de
penser recueillir le consensus de tout argumentateur compétent. Il faut alors jauger les
assertions du locuteur pour se rassurer de leur sincérité. Cela revient à préciser que le locuteur
prend au sérieux les intentions contenues dans l’accomplissement des actes de la parole. Pour
J. Habermas, une assertion est sincère, c’est-à-dire vérace, si le locuteur réussit à obéir aux
normes constitutives de l’engagement à remplir. La justesse des actions que nous posons
régule la véracité des assertions : « L’attitude performative permet une orientation mutuelle
vers les exigences de la validité (telles la vérité, la justesse normative et la sincérité), que le
locuteur émet en escomptant une prise de position par oui ou par non de la part de
l’auditeur. »75
1.6. LA CONCEPTION DE LA VERITE IMPOSSIBLE OU
SCEPTICISME
André Lalande définit le scepticisme comme « une doctrine d’après laquelle l’esprit
humain ne peut atteindre avec certitude aucune vérité d’ordre général et spéculatif ni même
l’assurance qu’une proposition de ce genre est plus probable qu’une autre.»76
L’attitude qu’adoptent les sceptiques est fondamentalement : « la suspension du
jugement (épochè) qui équivaut au refus d’affirmer ou de nier quoi que ce soit.»77
Les sceptiques, notamment Pyrrhon, nient toute possibilité d’atteindre une vérité
quelconque. Ils adoptent l’indifférence à tout, car les impressions varient avec les hommes,
les circonstances, les dispositions intérieures. Guillaume Ladrille précise que, pour les
sceptiques, il n’y a pas de critère infaillible de la vérité même l’évidence n’est pas un critère
infaillible. Cependant, il présente des formes atténuées de scepticisme où l’on parvient à
admettre un critère de vérité. Et d’ailleurs, on ne peut rien prouver, car la justification des
énoncés se fonde sur la justification des autres énoncés et tutti quanti. Cette radicalité de rejet
de la vérité est illustrée par les tropes des sceptiques présentées par Sextus Empiricus : La
contradiction des opinions conduit à une épilogue pessimiste stipulant que la vérité est
manifestement inaccessible. Cependant, la régression à l’infini met en exergue le fait qu’une
75
HABERMAS, J., Morale et communication, Ed. du Cerf, Paris, 1986, p. 46.
LALANDE, A., op. cit., p. 949.
77
BESSE, J.M. & BOISSIERE, A.., op. cit., p.10.
76
vérité ne peut pas être acceptée sans preuves, car il n’y a pas un signe du vrai. Dans cette
même perspective si quelqu’un propose une preuve pour une affirmation, le sceptique
demandera qu’on prouve cette preuve. Ce faisant, la preuve apportée pour garantir
l’affirmation a besoin d’une autre preuve et celle-ci d’une autre jusqu’à l’infini. Pour
connaître la moindre chose, il faut remonter à l’infini. En outre, il faut une nécessité
d’accepter des postulats invérifiables, l’esprit accepte toujours sans démonstration un point de
départ qui est une simple supposition et dont la vérité n’est pas garantie. C’est dans la suite
qu’il est impossible de raisonner sans cercle vicieux, car prouver la valeur de la raison, il faut
nécessairement raisonner. Il est certain que toute opinion est relative, car toute affirmation en
rapport avec le cosmos est relative à celui qui l’affirme.78
Les sceptiques modérés estiment prouver l’existence d’un critère de vérité comme le
probabilisme de la nouvelle académie stipulant que, dans la vie pratique, il est prudent de se
faire une opinion selon ce qui paraît le plus probable. De sa part, Sextus Empiricus soutient
que la certitude peut être fondée au sujet des apparences mais pas au sujet des essences des
choses. C’est ainsi que David Hume soutient, à son tour, que la connaissance des phénomènes
est certaine mais pas la connaissance des choses en soi.79
Sextus Empiricus estime que le phénomène l’emporte sur tout, partout où il se trouve.
L’objet n’est jamais appréhendé selon sa nature propre ou tel qu’il est en lui-même. Le
phénomène est comparable à un masque ou à un écran qui s’interpose entre l’objet et l’œil. Il
contient toujours quelque chose qui appartient au sujet : un œil injecté de sang engendre
nécessairement un phénomène rouge : tout est relatif, à considérer que les phénomènes sont le
critère et la mesure de toutes choses. La réalité empirique de l’objet ne saurait constituer une
donnée absolue et la connaissance s’accomplit relativement au sujet qui concourt à la
constituer.
1.7. ALBERT EINSTEIN ET LA NOTION DE LA VERITE APPROXIMATIVE
L’influence qui sera prédominante sur la démarcation épistémologique de Karl Popper
est celle de la pensée scientifique. A cette époque un prodigieux foisonnement d’idées
nouvelles remarquable en physique avec notamment le développement de la relativité et de la
mécanique est manifeste. Karl Popper assiste à une conférence qu’Einstein donnait à Vienne.
« il en sortit comme hébété, car jusqu’en ce jour, c’était la théorie de Newton qui rendait
78
79
Cf. LADRILLE, G., op. cit., pp. 21-22.
Cf. HUME, D., cité par LADRILLE, G., op. cit., p. 22 .
compte, depuis des siècles, de la mécanique tant terrestre que céleste. Cette théorie englobante
et unifiante était acceptée sans difficulté par les scientifiques à l’époque ainsi que par les
philosophes et les théologiens de tout bord. Or, pour la première fois, cette théorie se trouvait
récusée avec succès par l’idée de la relativité. »80
Einstein pense que sa théorie de la relativité contredit certains aspects seulement de la
mécanique newtonienne. Cependant, pour Karl Popper, la théorie de la relativité englobe la
mécanique newtonienne, c’est alors qu’il note qu’ « elle la contient en tant qu’approximation
de la vérité. »81
Ce faisant, Einstein estime que sa théorie « n’est qu’un simple pas »82 vers une théorie
qui sera plus générale que la sienne. En aucun moment, Einstein ne cherche à vérifier sa
théorie, à prouver qu’elle est exacte ; qu’elle est vraie. Il ne s’applique pas à justifier, avec
opiniâtreté, ses idées. Et d’ailleurs, c’est avec une impatience grandissante qu’il attend les
résultats d’une observation, « celle d’une éclipse du soleil qui doit survenir en Afrique, durant
les mois à venir et qui peut remettre en question sa théorie et réfuter toute son
argumentation. »83
Einstein était parfaitement conscient des limites de sa théorie, comme de toute théorie
scientifique. Avec la théorie de la relativité : « on s’approche davantage du but scientifique
par excellence. Les méthodes des inductivistes qui prédominent dans la science sont
remplacées par la déduction. »84
C’est dans cette perspective que Karl Popper, philosophe des sciences contemporain,
s’est attaché à résoudre cette question fondamentale. Qu’est-ce qui différencie la démarche
scientifique de l’approche non scientifique ?
80
RICARD, K., « Science, métaphysique et théologie. Une lecture de Karl Popper » In Etudes, (décembre 1987),
pp. 624-625.
81
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 26.
82
POPPER, K., La quête inachevée, Calmann-lévy, Paris, 1981, p. 58.
83
RICARD, K., art. cit., p. 625.
84
EINSTEIN, A., Comment je vois le monde, Flammarion, Paris, 1958, pp. 172-173.
1.8. CONCLUSION
Tout au long de ce chapitre, nous avons passé en revue certaines conceptions de la
vérité qui se sont révélées au cours de l’histoire de la philosophie: La vérité monstration est le
dévoilement du réel. C’est la vérité ontologique. La conception de la vérité correspondance ou
conception classique de la vérité exige la conformité de l’objet à ce qui est dit ou affirmé. Il
s’agit de l’adéquation du réel à ce qui est dit ou pensé sur lui. La notion de vérité cohérence
soutient qu’un énoncé est vrai s’il réalise un système ou entre dans la relation avec un
ensemble d’autres énoncés. C’est la vérité logique ou formelle. La conception de la vérité
utilitaire met l’accent sur ce qui est utile. L’important est dans cette optique tout ce qui a trait
à l’action, au succès. La préoccupation est de se demander comment rendre les idées claires,
car la conscience est l’outil de l’action. Elle est un moyen pour réaliser l’action. Elle est au
service de l’action humaine. C’est dans la fécondité de l’action que la conception pragmatiste
situe la notion de la vérité. Cette dernière est jaugée sur base de l’efficacité, du rendement du
profit. La vérité d’une proposition réside dans le fait qu’elle soit utile, profitable, avantageuse.
Une idée vraie initie une action profitable. La conception utilitaire de la vérité insinue que la
vérité n’est pas absolue mais qu’elle évolue avec l’expérience. Elle est dynamique, elle se
réalise au rythme de la vie humaine. La conception de la vérité impossible ou le scepticisme
pratique le rejet total de la vérité en utilisant des tropes pour prouver l’impossibilité de la
vérité, car toute opinion est relative. La conception de la vérité consensuelle insiste sur le vrai
consensus grâce à un accord réciproque. Cela requiert qu’au sein d’un dialogue on doit se
faire comprendre et comprendre les autres en vue de se mettre d’accord. La vérité des
assertions, des déclarations et la justesse des actions sont de grande importance en vue de la
vérité consensuelle. La conception de la vérité approximative soutenue par A. Einstein met en
exergue l’impossibilité d’atteindre la vérité dans sa globalité et prône que le chercheur est
capable d’approcher la vérité sans jamais la cerner. C’est dans ce sillage que va s’engager
Karl Popper.
CHAPITRE DEUXIEME
LA QUESTION DE LA VERITE CHEZ KARL POPPER
2.0. INTRODUCTION
La pensée de Karl Popper oscille autour de plusieurs vocables dont le but ultime est de
prouver l’inaccessibilité à la vérité. Il cherche à démontrer que les scientifiques, pour
concourir au développement de la science, doivent se défaire de la prétention à la vérité. Ils
doivent considérer que leurs théories ne sont que des conjectures qui doivent subir des tests
cruciaux en vue de fournir une nouvelle théorie, susceptible de faire avancer la science.
Dans son livre La Logique de la découverte scientifique, Karl Popper se pose la
question cruciale et fondamentale qui mobilise d’autres philosophes depuis Francis Bacon, à
savoir : comment parvenir à un critère de fiabilité nous permettant de distinguer science de
non-science ? Il cherche à cerner les conditions pouvant caractériser une théorie scientifique.
Cette approche épistémologique en vue de la scientificité se présente comme le contrepied du
positivisme logique. Karl Popper n’a jamais été membre du Cercle de Vienne, cependant il est
impossible de cerner son œuvre sans étudier les discussions qui l’ont lié aux Viennois. Sa
pensée s’est développée en critiquant les thèses épistémologiques des Viennois, notamment le
principe de vérifiabilité, la méthode inductive, le couple hypothèse-confirmation, la
problématique de l’analyse logique du langage, ayant comme visée l’élimination des énoncés
métaphysiques. Il ne trace aucune frontière entre le sens et le non-sens. Il n’y a aucune raison
de soutenir a priori qu’un énoncé bien formé, selon la syntaxe des langages quotidiens, est
dépourvu de sens. Karl Popper rejette la thèse de l’extensionalité, conception du langage
comme image du monde, c’est-à-dire que la valeur d’un énoncé complexe est fonction de la
valeur de vérité des énoncés simples qui la composent, et le principe de vérification de
Wittgenstein. Pour Karl Popper, la fonction pertinente du langage n’est pas descriptive mais
plutôt argumentative et c’est elle qui fonde son rationalisme critique85.
Karl Popper s’oppose aux positivistes logiques en refusant surtout l’idée selon laquelle
un énoncé scientifique peut être obtenu par l’induction. A l’époque où Karl Popper pensait à
la rédaction de son ouvrage majeur, l’Europe centrale était secouée par beaucoup de courants
de pensée –qui ont marqué son épistémologie, notamment : le matérialisme historique de Karl
85
Cf. MALHERBE, J.-F., op. cit ., p. 48.
Marx, la psychanalyse de Freud, la psychologie d’Adler, l’essor des sciences physiques,
l’évolution des idées néo-positivistes du Cercle de Vienne. Selon lui, ni le marxisme ni le
freudisme ni le psychologisme d’Adler ne peuvent se targuer d’être scientifiques. Ils sont non
scientifiques mais ils ne sont pas dépourvus de valeur, car les propositions qu’ils émettent
sont irréfutables et leur pouvoir d’interprétation demeure infini. Il n’y a pas une observation
que tels systèmes ne puissent assimiler, pas un fait qu’ils ne puissent intégrer, pas une
situation qu’ils ne puissent englober. Il n’y a donc aucune expérience qui pourrait ébranler ce
type de connaissance. Ces doctrines marxisme, freudisme et adlerisme
ne sont pas
falsifiables, c’est-à-dire invalidés par l’expérience. Ce sont des idéologies, car ils englobent
tout, rendent compte de tout. L’idéologie est riche en émotions et en passions, elle est
soutenue avec fougue et conviction. Chalmers nous fournit un exemple prouvant que la
théorie d’Adler pose comme un principe fondamental que les actions humaines sont motivées
par des sentiments d’infériorité. Un homme abord d’une rivière et un enfant y tombe.
L’homme peut plonger dans la rivière pour sauver l’enfant ou ne pas y plonger. S’il le fait,
l’adlérien prouvera que l’homme se comporte conformément à sa théorie, car l’homme veut
vaincre son sentiment d’infériorité en montrant qu’il est audacieux malgré le danger que
présente la rivière. S’il n’y plonge pas, l’adlérien pourra confronter sa théorie, car l’homme a
surmonté son sentiment d’infériorité en restant imperturbable pendant que l’enfant coule.
Cette théorie n’a pas un contenu informatif et doit rester infalsifiable.86
Pour parvenir à la conception de la vérité approximative, Karl Popper s’est évertué à
critiquer le principe de vérifiabilité des positivistes logiques. Il s’est également inspiré
d’Einstein et de Tarski. Ce chapitre mettra en évidence la position de Karl Popper face au
Cercle de Vienne. Le nouveau paradigme s’appelle la falsifiabilité et articule une constellation
des concepts : la vérité approximative, la vérisimilitude, la corroboration. C’est une nouvelle
méthodologie en vue d’assumer le progrès scientifique.
Les philosophes sont le fruit de leur temps, de leur époque. On ne peut pas parler de
Karl Popper sans faire allusion à sa position face au positivisme logique, la pensée d’Alfred
Tarski, la théorie de la relativité d’Albert Einstein…
86
Cf. CHALMERS, A.-F., Qu’est-ce que la science ? Récents développements en Philosophie des Sciences :
Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, La découverte, Paris, 1987, pp. 64-65
2.1. KARL POPPER FACE AU POSITIVISME LOGIQUE
Karl Popper critique le passage du singulier à l’universel, comme n’étant pas
justifiable logiquement. Peut-on penser qu’il est logique, c’est-à-dire qu’il est vrai de conclure
que « tous les hommes sont des menteurs » suite à l’expérience d’un seul homme menteur ? Il
semble, comme le prouve David Hume, que la généralisation des énoncés particuliers relève
des analyses psychologiques. Partant des simples observations, on parvient à des certitudes ;
cela est la résultante de l’habitude ou de la répétition. David Hume au XVIIème siècle avait
démontré que sur le plan logique rien ne justifie la démarche inductive. Et Ricard écrit : « rien
ne nous permet de dire que le déroulement des phénomènes sera analogue demain à ce qu’il
était hier, que le soleil se lèvera encore, que certaines espèces continueront de peupler la terre
(…). Hume pense que la démarche inductive n’a rien de logique et souligne que la
méthodologie inductive procède d’une analyse purement psychologique. Les répétitions
observées créent pour nous des certitudes. »87
Karl Popper considère que la démarche inductive n’a rien de rationnel, mais il estime
que la science peut décrire une certaine réalité du monde, même si elle n’atteint pas l’ultime
essence des choses. Il rejette l’induction, en estimant que « l’induction est un mythe »88 et il
précise que l’ « œuvre de Hume devrait avoir montré clairement que le principe d’induction
peut aisément engendrer des incohérences qu’on ne peut éviter – si cela est possible – que
difficilement. Car le principe de l’induction doit être lui-même un énoncé universel. Si nous
tentons de considérer sa vérité comme connue par expérience, nous venons resurgir des
problèmes exactement semblables à ceux pour la solution desquels ce principe a été introduit.
Pour le justifier, nous devrions pratiquer des inférences inductives et pour justifier ces
dernières nous devrions assumer un principe inductif d’un ordre supérieur et ainsi de suite. La
tentative visant à fonder le principe de l’induction sur l’expérience échoue donc puisque celleci doit conduire à une régression à l’infini. »89
C’est dans cette même perspective que Karl Popper note qu’ « il est courant d’appeler
inductive une inférence si elle passe d’énoncés singuliers (parfois appelés aussi particuliers),
tels que des comptes rendus d’observations ou d’expériences, à des énoncés universels, telles
que des hypothèses ou des théories. Or il est loin d’être, évident, d’un point de vue logique,
que nous soyons justifiés d’inférer les énoncés universels à partir d’énoncés singuliers aussi
87
RICARD, K., art. cit., p. 628.
POPPER, K., La quête inachevée, Calmann-lévy, Paris, 1981, p. 213.
89
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 25.
88
nombreux soient-ils ; toute conclusion tirée de cette manière peut toujours, en effet, se trouver
fausse : peu importe le grand nombre de cygnes blancs que nous puissions avoir observé, il ne
justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs. »90
Karl Popper récuse la conception empiriste selon laquelle la méthode péremptoirement
légitime de la science est l’induction. Il estime qu’on peut encore rendre explicite le problème
de l’induction en affirmant qu’il correspond à la question de savoir comment établir la vérité
d’énoncés universels fondés sur l’expérience, tels les hypothèses et systèmes théoriques des
sciences empiriques. Beaucoup croient que la vérité de ces énoncés universels est connue
grâce à l’expérience ; pourtant, l’exposé d’une expérience, d’une observation ou des résultats
d’une expérimentation n’est qu’un énoncé singulier. Ceux qui soutiennent qu’à partir d’un
énoncé universel nous appréhendons sa vérité par expérience, insinuent habituellement que
l’on peut, de toute façon, ramener la vérité de cet énoncé universel à celle d’énoncés
singuliers et que nous connaissons par expérience la vérité de ces derniers, ce qui revient à
dire que « l’énoncé universel est fondé sur l’inférence inductive. (…) Si nous désirons trouver
un moyen de justifier les inférences inductives, nous devons, avant toute autre chose, essayer
d’établir un principe d’induction. (…) Aux yeux des défenseurs de la logique inductive un
principe de ce genre est d’une extrême importance pour la méthode scientifique. (...) Ce
principe détermine la vérité des théories scientifiques. L’éliminer de la science ne signifierait
rien de moins que priver celle-ci de son pouvoir de décider de la vérité ou de la fausseté de ses
théories. Il est clair que sans lui la science ne garderait plus longtemps le droit de distinguer
ses théories des créations fantasques et arbitraires de l’esprit du poète. »91
Karl Popper récuse la méthode inductive viennoise, car il n’y a pas d’observation qui
ne soit imprégnée de la théorie ou au moins déjà provoquée par une attente préalable du
chercheur. Il se pose une question cruciale, à savoir : « comment peut-on, en cas de doute,
décider si l’on est en présence d’une proposition scientifique ou seulement d’une assertion
métaphysique ? Ou en un mot : quand une science n’est-elle pas une science ? »92.
Karl Popper s’évertue à chercher un critère de démarcation, capable d’établir, de
manière concluante, la nature scientifique d’une théorie. La thèse la plus largement admise
affirme que la science se distingue des autres disciplines par le critère empirique de sa
méthode, c’est-à-dire d’un grand nombre d’observations ou d’expériences, le savant estime
tirer, en vertu du fameux principe de l’induction, des lois qu’il considère comme
90
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 24.
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 24.
92
POPPER, K., Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance, Hermman, Paris, 1999, p.
28.
91
universellement valides. Pour Karl Popper, le principe d’induction n’a aucun crédit d’être une
vérité purement logique comme l’est une tautologie ou une contradiction. Si quelque chose
comme un principe d’induction purement logique existait, aucun problème ne serait lié à
l’induction. Dans ce cas, toutes les inférences inductives seraient considérées comme des
transformations purement logiques ou tautologiques, tout comme les inférences pratiquées
dans la logique déductive. « Je considère que diverses difficultés attachées à la logique
inductive, esquissées ici sont insurmontables. Insurmontables également, je le crains, sont
celles que suscite la doctrine, si largement répandue aujourd’hui, selon laquelle l’inférence
inductive – quoique non valide au sens strict – peut atteindre un certain degré de véridicité ou
de probabilité. Suivant cette doctrine, les inférences inductives sont des inférences
probables. »93
Les partisans du principe de l’induction le décrivent comme moyen pour lequel la
science décide de la vérité. Karl Popper précise qu’il serait exact d’affirmer que ce principe
servirait à décider de la probabilité. La science ne peut, en aucun cas, atteindre la vérité et la
fausseté. En fait, les énoncés scientifiques parviennent à des degrés continus de probabilité94
dont les limites supérieures et inférieures sont certainement la fausseté ou la vérité. Karl
Popper se propose de s’orienter vers une méthode déductive répondant sur la mise à l’épreuve
des théories. Il propose de déduire de la théorie examinée des énoncés singuliers ou
prédictions, susceptibles d’être facilement testés dans l’expérimentation. Au cas où la théorie
ne résisterait pas aux épreuves, elle sera qualifiée « falsifiée » par l’expérience, c’est-à-dire
qu’elle concède à sa fausseté ; dans ce cas, elle sera remplacée par une théorie plus
manifestement avantageuse qu’elle. Pour Karl Popper, la méthodologie en usage pour tester
les théories et les choisir selon les résultats obtenus des épreuves découle d’une nouvelle idée
mise en évidence à titre d’essai et aucunement justifiée à ce moment. Elle se présente alors
comme une prévisibilité, une inférence logique des conclusions. Dans pareil cas, on peut
parvenir à des relations logiques, comme : l’équivalence, la compatibilité… Le test ou la
preuve consiste à repérer jusqu’à quel moment les implications nouvelles de la théorie
surgissent d’expérience purement scientifique : « La procédure consistant à mettre à l’épreuve
est déductive. A l’aide d’autres énoncés préalablement acceptés, l’on déduit de la théorie
certains énoncés singuliers que nous pouvons appeler prédictions et en particulier des
prévisions
93
94
que nous pouvons facilement contrôler ou réaliser (…). Dans la procédure
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 24-25.
L’ idée de probabilité renvoie à un certain état de la connaissance ou à une qualification du possible. La
probabilité épistémologique est intermédiaire entre la certitude et son contraire, relativement à la vérité d’une
proposition mais sur des raisons qui pèsent plutôt dans le sens de certitude.
esquissée ici, il n’y a rien qui ressemble à de la logique inductive. Je n’affirme à aucun
moment que nous pouvons partir de la vérité d’énoncés singuliers pour tirer argument qu’à
force de vérifier leurs conclusions, l’on peut établir que des théories sont vraies ou même
simplement probables. »95
Parmi ces énoncés, on doit choisir ceux qui ne sont pas inférées de la théorie à
l’épreuve et surtout ceux qui ne contredisent pas la théorie. Il faut se décider en faveur ou à
l’encontre de ces énoncés inférés en les plaçant en rapport avec les résultats des applications
pratiques et des expérimentations. La décision peut être positive, c’est-à-dire que si les
conclusions singulières s’avèrent acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi
son test : il n’y a aucune raison de l’écarter. La décision positive ne soutient la théorie que
pour un moment, car des décisions négatives peuvent toujours l’éliminer ultérieurement. Tant
qu’une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu’une autre ne la remplace pas
avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons affirmer que cette
théorie a fait ses preuves ou qu’elle est corroborée. La décision peut être négative c’est-à-dire
que si les conclusions ont été réfutées, cette réfutation falsifie également la théorie dont elle
avait été logiquement inférée.
Pour Karl Popper, très agnostique, la démarche métaphysique n’est pas sans
signification. La science a souvent pour appui des penseurs purement spéculatifs et abstraits.
C’est alors qu’ils prouvent ce que doit le développement de la physique atomique aux
hypothèses de Leucippe et de Démocrite. L’évolutionnisme moderne repose sur les idées de
Lucrèce qui, dans De natura rerum, insiste sur la diversité des espèces vivantes. Les théories
physiques comme celle d’Einstein sont justement spéculatives et abstraites. Elles sont
semblables aux fameuses « anticipations de l’esprit. »96
C’est en excluant l’induction qu’il estime que même le critère de démarcation : la
vérifiabilité97 ou la justification par l’expérience doit être refusée. Karl Popper, parlant des
inductivistes, note que : « leur empressement à bannir la métaphysique (les) empêche à
95
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 28-30.
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 377.
97
Dans les notes de cours de Philosophie Analytique, cours inédit, le principe de vérifiabilité est ainsi formulé :
un énoncé de fait est relevant (doué de sens, sérieux, scientifique) si et seulement si il est réductible à une
observation matérielle ou à la limite sensorielle. Un énoncé qui échapperait à une vérification possible est
réputé irrelevant ou non-sens.
96
s’apercevoir qu’ils éliminent l’ensemble des théories scientifiques et les théories
métaphysiques ‘dépourvues de signification’ en une seule et même opération. »98
C’est dans cette perspective qu’il prend pour critère, la possibilité pour un système
théorique d’être réfuté ou invalidé : « Un tel système doit donc être tenu pour scientifique
seulement s’il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations.
Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c’est-à-dire pour réfuter le système,
permettent en fait de le tester. »99
2.2 LA NOTION DE LA FALSIFIABILITE100
Abordant la notion de la falsifiabilité, Karl Popper révèle que l’activité scientifique se
fonde sur des conjectures audacieuses, grâce auxquelles l’homme essaie d’ordonner les
données qu’il traite. Cependant, l’esprit s’évertue à contrôler sévèrement le caractère
scientifique de l’hypothèse proposée, car la science progresse par essais et erreurs, par
rectifications. Néanmoins, une théorie est scientifique, non par ses hypothèses mais grâce à la
rigueur avec laquelle elle s’expose à l’ensemble de tests destinés à la réfuter. La recevabilité
d’une théorie scientifique exige qu’on en déduise un certain nombre d’énoncés pouvant être
soumis à des épreuves.
Par ailleurs, les lois ou les théories scientifiques sont tenues pour conjecturales,
provisoires. L’homme de science doit toujours soumettre les hypothèses à des tests
expérimentaux en vue de les réfuter. L’expérience la plus critique est réellement celle qui
s’avère la plus apte à réfuter une hypothèse. Ne pourra être considérée comme scientifique,
d’après le critère de la réfutabilité, toute théorie pouvant être remise en question par des tests
cruciaux de l’expérience. C‘est la raison pour laquelle la falsifiabilité s’est érigée en critère de
démarcation, de scientificité.
Karl Popper se propose d’utiliser le principe de falsifiabilité en vue de mesurer la
scientificité d’une hypothèse. Ce critère sert de différenciation pour résoudre la question, à
savoir : comment peut-on distinguer entre des théories scientifiques et d’autres ensembles de
propositions ? Un jugement est falsifiable dans la mesure où la classe des propositions de base
98
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 381.
99
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 377.
100
Il s’agit de la mise à l’épreuve d’une théorie. Ce vocable est synonyme de testabilité, réfutabilité, falsification. Et
François Châtelet affirme que la testabilité est la même chose que la réfutabilité et elle peut donc pareillement être
comprise comme critère de démarcation.
pour le falsifier n’est pas vide, c’est-à-dire, si l’on donne des circonstances où le jugement
peut s'avérer faux. Les théories scientifiques peuvent être soumises à des tests stricts. Karl
Popper soutient la thèse selon laquelle un système scientifique doit pouvoir échouer à
l’expérience, car tout examen sérieux d’une théorie consiste à tenter de la réfuter. De cette
manière nous pouvons nous approcher de la vérité. Les théories sont des tentatives sérieuses
de découvrir la vérité. Les falsifications montrent des points où la théorie touche la réalité et
« deviennent les points de repère essentiels, les réussites saisissantes, les facteurs de
croissance majeurs dans la science. »101 Dans cette optique : « le concept de falsification est
donc inséparablement lié a) à un concept de science, b) à un concept de vérité et c) à un
concept de réalité. »102
Il est vraiment clair que l’audace des conjectures répond à l’austérité des réfutations.
La méthode d’essais et erreurs utilise des anticipations théoriques et audacieuses, suivies des
contrôles rigoureux destinés à mettre en évidence et à éliminer les erreurs. Dans ce contexte,
nous sentons que la question épistémologique à résoudre est celle de savoir : Quand doit-on
conférer à une théorie un statut scientifique ? Existe-t-il un critère permettant d’établir la
nature ou le statut scientifique d’une théorie ? Le critère de scientificité c’est la falsifiabilité
qui garantit et définit la scientificité. Et ainsi : « le critère de la falsifiabilité d’une théorie
réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester. »103
Au fait, l’irréfutabilité insinue la non-scientificité et les théories sérieusement fausses
sont éliminées grâce à des énoncés d’observations, lesquels, au lieu de vérifier, falsifient.
Dans La logique de la découverte scientifique, Karl Popper s’emploie à utiliser la falsifiabilité
comme critère de signification d’un énoncé. Comme le précise Jean-François Malherbe :
« Popper (…) conçut l’idée selon laquelle le statut scientifique est conféré à un énoncé par la
possibilité de le réfuter. Un énoncé, ou un système d’énoncés, ne devrait être considéré
comme scientifique que si on peut le réfuter. »104
Aux yeux de Karl Popper, acquérir une connaissance est normalement un processus
d’apprentissage se réalisant par essais et éliminations d’erreurs, par conjectures et réfutations.
La réfutabilité ou la falsifiabilité concerne la valeur de vérité d’une proposition. JeanFrançois Malherbe écrit : « la procédure de la falsification que décrit Popper dans sa logique
101
CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 67.
SEDMAK, CL., « Religion et falsification : est-ce qu’on peut falsifier une religion ? » in Centenaire Karl
Popper du 31 octobre au 1 novembre 2002, Faculté des Sciences humaines et sociales,Tunis, (décembre
2003), p. 76.
103
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 65.
104
MALHERBE, J.-F., op. cit., p. 55.
102
de la découverte scientifique requiert que les théories soient mises en relation avec des
énoncés de base susceptible de les contredire. Il analyse longuement les relations logiques qui
unissent les théories et les énoncés de base et décrit ces derniers comme les fruits des
décisions critiques provisoires prises par les chercheurs (…) les énoncés ne peuvent être
contredits que par des énoncés. »105
Une théorie n’est scientifique que si elle est susceptible d’être soumise à des épreuves
expérimentales. Subséquemment, la vérité d’une théorie scientifique réside dans le fait qu’elle
a résisté à tous les procédés expérimentaux, à tous les tests qui auraient pu en montrer la
fausseté, qui devraient la réfuter ou la falsifier. Cependant, une théorie est dite scientifique
quand il existe des moyens expérimentaux de la mettre réellement à l’épreuve ; c’est dans la
réfutabilité où réside le caractère scientifique d’une théorie. Pour ce faire, nous savons que la
notion de la réfutabilité ou le paradigme de la falsifiabilité s’avère être la clé de voûte de
l’édifice épistémologique poppérien. Ce paradigme n’affirme pas qu’il n’y a pas de vérité,
bien au contraire, il soutient qu’il n’y a pas de vérité scientifique absolue, acquise une fois
pour toute. C’est-à-dire qu’il n’existe que des vérités provisoires. Un certain mouvement, un
certain dynamisme des théories se déploie, car les théories évoluent grâce aux remises en
cause permanentes. Suite au progrès de la science, la réalité apparaît de plus en plus
complexe. Certains estiment que la vérité recule et échappe régulièrement et au fur et à
mesure qu’on essaie de la cerner.
Une théorie n’étant que provisoire, la vérité qu’elle indique l’est également, car elle
attend toujours de nouvelles découvertes pour la contredire ou la perfectionner. L’attitude
scientifique est critique et doit chercher en permanence des tests cruciaux, susceptibles de
falsifier une théorie. Le discrédit pousse souvent à l’effondrement total ou partiel d’une
théorie. Au cours de l’histoire de la science, l’atome était considéré comme la partie la plus
petite des éléments, invisible et insécable. Ironie du sort, vers le XIX ème siècle, la notion
d’atome s’est précisée grâce à la connaissance de l’électron et de la découverte du noyau. Par
conséquent, l’atome n’était plus la particule insécable, mais contenait des particules subatomiques, notamment l’électron découvert par Thomson. L’écroulement d’une théorie est
constructif pour la science dans la mesure où il serait une voie ouverte pour d’autres
découvertes scientifiques. Grâce à un test, une théorie peut être falsifiée par d’autres
découvertes correspondantes ou par des contre-exemples. Louis Pasteur avait affirmé que les
maladies sont provoquées par des microbes mais, par la suite, Claude Bernard a découvert
105
MALHERBE,J.-F., op. cit ., p. 161.
qu’elles étaient provoquées par des toxines secrétées par les microbes. La nouvelle théorie ne
donne pas tort à Louis Pasteur mais précise et perfectionne sa théorie. Nous pouvons donc
inférer que cette deuxième découverte constitue un progrès par rapport à la première106.
Le professeur Nkombe Oleko, en énonçant après multiples vérifications : « de deux
prémisses universelles on ne peut pas tirer une conclusion particulière »107 , ajoute une
neuvième loi aux huit règles du syllogisme d’Aristote. Il démontre la fausseté de certains
syllogismes admis par les anciens. Il est évident qu’il a réalisé un progrès par rapport aux huit
lois formelles d’Aristote. On peut soutenir qu’une théorie falsifiée partiellement est enrichie
par la nouvelle.
Grâce au paradigme de falsifiabilité, nous savons qu’en science, la vérité est une
hypothèse, car toutes les théories sont provisoires : « Le faillibilisme croit à l’inventivité de
l’homme et s’il magnifie l’erreur c’est parce qu’il y voit le plus sûr chemin vers la vérité. »108
C’est alors que Karl Popper estime que conjectures - réfutations constitue un couple
compris soit comme une critique des tentatives, souvent erronées, que nous faisons pour
résoudre des problèmes qui se posent à nous soit comme une théorie de l’expérience qui
attribue à nos observations un rôle tout aussi modeste que décisif ; celui d’être des tests
capables de nous aider à voir où sont les erreurs. Cette théorie présente un avantage,
notamment le refus du scepticisme malgré l’accent mis sur l’aspect de faillibilité. Elle montre
que la connaissance peut subir un développement et que la science peut progresser par les
rapports des erreurs. Très souvent l’erreur insinue la possibilité de la science.
Toutes les lois, les théories scientifiques doivent être tenues pour hypothétiques,
provisoires et, par conséquent, doivent subir un test de maturité c'est-à-dire la falsifiabilité.
L’homme de science doit soumettre des conjectures à des tests, c’est alors que la théorie sera
tenue pour scientifique. La science est construite sur des théories réellement provisoires,
susceptibles d’être permanemment falsifiées pour le progrès scientifique. Cela insinue que la
théorie déjà établie est manifestement en insécurité, car elle attend que d’autres découvertes
l’accréditent ou la discréditent. Telle est la raison suffisante pour laquelle la théorie est
toujours provisoire et un test de falsifiabilité doit absolument la supplanter, la ruiner. Les lois
ou les théories, étant des vérités scientifiques, subissent le test de falsifiabilité, car elles ne
sont pas acquises définitivement. La découverte d’une loi scientifique implique
automatiquement le dynamisme de la science c'est-à-dire la croissance de la science : « Elle
106
Cf. ANIETI ESSIEN, A., art. cit, p. 16-17.
NKOMBE OLEKO, F., Essai de logique générative, Médias Paul, Lubumbashi, 2006, p. 82.
108
BEAUDOUIN, J., op. cit., p. 38.
107
demeure toujours en quelque sorte une hypothèse dans la mesure où elle est vraie en attendant
que d’autres données ou découvertes viennent la contredire ou la fragiliser. »109
Dans ce dynamisme, nous remarquons que la loi scientifique est continuellement
inachevée et, par conséquent, elle devient inspiratrice, car n’étant pas l’aboutissement de la
découverte. De ce fait, elle fait partie intégrante du processus de la découverte dans la
connaissance scientifique. Ainsi, la recherche scientifique se propose-t-elle de perfectionner
un système des certitudes, appelées vérités scientifiques : « Avec le progrès de la science, la
réalité apparaît de plus en plus complexe et certains en ont conclu que la vérité recule et nous
échappe à mesure que nous essayons de mieux la saisir. En fait, il s’agit, au contraire, d’une
connaissance toujours plus complète et plus précise (…). La testabilité ou la falsifiabilité
constitue la marque de la scientificité des énoncés comme des théories. »110
L’attitude scientifique est caractérisée par la critique, la quête des tests cruciaux, des
tests qui peuvent falsifier une théorie déjà établie mais ne parviennent jamais à l’établir
définitivement. L’hypothèse qui résisterait aux épreuves n’est pas confirmée d’une manière
absolue, concluante. La science ne se fonde pas sur des théories, sur des énoncés certains,
confortablement réussis, établis, car toutes les théories sont toujours et demeureront toujours
provisoires, conjecturales, hypothétiques. Le paradigme de falsifiabilité se veut une attitude
notoirement
scientifique favorisant l’approche d’une vérité scientifique, toujours
approximative. Quelle que soit la véracité d’une vérité scientifique, elle n’est pas une vérité
définitive, absolue. Cette démarche prouve à suffisance l’absence ou l’inexistence des théories
éternelles, définitives, établies, car toutes sont susceptibles d’être remises en cause. Ce critère
de démarcation, la falsifiabilité, est donc l’unité de mesure de la validation de toute théorie
scientifique : « je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi, une fois
pour toutes, dans une acception positive. »111
La méthodologie falsificationniste alimente de beaucoup la méthode scientifique dans
son véritable caractère progressif. La thèse principale de l’ouvrage Conjectures et Réfutations
s’énonce en ces termes : la connaissance progresse par essais et erreurs, par conjectures
et réfutations et s’approche davantage de la vérité. Conjectures et réfutations,
prolongements de La logique de la découverte scientifique, deviennent alors une force qui
fait avancer la science : « La connaissance, et la connaissance scientifique tout
particulièrement, progresse grâce à des anticipations non justifiées (et impossibles à justifier),
BOYER, A., Introduction à la lecture de Karl Popper, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, Paris, 1994, p.
10.
110
ANIETIE ESSIEN, A., art. cit., p.15.
111
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 46.
109
elle devine, elle essaie des solutions, elle forme des conjectures. Celles-ci sont soumises au
contrôle de la critique c'est-à-dire à des tentatives de réfutations qui comportent des tests
d’une capacité critique élevée. »112
La falsifiabilité prouve par surcroît que la connaissance peut subir un développement
et que la science progresse par les apports des erreurs et donc une théorie est estimée
scientifique grâce aux erreurs qu’elle revêt, aux insuffisances qu’elle renferme.
Cette procédure est pertinente même en logique grâce aux méthodes de décisions : les
tableaux sémantiques et la méthode par absurde. Le professeur Nkombe Oleko écrit que la
méthode indirecte ou méthode par absurde consiste à supposer que « l’expression à démontrer
est fausse. En appliquant les lois des différents opérateurs, si on arrive à des contradictions on
conclut alors à la fausseté de l’hypothèse de départ et on déclare l’expression une loi logique
ou tautologique (…). Utilisant la méthode des tableaux sémantiques, on suppose ensuite que
l’expression à démontrer est fausse comme en méthode indirecte. On applique ensuite les lois
des opérateurs en commençant par l’opérateur principal à ses arguments jusqu’à ce qu’on
arrive au niveau des variables. Si l’on arrive à des contradictions, on conclut alors que la
supposition du départ est fausse et, par conséquent, l’expression est une loi logique. »113
Karl Popper a proposé ce mode des règles pour assurer aux énoncés scientifiques la
possibilité d’être soumis à des tests, c'est-à-dire la falsifiabilité. Pour falsifier ou réfuter une
théorie, on doit prouver qu’il est logiquement incompatible avec au moins un énoncé de base.
Par conséquent, l’énoncé scientifique ne doit, en aucun cas, se fonder sur des simples
observations notamment l’induction. La démarche à suivre est alors hypothético-déductive à
telle enseigne que n’importe quel énoncé se soumette à l’épreuve de l’expérimentation. La
démarche hypothético-déductive est toujours hypothétique, constituée d’un ensemble
d’hypothèses ou de conventions à partir desquelles on déduit tout un système. Le progrès
scientifique consiste dans le fait de ne jamais nier les vérités d’hier mais de les situer comme
un simple cas possible en vue d’une autre possibilité. C’est dans cette même perspective que
Gaston Bachelard parle du progrès scientifique dans un mouvement essentiellement
polémique. La connaissance se forme en
détruisant les obstacles qu’elle a, elle-même,
institués dans sa relation première à l’objet. On connaît toujours contre une connaissance
antérieure. Sans cesse la science modifie nos principes. La victoire de la raison se manifeste
jusque dans l’échec : « en revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable
112
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La connaissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 9.
113
NKOMBE OLEKO, F., op. cit., pp. 37 et 82.
repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure en détruisant des
connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la
spiritualisation. »114
La science se réalise par rectification, car de l’erreur on s’approche de la vérité. La
réfutabilité est réellement une démarche argumentative qu’utilise la logique dont le but est de
déterminer le vrai et le faux. Elle veut découvrir les éventuelles incohérences et contradictions
qui résulteraient d’une connaissance non remise à l’épreuve d’arguments contradictoires.
C’est pourquoi, Karl Popper propose de
réaliser un test à l’endroit de chaque théorie
scientifique ; non seulement pour démasquer la prétention des théories à la vérité absolue
mais aussi pour confirmer que la vérité est toujours fugace ; nous ne l’approchons que d’une
manière approximative. Les théories doivent être mises en relation avec des énoncés de base
susceptibles de les contredire. Il est fort possible que les énoncés de base soient les fruits de
décisions critiques c'est-à-dire provisoires, prises par des chercheurs d’une même discipline
au sujet de l’acquis accepté au moment du test. Ces énoncés ne peuvent être contredits que par
des énoncés et non par des observations ou des expériences. C’est sur ces considérations que
se fonde le conventionnalisme critique. La falsifiabilité renvoie automatiquement à une
vérité qui pour n’être pas atteignable n’en est pas moins posée en soi. Karl Popper ne constate
dans le langage qu’une sorte d’expression destinée à créer la réalité de notre monde qu’à la
décrire. La possibilité qu’un énoncé soit falsifié doit absolument lui conférer un statut
scientifique, car « en science nous cherchons la vérité. »115 Le scientifique recherche toujours
la vérité dans son travail et il demeure honnête par rapport à ce but.116
Ce paradigme de falsifiabilité, dans l’épistémologie poppérienne, soutient qu’il n’y a
pas de vérité scientifique absolue, acquise totalement, car la science est une quête perpétuelle,
continuelle et critique de la vérité : « l’homme de science doit passionnément rechercher la
vérité, même si celle-ci est toujours approximative et révocable. »117
La notion de la vérité est manifestement alléchante dans la pensée poppérienne : « ce
qui fait l’homme de science, ce n’est pas la possession de connaissances, d’irréfutables
vérités, mais la quête obstinée et audacieusement critique de la vérité. »118
L’hypothèse ouvre la voie de la recherche. Ce sont les idées audacieuses du théoricien,
des conjectures riches en imagination et en intuition qui sont avancées en premier. Il s’agit
BACHELARD, G., La formation de l’esprit scientifique, J. Vrin, Paris, 1977, p. 20.
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 8.
116
Cf. MALOLO DIASSAKE, E., Karl Popper. Langage,Falsificationnisme et Science objective, P.U.F., Paris,
2004, p. 40.
117
BEAUDOUIN, J., op. cit., p. 6.
118
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 287.
114
115
des
anticipations
injustifiées,
hypothétiques
ou
conjecturales,
c’est-à-dire
comme
suppositions. Les théories sont « comme des filets destinés à capturer le monde. »119
Les théories sont destinées à expliquer ce qui est rationnel. Les théories doivent alors
remettre en question, avec hardiesse, des hypothèses qui n’ont nullement besoin d’être
justifiées. A l’époque de Karl Popper, les hypothèses étaient des théories non encore
démontrées et les théories étaient des hypothèses prouvées et établies. Il faut un choix parmi
les théories rivales. La question se pose, celle de savoir laquelle préférer parmi ces
hypothèses. Le théoricien doit chercher de faire tomber la théorie ou la coincer. L’homme de
science doit soumettre l’idée d’ordre conjectural à des situations expérimentales que Karl
Popper qualifie de cruciales. Alors on réfute la théorie grâce aux tests expérimentaux sévères.
L’expérience la plus critique est celle la plus apte à réfuter la théorie, à la falsifier. Par
falsifier, on entend l’expérience la meilleure, celle qui cherche par tous les moyens, à montrer
qu’une théorie se révèle non pas vraie mais fausse. La réfutabilité est donc le pivot central
autour duquel s’organise la pensée poppérienne. Bar-Hillel estime que Karl Popper « est
intéressé par le développement de la connaissance scientifique, Carnap par la reconstruction
rationnelle. La conception de Karl Popper est dynamique, celle de Carnap est statique. »120
Rudolf Carnap et tous les Viennois121 pensaient que le mouvement de la science allait
de l’expérience à la théorie. Pour Karl Popper, on doit se servir de l’observation pour infirmer
une théorie : « c’est l’expérience qui juge l’idée, c’est toujours la contre-épreuve que l’on
cherche »122.
C’est alors qu’il faut remplacer l’approche inductive, admise par les
philosophes pour interpréter la théorie de la connaissance, par une démarche déductive ou
plus exactement hypothético-déductive.
En réalité, la démarche scientifique s’identifie à celle d’une discussion critique, car
on ne peut trancher pour une théorie, on ne peut que trancher contre elle. Ce que traque le
scientifique, ce qu’il cherche, c’est l’erreur. Il interroge celle-ci continuellement, dans l’espoir
d’apprendre quelque chose de nouveau. C’est la recherche de l’erreur qui fonde le
rationalisme critique et le distingue de toute démarche idéologique. Nos facultés de
raisonnement ne sont rien d’autre que des facultés de discussion critique.123 La meilleure
démarche et la plus rationnelle serait de procéder par essais et erreurs, par conjectures et
119
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, p. 57.
BAR-HILLEL, cité par LECOURT, D., L’ordre et les jeux. Le positivisme en question, Bernard Grasset,
Paris, 1981, p. 92.
121
Pour les Philosophes néo-positivistes du Cercle de Vienne, il existe une vérité matérielle quand l’énoncé est
en accord avec les faits et une vérité formelle quand il y a accord des énoncés entre eux.
122
BERNARD, Cl., Introduction à la médecine expérimentale, Gallimard, Paris, 1978, p. 105.
123
Cf. POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 134.
120
réfutations. Il faut proposer des théories solides, les soumettre à des épreuves de telle manière
qu’elles soient erronées et de les poser comme provisoires. Dans la mesure où le test ou la
falsifiabilité exposerait le caractère faillible de l’homme, cela nous révèle que la connaissance
dispose d’un caractère qui lui permet de croître. Une bonne théorie ou loi scientifique est
manifestement falsifiable. Plus une théorie est falsifiable, plus elle est considérée comme
meilleure. Une bonne théorie énonce des assertions générales sur le monde et elle est
falsifiable. Elle résiste aux falsifications chaque fois qu’elle est soumise au test.
La clarté et la précision de la falsifiabilité est à remarquer dans ces énoncés : « mars se
déplace autour du soleil suivant une ellipse »; « toutes les planètes se déplacent autour du
soleil suivant des ellipses. »124 Le statut de l’énoncé « toutes les planètes se déplacent autour
du soleil suivant des ellipses » est supérieur à celui de l’énoncé « mars se déplace autour du
soleil suivant une ellipse », car il est considéré comme partie intégrante du savoir scientifique.
L’énoncé selon lequel « toutes les planètes se déplacent autour du soleil suivant des ellipses »
est plus falsifiable que l’énoncé « mars se déplace autour du soleil suivant une ellipse ». C’est
alors qu’une fois les observations de mars parviennent à falsifier l’énoncé « mars se déplace
autour du soleil suivant une ellipse », elles falsifient également l’énoncé « toutes les planètes
se déplacent autour du soleil suivant des ellipses ». Cette falsification est correcte. Les
énoncés observés se rapportent aux orbites de Venus, Jupiter,… falsifient l’énoncé « toutes les
planètes se déplacent autour du soleil suivant des ellipses » mais ne falsifient pas l’énoncé
« mars se déplace autour du soleil suivant une ellipse ». Les séries d’observations qui servent
à falsifier une théorie ou une loi sont appelées ses falsificateurs virtuels. Les falsificateurs
virtuels de l’énoncé ‘mars se déplace autour du soleil suivant les ellipses ‘ forment une sousclasse des falsificateurs virtuels de ‘toutes les planètes se déplacent autour du soleil suivant
des ellipses’. Cet énoncé est plus falsifiable que l’énoncé ‘mars se déplace autour du soleil en
suivant des ellipses’, car elle fournit davantage d’énoncés et est donc meilleur. La théorie de
Kepler est constituée de ses trois lois du mouvement planétaire. Ses falsificateurs virtuels sont
des séries d’énoncés se référant aux positions des planètes relativement au soleil à des instants
déterminés. La théorie de Newton, meilleure, qui remplace celle de Kepler, est plus étendue.
Elle est formée par les lois du mouvement de Newton et par sa loi de gravitation, qui énonce
que tous les corps dans l’univers s’attirent deux à deux avec une force qui varie comme
l’inverse du carré de la distance qui les sépare. L’ensemble d’énoncés portant sur les positions
des planètes à des instants donnés constitue le falsificateur virtuel de la théorie newtonienne.
124
CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 65.
D’autres décrivent le comportement des corps en chute et en pendules, la corrélation entre les
marées et les positions du soleil et de la lune, il existe alors plus de possibilités de falsifier la
théorie de Newton que celle de Kepler. Les théories hautement falsifiables sont préférées à
celles qui le sont moins tant qu’elles n’ont pas été falsifiées. L’entreprise de la science
consiste à proposer des hypothèses hautement falsifiables, en les complétant par des essais
délibérés et réitérés de les falsifier.125
Karl Popper note : « Je reconnais donc volontiers que les partisans de l’invalidation
en matière de connaissances scientifiques comme je le suis moi-même, privilégierons
nettement une tentative de solution d’un problème intéressant qui consisterait à avancer une
conjecture doit bientôt se révéler fausse, contre toute énumération de truismes dénués
d’intérêt. Si notre préférence va à une telle démarche, c’est que nous estimons être ainsi en
mesure de tirer un enseignement de nos erreurs ; en découvrant que la conjecture en question
était fausse, nous aurons beaucoup appris quant à la vérité et nous nous en serons davantage
approchés. »126
2.3. DE LA VERITE CHEZ KARL POPPER
La tradition de la vérité, à savoir, la conception de la vérité-correspondance mise en
exergue par Isaac de l’Etoile au XIIème siècle, constitue le pivot à partir duquel les mutations,
les transformations se réalisent127. Cependant, la question de la vérité est liée à la
problématique de la reconstruction d’une théorie, à celle des critères de vérité. Outre la
critique de l’induction et du principe de vérifiabilité, Karl Popper présente trois problèmes ; à
savoir : le problème de la vérité, le problème des probabilités et le problème de comparaison
des théories selon leur contenu par rapport à leur corroboration par les faits.128
2.3.1. LA VERITE, IDEE REGULATRICE
L’idée de la vérité est un principe régulateur de la science. La finalité de la découverte
du vrai nous garantit que nos erreurs sont instructives. C’est uniquement l’idée de la vérité
125
Cf. CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 66.
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 342.
127
Cf. MARTY, F., « Vérité et communication » in La vérité, Beauchesne, Paris, 1983, p. 110.
128
Cf. POPPER, K., La quête inachevée, Calmann-lévy, Paris, 1981, p. 141.
126
qui nous incite à parler de l’erreur ou de rationalisme critique et favorise la discussion
rationnelle. Celle-ci est un examen critique nous permettant de découvrir nos erreurs en vue
d’approcher la vérité. L’idée de l’erreur implique celle de vérité comme norme inatteignable
nécessairement. La vérité est donc une idée régulatrice. Jean-François Malherbe note que
« Popper, après avoir insisté sur le fait qu’il est impossible de définir un critère de vérité pour
la science, il fait de l’idée de vérité un principe régulateur qui fonde la rationalité de la
démarche critique propre aux activités scientifiques et philosophiques. »129
Chaque fois que nous pensons à la science, à la philosophie, notre finalité est
d’atteindre la vérité. Celle-ci devient absolument un principe régulateur de la science. Dans
cette optique, nous devons chercher à identifier la vérité en tant que chose connue ou à
connaître. La vérité, comme principe régulateur, est indispensable pour fonder la rationalité
de toute démarche critique ainsi que la croyance en l’existence d’un réel connaissable : « Mon
but est de réhabiliter une idée du sens commun dont j’ai besoin pour décrire les buts de la
science et qui fonde, au titre de principe régulateur, la rationalité de toute discussion
scientifique critique. »130
L’idée critique est donc l’élimination de l’erreur et suppose, par conséquent, l’idée de
vérité. Dans cette perspective, l’idée de vérité recourt au fondement du réalisme métaphysique
poppérien, autrement dit, la croyance en l’existence d’un monde réel connaissable. Karl
Popper note que « les grands avantages de la théorie de la vérité objective (...) nous
permettent de soutenir que nous cherchons la vérité, mais sans pouvoir savoir quand nous
l’avons trouvée ; et que, quoique nous n’ayons aucun critère de vérité, nous sommes guidés
par l’idée de vérité comme principe régulateur ; et que bien qu’il n’y ait aucun principe
général qui nous permette de reconnaître la vérité – excepté, peut-être, la vérité tautologique il existe des critères du progrès vers la vérité. »131
Karl Popper utilise une métaphore pour illustrer cette thèse : « Le rôle de la vérité
comme principe régulateur peut être comparé à celui d’un pic montagneux habituellement
voilé par les nuages. Un alpiniste n’aura pas seulement des difficultés à atteindre ce sommet,
il ne pourra même pas savoir qu’il l’a atteint, car les nuages l’empêcheront de distinguer le
sommet principal des sommets voisins. Ceci, cependant, n’affecte pas l’existence objective du
sommet et si l’alpiniste nous dit : je doute d’avoir atteint le vrai sommet, il reconnaît par
129
MALHERBE, J.- F., op. cit., p. 124.
POPPER, K., Conjectures et Réfutations. La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 322.
131
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 226.
130
implication l’existence objective du sommet. L’idée authentique d’erreur ou de doute
implique l’idée d’une vérité objective que nous pouvons éventuellement ne pas être capable
d’atteindre. »132
Progressivement, l’on se demande quel rapport peut-on établir entre la théorie
sémantique de la vérité chez Alfred Tarski qui définit la vérité d’un énoncé comme son
assertion dans le métalangage et celle de Karl Popper stipulant que la vérité est le principe
régulateur de la science : « L’immense importance que Popper accorde à la théorie de Tarski
s’explique par le fait que celle-ci lui a ouvert la porte vers une métaphysique de la science
dans laquelle l’activité scientifique pourrait être définie comme recherche de la vérité ou plus
exactement comme recherche d’une plus grande proximité de la vérité.»133
Ce qui domine nos discussions sur les théories, c’est l’idée de découvrir une théorie
explicative vraie et nous justifions nos préférences en faisant appel à l’idée de vérité : la vérité
joue le rôle d’une idée régulatrice.134
La vérité comme principe régulateur donne sens à l’idée de correspondance aux faits
et celle de progrès vers la vérité. Une différence notoire est présentée par Karl Popper entre
les vocables savoir et supposition : « nous ne savons rien, nous pouvons seulement émettre
des suppositions : nous devinons (…) on a ni oppositions claires entre savoir # supposition ; je
sais # je suppose (…). Savoir implique vérité certaine donc : savoir (implique une assurance,
certitude (…) ce qu’on appelle savoir propre à la science de la nature n’est pas un savoir, car
il consiste seulement en conjecture ou en hypothèse (…) nous ne savons pas, nous devinons.
Bien que le savoir propre à la science de la nature ne soit pas un savoir, c’est ce que nous
possédons de mieux dans le monde. Je l’appelle savoir conjectural plus ou moins pour
consoler ceux qui aspirent à un savoir certain et qui croient ne pas pouvoir s’en passer (…).
La science est une quête de la vérité. Mais la vérité n’est pas une vérité certaine. Vérité #
vérité certaine ; vérité # certitude. Ce qu’est la vérité, chacun le sait : c’est la conformité d’une
proposition avec la réalité sur laquelle elle énonce quelque chose : vérité = conformité à la
réalité, ou peut-être vérité = conformité d’un état de choses énoncé avec un état de choses
effectifs (…) la science est une quête de la vérité et non une quête de la certitude. »135
132
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 220.
133
MALHERBE, J.-F., op. cit., p. 226.
134
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 77.
135
POPPER, K., Toute vie est résolution de problèmes. Questions autour de la connaissance de la nature, Actes
du sud, Paris, 1997, pp. 125-127.
Pour ce faire, parvenir à s’approcher de la vérité d’une théorie, cela revient à affirmer
qu’on a appliqué la testabilité, la réfutabilité sur cette théorie et donc on prouve, à suffisance,
la prétention de celle-ci à la vérité. Dans l’épistémologie poppérienne la notion de la vérité
doit immanquablement transcender notre connaissance. Karl Popper nous invite à ne jamais
rechercher les raisons manifestement positives sur lesquelles se fonde notre connaissance.
Nous pouvons affirmer qu’il nous pousse à déterminer d’une manière purement négative de
quelle façon les raisons positives résistent à une entreprise de réfutation. L’on ne peut jamais
fonder une vérité sur des suppositions ; la probabilité ne confirme pas positivement nos
connaissances, car nos théories sont totalement faillibles et le restent mais après qu’elles ont
été brillamment confirmées136 .
L’approche poppérienne de la vérité débouche sur la notion de la vérité approximative,
étant donné que Karl Popper stigmatise l’insuffisance des théories scientifiques et surtout leur
incapacité à cerner la vérité dans sa globalité. Il fustige la notion d’une vérité éternelle,
absolue, définitive, car l’homme des sciences est toujours à la recherche de la vérité vu que
les théories sont essentiellement vraisemblables et falsifiables.
2.3.2. LA NOTION DE LA VERITE APPROXIMATIVE
La finalité de la science est une recherche de la vérité malgré le caractère
essentiellement approximatif de celle-ci. « La vérité est le but de la science ».137 Mais les
sciences ne peuvent jamais atteindre la vérité voire absorber tout l’effort de la rationalité. Le
progrès de la science ne repose que sur la science elle-même, sur son mouvement, car
« l’affrontement entre les théories doit permettre la victoire des plus audacieuses et des mieux
testées, de celles dont on a de bonnes raisons de penser, non pas qu’elles sont vraies, mais
qu’elles nous font faire un pas supplémentaire vers la vérité.»138
L’essor de toute science, de toute connaissance repose sur une modification de la
connaissance antérieure, signe éloquent, prouvant que la vérité est réellement inatteignable et
que, par conséquent, l’on ne peut que s’en approcher. Elle est ce qu’elle est une fois la théorie
est avancée mais elle demeure toujours un « pas – encore ». Les sciences tendent à
s’approcher de la vérité en expulsant de plus en plus leurs erreurs : « La science n’est pas un
136
POPPER, K., Les deux problèmes fondamentaux de la théorie et de la connaissance, Hermann, Paris, 1999,
p. 9.
137
MALOLO DISSAKE, E., op. cit., p. 34.
138
POPPER, K., La connaissance objective. Une Approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
14.
système d’énoncés certains ou bien établis, non plus qu’un système progressant régulièrement
vers un état final. Notre science n’est pas une connaissance : elle ne peut jamais prétendre
avoir atteint la vérité ni même l’un de ses substituts, telle la probabilité. (…) Bien qu’elle ne
puisse atteindre ni la vérité, ni la probabilité, son effort pour atteindre la connaissance et sa
quête de la vérité sont encore des motifs les plus puissants de découverte scientifique. Nous
ne savons pas, nous ne pouvons que conjecturer.» 139
Karl Popper nous présente sa conception de la vérité comme approximation. Il est clair
que la conscience de l’ignorance doit supposer manifestement la recherche de la vérité qui est
absolument une nécessité. C’est une nécessité vitale qui garantit notre survie. Pareil savoir
doit abandonner le paradigme de la certitude. Par ailleurs, nous savons au sujet de la vérité
qu’il est manifestement impossible de la saisir telle qu’elle est exactement. Elle est une
nécessité absolue et ne peut pas être plus ou moins qu’elle se présente à notre intelligence
comme une probabilité. Il est impossible d’atteindre la vérité dans sa pureté, tous les
philosophes l’ont cherchée et visiblement aucun ne l’a trouvée telle qu’elle est ; néanmoins
nous nous approchons d’elle sans la cerner in extenso. La vérité est très glissante comme un
poisson dans l’eau, elle échappe à l’œil subtil des philosophes et a fortiori des scientifiques :
« L’idée de vérité est donc absolutiste mais on ne peut revendiquer une certitude absolue :
nous sommes des chercheurs de la vérité mais nous ne la possédons pas. »140
Néanmoins « la notion de vérité a été considérée comme suspecte par de nombreux
philosophes ; il en a été de même pour la notion de meilleure approximation de la vérité ou de
proximité à la vérité ou encore pour ce que j’ai appelé une plus grande vraisemblance.» 141
La finalité de la science est la vérité : la recherche des théories dans la perspective
d’une meilleure approximation ou d’une grande vraisemblance. La recherche de la vérité n’est
stable que si elle fait allusion à toutes les propositions qui sont vraies. Il serait impérieux
d’admettre des énoncés faux comme approximations, car ne possédant qu’un plus grand
contenu de vérité que celui de fausseté. La vérité approximative est donc le but accessible de
la science : « que la théorie T2 est préférable à la précédente T1, au moins à la lumière de tous
les arguments rationnels connus. Du reste, nous pouvons expliquer la méthode scientifique, et
139
POPPER, K., Les deux problèmes fondamentaux de la théorie et de la connaissance, Hermann, Paris, 1999,
p. 9.
140
POPPER, K., La connaissance objective. Une Approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
57.
141
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 58.
une grande part de l’histoire des sciences, comme procédure rationnelle qui consiste à se
rapprocher de la vérité.».142
En science, nous remarquons que chaque théorie établie ne constitue pas une vérité de
la découverte, elle est approximative : « Je ne pense pas du tout que ce genre de propos soit
erroné (…), je crois que nous ne pouvons pas nous dispenser de l’idée d’une meilleure ou
moins approximation de la vérité.»143
Le but de la recherche scientifique n’est pas simplement la création des réalités
nouvelles ou l’utilisation de plus en plus rationnelle sûre, économique des connaissances. Elle
vise une compréhension meilleure de tout ce qui existe, y compris les théories dites
scientifiques déjà en vigueur. La recherche scientifique se propose de perfectionner un
système des certitudes des vérités scientifiques. Avec le progrès scientifique, nous avons
l’impression que la vérité se retire, recule et nous échappe incessamment pendant que nous
nous en approchons pour la cerner, nous en avons une connaissance approximative.
Poursuivant son raisonnement sur la fugacité et l’approximation de la vérité, Karl Popper
précise que « si les énoncés de base doivent, à leur tour, être soumis à des tests
intersubjectifs, il ne peut y avoir en science d’énoncés ultimes : en science il ne peut y avoir
d’énoncés qui ne puissent en principe être réfutés par la falsification de certaines des
conclusions que l’on peut en déduire (…). Je refuse d’accepter l’idée selon laquelle il y aurait
des énoncés scientifiques que nous devons accepter comme vrais.»144
Pour parvenir à asseoir une théorie, il faut procéder par la falsifiabilité. Celle-ci
l’éprouve en vue de démontrer que nous ne sommes pas capables d’atteindre la vérité, car
nous pouvons exclusivement l’approcher. Aucune théorie ne peut se soupçonner avoir atteint
définitivement la vérité, car aucun savant ne possède la vérité. « Le progrès de la science n’est
pas dû à l’accumulation progressive de nos expériences. Il n’est pas dû non plus à une
utilisation toujours améliorée des nos sens. Les expériences sensorielles non interprétées ne
peuvent secréter de la science, quel que soit le zèle avec lequel nous les recueillons et les
tirons. Des idées audacieuses, des anticipations injustifiées et des spéculations constituent
notre seul moyen d’interpréter la nature, notre seul outil, notre seul instrument pour la saisir
(…). Ceux qui parmi nous refusent d’exposer leurs idées au risque de la réfutation ne
prennent pas part au jeu scientifique. » 145
142
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, pp. 58 et 65.
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p. 232.
144
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, pp. 44-45.
145
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, pp. 285-286.
143
Aucune théorie n’a la garantie de revêtir une vérité définitive, indubitable, exempte de
toute testabilité. L’approche de la vérité se veut donc approximative d’où la ressemblance et
la vérisimilitude. Karl Popper estime que la science approchera la vérité sous l’usage de la
vérisimilitude, c’est-à-dire que la vérisimilitude tend à la vérité sans pour autant la cerner, elle
rend la théorie meilleure, acceptable… La notion de la vérité approximative ne met pas en
doute l’efficacité de la théorie scientifique. Elle se veut être, grâce à un critère de
démarcation, une falsifiabilité constructrice.
Le problème crucial de la connaissance est la découverte, la recherche de la vérité.
Cette démarche est ardue, car la vérité est toujours fugace mais sa recherche est stimulée par
la présence de l’erreur. La vérité devient un dynamisme, un devenir, une correction, une
révision et un dépassement permanent ; elle est réellement un mouvement : « Nous ne
cherchons pas simplement la vérité, nous sommes en quête d’une vérité intéressante et
éclairante, en quête des théories qui offrent des solutions à des problèmes intéressants (…).
Nous ne cherchons pas à atteindre seulement un point quelconque de notre cible V mais une
zone aussi étendue et intéressante que possible de cette cible : que deux fois deux fassent
quatre, quoique vrai, n’est pas, au sens où nous l’entendons ici, une bonne approximation de
la vérité, car elle porte une petite part de la vérité pour recouvrir le but de la science ou
simplement une part importante de ce but.»146
La pensée poppérienne se veut protagoniste de la vérité, promotrice de la vérité et elle
se présente comme participation de tous à la recherche incessante de cette vérité. Celle-ci doit
se présenter sous des formes critiquables. Le criticisme marque péremptoirement la
philosophie poppérienne. Cette démarche est le fruit du fait de l’erreur et de la vérité. L’erreur
soulève inévitablement le problème critique dans l’esprit de l‘homme et, par conséquent, on
arrive à distinguer le faux d’avec le vrai, le subjectif de l’objectif, le donné du construit. En
science, nous cherchons la vérité que nous approchons. Le paradigme de la falsifiabilité
prouve, à suffisance, que les vérités scientifiques ne sont pas acquises en une seule fois. Karl
Popper analyse la science comme recherche de la vérité, en reconnaissant la pertinence de
l’idée de l’approximation de la vérité. Il pense que les théories du passé ont été remplacées
par des nouvelles, à l’instar de la mécanique de Galilée ou de Newton. Elles sont fausses à la
lumière des théories actuelles sans pour autant prétendre que les théories actuelles, celle
d’Albert Einstein, celle de la physique quantique soient vraies : « Les théories sont
vraisemblablement fausses et susceptibles d’être remplacées au fur et à mesure que les
146
POPPER, K., La connaissance objective, Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
65.
théories supérieures se révèlent dans l’avenir. Au fait, cette fausseté qui est très certainement
probable parvient à aider la science à progresser en se rapprochant toujours de la vérité que
celle de Galilée, même si toutes les deux sont fausses. »147
Une théorie, dès qu’elle réussit à supplanter une autre, devient une meilleure
approximation de la vérité. Pour expliquer cette théorie de l’approximation de la vérité, Karl
Popper parle de la vérisimilitude. Il recourt aux conséquences fausses, aux implications
vraies et fausses d’une théorie. Si nous appelons la classe de toutes les conséquences vraies
d’une théorie son contenu de vérité et la classe de toutes les conséquences fausses, son
contenu de fausseté, alors nous pourrons soutenir que « si l’on pose que le contenu de vérité et
le contenu de fausseté de deux théories t1 et t2 sont comparables on pourra dire que t2
ressemble plus étroitement à la vérité ou correspond mieux aux faits que t1 si et seulement si
le contenu de vérité de t2 est supérieur à celui de t1, sans qu’il en soit de même de son
contenu de fausseté, le contenu de fausseté de t1 est supérieur à celui de t2, sans qu’il en aille
de même de son contenu de vérité. »148
La falsifiabilité d’une théorie est la mesure de son contenu de vérité moins la mesure
de son contenu de fausseté. C’est dans ce contexte que nous pourrons affirmer qu’au fur et à
mesure qu’une science progresse, la falsifiabilité des théories augmente régulièrement. La
théorie de Karl Popper de l’approximation de la vérité est solide grâce à une interprétation
instrumentaliste des théories. Si, par exemple, on ajoute aux affirmations de la théorie de
Newton certaines procédures pratiques pour la mettre à l’épreuve, des moyens biens définis
pour mesurer la masse, la longueur et le temps, alors on affirmerait que la classe des
prédictions de la théorie newtonienne se révèle correcte à l’intérieur des limites de la
précision expérimentale. Quand on l’interprète de cette façon, le contenu de vérité de théorie
de Newton et d’autres théories fausses ne sera plus nul.
Il pourra même être possible
d’appliquer la conception de Karl Popper d’approximation vers la vérité à certaines séries de
théories de la physique. La théorie remet en cause, par exemple, l’affirmation que « ce que
nous essayons de faire en science est de décrire et autant que possible d’expliquer la
vérité. »149
147
CHALMERS, A.-.F., op. cit., p. 204.
POPPER, K, Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2006,
p. 345-346.
149
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 51.
148
.
Galilée découvrit qu’il était possible de saisir certains aspects du monde physique au
moyen d’une théorie mathématique du mouvement ; puis les théories de Newton s’en
écartèrent sur certains points essentiels, la mécanique quantique appréhende le monde par des
voies qui diffèrent fondamentalement de celles de la physique classique. Il est clair que la
physique inclut l’expérimentation et cela permet à ce que l’on rejette l’instrumentalisme. La
physique a connu des mutations révolutionnaires.
La théorie de la falsifiabilité considère que la science est un ensemble d’hypothèses
visant à décrire avec précision ou à expliquer le comportement d’une partie de l’univers. Tout
système d’hypothèses doit satisfaire à la condition fondamentale, celle de la falsifiabilité, pour
acquérir le statut de loi ou de théorie scientifique. Mais parlant de la falsifiabilité, on sait
qu’un énoncé est falsifiable dans la mesure où la théorie aurait un contenu de vérité supérieur
à celui de l’ancien. Une hypothèse est falsifiable si la logique autorise l’existence d’un énoncé
ou d’une série d’énoncés d’observation qui lui sont contradictoires, autrement dit, qui la
falsifieraient si elle se révélait vraie. Une loi ou une théorie doit nous renseigner sur le
comportement réel du monde, par exemple, ‘toute les planètes décrivent les ellipses autour du
soleil’, est une loi scientifique, car elle affirme que les planètes se déplacent bien suivant les
ellipses. Elle exclut les orbites carrées ou ovales. Cette loi exprime des énoncés bien définis
sur les orbites planétaires alors elle est porteuse d’information et elle est falsifiable. Plusieurs
autres lois sont falsifiables notamment : Deux corps de nature contraire s’attirent
mutuellement ; un acide plus une base produisent du sel plus de l’eau150.
La science a besoin des théories qui ont un grand contenu informatif. La falsifiabilité
accueille à bras ouverts les conjectures les plus audacieusement spéculatives. Même les
spéculations les plus imprudentes sont bien vues, pourvu qu’elles soient falsifiables et rejetées
quand elles sont falsifiées.
La falsifiabilité admet les limites de l’induction et la supériorité de la théorie sur
l’observation. Les secrets de la nature ne peuvent être révélés qu’à l’aide de théories
ingénieuses et pénétrantes. Les théories conjecturales sont nombreuses et on leur confronte la
réalité du monde. Un caractère spéculatif étant affirmé, on favorise le progrès décisif de la
science. Le foisonnement des théories ne présente aucun danger, car celles qui échoueront à
décrire le monde de façon appropriée seront éliminées sans ménagement à l’issue de tests
d’observations ou autres. Quand on exige que les théories soient hautement falsifiées, cela
insinue que les théories doivent être clairement formulées et précisées. Une théorie formulée
150
Cf. CHALMERS, A.-F., op. cit., pp. 63-64.
en termes vagues ne permet pas de distinguer clairement ce qu’elle énonce. Soumise aux tests
d’observations ou d’expérimentation, elle est interprétée de manière à être cohérente avec les
résultats de ces tests. Ainsi Goethe note à propos de l’électricité que « c’est un néant, un zéro,
un point zéro, un point indifférent, mais qui se trouve dans tous les êtres manifeste et c’est en
même temps la source à partir de laquelle, à moindre occasion, un double phénomène se
produit, lequel n’apparaît que pour disparaître de nouveau. Les conditions qui déterminent
cette apparition sont infiniment différentes suivant la constitution des corps particuliers. »151
Cet énoncé est très vague et l’on manque un ensemble de circonstances physiques qui
pourraient être utilisées pour la falsifier. Elle est vague, indéfinie, infalsifiable. Il faut que la
théorie soit formée avec une clarté suffisante pour courir de risque de la falsification. Il en va
de même en ce qui concerne la précision. Plus une théorie est formulée avec précision, plus
elle devient falsifiable. Une théorie est meilleure quand elle est falsifiable, alors les énoncés
les plus précis sont meilleurs également. L’énoncé « les planètes décrivent des orbites autour
du soleil » est plus précis que l’énoncé « les planètes décrivent des boucles fermées autour
du soleil ». Par conséquent, il est plus falsifiable, car une orbite ovale falsifierait le premier
énoncé mais pas le second et pourtant toute orbite qui falsifie le second ipso facto falsifie le
premier152. Le savant n’aura jamais assez d’arguments pour affirmer qu’il détient la vérité, la
méthode scientifique et l’histoire des sciences sont des procédures rationnelles qui consistent
à se rapprocher de la vérité : « nous ne pouvons jamais avoir d’arguments assez bons pour
prétendre que nous avons réellement la vérité, nous pouvons avoir de forts arguments, et
raisonnablement bons, pour prétendre avoir progressé sur la voie de la vérité ; (…) nous
pouvons expliquer la méthode scientifique, et une grande part de l’histoire des sciences,
comme la procédure rationnelle qui consiste à se rapprocher de la vérité. »153
Pour Xénophane, les théories scientifiques sont des véritables conjectures. Ces
théories de la connaissance humaine sont dans le meilleur des moments possibles que
semblables à la vérité. Xénophane savait que la connaissance est toujours conjecturale, elle est
une opinion, une doxa. Xénophane affirme : « quant à la vérité certaine, nul homme ne l’a
connue ni ne la connaîtra, ni celle des dieux ni même celle de toutes les choses dont je parle.
Et même s’il se trouvait par hasard proférer l’ultime vérité, il ne le saurait pas lui-même ; car
tout n’est qu’un entrelacs de suppositions. »154
151
GOETHE, J.W, Traité de couleurs, Triades, Paris, 1973, p. 229.
Cf. CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 69.
153
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 68.
154
XENOPHANE, cité par POPPER, K., Des sources de la connaissance et de l’ignorance, Payot et Rivages,
Paris, 1998, pp. 135-136.
152
La quiddité des choses, selon Nicolas De Cues, est la vérité des êtres ; elle est
impossible à atteindre dans sa pureté : tous les philosophes l’ont cherchée et personne ne l’a
trouvée, telle qu’elle est ; et plus nous serons profondément doctes dans cette ignorance, plus
nous approcherons de la vérité elle-même.155
Cette approche de la vérité de Karl Popper est comparable à la perfection à laquelle
l’humanité entière aspire mais il est difficile de l’atteindre. Le scientifique est incapable
d’atteindre la vérité non seulement en beauté, en santé mais aussi en morale et dans tout autre
domaine scientifique.
D’emblée, tout progrès de la science consiste en un perfectionnement de la
connaissance qui existe déjà. La connaissance existante est modifiable, car l’homme espère
toujours se rapprocher de la vérité. La vérité est insaisissable, elle ne fait que reculer.
L’homme de science s’approche exclusivement de la vérité, celle-ci est essentiellement
approximative : « le but de la science est la vérité mais, puisqu’on ne peut jamais déclarer
d’aucune théorie qu’elle est vraie, mieux vaut considérer que le but de la science est
l’approximation de la vérité – la vérisimilitude.»156
2.3.3. LA NOTION DE LA VERISIMILITUDE157
La vérité est indomptable, insaisissable, imprenable, inaccessible tout en se révélant
approximativement. Karl Popper estime que la vérisimilitude est le but de la science, car elle
insinue que l’homme est incapable d’atteindre la vérité mais peut seulement l’approcher. La
recherche de la vérité, toujours inachevée, est réellement la véritable aspiration de la science
mais permanemment inatteignable : « Mon but est de réussir pour la vraisemblance, mais avec
un moindre degré de précision, quelque chose de proche de ce que Tarski a réussi pour la
vérité : la réhabilitation d’une notion du sens commun qui est devenue suspecte (…). Je désire
être en mesure de dire que la science vise à la vérité, au sens d’une correspondance aux faits
et à la réalité ; et je désire aussi dire que la théorie de la relativité est une meilleure
approximation de la vérité et que la théorie de Newton est une meilleure approximation de la
155
Cf. DE CUES, N., De la docte ignorance cité par BENMAKHLOUF, A., « K. Popper le savoir de
l’ignorance » in Centenaire Karl Popper, du 31 octobre au 1 novembre 2002, Faculté des sciences
humaines et sociales, Tunis, (décembre 2003), p.15.
156
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
18.
157
Karl Popper prouve que la vérisimilitude, concept auquel nous nous attachons à appeller vérisimilarité ou
quasi-vérité n’est pas la probabilité. J. Bouveresse veut que ce vocable soit traduit par vériproximité. Mais
J.R Lardmiral propose qu’il soit traduit par vérisimilarité. Tout au long de cette dissertation, nous
utiliserons vérisimilitude.
vérité que celle de Kepler. Et je désire être en mesure de dire ceci sans craindre que de
concept de proximité à la vérité ou de vraisemblance soit mal conçu du point de vue logique
ou dépourvu de sens. »158
Cependant, nous constatons que la science progresse grâce aux erreurs que nous
commettons, par conséquent, elles sont instructives. Dans cette optique, l’avancement de la
connaissance est à situer dans la modification des connaissances antérieures. Toute croissance
de nos connaissances est une suite des conjectures et réfutations. Nos connaissances
proviennent des erreurs commises et de notre désir de ne plus les commettre. Notre décision
consiste à les corriger, à les prendre comme soubassement pour avancer vers la vérité. Toute
théorie doit passer au crible de l’examen grâce à la tentative d’une falsifiabilité et cela nous
permet d’approcher la vérité. De cela, nous inférons que les théories sont des tentatives
sérieuses de repérer la vérité : « le concept de falsification est inséparablement lié à un
concept de la science, à un concept de vérité, à un concept de réalité. »159
La notion de vérisimilitude, de vraisemblance est à identifier à celle de la vérité. Dans
cette perspective, on doit la considérer comme ayant la signification de la vérité
approximative. Cette notion est obtenue en combinant l’idée de vérité et celle du contenu d’un
énoncé. La vérisimilitude peut revêtir, dans ce contexte, la notion d’idée plus ou moins bonne
de correspondance à la vérité : « la vérisimilitude d’un énoncé ou d’une théorie est la mesure
de sa proximité par rapport à la vérité et notre principal souci en science et en philosophie est
la recherche de la vérité par l’élimination de fausseté que comportent les conjectures. »160
La théorie scientifique doit être une hypothèse vraisemblable, car elle est toujours
susceptible d’être une remise en cause après le test. L’homme de science est autorisé à
préférer une théorie à une autre, car une théorie n’est autre chose qu’une hypothèse, un essai.
Elle est susceptible d’être corroborée. Jean – François Malherbe note que « la notion de la
vérisimilitude est, en effet, définie à l’aide de celle de vérité et, par conséquent, elle doit être
considérée comme équivalent plus précis de la notion de proximité de la vérité. »161
La théorie ne fait qu’approcher la vérité. La science se veut être un pèlerin. Dans son
pèlerinage, elle se rend compte que la vérité est inatteignable et que l’on ne peut que
l’approcher. La vérité approchée fournit une lueur informative, une vérisimilitude qui doit
158
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 70.
SEDMAK, Cl.,« Religion et falsification. Est-ce qu’on peut falsifier une religion ? » In Centenaire Karl
Popper du 31 octobre au 1 novembre, Faculté des Sciences humaines et sociales, Tunis, (décembre 2003), pp.
75-76.
160
POPPER, K., la connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
319.
161
MALHERBE, J.-F., op. cit., p. 129.
159
manifestement pousser l’homme de science à la quête permanente. La théorie ne visant que la
vérisimilitude devient meilleure et ouvre une brèche aux autres, étant donné qu’elle est prête à
la falsification. Ce faisant, la vérisimilitude passe réellement pour le véritable objet de la
science. La fugacité de la vérité concourt à la confirmation de l’objet de la science comme la
vérisimilitude. Aucune théorie ne peut traduire la vérité. Elles se présentent exclusivement
comme une approximation de la vérité. Pour Karl Popper, la science est une quête continuelle
et critique de la vérité. La science n’est ni un système d’énoncés certains ni un système
tendant progressivement vers un état final. Les théories ne font que s’approcher de la vérité
dans la mesure du possible : « la vérisimilitude n’est pas un critère de vérité, (…) peut-être
faut-il prendre le concept de vérisimilitude comme explicans de l’explicandum (…). La
verisimilitude serait tout simplement un nom plus précis pour proximité par rapport à la
vérité. »162
Rien ne saurait rassurer a priori la vérité de nos théories ni la moindre prétention de
parvenir à la vérité : « Le progrès de la science ne repose en fin de compte sur rien d’autre que
sur elle-même, sur son propre mouvement ; l’affrontement logique entre les théories doit
permettre la victoire des plus audacieuses et des mieux testées, de celles dont on a de bonne
raison de penser, non pas qu’elles sont vraies mais qu’elles nous font faire un pas
supplémentaire vers la vérité. La raison n’est donc pas le pouvoir que nous aurions de justifier
nos savoirs : elle est l’autre nom de l’espace du débat critique. La tâche de la philosophie
n’est pas d’apporter à la science un fondement transcendantal mais d’éclairer ce processus
d’autodépassement, d’autotranscendance, par lequel celle-ci s’élève. »163
La vérisimilitude de la théorie B doit certainement être excédent du contenu de vérité
de B et de son contenu de fausseté. Cependant, la vérisimilitude ou le degré de vérité d’une
condition est -1 tandis que celle d’une tautologie est 0 ; la vérimilitude de tout énoncé
empirique est comprise entre 0 et -1. 164
L’idée de vérisimilitude, d’approximation de la vérité est dotée d’un même caractère
objectif et même caractère idéal régulateur que l’idée de vérité objective ou absolue. Dans le
progrès scientifique, il faut savoir exactement quand est-ce qu’une théorie a plus un degré de
vérisimilitude plus élevé que la théorie précédente. Une théorie récente doit être dotée d’un
degré de vérisimilitude dépassant normalement et manifestement la théorie déjà existante,
antérieure.
162
MALHERBE, J.-F., op. cit., p.124.
POPPER, K.., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
14-15.
164
Cf. MALHERBE, J.-F., op. cit., pp. 122-123.
163
La notion de la vérisimilitude insinue l’idée d’une société ouverte, car aucune
personne ne prétendrait être très savante et possèdant ou ayant atteint la vérité. Celle-ci n’est
qu’une vérisimilitude. Dans cette société ouverte des scientifiques, l’intersubjectivité ne peut
vraiment pas autoriser l’existence d’un hyper savant qui se leurrerait dépositaire d’une vérité,
fin ultime de la science. Elle se présente comme un mouvement eschatologique de toute la
communauté scientifique en vue de sa réalisation. L’usage de la notion de vérité pousse les
scientifiques à comprendre exactement que le progrès scientifique est
véritablement un
mouvement, un processus continuel, une quête inachevée. Néanmoins, tout accroissement de
connaissance se réalise en un perfectionnement de la connaissance existante, laquelle est
modifiée dans l’espoir de se rapprocher de la vérité : « le but de la science étant restreint à la
vérisimilitude, nous savons que dire que le but de la science est la vérisimilitude présente un
avantage considérable sur la formule peut-être plus simple selon laquelle le but est
complètement atteint une fois que l’on a énoncé l’indubitable vérité que toutes les tables sont
tables ou que 1+1=2 (…). La recherche de la vérisimilitude présente donc un but plus clair et
plus réaliste que la recherche de la vérité. » 165
La vérisimilitude peut être définie ou réduite à l’aide des mots comme contenu de
vérité, contenu de fausseté, probabilité logiques. La justification ne peut jamais être le but de
la philosophie ni de la science. C’est la raison pour laquelle, il faut proposer des théories qui
s’approchent un peu plus de la vérité que celles des prédécesseurs. Etant donné qu’aucune
théorie n’a la prétention de se déclarer vraie, la vérisimilitude ou approximation de la vérité
ipso facto s’impose, c’est dans ce contexte que la philosophie devient celle de l’émergence.
Les figures ci-dessous, montrent que la science ne prétend pas atteindre la vérité. Elle
est en quête d’elle-même si elle demeure inatteignable. La science s’approche de la vérité, elle
est dans la vraisemblance. La recherche compétitive de la vraisemblance est une compétition
comparative des contenus de fausseté, tout se réalise comme si en science les guerres ne sont
jamais gagnées mais elles sont toujours perdues, comme le soutenait Winston Chuchill.166
165
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
115-116.
166
Cf. POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 93.
T
tttTT
F
T 1
Figure
F
Figure 2
Ces deux figures (n° 1 & 2) indiquent respectivement que tous les énoncés divisés en
F
sous surface égale T représentant les énoncés vrais et F les énoncés faux. Curieusement, la
deuxième figure montre que la partie de F est manifestement grande par rapport à celle de T.
La tâche de la science c’est de cibler les théories, par la méthode qui consiste à proposer des
théories ou conjectures qui nous semblent prometteuses et d’en mettre le moins possible dans
la zone du faux F. La vérité n’est pas l’unique propriété importante de nos théories
conjecturales. Dans les sciences nous sommes à la recherche d’une vérité qui nous intéresse et
nous éclaire et des théories qui offrent des solutions à des problèmes pertinents. On est
autorisé à affirmer que le but de la science, c’est la recherche d’une plus grande
vérisimilitude.167
2.3.4. LA NOTION DE LA CORROBORATION
Une théorie entendue comme hypothèse, comme essai, est corroborée si elle a
victorieusement résisté aux tests les plus sévères sans être remplacée par une théorie rivale. La
corroboration indique une hypothèse provisoirement acceptée par la communauté scientifique.
Toutes les fois que les savants seront unanimes sur une quelconque théorie, celle-ci est à
hisser au rang des théories corroborées, car elle offre une capacité provisoire de résister à des
tests systématiques et rigoureux dans la progression scientifique. Les analyses négatives
pourront progressivement l’éliminer postérieurement. Au fur et à mesure qu’une théorie
résiste aux tests rigoureux et systématiques, sans qu’une autre ne la remplace à l’instant même
en vue du progrès scientifique, on est dans le droit d’affirmer que cette théorie a réalisé ses
preuves c'est-à-dire qu’elle a été corroborée. En réalité, une théorie corroborée insinue qu’elle
167
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
pp. 102 et115.
est réellement compatible avec le système d’énoncés de base accepté. On arrive alors à son
degré positif de corroboration. La mise à l’épreuve d’une théorie conduit certainement à sa
corroboration ou sa falsification.168
Cette notion de corroboration d’une théorie se veut une évolution concise de l’état de
la discussion critique d’une théorie : « Il porte sur la manière dont la théorie résout les
problèmes dont elle traite, son degré de testabilité, la rigueur des tests qu’elle a subis et la
manière dont elle les a supportés. La corroboration (ou le degré de corroboration) est donc un
bilan d’évaluation de ses résultats passés. Comme la préférence, elle est de nature
comparative : en général, on peut seulement dire que la théorie A a un degré de corroboration
plus élevé (ou plus faible) que la théorie concurrente B à la lumière de la discussion
critique(…) elle n’est qu’un bilan des résultats passés, elle porte sur une situation qui peut
nous induire à préférer certaines théories à d’autres. Mais elle ne doit absolument rien des
résultats futurs d’une théorie, ni de sa fiabilité (…). Le degré de corroboration est un moyen
d’établir la préférence eu égard à la vérité. »169
La falsifiabilité d’une théorie croît et décroît tenant compte de son contenu informatif
et de son improbabilité. La meilleure hypothèse est celle qui se révèle, dans plusieurs cas, la
plus préférable, c'est-à-dire la plus improbable. La notion de corroboration se veut une voie
visant à établir la préférence eu égard à la vérité.
Considérons l’expression
~ (P V Q) ≡ (~ P ٨ ~ Q) en la vérifiant nous
devons parvenir à la tautologie. Avec la corroboration de la théorie d’Einstein et
l’héliocentrisme de Galilée, le degré de corroboration de l’énoncé A : le soleil se lève à l’Est
une fois toutes les vingt-quatre heures, s’est fortement accru. Car, de par lui-même, A n’est
pas vraiment bien testable ; mais la théorie d’Einstein et l’héliocentrisme sont, elles, bien
testables. Et si elles sont vraies, A sera vrai également : « Un énoncé S, dérivable d’une
théorie bien testée T, aura, dans la mesure où on le considère comme une partie de T, le même
degré de corroboration que T ; et, si S est dérivable, non pas de T mais de la conjonction de
deux théories, disons T1 et T2, il aura, en tant qu’il fait partie de ce deux théories, le même
degré de corroboration que la moins bien testée des deux. Il se peut cependant que S, pris
séparément, ait un degré de corroboration très bas. »170
168
Cf. POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris, 1973, pp. 29 et 271-272 .
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
61-62 et 64.
170
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
64.
169
La logique de la corroboration n’est aucunement une logique qui conduit à la certitude.
Les théories demeurent toujours conjecturales ; mais s’agissant de celles qui ont résisté à la
falsification, nous pouvons les rendre progressivement plus solides, en les soumettant à une
critique rigoureuse et à de nouveaux tests déterminés de façon appropriée et toujours plus
sévères. Le critère de corroboration est à chercher dans la cohérence des théories, leur
simplicité, la richesse de leur contenu, leur universalité. On fondera la corroboration sur les
tests auxquels les théories sont soumises ; la préférence dépendra de la variété de ces tests,
leur précision et aussi leur capacité d’explication des faits qui n’ont pas été pris en compte
dans la formulation de la théorie et dont même certains n’avaient pas encore été observés.
La raison majeure qui préside au fait que nonobstant leur corroboration progressive,
les théories demeurent conjecturales, est que la science est contrainte d’adopter des
conventions. Pour progresser, la science doit admettre l’invalidité des lois de la nature dans le
temps et dans l’espace. Karl Popper atténue sa règle de la falsification par convention. On doit
surseoir un certain temps à la condamnation d’une théorie falsifiée c'est-à-dire réserver la
possibilité d’une nouvelle interprétation du test falsifiant qui conduirait à le reconnaître
comme positif, le recours à des degrés de corroboration et de préférence est à considérer
comme une convention.171
Ces conventions ne sont pas arbitraires, car elles sont raisonnables et se révèlent
fécondes. Elles sont déjà érigées en règles méthodologiques. Comme on doit adopter de telles
règles, la démarche scientifique ne peut pas être considérée comme entièrement logique mais,
une fois ces règles posées, elles se développent de façon logique. Cette logique de la science
laisse place aux hypothèses, même les plus audacieuses, car elle est une logique des tests. Elle
peut accueillir les hypothèses les plus diverses sans avoir à se préoccuper de leur légitimité. Il
suffit qu’elles soient objectives et testables.
2.4. LE PROGRES SCIENTIFIQUE
La science est à considérer comme celle qui se réalise grâce à une démarche avançant
à travers la formulation des problèmes. Le progrès du savoir repose sur la transformation
d’un savoir antérieur. La pertinence de toute découverte de la théorie nouvelle est à situer
dans la possibilité de modifications des théories antérieures : « la science ne commence que
s’il y a des problèmes (…) La vérité ou conjecture touchant la vérité ne présentent d’intérêt
171
Cf. RUSSO, Fr., art. cit., p. 393.
pour la science que si elles apportent une solution à un problème, un problème ardu, fécond et
assez profond. » 172
Toute solution d’un problème doit donner naissance à un autre nouveau problème qui,
à son tour, a besoin d’une solution ; le bienfait du phénomène est en rapport avec la difficulté
du problème initial, source de l’ignorance : le fait que notre connaissance ne peut se présenter
que finie et pourtant l’ignorance est nécessairement infinie.173
La science trouve son fondement dans les problèmes, en rapport avec l’explication du
comportement de certains aspects du monde ou de l’univers. Les hypothèses falsifiables sont
proposées par le scientifique en tant qu’elles apportent des solutions aux problèmes. Les
conjectures sont ensuite critiquées et testées. Certaines seront rapidement éliminées, d’autres
s’avéreront plus fructueuses et seront soumises à une critique encore serrée et à des tests.
Quand une hypothèse a surmonté, avec succès, une batterie étendue de tests rigoureux, elle se
trouve falsifiée. Le processus se poursuit ainsi indéfiniment. On ne peut jamais affirmer
qu’une théorie est vraie, même si elle a surmonté victorieusement des tests rigoureux, mais on
peut heureusement soutenir qu’une théorie actuelle est supérieure à celles qui l’ont précédée
au sens où elle est susceptible de résister à des tests qui avaient falsifié celles qui l’ont
précédée. Le progrès de la science est un processus qui mène des problèmes aux hypothèses
spéculatives, à leur critique et à leur falsification éventuelle puis à des problèmes
nouveaux. Par exemple : « comment les chauves-souris sont-elles capables de voler avec tant
de dextérité pendant la nuit, alors qu’elles ont les yeux tout petits et très faibles ? Pourquoi la
hauteur de mercure d’un simple baromètre est-elle plus faible à haute altitude qu’à basse
altitude ? »174 Il est vrai que, dans le passé, les hommes des sciences ont été confrontés à des
problèmes de ces genre qui trouvent leur fondement dans la problématique des théories
comme les animaux tout comme les humains voient au moyen de leurs yeux ; de la théorie de
vide qui servait à expliquer pourquoi le mercure ne chute pas dans le tube d’un baromètre.175
Nous commençons par un problème « les chauves- souris sont capables de voler avec
aisance et à grande vitesse, en évitant les branches des arbres, les fils téléphoniques, les autres
chauves-souris, en outre, elles ne volent pratiquement que de nuit. »176 Cette affirmation pose
problème, car elle va à l’encontre de la théorie plausible et on peut estimer qu’elle est
172
POPPER, K., Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris ,
2006, pp. 329 et 340.
173
Cf. POPPER, K., Des sources de la connaissance et de l’ignorance, Payot et Rivages, Paris, 1998, pp. 150151.
174
CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 70.
175
Cf. CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 70.
176
CHALMERS, A.-F., op. cit., p. 71.
falsifiée. Il faut résoudre ce problème en émettant une conjecture ou une hypothèse qu’on
doit tester.
La vérité scientifique, c’est la solution toujours provisoire, de contradictions entre les
théories anciennes et les faits nouvellement découverts. La science est à base d’expériences
méthodiquement organisées, vérifiables et contrôlables à volonté, à l’universalité et à la clarté
qu’on observe au cœur de la tendance au vrai. Cela tient à la structure de l’intelligibilité
scientifique
et
des
méthodes
scientifiques
correspondantes.
On
doit
vérifier
expérimentalement une hypothèse scientifique. On doit vérifier les hypothèses sur les
données. L’hypothèse est une construction de l’esprit, une œuvre de l’esprit, ayant un sens
pour l’esprit, elle est la lumière, nécessaire à l’esprit, sans voir clair dans les faits ; mais elle
n’est pas une construction en l’air. L’esprit va à l’encontre des faits, muni de l’hypothèse,
pour que le langage des faits devienne un langage intelligible grâce à la vérification
expérimentale, l’objectivité, l’universalité et la clarté constituent l’idéal de tout savoir,
s’étayent mutuellement et tendent à se superposer exactement. La clarté intelligible apporte
elle-même de caractère d’objectivité,
puisqu’elle se laisse vérifier et contrôler par les
données.
2.5. LA METHODOLOGIE SCIENTIFIQUE POPPERIENNE
La discussion critique des théories compétitives est la caractéristique essentielle de la
science. Elle va au-delà de la praxis. La science est essentiellement critique, plus conjecturale
et moins certaine d’elle-même. Cependant, un penseur scientifique ingénieux doit absolument
déceler les failles dans toutes théories scientifiques et, par surcroît, des possibilités auxquelles
personne n’avait pensé avant lui et que personne n’avait envisagé d’exclure ou d’admettre. Du
point de vue de la connaissance objective, toutes les théories restent donc conjecturales177 :
« le fait que nous en acceptons une bonne partie, pas simplement à titre de certitude pratique
mais comme certaine en un sens exceptionnellement fort du terme ; au sens où elle est bien
mieux testée que les innombrables théories auxquelles nous confions continuellement nos
vies. »178
177
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 145.
178
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
145.
Le plus souvent nous échouons et nous périssons avec nos conjectures erronées. Mais
parfois nous nous approchons suffisamment près de la vérité pour survivre avec nos
conjectures. Une fois que le langage descriptif et argumentatif est à la disposition de
l’homme, ce dernier est capable de critiquer les conjectures systématiquement. Karl Popper
estime que la méthodologie de la vérifiabilité utilisant le couple hypothèse-confirmation,
soutenue par les positivistes logiques, est insuffisante. Il
propose une nouvelle
méthodologie de recherche en vue du progrès scientifique, à savoir : le couple conjecturesréfutations.
La conjecture est réellement une
hypothèse, une supposition qui s’avère
probablement vraie. Néanmoins, les mathématiciens identifient l’hypothèse en soutenant
qu’elle est un ensemble des théorèmes manifestement indémontrables mais considérés comme
probablement valides. La théorie est une immense conjecture, hypothèse d’ensemble dont les
lois particulières peuvent illico s’inférer. Les théories ne sont ni évidentes ni démontrées ; la
théorie est et demeure toujours provisoire, conjecturale. Elle n’est jamais achevée, elle est
permanemment inachevée. Néanmoins, la réfutation est une opération logique grâce à laquelle
on démontre la fausseté d’une thèse. L’hypothèse n’est pas une conjecture gratuite, elle se
veut une explication rationnelle susceptible d’établir l’intelligibilité. Le savant ne répond pas
directement et définitivement à la question pourquoi par une proposition affirmative. Mais il
procède par le détour d’une question nouvelle. Il doit demander le pourquoi pas comme le
souligne Gaston Bachelard. A ce pourquoi pas de l’hypothèse, les procédures de vérification
n’apportent pas une réponse définitive. Et d’ailleurs, quand les conclusions tirées de la théorie
se révèlent contraires aux faits expérimentaux, la théorie est réellement infirmée, réfutée. Karl
Popper soutient qu’une hypothèse ne saurait être définitivement vérifiée. La nature peut
répondre non, elle ne peut pas répondre par un oui définitif. Dans cette optique Gaston
Bachelard précise que des nouveaux faits polémiques peuvent surgir et contraindre les
travailleurs de la preuve à compliquer la théorie initiale ou à la modifier diamétralement.
Il est clair que l’aventure scientifique est une société collective toujours ouverte, elle
est un progrès illimité ; ce progrès indéfini n’est pas une accumulation des faits mais il est
une succession de causes. Une vérité scientifique, une théorie scientifique est une solution
toujours provisoire, conjecturale des contradictions entre les théories anciennes et les faits
nouvellement découverts. Il est possible qu’on intègre les faits nouveaux à l’ancienne théorie,
à l’ancien paradigme, tantôt la théorie elle-même est bouleversée. Certes, que Karl Popper a
utilisé le concept de la falsifiabilité comme critère de scientificité d’une théorie ou d’une
hypothèse en vue d’être un véritable critère lui servant de différenciation ou de tremplin pour
résoudre la question : comment peut-on établir une distinction entre des théories scientifiques
et d’autres ensembles des propositions ? Un jugement est falsifiable si la classe des
propositions de base susceptible de le falsifier n’est pas vide c’est-à-dire que si l’on peut
donner des circonstances où le jugement peut s’avérer faux. Les théories scientifiques doivent
être soumises à des tests stricts ; par conséquent, elles doivent se laisser falsifiées. Tout
examen concret d’une théorie consiste à tenter de la réfuter. Les théories sont une tentative
sérieuse de découvrir la vérité, car les falsifications montrent des points où la théorie touche à
la réalité. Le concept de falsifiabilité est inséparablement lié à celui de la science, de la vérité
et de la réalité.
A la différence de Francis Bacon, de René Descartes et des néo- positivistes logiques,
Karl Popper propose le paradigme de falsifiabilité comme critère de scientificité. Pour lui, une
hypothèse est générale et précise, plus elle exclut des états de choses possibles, plus son degré
de falsifiabilité est grand. Ce paradigme est une attitude scientifique qui donne lieu à
l’avènement d’une vérité scientifique toujours approchée. Le caractère progressif de la
méthodologie scientifique doit beaucoup à la méthodologie conjectures-réfutations dont le
critère de démarcation est la falsifiabilité. La science progresse grâce à une méthode de
contrôle : « La méthode scientifique, c’est la méthode des conjectures audacieuses et des
tentatives ingénieuses et rigoureuses pour les réfuter. »179
La méthode scientifique doit s’appesantir sur le fait que nous devons rechercher le
contenu de fausseté de notre meilleure théorie, c’est-à-dire en essayant de la réfuter
rigoureusement à la lumière de toute notre connaissance objective et de toute notre
ingéniosité. Il est très fort clair qu’une théorie puisse être fausse même si elle passe tous ces
tests du moment. Cette possibilité est ouverte, car nous ne cherchons que la vérisimilitude,
« mais si elle passe tous ces tests, il nous est alors permis d’avoir de bonnes raisons de
conjecturer que notre théorie dont le contenu de vérité est plus grand que celui de la
précédente, puisse ne pas avoir un contenu de fausseté plus grand. »180
Si la nouvelle théorie n’est pas réfutée nous pouvons prétendre tenir une des raisons
objectives de conjecturer que la nouvelle théorie constitue une meilleure approximation de la
vérité que l’ancienne. On peut voir dans la vérisimilitude entre les théories concurrentes un
point de vue empirique, une comparaison entre les contenus de fausseté des théories
compétitives. La méthode des conjectures ou hypothèses est celle que Karl Popper estime en
utilisant le couple conjecture-réfutation. Il en est un partisan convaincu.
179
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p.146.
180
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
147.
2.6. CONCLUSION
Ce chapitre a porté sur la théorie de la vérité chez Karl Popper. Nous avons essayé de
présenter les influences subies par Karl Popper entre autres la théorie de la relativité de Albert
Einstein, la conception de la notion de la vérité sémantique d’Alfred Tarski, la conception de
la science selon le cercle de vienne. Les positivistes logiques se proposent de mettre sur pied
une théorie scientifique exempte de toute spéculation métaphysique. Ils estiment que le
soubassement de la science, de la connaissance est dorénavant l’expérience sensible. Ils
optent pour un critère de démarcation, à savoir : la vérifiabilité, basée sur le couple hypothèseconfirmation ; critère de démarcation entre science et non-science. Il s’agit d’un critère de
démarcation qui s’autorise de confirmer, par le truchement de l’expérience, les théories
scientifiques. La théorie, une fois confirmée ou justifiée par l’expérience, devient une théorie
scientifiquement vraie, certaine, établie. Toute autre théorie échappant à l’expérience pour
être justifiée, vérifiée, relève de la métaphysique, ipso facto elle n’est pas scientifique, car
toute métaphysique est un non-sens, vouée à être livré aux flammes.
Karl Popper prouve que le critère de vérifiabilité n’en est pas un et qu’il faudrait
s’éloigner de la méthode inductive et s’appesantir sur la méthode déductive, en utilisant
comme critère de démarcation la falsifiabilité, basée sur le couple conjecture-réfutation, car
toute théorie doit être falsifiée et dans ce contexte, aucune ne peut prétendre être vraie mais
elle l’est provisoirement en attendant un test ; c’est dans ce contexte qu’il parle de la vérité
approximative ou vérisimilitude.
La méthodologie de Karl Popper est celle de contrôle se fondant sur le couple
conjectures-réfutations et dont le critère de démarcation est la falsifiabilité. Elle s’oppose
farouchement à tous les travaux utilisant les notions de la logique inductive. Cette
méthodologie de contrôle est une conception selon laquelle une hypothèse ne peut être que
soumise à des tests empiriques et seulement après avoir été avancée. Cette procédure est
déductiviste.
CHAPITRE TROISIEME
LA CONNAISSANCE SANS SUJET CONNAISSANT181
3.0. INTRODUCTION
Parvenir à la critique de la théorie revient à reconnaître les limites, les possibilités de
la valeur de cette théorie. Il s’agit de la valeur de la connaissance tant sur le plan théorique
que pratique, car très souvent, il nous arrive à apprendre ou à représenter la réalité pour que
notre action s’y conforme. La connaissance est une valeur, même si elle est totalement
approximative, fragmentaire ; elle est donc susceptible d’insuffisances. Mais elle peut s’avérer
aussi erronée, illusoire, inexacte.
Toute connaissance n’est pas le produit de la pensée, mais elle peut provenir aussi
d’une perception sensible ou d’une intuition. L’expérience de nos sentiments est aussi une
connaissance. Ces connaissances d’ordre empirique ou d’ordre idéel nous fournissent une
épistémologie avec un sujet connaissant où le sujet se présente comme connaisseur, détenteur
de la vérité absolue. Il s’agit alors d’une épistémologie subjective à laquelle Karl Popper
oppose l’épistémologie sans sujet connaissant ou épistémologie objective, car la vérité est
toujours fugitive et donc on ne peut que s’en approcher : « Je voudrais maintenant faire la
distinction entre deux sortes de connaissances : « la connaissance subjective (…) et la
connaissance objective. »182
Dans ce chapitre, nous nous proposons d’exposer la connaissance subjective ainsi que
la critique poppérienne y relative. Nous présenterons la notion de la philosophie pluraliste,
c’est-à-dire la théorie de trois mondes, ainsi que l’épistémologie objective.
Il s’agit de l’approche épistémologique de Karl Popper qu’il nomme épistémologie évolutionnaire ou
évolutionniste, objective, pessimiste, problématiste par opposition à l’épistémologie traditionnelle,
subjective, optimiste comme celle de Bacon, de Descartes… qu’il récuse. Dans cette optique, il qualifie ces
épistémologues des opimistes, des croyants.
182
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
136.
181
3.1. LA CONNAISSANCE SUBJECTIVE
L’épistémologie subjective prétend atteindre le but de la science. Elle soutient la thèse
selon laquelle, le sujet est totalement capable d’atteindre la vérité. Berkeley, Locke, Russel et
Moore partagent avec René Descartes la vision selon laquelle les expériences subjectives
conviennent comme point de départ ou fondement solide de la connaissance. La théorie
subjectiviste de la connaissance prouve que la vérité est manifestement saisissable, cernable,
accessible in extenso : « Le rationalisme cartésien pose que l’accès à la vérité est l’acte d’un
sujet unique, mais qui représente aussi bien tout sujet en tant que pensant. » 183
L’épistémologie subjective se propose de prouver que le sujet connaît et qu’il est
réellement capable d’atteindre la vérité dans sa totalité. Dans cette même perspective, les
scolastiques soutenaient l’existence d’une certitude comme fermeté d’une affirmation qui
exclut la crainte de se tromper. Elle est absolue et à l’abri de tout risque d’erreur. Saint
Augustin s’élève du moi à Dieu et fonde la vérité de la connaissance sur une illumination de
l’esprit par les idées divines. La définition thomiste de la vérité insinue un rapport entre
l’intelligence et l’être, c’est-à-dire que quand nous connaissons quelque chose comme vrai,
c’est la chose qui est connue et elle est dans un rapport de vérité avec cette chose. L’existence
de la vérité est une évidence, car la vérité est fondée sur l’être. Le propre de la connaissance
humaine est de saisir l’être dans les choses. Cette appréhension peut être correcte, car les
choses peuvent être saisies dans leur vérité. En fait, saisir la vérité et connaître l’être d’une
chose, c’est la même chose.
L’épistémologie subjective de René Descartes met en exergue le doute méthodique,
un chemin qui conduit immanquablement à une vérité indubitable. Ce mouvement vers la
vérité certaine, absolue doit déboucher sur deux certitudes, à savoir celle du cogito ergo sum
et celle de Dieu. Je pense donc je suis est une vérité ferme et rassurée. Toutes les suppositions
des sceptiques ne peuvent, en aucun cas, l’ébranler. C’est une vérité certaine, infaillible.
Cependant, la véracité divine est une certitude indubitable, car tout ce qui est en nous de réel
et de vrai vient d’un être parfait et infini. Nos idées claires et distinctes ne peuvent, en aucun
instant, nous fournir la garantie d’être vraies, si elles ne sont pas soutenues par Dieu. Ainsi,
Dieu s’avère être la base ou le fondement de toutes nos connaissances, nos certitudes ; toutes
183
MICHEL, A., Dictionnaire de la Philosophie, Encyclopedia Universalis, Paris, 2000, p. 1594.
nos vérités dépendent du bon plaisir de Dieu. La raison, dotée de la capacité d’atteindre la
vérité, est une parcelle de l’intelligence de Dieu.
L’épistémologie subjective notamment celle de Descartes, Locke, Berkeley, Hume
prouve que la vérité est garantie par l’origine des idées, dernière instance sous la surveillance
de Dieu : « C’est le caractère direct ou immédiat de nos idées ou impressions, ou perceptions,
qui est le sceau divin de leur vérité et qui offre la meilleure assurance au croyant. » 184
Poursuivant son raisonnement, il précise que nous ne sommes pas justifié ou même
autorisé à proclamer la vérité d’une théorie ou d’une croyance, en prétextant le caractère
immédiat ou direct de cette croyance. Prétendre que le caractère immédiat ou direct d’une
croyance établit sa vérité, ou qu’il constitue un critère de vérité, c’est l’erreur fondamentale de
l’idéalisme.185
Pour Aristote et les empiristes, la perception sensorielle est la source de la
connaissance. Celle-ci n’a qu’un seul et unique fondement, l’expérience. Héraclite d’Ephèse,
Protagoras et Epicure ont focalisé leur attention sur les sens, considérés comme le véritable
fondement de notre connaissance de l’être. Le nominalisme de Guillaume d’Occam a abondé
dans le même sens. Pour lui, les concepts ne sont que des noms ou des termes désignant des
collections d’individus donnés par l’expérience. De son côté, Condillac estime que toute
connaissance doit être ramenée à la sensation transformée de diverses manières. Nos idées ne
sont qu’une sensation transformée. Bacon soutient que, dès le début, les sens et la raison
s’allient et se contrôlent pour conquérir la vérité.186
La connaissance met l’accent sur le fait que certaines composantes du savoir, depuis
les propositions simples jusqu’aux théories complexes, ont des propriétés et des
caractéristiques qui dépassent les croyances et les degrés de connaissance des individus qui
les conçoivent. La connaissance objective s’oppose à la connaissance subjective qui considère
la science en termes des croyances individuelles. Dans l’épistémologie subjective, l’individu
considère la connaissance comme un agencement particulier de croyances possédées par les
individus et qui se situent dans leurs esprits. L’usage commun renforce un point de vue. La
connaissance subjective pose un problème majeur, celui de la régression infinie de causes.
Cela remonte jusqu’à Platon.
184
POPPER, K., la connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
129-130.
185
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p.130.
186
Cf. THONNARD, J.-F., op. cit., p. 460.
Pour justifier un énoncé quelconque, on aura recours à d’autres énoncés qui en
constitueront la preuve. Mais cela fait apparaître le problème de la justification de ces énoncés
même qui constituent la preuve. Si nous les justifions en faisant appel à des énoncés donnés,
le problème se répète et continuera à se répéter tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de
couper court à cette menace de régression infinie. D’une manière concrète, à supposer que
nous nous mettions à justifier la première loi de Johannes Kepler, selon laquelle les planètes
gravitent autour du soleil en suivant des orbites elliptiques. Si nous procédons en montrant
que sa validité approximative est une conséquence des lois de Newton, notre justification est
incomplète tant que nous ne justifions pas les lois de Newton. En tentant de justifier les lois
de Newton, tout en recourant à une preuve expérimentale, alors se pose la question de la
validité de cette preuve expérimentale. Pour éviter cette régression infinie, il faut disposer
d’un jeu d’énoncés qui n’ont pas besoin d’être justifiés en faisant appel à d’autres énoncés
mais qui, en un certain sens, se justifient d’eux-mêmes. Un tel jeu constituerait le fondement
de la connaissance et toute croyance, destinée à recevoir le statut de connaissance, devrait être
justifié en remontant jusqu’à ces fondements.
Si l’on décompose ainsi le problème de la connaissance, deux traditions rivales vont
apparaître : le rationalisme et l’empirisme. Les êtres humains, comme individus, disposent de
deux façons d’acquérir une connaissance sur le monde. La pensée et l’observation. Si nous
privilégions le premier mode sur le second, nous obtenons une théorie rationaliste de la
connaissance ; dans le cas contraire, l’empirisme. Pour le rationalisme, les véritables
fondements du savoir sont accessibles à l’esprit humain. Les propositions qui constituent ces
fondements se révèlent vraies de façon claire, distincte, elles constituent leurs propres preuves
à l’issue d’un raisonnement et d’un examen approfondis. L’illustration de la conception
rationaliste du savoir est la géométrie euclidienne. Les fondements de ce corps particulier du
savoir sont des axiomes, des énoncés comme : « deux points ne peuvent être reliés que par
une seule droite ». Il est admissible de soutenir que de tels axiomes sont vrais en eux-mêmes,
même si, d’un point de vue moderne, certains ont été remis en question. Une fois que leur
vérité a été posée, tous les théorèmes qui en découlent par déduction seront également vrais.
Les axiomes, évidents par eux-mêmes, constituent les fondements sûrs qui justifient le savoir
de la géométrie.
Pour un empiriste, on accède aux véritables fondements du savoir par les sens. Les
énoncés, ainsi établis, constituent les fondements sur lesquels le savoir ultérieur se construit
par une certaine forme d’inférence inductive. La connaissance subjective s’inscrit dans la
logique épistémique qui s’adonne à des formules selon lesquelles « tel connaît ceci » ou bien
« tel croit ceci ou tel croit cela ». Si quelqu’un affirme : « je connais, je maîtrise les
mathématiques », alors nous pouvons symboliser cette prétention à la vérité par: K a p , K
désignant les relations de connaissance, et a est le sujet connaissant et p la proportion ou l’état
de choses connu ou cru.187
3.2. LA CRITIQUE POPPERIENNE DE LA CONNAISSANCE SUBJECTIVE
Karl Popper prend le contre-pied de l’épistémologie subjective, en estimant que nous
ne pouvons pas juger si nos théories sont vraies. Cette logique n’a rien de commun avec la
connaissance scientifique. Un scientifique ne connaît ni ne croit, car le scientifique essaie de
comprendre la proposition, il propose un test expérimental pour la proposition, il essaie
d’axiomatiser… et donc il n’a aucune certitude d’affirmer qu’il connaît : « L’évaluation a
posteriori d’une théorie dépend entièrement de la manière dont elle a résisté à des tests
rigoureux et ingénieux. Mais des tests rigoureux, à leur tour, présupposent un haut degré de
testabilité et de contenu a priori. Ainsi l’évaluation a posteriori d’une théorie dépend-elle
largement de sa valeur a priori : on n’a pas besoin de tester les théories a priori intéressantes
–de faible contenu- parce que leur bas degré de testabilité exclut a priori la possibilité qu’on
puisse les soumettre à des tests intéressants qui aient une véritable portée. Les théories
hautement testables sont intéressantes et importantes même si elles échouent quand elles
passent leurs tests, nous pouvons apprendre énormément à partir de leur échec. Leur échec
peut être fécond, car il peut nous donner des indications effectives sur la manière de
construire une meilleure théorie. »188
Karl Popper réalise une comparaison des théories avec la théorie de la sélection
naturelle de Charles Darwin. Il estime que, tout comme les théories, les organes et leurs
fonctions constituent des essais d’adaptation au monde dans lequel nous vivons. Comme les
théories ou les outils, les nouveaux organes et leurs fonctions ainsi que les nouveaux types de
comportements exercent leur influence sur le premier monde qu’ils peuvent contribuer à
changer. De nouveaux comportements ou de nouveaux organes peuvent aussi conduire à
l’émergence de nouveaux problèmes. De cette manière ils peuvent influencer le cours
ultérieur de l’évolution : « La vie progresse comme la découverte scientifique, à partir des
vieux problèmes vers la découverte de problèmes nouveaux auxquels nul n’avait songé. Et ce
187
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 225.
188
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
229-230.
processus -celui de l’invention et de la sélection- contient en lui-même une théorie rationnelle
de l’émergence. Les étapes de l’émergence qui conduisent à un nouveau niveau sont en
premier lieu les nouveaux problèmes (P2) (réels par l’élimination de l’erreur (EE) d’une
solution théorique à l’essai (TT) d’un vieux problème (P1). » 189
Il sied alors d’abandonner la prétention à la vérité d’une théorie. Toutes les théories
sont des hypothèses et susceptibles d’être renversées. Nos discussions critiques sur les
théories sont imprégnées de l’idée de découvrir une théorie explicative vraie et puissante,
inébranlable. Nous procédons à justifier nos préférences en recourant à l’idée de vérité ;
celle-ci joue le rôle d’une vérité régulatrice. Nous falsifions pour la vérité en essayant
d’éliminer la fausseté. Le fait de ne pas parvenir à fournir une justification de nos hypothèses
ne signifie pas qu’il est impossible que nous ayons supposé, conjecturé la vérité, il se pourrait
que certaines de nos suppositions soient vraies. Dans cette perspective, toute connaissance est
hypothétique ; il faut rejeter toutes les prétentions à la vérité indubitable, absolue, comme la
certitude cartésienne, le principe de raison suffisante leibnizienne.
Il n’existe pas de certitude absolue, même si présentement les choses semblent avoir
fonctionné suffisamment bien par la plupart de nos besoins pratiques. Il faut abandonner la
quête de la certitude, comme base assurée de la connaissance. L’idée de vérité est absolutiste.
Cependant, il n’y a aucune prétention à une certitude absolue : nous sommes les chercheurs de
la vérité, mais nous n’en sommes pas les propriétaires.
Dans Des sources de la connaissance et de l’ignorance, Karl Popper qualifie
l’épistémologie subjective d’une épistémologie optimiste, car l’homme y prétend être doté de
capacité de reconnaître le vrai et de parvenir à la connaissance. Cela pousse au caractère
manifeste de la vérité. Pareil caractère est le soubassement de l’optimisme épistémologique de
la connaissance. A ce stade la vérité se présente comme cachée et l’homme se permet de la
mettre à découvert : « ôter son voile n’est sans doute pas aisé, mais, dès lors que la vérité nue
et révélée paraît, nous sommes en mesure de la voir, de la distinguer de l’erreur et de savoir
qu’elle est effectivement la vérité. »190
Les partisans de cette conception épistémologique optimiste, notamment Francis
Bacon et René Descartes, se plaisent dans ce caractère manifeste de la vérité au cours duquel
la vérité doit être dévoilée ou découverte, une fois dévoilée dans sa nudité, elle doit être
reconnaissable comme telle. L’épistémologie cartésienne optimiste se fonde sur la veracitas
189
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 223.
190
POPPER, K., Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Payot et Rivages, Paris, 1998, p. 24.
dei. C’est Dieu qui est le garant de la vérité, il rend la vérité manifeste. Chez Francis Bacon,
on parle de la veracitas naturae, la nature est un livre ouvert. Il faut l’étudier avec un esprit
pur et l’homme est épargné de la méprise. L’erreur provient d’un esprit doté des préjugés. Si
la vérité manifeste échoue, on pense aux puissances malignes qui se sont liguées pour la
combattre. Cette démarche de l’épistémologie optimiste dotant la vérité d’un caractère
manifeste est erronée. Mais de sa fausseté découlent quelques résultantes, notamment : le fait
qu’elle soit considérée comme la source d’un essor intellectuel, elle stimule l’homme à la
réflexion. Ce dernier est
arriver à se rendre compte que, grâce à sa connaissance, il
s’affranchit. La même orientation épistémologique a généré la science moderne et a nourri la
lutte contre la censure et l’oppression de la liberté de la pensée. Nous estimons qu’elle se
présente comme une base de la conscience non conformiste de l’individualisme et dote la
dignité humaine d’un nouveau contenu.
Les hommes s’estiment responsables des autres et
autoresponsables en vue du progrès. Cette épistémologie optimiste de Francis Bacon, de
René Descartes et des Viennois est une approche contestable et erronée mais elle a alimenté
une multitude d’idées légitimes. Dès lors bien d’épistémologues déçus partiront de leur
optimisme antérieur pour construire une merveilleuse épistémologie, inspirée du
pessimisme.191
Karl Popper remet en question l’épistémologie subjective, caractérisée par un sujet
connaissant. Il postule l’épistémologie sans sujet connaissant en proposant une théorie de trois
mondes : physique, subjectif et objectif. Selon cette théorie, la connaissance objective est à
situer dans le troisième monde, celui des théories, des argumentations et des problèmes. Ce
monde est manifestement indépendant et objectif : « Des épistémologues estiment que la
place de l’homme dans le processus de la connaissance est primordiale et qu’il est nécessaire
de se situer du point de vue du sujet pour pouvoir tenir un discours sur la connaissance. Le but
final de toute connaissance –notamment la connaissance scientifique– est d’être objectif,
c’est-à-dire de pouvoir rendre compte de la réalité qui est en nous et autour de nous. »192
Karl Popper récuse également cette prétention, longtemps répandue, que la
connaissance est intrinsèque au sujet. Il se propose d’analyser la théorie du sens commun ou
de l’esprit seau pour déboucher sur le troisième monde, un monde réellement objectif.
Il est donc évident que toute connaissance a son point de départ du sens commun,
néanmoins, ce sens commun doit être critique : « Nos innombrables suppositions relevant du
POPPER, K., Des sources de la connaissance et de l’ignorance, Payot et Rivages, Paris, 1998, pp. 40 -41 et
44-45.
192
MBEN, L., « Le troisième monde poppérien vers une épistémologie sans sujet connaissant » in Raison
Ardente, n° 62, (décembre 2001), p. 59.
191
sens commun qui constituent notre point de départ, nous pouvons à tout instant les mettre en
question et les critiquer. (…). Toute science et toute philosophie sont du sens commun éclairé.
Au commencement, nous avons donc un vague point de départ sur lequel nous construisons
des fondements mal assurés. Mais nous sommes capables de faire des progrès : nous sommes
parfois capables, suite à certaines critiques de nous tromper; nous sommes capables
d’apprendre à partir de nos erreurs, en prenant conscience que nous avons commis une erreur.
(…) Ma première thèse, c’est donc que le sens commun constitue notre point de départ et que
la critique est le grand instrument qui nous permet de progresser. »193
La connaissance procédant du sens commun est qualifiée de théorie de l’esprit- seau.
Cette dernière stipule que notre esprit, à l’origine, est un seau plus ou moins vide dans lequel
les éléments pénètrent grâce aux organes de sens et se dirigent à l’intérieur de l’esprit. C’est la
théorie de la tabula rasa, grâce à laquelle les organes de sens gravent leurs impressions, leurs
messages dans l’esprit. Pareille théorie est complètement fausse et naïve, pense Karl Popper.
La connaissance est conçue, au cours de cette théorie, comme si elle consistait en des entités
semblables à des choses qui sont, dans ce contexte, des idées, des impressions, des données de
sens, contenues dans notre esprit- seau. Cette théorie propage la conception selon laquelle la
connaissance est avant tout en nous et consiste en information qui nous atteint. Elle postule
une connaissance directe et immédiate. En fait, cette affirmation insinue que toute erreur,
toute connaissance erronée provient d’une mauvaise assimilation intellectuelle. De ce fait, la
connaissance est reçue passivement. Cependant, la connaissance qui dépasse la pure
perception des éléments donnés est toujours moins certaine que la connaissance donnée ou
élémentaire. Pour ce faire, le niveau le plus élevé de la connaissance s’établit de lui-même par
le canal de l’association d’idées ou d’éléments. Karl Popper parle d’une erreur grave
consistant à considérer que l’association d’idées est renforcée par la répétition. Cette théorie
affirme que nous sommes capables de prévisions et d’émergences des croyances. Elle
présente une affirmation selon laquelle, nous sommes engagés dans la recherche de la
certitude. Elle parle des prédispositions innées dont la maturation aboutit à la connaissance
subjective. Celle-ci consiste en des dispositions et attentes.194
Il est clair que la théorie de la connaissance du sens commun n’a pas conscience du
monde 3, c’est alors qu’elle ignore complètement l’existence de la connaissance au sens
objectif. Cependant, la théorie de la connaissance du sens commun reste pour l’essentiel
193
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
85-86.
194
Cf. MBEN, L., art. cit., pp. 60-62.
subjectiviste. Elle se met dans la difficulté d’avoir à admettre quelque chose comme des
raisons suffisantes subjectives ; à savoir : des sortes d’expériences personnelles ou de
croyances ou d’opinions qui, bien que subjectives, seraient vraies de manière certaine et
infaillible. Ces critères sont malheureusement fallacieux : « Il n’y a donc rien qui ressemble à
une certitude absolue dans tout le champs de notre connaissance. (…) la connaissance
scientifique objective est conjecturale selon la méthode d’essai et élimination de l’erreur, ou
par conjecture, répétition et correction par soi-même (autocorrection). »195
3. 3. LA PHILOSOPHIE PLURALISTE
En mettant sur pied la théorie de trois mondes, Karl Popper parle de la philosophie
pluraliste : « Quoique je propose de considérer le monde 1 comme le modèle même de la
réalité, je ne suis pas moniste mais pluraliste. »196
Le monisme avait jusqu’à Karl Popper dominé, présentant que seules les expériences
existent et, par là, l’attention est focalisée exclusivement sur le monde 2. Ce phénomène nie
l’existence du Monde 1 et prône un immatérialisme moniste et pourtant il existe d’autres qui
préconisent un matérialisme moniste mettant en exergue l’existence du Monde 1. Cette
multiplicité des conceptions monistes doit être remplacée par un pluralisme, c’est-à-dire la
théorie des trois mondes : « Ce pluralisme s’appuie sur deux séries très différentes
d’arguments. D’abord pour montrer la réalité du Monde 2, on peut faire appel au bon sens et à
l’incapacité des physicalistes de produire des arguments efficaces contre cette attitude du bon
sens selon laquelle un sage dedans peut, en fait, être très réel. Mon second argument,
cependant, le plus important, procède différemment. Il part de l’affirmation selon laquelle les
objets du Monde 3 telles les théories, sont en forte interaction avec le Monde 1 physique. (…)
Mon argument principal en faveur de l’existence du monde 2 des expériences subjectives est
que nous devons normalement appréhender ou comprendre une théorie du Monde 3 avant de
pouvoir l’utiliser pour agir sur le monde 1 ; mais appréhender ou comprendre une théorie est
un processus mental du Monde 2 : en général le Monde 3 a une interaction avec le Monde 1
par le truchement du Monde 2, mental. »197
Pour comprendre cette notion poppérienne de trois mondes, prenons un exemple, pour
construire un terrain d’avions, nous avons besoin de concevoir et d’utiliser des bulldozers et
195
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
pp.141-142.
196
POPPER, K., L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, Paris, 1984, p. 96.
197
POPPER, K., L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, Paris, 1984, pp. 96-97.
autres machines appropriées. Il y a une forte interaction entre la conception de l’esprit humain
qui est totalement du Monde 2 et les restrictions internes des Mondes 1 et 3 qui limitent la
planification des machines. Il y a également une interaction entre le Monde 2 et le monde 1
humain qui, à son tour, agit sur nos membres qui, eux, conduisent les bulldozers198.
3.3.1. LES TROIS MONDES
La philosophie pluraliste prouve que le monde est constitué de trois sous mondes
ontologiquement distincts : « Le premier est le monde physique, ou le monde des états
physiques ; le second est le monde mental ou le monde des états mentaux ; et le troisième est
le monde des intelligibles, ou des idées au sens objectif ; c’est le monde des objets pensés
possibles : le monde des théories en elles- mêmes. »199
La théorie des trois mondes concourt à l’élaboration d’une philosophie pluraliste dont
la majeure difficulté est la relation entre ces trois. Pour lui, « les deux premiers peuvent
interagir ainsi que les deux derniers. Ainsi le second monde, le monde des expériences
subjectives ou personnelles, interagit avec chacun des deux autres. Le premier monde et le
troisième ne peuvent interagir, sauf au travers l’intervention du second monde, le monde des
expériences subjectives ou personnelles. »200
Avec les trois mondes, la connaissance consiste en des dispositions propres à des
organismes et ces dispositions constituent l’aspect le plus pertinent de l’organisation d’un
organisme. Les unités de connaissance d’un organisme sont soit héritées ou innées. Alors,
toute connaissance acquise, tout apprentissage est la modification (éventuellement le rejet)
d’une certaine forme de connaissance ou de disposition qui était là auparavant et, en dernière
instance, des dispositions innées. Tout accroissement de connaissance consiste en un
perfectionnement de la connaissance existante, en vue de s’approcher de la vérité. Karl
Popper estime que l’épistémologie avait considéré à tort qu’il n’existe qu’un seul type de
connaissance « je pense », « je sais ». Il propose la théorie des trois mondes pouvant expliquer
deux types dse connaissances : la connaissance subjective et la connaissance objective. Cette
dernière s’appesantit sur le contenu logique de nos théories, conjectures, suppositions.
Cf. POPPER, K., L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, Paris, 1984, pp. 96-97.
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p.147.
200
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
247.
198
199
3.2.2. LE TROISIEME MONDE
Grâce au langage humain, le processus de la pensée humaine, c’est-à-dire les objets du
Monde 2 sont exprimés. Quand les objets subjectifs du Monde 2 formulés dans un langage
humain objectif et un effet rétroactif entre le langage et l’esprit humain se fait sentir, nous
comprenons que c’est la résultante du fait que la pensée formulée en langage est un objet
extérieur à l’émetteur ; pareil objet est susceptible de critique intersubjective : « la critique
intersubjective ou objective n’apparaît qu’avec le langage humain ; et avec lui, surgit le
Monde 3, humain, le monde des normes objectives et des contenues des processus de notre
pensée subjective. »201
Concernant le Monde 3, il écrit : « C’est le monde des problèmes, des théories et des
argumentations ; et j’y inclurai les problèmes, théories et argumentations qui n’ont pas encore
été formulés par le langage. Je supposerai également que le Monde 3 a une histoire que
certains problèmes, théories et argumentations ont été découverts, ou peut-être réfutés, à
certaines dates, alors que d’autres n’étaient encore, à ces dates, ni connues ni réfutés. »202
3.2.2.1. Les sources du troisième monde
La notion du troisième monde est à répéter même à travers l’histoire de la philosophie,
car « le troisième monde a ainsi beaucoup à voir avec la théorie platonicienne des Formes ou
Idées et, par conséquent, aussi avec la théorie hégélienne de l’esprit objectif ; mais ma théorie
diffère radicalement, sur certains points décisifs, de celles de Platon et de Hegel. Elle a plus à
voir encore avec la théorie d’un univers des propositions en soi et des vérités en soi de
Bolzano, bien qu’elle en diffère également. Ce qui ressemble de plus près à mon troisième
monde, c’est l’univers des contenus de pensée objectifs de Frege. »203
Platon est considéré comme celui qui découvrit le troisième monde qu’il appelait
monde des Idées. Cependant, ce troisième monde platonicien est divin. Celui de Karl Popper
est un produit humain soumis à la fluctuation, toujours ouvert. Platon y envisageait les objets
201
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
97-98.
202
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
95.
203
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
182.
comme des choses matérielles que l’esprit peut contempler et les idées passent par des
concepts des choses. Chez Karl Popper, il s’agit des théories, des argumentations, des
problèmes et des arguments critiques : « Parmi les habitants de mon troisième monde il y a,
plus particulièrement, les systèmes théoriques ; mais il y a les habitants qui sont tout aussi
importants, ce sont les problèmes et les situations de problème. Et je montrerai que les
habitants les plus importants de ce monde, ce sont les arguments critiques, et ce qu’on peut
appeler –par analogie avec un état physique ou un état de conscience- l’état d’une discussion
ou l’état d’un échange d’arguments critiques ; et il y a aussi, bien sûr, les contenus des revues,
des livres et des bibliothèques. »204
De sa part, Hegel est entrevu par Karl Popper comme un platonicien dont le monde
des Idées était un changement et une évolution. Si les Idées de Platon étaient objectives,
celles de Hegel sont des phénomènes conscients. On peut relever des différences entre l’esprit
objectif (esprit réalisant la conscience de soi dans le temps), l’Esprit Absolu (point
d’aboutissement de l’auto développement de l’esprit) qui implique la réconciliation de la
conscience avec elle-même, et le troisième monde poppérien. Même si l’Esprit objectif et
l’Esprit absolu sont des créations humaines, l’homme n’est pas créatif. Il est mû par l’esprit
objectif hypostasié. Hegel ne considère pas que la critique rationnelle aide à la croissance
objective de notre connaissance. Il trouve que les contradictions sont aussi bonnes et qu’elles
fournissent le mécanisme par lequel l’esprit se meurt. Hegel personnalise son esprit sous la
forme d’une conscience divine. L’esprit hégélien n’est pas seulement conscient, il est un ensoi. Chez Karl Popper, si les habitants du troisième monde sont des produits de la conscience
humaine, ils sont totalement différents d’idées conscientes ou de pensées au sens subjectif.
3.2.2.2. L’importance du troisième monde
Les conceptions épistémologiques subjectives de la connaissance exagèrent le rôle du
sujet pensant dans le domaine de la connaissance. La conception objective de Karl Popper
distingue trois mondes : le monde physique, le monde subjectif et le monde objectif. Pour lui,
l’idée d’un troisième monde objectif est l’expression de son souhait : « mon espoir est de
défier ceux que j’appelle les philosophes de la croyance : ceux qui, comme Descartes, Locke,
204
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
pp.182-183.
Berkeley, Hume, Kant ou Russel, s’intéressent à nos croyances subjectives et à leur
fondement ou à leur origine. A l’encontre de ces philosophes de la croyance, je fais valoir que
notre problème est de trouver des théories meilleures et audacieuses et que ce qui compte,
c’est la préférence critique et non pas la croyance. »205
Karl Popper avance quelques thèses en faveur du troisième monde en prouvant que
l’épistémologie traditionnelle comme celle de Locke, de Berkeley, de Hume et même de
Russel, est hors sujet. Cette thèse a comme conséquence qu’une grande partie de
l’épistémologie contemporaine est également hors sujet. Karl Popper précise. Une de ces
certaines thèses : « implique que la connaissance ou la pensée au sens subjectif consiste en un
état d’esprit ou de conscience ou en une disposition à un comportement ou à une réaction et
par là la pensée au sens objectif consiste en des problèmes, des théories, et des arguments en
tant que tels. La connaissance en ce sens objectif est totalement indépendante de la prétention
de quiconque à la connaissance, elle est aussi indépendante de la croyance ou de la disposition
à l’assentiment de qui que ce soit. La connaissance au sens objectif est une connaissance sans
connaisseur : c’est une connaissance sans sujet connaissant. »206
Une autre thèse en « est que l’étude du troisième monde, largement autonome de la
connaissance objective, est d’une importance décisive pour l’épistémologie. »207
L’épistémologie définie selon cette deuxième thèse prouve que le plus souvent les
scientifiques ne peuvent pas estimer que leurs conjectures sont vraies ou bien y croire. Il
s’agit alors d’un fait selon lequel les scientifiques : « ne prétendent pas à la connaissance
mais, quand ils développent leurs programmes de recherche, ils agissent en s’appuyant sur des
suppositions concernant ce qui est et ce qui n’est pas fécond, pour savoir quelle ligne de
recherche promet de nouveaux résultats dans ce troisième monde de la connaissance
objective. »208
Cette seconde thèse met en exergue la pertinence de l’épistémologie objectiviste, la
première thèse se focalise sur l’épistémologie subjectiviste. L’épistémologie objectiviste,
étudiant le troisième monde, nous aide à faire la lumière sur de larges pans du deuxième
monde, celui de la conscience subjective, en particulier sur les processus de pensée subjective
des scientifiques.
205
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p.182.
206
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p.185.
207
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 188.
208
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 188.
3.2.2.3. Le Langage du monde 3
Formuler une idée dans un langage revient à l’écrire, à la faire imprimer. Une idée
pensée est toujours subjective et, par conséquent, n’est pas critiquable objectivement. Il faut
qu’elle soit formulée en un langage humain et par là elle devient un objet du Monde 3, et par
conséquent, elle est critiquable. Toute pensée formulée en un langage est toujours du Monde
3. Il est donc normal de critiquer les idées du Monde 3 mais d’une manière logique pour
prouver qu’elles peuvent contenir des implications logiques fallacieuses, absurdes. Karl
Popper note que « seuls les contenus de pensée appartenant au Monde 3 peuvent être reliés
par des relations logiques telles que l’équivalence, la déductibilité ou la contradiction. Nous
devons donc distinguer clairement les processus de pensée subjectifs qui appartiennent au
Monde 2 et le contenu objectif des pensées, les contenus en tant que tels qui constituent le
Monde 3. »209
Il est nécessaire d’illustrer cette pensée par un exemple de deux physiciens qui, par
quelque erreur, arrivent tous deux à une réponse totalement fausse, quand on leur donne
α=20° ; F=6°kgf ; f=2km et il faut trouver le travail ( τ=F x l x cosα). Ils arrivent à τ=60 x
9,8 x 2000 x 0,94 = 1.100.000 J. Leur processus de pensée, relevant du Monde 2, peut être le
même ou différent ; néanmoins le contenu de leurs pensées, fruit du Monde 3, est toujours le
même et est susceptible de critique. Ces deux physiciens qui sont parvenus à des
inconséquences sont réprimandés par le Monde 3 qui prouve que leurs réponses sont des
inconséquences et sont en contradiction avec l’énoncé objectivement vrai qui correspond à T
= 60 X 9,8 x 200 x 0,94 =1. 105. 440 J. et dans ce cas leurs réponses sont objectivement
fausses.
La plupart des Grecs croient au Mondes 1 et 2 et rejettent le Monde 3, dit Karl Popper.
Ils soutiennent qu’une partie particulière du Monde 1 existe. Elle est à situer dans les livres
imprimés ou en bruits acoustiques du langage. Ils admettent les processus du cerveau et le
processus de la pensée subjective. Mais ils affirment que ce qui distingue les livres des autres
corps physiques comme les arbres, ou le langage humain des autres bruits tels que le
hurlement des loups, est uniquement le fait qu’ils nous aident à éprouver certaines
expériences d’une nature particulière du Monde 2, (…) J’essaierai de montrer que nous
devrions admettre l’existence d’une partie autonome du Monde 3 ; partie en contenus
209
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
97-98.
objectifs de pensée, qui sont indépendants et clairement distincts des processus de pensée
subjectifs ou personnels par quoi ils sont saisis et qu’ils peuvent, à leur tour, influencer dans
un rapport de cause à effet. J’affirme donc qu’il existe des objets du Monde 3 ; autonomes,
qui n’ont encore pris une forme au monde 1 une forme du monde 2, mais qui, néanmoins,
ont une interaction avec nos processus de pensée. En fait, ils influencent nos processus de
pensée d’une manière décisive.210
Karl Popper prouve que les nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 … relèvent
manifestement de l’invention humaine, c’est –à- dire qu’ils sont une production de l’esprit
humain. Les nombres paires ont été découverts ou trouvés « nous avons découvert de nombres
impaires et, quoique nous puissions penser, aucun processus de pensée ne peut changer ce fait
que nous avions appris à compter c’est-à-dire que c’est une intervention à l’intérieur du
langage humain. »211
3.2.2.4. La connaissance objective
L’homme en contact avec le monde se rend compte qu’il existe déjà un grand nombre
de savoir. Celui qui vise à devenir physicien sera confronté avec un corps de savoir qui
constitue l’état actuel de développement de la physique, et il lui faudra se familiariser avec
une grande partie de ce savoir s’il souhaite faire une contribution au domaine. L’objectiviste
privilégie, dans son analyse de la connaissance, les caractéristiques des éléments du savoir des
individus, indépendamment de leurs attitudes, de leurs croyances ou d’autres états subjectifs.
La connaissance est traitée comme quelque chose d’extérieur à l’esprit ou du cerveau des
individus et non comme quelque chose d’intérieur. La connaissance objective peut être
illustrée par des propositions simples. Un langage étant donné, les propositions qui en font
partie auront des propriétés dont les individus seront ou ne seront pas informés, dont ils auront
ou non connaissance. Par exemple, la proposition : ‘ Paul et son lapin noir vivent dans une
maison où n’habite aucun animal’ a la propriété
d’être contradictoire, alors que les
propositions ‘Paul a un lapin noir ‘ et ‘ ce matin la chèvre du voisin est morte ‘ ont la
propriété d’être les conséquences de la proposition ‘ce matin le lapin noir de Paul a tué la
chèvre de son voisin’. Dans ces exemples simples, le fait que les propositions ont des
propriétés que j’ai isolées paraît assez trivial à quiconque les examine, mais il n’en va pas
toujours ainsi. Par exemple, dans un procès pour avortement, un avocat peut découvrir, après
210
211
Cf. POPPER, K., L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, Paris, 1984, pp. 98- 99.
POPPER, K., L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, Paris, 1984, p. 99.
une analyse rigoureuse, la déposition d’un témoin discrédit celle d’un autre. Si cela se produit,
cet état de fait est indépendant des intensions des témoins, du fait de savoir s’ils en sont
conscients. Si l’avocat n’avait pas mis à jour cette incohérence, elle demeurera incognito et
personne n’en serait informé. Le fait n’en reste pas moins que les rapports des deux témoins
étaient contradictoires. Les propositions peuvent être dotées des propriétés tout à fait
indépendantes qu’en a un sujet. Elles ont des propriétés objectives. L’enchevêtrement des
propositions composant un domaine de savoir, à une étape de son développement, aura
également des propriétés dont ceux qui les utilisent ne seront pas nécessairement informés. La
structure théorique qu’est la physique moderne est si complexe que l’on ne peut clairement
l’identifier ni avec les croyances d’un physicien ni avec celle d’un groupe de physicien.
Plusieurs hommes contribuent chacun à sa manière, selon son ingéniosité, à la croissance et à
la formulation de la science, exactement comme la construction des Eglises avait nécessité
d’une collaboration entre de nombreux corps de métier. Dans tout cela, les relations objectives
existent entre quelques parties de la structure indépendamment de la connaissance qu’en a
tout individu. Les théories scientifiques sont susceptibles d’avoir et ont parfois des
conséquences imprévues. Ces conséquences, comme la prédiction d’un nouveau type de
phénomène ou un conflit inattendu avec quelque autre partie de la théorie existent comme
propriétés de la nouvelle théorie restant à découvrir par une pratique scientifique ultérieure.212
L’auteur donne un
exemple. « Poisson découvrit et démontra que la théorie
ondulatoire de la lumière de Fresnel amenait à prédire l’existence d’une tache brillante au
centre de la face ombragée d’un disque illuminé, conséquence dont Fresnel lui-même n’avait
pas eu conscience. On découvrit également divers conflits entre la théorie de Fresnel et la
théorie corpusculaire de Newton, qu’elle mettait en question (…). Au fait, la première
prédisait que la lumière devait se déplacer plus vite dans l’air que dans l’eau, alors que la
seconde prédisait que la vitesse de la lumière dans l’eau devrait être la plus grande. Ce type
d’évènements fournit une preuve convaincante que les théories ont une structure objective en
dehors de l’esprit des scientifiques individuels et ont des propriétés qui peuvent ou non être
découvertes et exhibées et qui sont ou ne sont pas comprises par tel ou tel savant ou groupe de
scientifique (…). Maxwell développera sa théorie électromagnétique dans les années 1860 et
avait à l’esprit de nombreuses intentions explicites. Il chercherait en particulier à développer
une explication mécanique des phénomènes électromagnétiques. »213
212
213
Cf. CHALMERS, A.- F., op. cit.,pp. 153-154.
CHALMERS, A.- F., op. cit., pp. 154-155.
Karl Popper a fait une analogie entre des situations des problèmes qui existent
objectivement dans la science. Les situations à problèmes existent au sein de l’édifice
théorique de la science, qu’elles soient ou non reconnues ou exploitées par les savants. Le fait
que les situations à problèmes fournissent des opportunités objectives permet d’expliquer les
cas de découvertes scientifiques simultanées, comme la loi de la conservation de l’énergie qui
fut découverte simultanément en 1840, par des savants travaillant indépendamment.
Les objectivistes s’intéressent aux caractéristiques de ces théories ou de ces
programmes plutôt qu’aux croyances, convictions ou attitudes des individus ou groupes
impliqués dans cette recherche. Ils ne s’intéressent pas aux attitudes adoptées par Galilée ou
par Newton envers leurs propres théories. Ils s’efforceront de montrer en quel sens on peut
considérer la première comme une avancée par rapport à la seconde.
Ce point de vue de la science objective est soutenu par Karl Popper : « Ma thèse
implique l’existence de deux sens différents des termes connaissance ou pensée. La
connaissance ou la pensée au sens subjectif consiste en un état d’esprit, de conscience, en une
disposition à se comporter ou à réagir. La connaissance ou la pensée au sens objectif consiste
en problèmes, théories et arguments en tant que tels. La connaissance en ce sens objectif est
totalement indépendante de l’affirmation de quiconque prétendant connaître ; elle est aussi
indépendante de la croyance d’une quelconque personne ou de sa disposition à admettre, ou à
affirmer ou à agir. La connaissance sans connaisseur ; elle est connaissance sans sujet
connaissant. »214
3.3. L’EPISTEMOLOGIE OBJECTIVE
Karl Popper construit une épistémologie objective basée sur la falsifiabilité comme
critère de démarcation. Il présente sa conception qu’il se fait de la connaissance humaine, en
opposition aux autres niveaux biologiques de la connaissance, grâce à son caractère
manifestement et essentiellement critique. Il explique son épistémologie objective ou
pessimiste en ces termes : « la méthode d’essai et d’élimination des erreurs qui dirige tout le
processus n’est pas une méthode empirique mais elle appartient plutôt à la logique rationnelle
(…) la formation de théories dans le langage nous permet de les critiquer et de les éliminer
sans éliminer l’espèce qui en est le support (…). Le développement d’une attitude critique
consciente et systématique à l’égard de nos théories (…) stimule une recherche consciente des
214
POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, p. 82.
erreurs dans l’espoir d’apprendre quelque chose par leur découverte et leur élimination. La
méthode de la science est la méthode critique (…) Par conséquent, le développement de toute
connaissance, qu’il consiste dans la modification d’une connaissance antérieure, qu’il s’agisse
de son altération ou de son rejet complet prouve que la connaissance commence à partir de
certaines difficultés, de certains problèmes. Ceux-ci, en règle générale, naissent de la
contradiction entre, d’une part, les attentes inhérentes à notre fond de connaissance et, d’autre
part, certaines découvertes nouvelles, comme nos observations ou certaines hypothèses que
celles-ci nous ont suggérées. »215
Cette épistémologie fait recours à l’existence du langage à la fois descriptif et
argumentatif, l’existence de certaines dispositions innées. La science requiert une
transformation ou une exclusion de certaines formes de connaissances antérieures et des
dispositions innées. Cependant, l’accroissement des sciences consiste dans une amélioration
des connaissances existantes en vue d’une meilleure approche de la vérité. Konrad Lorenz
écrit : « toute connaissance acquise, tout apprentissage consiste dans la modification
(éventuellement de rejet) d’une certaine forme de connaissance ou de disposition, qui était
déjà là ou préalable ; et, en dernière instance, des dispositions innées (…) Tout
développement de la connaissance consiste dans l’amélioration d’une connaissance existante
que l’on change dans l’espoir de se rapprocher davantage de la vérité. »216
L’épistémologie poppérienne explique le fonctionnement des sciences, elle ne dit rien
de leur vérité globale : « non seulement parce qu’il se pourrait que toute pensée ne soit qu’un
rêve, comme le reconnaît Popper, mais parce que le test expérimental devrait lui-même être
vérifié et ne peut l’être absolument. »217
L’expression épistémologie évolutionniste ou évolutionnaire lui vient de son ami
Donald Campbell. L’idée est post-darwinienne et remonte à la fin du vingtième siècle – à des
penseurs comme J.M. Baldwin, C. Lloyd Morgan, et H.S. Jennings. Sa propre démarche est
restée assez indépendante de la plupart des influences de ces penseurs et de son ami, même si
Karl Popper a lu avec beaucoup d’intérêt non seulement Charles Darwin mais aussi Lloyd
Morgan et Jennings pendant les années qu’ont précédées la rédaction de son premier ouvrage.
Toutefois, comme beaucoup d’autres philosophes, Karl Popper a fortement insisté sur la
différence entre deux problèmes concernant la connaissance : sa genèse ou son histoire, d’un
215
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
pp.132-133.
216
KONRAD, L., cité par POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, AubierMontaigne, Paris, 1991, p. 134.
217
COMTE-SPONVILLE, A., Dictionnaire philosophique, P.U.F., Paris, 2001, pp. 612-613.
coté, les problèmes touchant sa vérité, sa validité et sa justification, de l’autre. Selon lui, les
théories scientifiques sont injustifiables, invérifiables. Il a alors souligné qu’il faut réaliser une
distinction rigoureuse entre les questions de vérité et de validité et toutes les questions
génétiques, historiques et psychologiques : « nous autres, épistémologues, nous pouvons
revendiquer une préséance sur ceux qui s’occupent des questions de genèse : les recherches
logiques sur les questions de la validité et de l’approximation de la vérité peuvent avoir la
plus grande importance pour les recherches génétiques, historiques et même psychologiques.
(…). Je parle donc ici d’épistémologie évolutionniste, bien que je prétende que les idées
directrices de l’épistémologie sont logiques et non factuelles ; néanmoins, les études sur la
genèse de la connaissance peuvent lui
fournir tous ses exemples et nombre de ses
problèmes. »218
Abordant le problème de la connaissance, Karl Popper postule une épistémologie sans
sujet connaissant. Il dépasse l’épistémologie traditionnelle en mettant en exergue la théorie
des trois mondes : monde physique, monde subjectif et monde objectif. Une connaissance
fondamentalement objective est à situer dans le troisième monde, celui des théories, des
argumentations et des problèmes. Des épistémologues estiment que la place de l’homme dans
le processus de la connaissance est primordiale. Il est nécessaire de se situer du point de vue
du sujet pour pouvoir tenir un discours sur la connaissance scientifique objective c’est-à-dire
pouvoir rendre compte de la réalité qui est en nous et autour de nous. Cette approche de
l’épistémologie sans sujet connaissant prouve que la connaissance objective réside dans les
énoncés, les problèmes et les théories. Karl Popper libère la connaissance objective de la
dictature du sujet pensant. Mais la connaissance n’est pas une fin en elle-même, car le but
final de toute démarche scientifique est la vérité.219
La connaissance est dorénavant un processus objectif, sans sujet connaissant. Jean –
Jacques Rosat, dans sa préface à La connaissance objective. Une approche évolutionniste de
Karl Popper, s’exprime en ces termes : « la connaissance, en effet ne peut plus être comprise à
la manière de la philosophie classique, comme l’activité mentale ou spirituelle d’un sujet
connaissant qui, face à un monde étranger et inconnu, s’efforce d’acquérir des certitudes et de
s’assurer la possession de vérités définitives. (…). La connaissance met aux prises des
hypothèses théoriques sur la structure du monde et de la réalité, hypothèses qui sont largement
indépendantes des individus vivants et pensants qui les ont produites ; ce processus se déroule
218
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
pp.128-129.
219
Cf. MBEN, L., art. cit., pp. 59-60.
dans un espace logique ouvert par l’usage de l’argumentation et du débat critique et il conduit,
par élimination des hypothèses répétées grâce à l’expérience, à la sélection de celles qui
paraissent, en l’état de la discussion, les mieux adaptées. »220
Le progrès scientifique est possible grâce à une théorie poppérienne de la société
ouverte, l’unique où la démarche scientifique puisse naître et se développer : « le progrès
scientifique, parce qu’il est un processus d’innovation, ne peut avoir lieu que dans un univers
où l’avenir est ouvert, un univers non déterministe, ou irrésolu. »221
Dans cette épistémologie sans sujet connaissant, Karl Popper met l’accent sur le fait
que la connaissance ne soit pas à l’intérieur du sujet, et donc nous ne sommes pas à la quête
de la certitude. Tout accroissement de connaissance consiste en un perfectionnement de la
connaissance existante laquelle est modifiée dans l’espoir de se rapprocher de la vérité. Les
philosophes ou les scientifiques aspirent toujours à trouver les contraires. Ils parviennent à
réaliser des théories et par la suite les détruisent, ils peuvent s’évertuer à supprimer certaines
d’elles tout en conservant d’autres à l’attente de la destruction.
L’épistémologie sans sujet connaissant trouve son paroxysme dans le troisième monde
dont les habitants sont : les systèmes théoriques, les conjectures, les problèmes et les
situations des problèmes, les contenus des revues, des livres et des bibliothèques. Pour Karl
Popper, les meilleurs habitants du troisième monde sont les arguments critiques. La
connaissance en ce sens objectif est totalement indépendante de la prétention de quiconque à
la connaissance absolue; elle est indépendante de la croyance, de la disposition à
l’assentiment, à l’affirmation ou à l’action de qui que ce soit. La connaissance objective est
celle sans sujet connaissant. L’étude propre à l’épistémologie est celle des problèmes et des
situations de problèmes scientifiques, des conjectures scientifiques, des discussions
scientifiques, des arguments critiques et du rôle joué par les preuves dans l’argumentation.
Elle est également celle des revues et livres scientifiques, ainsi que des expérimentations et de
leur évaluation dans les débats scientifiques. L’étude du troisième monde est autonome de la
connaissance objective. Elle est d’une importance décisive pour l’épistémologie.222
Toutes les théories doivent être dotées d’un contenu de vérité et d’une vérisimilitude
élevée malgré leur caractère conjectural, hypothétique et à essai. Karl Popper estime que le
but doit être celui de repérer des théories qui ne sont pas seulement intellectuellement
220
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
14.
221
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
15.
222
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
188.
intéressantes et extrêmement testables, mais qui ont effectivement réussi à résoudre leurs
problèmes. Leur caractère conjectural devait se manifester par leur réfutation, produisant de
nouveaux problèmes inattendus et féconds. La théorie peut également s’effondrer. On peut
évaluer le progrès réalisé grâce à l’écart intellectuel entre le problème d’origine et le nouveau
problème qui résulte de l’effondrement de la théorie. « Le développement de la connaissance
est un processus d’élimination de l’erreur. C’est une sélection darwinienne. »223
La vie scientifique évolue, progresse à partir des problèmes anciens, vers la
découverte des problèmes nouveaux auxquels personne ne pense ou n’avait songé. Etant
donné que son épistémologie part des problèmes elle est dite problématiste : « Les sciences de
la nature, ainsi que les sciences sociales, partent toujours de problèmes, elles partent du fait
que quelque chose suscite notre étonnement (…) Pour résoudre ces problèmes, les sciences
usent fondamentalement de la même méthode que celle utilisée par le sens commun : la
méthode d’essai et d’erreur. Il s’agit, plus précisément, de la méthode consistant à échafauder
des solutions en tant qu’erronées. » 224
Karl Popper souligne que le critère de scientificité est la falsifiabilité. Ce vocable est la
pierre angulaire de l’édifice épistémologique poppérien. Il est donc clair que ce paradigme de
falsifiabilité s’évertue à prouver que la vérité n’est pas absolue, elle ne peut être que
provisoire. Elle concourt à une remise en question de la théorie scientifique déjà établie.225
La pensée poppérienne est un véritable rationalisme critique, car les scientifiques
découvrent l’erreur en critiquant les théories ou les suppositions produites par les autres. Si on
ne parvient pas à critiquer ses théories, d’autres scientifiques sont dotés de cette vocation.
Cette position est un rationalisme critique qui remet en cause les autres théories. Le
rationalisme critique poppérien repose sur la recherche de l’erreur en vue de la critiquer.
Personne n’ignore qu’Einstein a démontré que même si la théorie de Newton a réussi à une
époque bien précise, elle est, cependant, à falsifier.
L’objectivité de la science que Karl Popper met en exergue est à situer dans
l’objectivité de la méthode critique, car toute théorie doit passer à la critique. Cette exigence
d’objectivité scientifique se présente comme une règle méthodologique insinuant que la
223
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
230-231.
224
POPPER, K., Toute vie est résolution de problèmes. Question autour de la connaissance de la nature,
Actes du Sud, Paris, 1977, p. 1.
225
Cf. ANIETIE, ESSIEN, A., art.. cit.,p. 13.
science exclut les énoncés qui ne sont pas susceptibles d’être soumis à des tests
intersubjectifs.226
226
Cf. LECOURT, D.( dir.), Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences, P.U.F., Paris, 2006, p. 825.
3.4.
CONCLUSION
La tradition nous a présenté une épistémologie subjective, traditionnelle, optimiste où
le sujet prétendait connaître « je connais », « je sais ». Cela mettait un frein au progrès
scientifique et les découvertes ultérieures n’intéressaient personne, car l’on pense connaître.
L’épistémologie objective, pessimiste, problématiste, sans sujet connaissant se veut
promouvoir la notion de la vérité approximative en prouvant que le sujet ne peut jamais
prétendre connaître la vérité, il ne peut qu’approcher la vérité. Karl Popper parle d’une
épistémologie sans sujet connaissant, une épistémologue où le scientifique exhibe son
humilité et s’ouvre aux autres. L’épistémologie objective ou celle sans sujet connaissant
prouve à suffisance que la notion de la vérité est approximative. Elle récuse l’épistémologie
traditionnelle qui nous présente un sujet qui connaît, qui sait. Le domaine scientifique est un
monde où les sociétés scientifiques sont ouvertes l’une à l’autre ; une entreprise de solidarité
scientifique, car personne ne peut prétendre connaître la vérité, on ne peut que l’approcher.
Dans l’épistémologie poppérienne, le sujet se présente approchant la vérité. Il ne peut
jamais estimer ni penser l’atteindre, car elle se présente comme un mouvement vers, un
dynamisme. Dans cette perspective, la notion de la vérité est insaisissable et tout homme est
appelé à aller à sa suite même si elle se révèle fugace, fugitive.
CHAPITRE QUATRIEME
APPRECIATION CRITIQUE DE LA PENSEE POPPERIENNE
4. 0. INTRODUCTION
Notre effort au cours de ce chapitre est de parvenir à apprécier de manière critique la
pensée poppérienne. Sa complexité ne nous rendra pas la tâche facile. Cependant, nous nous
efforcerons de pouvoir réaliser une approche critique de sa conception de la notion de la
vérité, thème très important en philosophie des sciences. Cette question a toujours provoqué
beaucoup de discussions non seulement d’ordre scientifique mais aussi d’ordre éthique.
Comme le précise André Comte-Sponville, « aucune époque n’a disposé d’autant de
connaissances, ni d’aussi précises, ni d’aussi faibles. La vérité ? Et quel scientifique,
aujourd’hui prétendrait la connaître ? Et combien de philosophes vont jusqu’à dire qu’elle
n’existe pas, qu’elle n’a jamais existé, qu’elle n’est que la dernière illusion dont il importe de
s’affranchir. »227
C’est depuis longtemps que l’histoire de la philosophie prouve que l’acte cognitif est
toujours le fruit d’un mouvement de l’esprit vers la vérité à cerner. Les ioniens à la recherche
du principe primordial, aitia du monde, ont dû réaliser un dynamisme cognitif, car ce qu’ils
ont proposé exigeait de leur part un déploiement de l’esprit, car natura homines curiosi,
écrivait Salluste. L’homme a la
vocation fondamentale de connaître mais
l’objet de
connaissance n’est pas possédé par lui. Il ne fait que le provoquer, le stimuler. Toute
connaissance est le produit du mouvement de la pensée vers l’objet à connaître. La maïeutique
socratique est une méthode permettant à l’interlocuteur de Socrate de découvrir en lui la
vérité. Par l’ironie l’interlocuteur parvient à découvrir ses insuffisances. Il fournit un effort
d’autocritique en vue de découvrir son imperfection. Cette méthode socratique est
véritablement un mouvement vers la vérité à découvrir. Il en va de même chez Aristote pour
qui l’esprit est tabula rasa. Il doit réaliser un mouvement vers les objets pour les connaître.
D’une manière générale, toute l’histoire de la philosophie prouve que l’acte cognitif est le
fruit du mouvement. René Descartes, pour parler de la vérité indubitable, il utilise le doute, un
chemin vers la vérité à atteindre. La dialectique hégélienne procède de la sorte, car pour
227
COMTE-SPONVILLE., A., op. cit., p. 614.
parvenir à la synthèse, il faut passer par la thèse et l’antithèse. L’esprit avant d’être absolu
doit avoir été subjectif, objectif. Les phénoménologues réalisent un effort d’aller vers les
phénomènes à cerner. Karl Popper se situe en ce même mouvement de la pensée qui considère
l’acte de connaissance comme un mouvement vers. Mais il ajoute que ce mouvement est sans
fin, la vérité est inatteignable. On ne peut qu’approcher prouvant la vérité, car elle est
inatteignable.
La pensée de Karl Popper mérite bien d’éloges. Néanmoins lui-même, s’inscrivant
dans la ligne de la falsifiabilité, ne peut prétendre être sans limites. Sa pensée devrait aussi
subir des tests cruciaux en vue de contribuer à l’évolution et au progrès de la connaissance
scientifique en mettant en exergue ses mérites et ses limites.
4.1. MERITES.
La découverte du paradigme de la falsifiabilité est d’une grande importance
épistémologique. La falsifiabilité dynamise la quête du savoir ; elle libère la connaissance
objective du sujet connaissant ; elle réalise les nuances entre certitude, vérité et évidence ; et
entre illusion, erreur et méprise; elle montre la fécondité de l’erreur toute en récusant la vérité
absolue et met en exergue la multiplicité des objets de la science. Elle se présente comme une
méthode scientifique par excellence en mettant l’accent sur le couple conjecture-réfutation….
4.1.1. LE PARADIGME DE LA FALSIFIABILITE.
Pendant que le positivisme logique utilisait comme critère de démarcation, la
vérifiabilité et l’épistémologie traditionnelle se fourvoyait dans la prétention à la vérité, Karl
Popper a réussi à doter la science d’un nouveau paradigme, celui de la falsifiabilité. Elle se
fonde sur le fait qu’aucune théorie n’est vraie pour toujours. Elle l’est provisoirement, car elle
attend qu’elle soit falsifiée en vue d’un progrès scientifique : « Notre principal objectif en
science et en philosophie c’est ou ça devrait être, la recherche de la vérité, au moyen des
conjectures audacieuses et la recherche critique de ce qui est faux dans nos diverses théories
concurrentes. »228
228
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
471.
Confrontés à ce nouveau paradigme, les scientifiques doivent développer l’esprit
critique. Il n’existe plus des théories qui prétendent avoir atteint la certitude. Pour lui, cette
critique ne se réduit pas au vérificationnisme de Rudolf Carnap. La démarche argumentative
critique est fondée sur l’idée régulatrice de la vérité et n’est pas identique à la démarche
vérificationniste, fondée sur la simple supposition qu’une théorie doit pouvoir être plus vraie
qu’une autre.
Karl Popper vient de doter la démarche scientifique d’une police routière garantissant
la validité de l’évolution. Une théorie est scientifique grâce à la rigueur avec laquelle elle
s’expose à l’ensemble des tests destinés à la réfuter. La recevabilité scientifique d’une théorie
dépend de la réduction d’un certain nombre d’énoncés pouvant être soumis à des tests. Dans
ce sens une théorie qui a l’intention de s’immuniser contre les faits n’est plus scientifique, car
elle n’est plus contrôlable, c’est-à-dire qu’elle n’est plus réfutable. On ne peut pas parler
d’une théorie vraie, elle ne peut être que corroborée c’est-à-dire acceptée par la communauté
scientifique. La science progresse par élimination des erreurs et elle est inachevée. Nous
progressons sans certitude, dans le seul but de faire reculer l’horizon de notre ignorance.
L’objectivité de la science repose sur le caractère public et compétitif de l’entreprise
scientifique.
Karl Popper décrit la science comme une activité collective organisée, se développant
au sein des communautés institutionnalisées des chercheurs, selon les principes d’une
coopération amicalement hostile. L’objectivité suppose la diversité des chercheurs, leur
concurrence réglée et la discussion publique sur les hypothèses qui s’affrontent.
A la différence de Francis Bacon, de René Descartes et des néo- positivistes logiques,
Karl Popper propose le paradigme de falsifiabilité comme critère de scientificité, car plus une
hypothèse est générale et précise, plus elle exclut des états de choses possibles et plus son
degré de falsifiabilité est grand. Ce paradigme est une attitude scientifique qui donne lieu à
l’avènement d’une vérité scientifique toujours plus vraie. Le caractère progressif de la
méthodologie scientifique doit beaucoup à la méthodologie conjectures-réfutations dont le
critère de démarcation est la falsifiabilité.
. Le paradigme de la falsifiabilité est pertinent. Cependant, focaliser exclusivement
l’attention sur ce critère de démarcation conduirait à une représentation erronée. Par exemple,
la tentative de sauver la théorie de Newton par une hypothèse spéculative pouvant donner lieu
de façon indépendante à un test, se révéla un succès, car l’hypothèse fut confirmée par la
découverte de Neptune et non pas parce qu’elle fut falsifiée. Il nous semble que ce serait
abusif de considérer que le fait que les conjectures audacieuses, hautement falsifiables, soient
falsifiées, représente des instances d’avancée significative dans la science. Il arrive que les
théories se comportent en des conjectures audacieuses, aléatoires. Elles peuvent aussi être des
théories audacieuses prudentes et leurs énoncés ne semblent pas contenir des risques
significatifs. Il peut arriver qu’une des conjectures échoue à un test d’observation ou
d’expérience, on doit la falsifiée. Si par contre, elle résiste au test, elle est confirmée. Les
progrès significatifs ont lieu pendant la confirmation des conjectures audacieuses ou de la
falsifiabilité des conjectures prudentes. Les théories falsifiées sont d’une grande valeur
informative et elles contribuent décidément au savoir scientifique: « la découverte de Neptune
ou des ondes radio et la confirmation par Eddington de la prédiction hasardeuse faite par
Einstein de la courbure des rayons lumineux dans les champs gravitationnels en sont des
illustrations. Des prédictions risquées ont été confirmées. La falsification des conjectures
prudentes apporte une information parce qu’elle établit que ce qui était considéré comme vrai
de façon non problématique est en réalité faux. »229
L’hypothèse audacieuse est une possibilité de dépassement des théories falsifiées et
elle-même à des prédictions nouvelles, qui pourront être testées sans ressortir de la théorie
originale falsifiée. Néanmoins, si une hypothèse est digne d’être prise en considération parce
qu’elle rend possibles de nouveaux tests, elle ne sera pas assimilée à une amélioration sur la
théorie problématique qu’elle est censée remplacer tant qu’elle n’a pas surmonté
victorieusement au moins quelques tests. Cela revient à préciser que la théorie nouvelle et
audacieuse proposée, avant de pouvoir être considérée comme digne de remplacer la théorie
falsifiée, doit faire des prédictions nouvelles qui sont confirmées.
La science ne saurait aucunement prétendre la vérité, les théories scientifiques ne
pouvant jamais être vérifiées mais seulement étant susceptibles d’être falsifiées.
4.1.2.
LA METHODE HYPOTHETICO-DEDUCTIVE
Karl Popper est digne d’éloge pour avoir mis l’accent sur le rationalisme critique en
changeant la direction de la démarche de l’esprit scientifique. Avec son faillibilisme, on ne
procède plus des faits à la construction des théories mais des théories à leur contrôle par les
faits. Etant donné que ce contrôle opère en tirant par déduction les conséquences observables
des théories, nous estimons que c’est une méthode hypothético-déductive que Karl Popper a
mise en exergue. Il s’agit de la formulation d’une hypothèse suivie de son contrôle empirique
229
CHALMERS, A.-F., op. cit., pp. 80-81.
au moyen de la déduction des faits d’expérience exprimés dans des énoncés de base. Si ces
énoncés de base ne se montrent pas en accord avec l’expérience, la théorie est falsifiée et
abandonnée. Si cet accord subsiste, la théorie n’est prise comme vraie que provisoirement, car
elle est toujours hypothétique et conjecturale comme le contrôle ultérieur peut la réfuter.
4.1.3. LA CONNAISSANCE OBJECTIVE LIBEREE DE LA DICTATURE DU
SUJET CONNAISSANT.
L’approche poppérienne de la notion de vérité approximative débouche sur
l’épistémologie sans sujet connaissant contrairement à l’épistémologie traditionnelle dite
subjective. L’épistémologie avec un sujet connaissant est soutenue par René Descartes, les
empiristes du XVIIème et XVIIIème siècles et par Kant… René Descartes soutient que le cogito
ergo sum est une vérité ferme et assurée échappant à toutes pensées sceptiques230.
Avec la révolution copernicienne de Kant, le sujet devient le lieu où se constitue le
sens. Le sujet, grâce aux formes appropriées de la sensibilité et de l’entendement, organise les
sensibles et crée un ordre de la nature. Cependant, Kant admettait que la connaissance
scientifique progresse grâce aux jugements mathématiques. Commentant cette tradition
épistémologique, Karl Popper lui-même précise : « Depuis Descartes, Hobbes, Locke et leur
école, qui ne comprend pas seulement D. Hume, mais aussi T. Reid, la théorie de la
connaissance a été pour l’essentiel subjectiviste : on a considéré la connaissance comme un
genre de croyance humaine particulièrement assurée (…). Cette erreur grossière a dominé la
philosophie occidentale. J’ai tenté de l’extirper et de la remplacer par une théorie objective
qui affirme le caractère essentiellement conjectural de la connaissance. »231
Karl Popper remet en question toutes les épistémologies subjectives et postule une
épistémologie objective, c’est-à-dire une épistémologie sans sujet connaissant, car la
connaissance ne se trouve pas dans le sujet en tant que tel, mais dans les énoncés, les
problèmes et les théories. Kant soutenait que l’arithmétique, la géométrie et le principe de
causalité sont des jugements synthétiques, a priori, valides, et pourtant leurs propositions ne
sont que des conjectures et des hypothèses.232
Karl Popper, grâce à sa théorie de l’épistémologie objective, libère la connaissance de
la dictature du sujet pensant à l’instar de celle de Protagoras qui soutenait que l’homme était
230
Cf. DESCARTES, R., Discours de la méthode suivi des méditations, P.U.F., Paris, 1962, p. 36.
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
27.
232
Cf. KANT, E., Cité par POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, AubierMontaigne, Paris, 1991, pp. 103-104.
231
la mesure de toutes choses. Il n’ y a pas de vérité absolue, il n’ y a que des opinions relatives à
l’homme. Le mariage est alléchant pour les laïcs mais pour le prêtre il n’en est pas ainsi. La
bière est importante pour certains mais elle est dangereuse pour d’autres. Socrate, à son tour,
prône le ‘connais-toi toi-même ‘, utilisant la maïeutique ainsi que l’ironie. Les existentialistes
estiment qu’exister c’est se faire en se dépassant, chacun doit déterminer son essence… Cette
approche épistémologique subjective est désavouée. Le but de toute entreprise scientifique est
la vérité, raison pour laquelle la connaissance objective n’est pas une fin en elle-même. Ce qui
est important chez Karl Popper est que l’énoncé contienne de la connaissance objective, peu
importe le contenu de la vérité ou de fausseté d’un énoncé ou d’une théorie. Bernard
Lonergan situe l’objectivité dans le jugement, il est alors nécessaire que ce jugement soit
correct, atteigne l’inconditionné de fait. L’objectivité suppose une intentionnalité qui, à son
tour, suppose une conscience. Karl Popper situe la connaissance objective en dehors du sujet
connaissant mais en interaction avec.
4. 1. 4. LA NUANCE ENTRE CERTITUDE, VERITE ET EVIDENCE.
Karl Popper clarifie les notions de certitude, d’évidence par rapport à la vérité. Il y
met des distinctions pertinentes.
4. 1. 4. 1. La certitude
Selon Karl Popper, le problème de la certitude se situe dans le prolongement du
problème de la vérité. La certitude est un état d’esprit à l’égard de la vérité. Elle est une
modalité d’ordre psychologique qui concerne l’aspect subjectif du jugement. Cela amène à
affirmer qu’il existe des certitudes erronées, car une conviction subjective n’est pas
nécessairement la vérité, à l’occurrence : je suis certain que « Jean Paul Sartre est un
philosophe français». Spinoza estime que la certitude n‘est rien d’autre que quelque chose qui
est positif. Ce n’est pas la privation du doute. En réalité le manque de certitude est une
fausseté.233
Dans ce cas la certitude est un état de l’esprit par rapport à un jugement qu’il estime
vrai sans le moindre doute. Cet état pousse l’esprit à adhérer à une assertion qu’il reconnaît
vraie avec certitude. La certitude est donc le caractère de ce qui est certain
233
Cf. SPINOZA, B., Oeuvres complètes, Gallimard, Paris, 1954, p. 405.
4. 1. 4. 2. L’évidence
La vérité est une propriété du jugement, la certitude est un état de l’esprit à l’égard de
la vérité du jugement estime Karl Popper. L’évidence se présente comme une propriété de
l’objet. L’évidence, c’est la clarté grâce à laquelle un objet apparaît à une faculté de
connaître. Il s’agit de la manifestation, du dévoilement de l’être. René Descartes estime que
l’évidence est faite des idées claires et distinctes et de l’indubitabilité. La scolastique
définissait l’évidence en ces termes : ’ evidentias est claritas qua objectum manifestatur
intellectui et essensum rapit‘, c’est-à-dire que l’évidence est la clarté par laquelle un objet se
manifeste à l’intelligence et entraîne son assentiment. La proposition acquiert le statut d’être
évidente quand quiconque qui en a l’acception présente à son esprit et désireux de savoir si
cette proposition est vraie, ne peut la mettre en doute.
4. 1. 4. 3. La vérité
La vérité semble être un idéal jamais atteint. Karl Popper prouve réellement que tout
discours scientifique suppose qu’une affirmation vraie est une affirmation objective c’est-àdire indépendante du sujet qui l’énonce : « Le fanatique aime un préjugé c’est-à-dire sa propre
croyance, sa propre subjectivité. L’amour de la vérité oblige à sortir du culte de soi-même, de
ses opinions, de ses croyances, de sa culture, etc. pour aller vers l’universel, l’objectif, l’être
en soi. »234
Karl Popper est réellement différent des autres dans sa conception de la vérité. Pour lui,
la vérité est insaisissable. La vérité est fugace, comme le fiancé du Cantique des cantiques. Il
apparaît puis disparaît. Il faut parcourir les rues et le chercher sans cesse. On ne peut pas
posséder la vérité. Le chercheur peut seulement, comme Moïse, contempler du haut de
montagne la Terre promise.
234
Anonyme, La vérité [en ligne] http : //membres. Lyco 1. Fr/youpi 98/philo/ vérité. Pghtm consulté le 5 mars
2008.
4.1.5. LA NUANCE ENTRE ILLUSION, ERRREUR ET MEPRISE 235
A la lecture de la pensée de Karl Popper, nous dégageons une précision qui existe
entre l’illusion, l’erreur et la méprise. Il est clair qu’avec sa théorie de vérité approximative,
on peut inférer que les partisans de l’épistémologie optimiste se trompent lorsqu’ils croient
être dans une vérité manifeste.
4.1.5.1. L’erreur
On peut parler de l’erreur quand on est au niveau du jugement. On peut affirmer de vive
voce que 6 x 5 = 50 ou Tous les médecins sont chauves. Il faut tenir compte du lien qui existe
entre la représentation et le fait de l’expérience.
4.1.5.2. L’illusion
Elle est une véritable production du désir. Elle peut être un rêve ou une imagination, car
elle traduit l’intention du sujet et substitue sa réalité à la réalité effective et sa portée est moins
logique que vitale.
4.1.5.3. La méprise
Elle est une erreur des sens, elle fait appel à nos capacités sensorielles. Il arrive que
certaines personnes voient tel ou tel autre à la place de quelqu’un d’autre.
4. 1. 6. LA FECONDITE DE L’ERREUR
La tendance traditionnelle est de fuir l’erreur : « L’idée de vouloir justifier notre
connaissance par des raisons positives implique que nous ayons à faire appel à quelque source
dernière ou quelque autorité suprême qui en garantirait la vérité.»236
Karl Popper, au contraire, montre que l’erreur, la fausseté sont nécessaires au progrès de la
connaissance. On peut se demander pourquoi l’homme qui est appelé à connaître le vrai se
trompe souvent. L’existence de l’erreur est indéniable. L’erreur est toujours à situer dans
235
236
Cf. EKOLO, A., « Popper et le progrès scientifique » in Raison Ardente, n° 62, (décembre 2001), p.25.
LECOURT, D. , L’ordre et les jeux. Le positivisme en question, Bernard Grasset, Paris, 1981, p. 92.
l’acte du jugement porté par le sujet. Par ailleurs, l’erreur est instructive, on accède à une
erreur positive, à une erreur normale, à une erreur utile. L’homme des sciences apprendra à
distinguer les fautes auxquelles il convient de chercher une raison de celles qui ne sont pas
des erreurs. Le long d’une ligne d’objectivité il faut une série d’erreurs communes et
normales. Marcus Tullius Cicero estimait que le critère de vérité doit être un consensus
commun c’est-à-dire un consentement universel présenté comme critère pour les idées et de
validité pour les croyances.
Karl Popper a compris que l’erreur est rendue possible par les limites de l’esprit
humain. L’homme est prédestiné à connaître la vérité mais celle-ci se révèle fugace, fugitive.
Dans la pensée classique l’erreur était liée à l’inadéquation absolue de l’être et du vrai. Ce
faisant, la conception moderne parle de l’inadéquation qui sera dévoilée par Kant où l’être
n’est saisissable que comme phénomène. Kant transporte le domaine de l’erreur à celui de
l’illusion : « une illusion naturelle et inévitable (…) ne cesse pourtant pas de se jouer de la
raison humaine et de la jeter en des erreurs momentanées qu’il faut constamment dissiper.»237
L’erreur enfermée dans l’a priori de Kant, s’agissant du progrès scientifique, a été
reprise par Karl Popper comme tremplin au développement de la connaissance. L’erreur est
alors un jugement mal établi, un caractère précis de chose mal pensée, elle se range parmi les
problèmes épistémologiques et se situe au niveau du jugement autant dans son aspect
d’attribution que dans son aspect d’assentiment238.
La connaissance peut subir un développement et la science peut progresser par les
apports des erreurs. La science évolue par essais et erreurs, par conjectures et réfutations
véritable critère des tentatives souvent erronées en vue de résoudre les problèmes que
rencontrent les scientifiques. Par exemple une théorie de l’expérience qui attribue aux
observations un rôle tout aussi modeste mais presque aussi décisif, celui d’être des tests
capables d’aider à la découverte des erreurs.239
Karl Popper veut démontrer que la connaissance peut subir un développement et que
la science peut progresser grâce à la leçon que nous tirons des erreurs. L’idée de l’erreur et de
la faillibilité humaine pose celle de la vérité objective, une norme inatteignable. L’homme est
en mesure de rechercher la vérité surtout objective mais souvent on manque cette finalité.
237
KANT, E., Critique de la raison pratique, P.U.F., Paris, 1943, p. 254.
Cf. Encyclopédie philosophique universelle, les nations philosophiques, P. U.F., Paris, 1980, p. 833.
239
Cf. POPPER, K., Conjectures et Réfutations : la croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, Paris,
2006, p.9.
238
Pour témoigner notre attrait à l’endroit de la vérité, nous devons la chercher en mettant au
clair nos erreurs, en usant de la critique rationnelle et d’une autocritique à tout moment.240
Il est certain que la vérité est cachée au fond de l’abîme, nous sommes très capable de
sonder cet abîme mais le manque de critère de vérité nous plonge dans le pessimisme. Les
critères pouvant nous permettre de reconnaître l’erreur et la fausseté sont à notre portée, car la
clarté et la distinction ne sont pas les critères de la vérité. Et pourtant l’obscurité, la confusion
sont des indices de l’erreur. La cohérence ne prouve pas la vérité. Il est certain que
l’incohérence ou l’incompatibilité démontrent la fausseté. Une fois qu’on a pris conscience de
son erreur, elle devient une lampe qui aide progressivement à s’affranchir de l’obscurité. 241
L’erreur est un guide dans la démarche évolutive de la science.
4. 1. 7. LA LUTTE CONTRE LA CONCEPTION DE LA VERITE ABSOLUE
Dans le domaine de la connaissance, la vérité ne peut plus se penser comme
adéquation de la chose et de l’esprit. Un certain nombre des philosophes ont montré que, dans
le domaine scientifique, nous n’avons jamais affaire à une vérité absolue et qu’il ne faut pas
absolutiser les théories scientifiques. La science progresse en remettant en cause les théories
jusque-là considérées comme vraies. Le chercheur essaie, sans cesse, de mettre à l’épreuve les
théories, de les faire tomber avant de les remplacer par des meilleures. Karl Popper nous
présente la mort de toute vérité absolue. Le scientifique ne décrit pas passivement une réalité,
il construit un objet scientifique, il interprète ce qu’il étudie à partir des outils qu’il s’est
donné. Ce qui signifie que nous n’avons accès qu’à une vérité toujours partielle, appréhendée
d’un certain point de vue.
La tâche de la science consiste à émettre des conjectures sur la réalité et à chercher à
éliminer celles qui se révèlent incompatibles avec les données observables. Une hypothèse
n’est jamais définitivement confirmée mais elle peut être infirmée par une seule expérience
contraire aux prévisions. La science s’approche alors de la réalité par une méthode d’essais et
erreurs, sans jamais pouvoir y arriver pleinement.
240
241
Cf. POPPER, K.., Des sources de la connaissance et de l’ignorance., Payot et Rivages, Paris, 1998, p. 84.
Cf. POPPER, K., Des sources de la connaissance et de l’ignorance, Payot et Rivages, Paris, 1998, pp.146148.
4. 1. 8. LA MULTIPLICITE DES OBJETS DE LA SCIENCE
En récusant la prétention à la vérité absolue, Karl Popper propose la notion de la
vérisimilitude ou la vérité approximative. Il diversifie l’objet de la science, il y aura autant
d’approches de la vérité que des scientifiques. Ainsi, la science est-elle dotée de deux objets :
la vérité et la vérisimilitude. La théorie de la vérisimilitude ne fait que confirmer
l’épistémologie sans sujet connaissant, comme elle prône que personne ne doit se déclarer
dépositaire d’une vérité absolue, mais la vérité ne peut qu’être approchée.
Karl Popper est original et marque une différence fondamentale en prenant en
compte les arguments négatifs. Les inductivistes se fiaient aux arguments provenant des
inférences non démonstratives : «La différence fondamentale entre mon approche et celle
pour laquelle j’ai introduit il y a longtemps, le qualificatif inductiviste est la suivante : je mets
l’accent sur les arguments négatifs, comme les exemples négatifs ou contre- exemples, les
réfutatifs et les tentatives de réfutations – bref sur la critique -, alors que l’inductiviste met
l’accent sur les exemples positifs, dont il tire des inférences non démonstratives et dont il
espère qu’ils garantiront la fiabilité des conclusions de ces inférences. Selon ma conception,
tout ce qu’il peut y avoir d’éventuellement positif dans notre connaissance scientifique n’est
positif que dans la mesure où, à un moment donné, nous préférons certaines théories à
d’autres, à la lumière de notre discussion critique qui incluent des tests empiriques (…). Cette
approche négative clarifie nombreux points par exemple, les difficultés que l’on rencontre
quand on veut expliquer de manière satisfaisante ce qu’est un exemple positif ou un exemple
étayant une loi »242
4. 1.9. LES VERTUS PHILOSOPHIQUES
Karl Popper prouve à suffisance que la simplicité et la lucidité sont réellement une
véritable vertu morale pour tous les intellectuels, car le manque de clarté est un péché et la
prétention est un crime : « La recherche de la vérité n’est possible que si nous parlons
clairement et simplement et si nous évitons la technicité et les complications superflues (…).
L’exigence de la concision est également importante, vu l’explosion des publications mais
242
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, pp.
64-65.
elle est moins pressante et elle est parfois incompatible avec la clarté. Souvent, nous sommes
incapables d’être à la hauteur de ces exigences, et nous ne parvenons pas à dire des choses de
façon claire et compréhensible mais cela montre seulement que tous, autant que nous sommes,
nous ne sommes pas tout à fait d’assez bons philosophes. »243
Les vertus philosophiques que Karl Popper propose sont pertinentes et certainement
tout scientifiques doit liée science et le vivre-ensemble. Il faut que la science entretienne une
corrélation avec la sagesse. Il faut savoir conjuguer la science et la sagesse. Nous savons que
Socrate en pèlerinage à Delphes reprend pour son compte l’inscription trouvée sur le fronton
du temple : ‘le connais- toi toi-même.’ Erasme est parvenu à redonner vie à cette maxime
modeste que Socrate a fait sienne en ajoutant ‘reconnais aussi combien tu connais peu’. Dans
la même optique Karl Popper a prôné la modestie scientifique au même titre que Montaigne.
Ce dernier précise dans ses Essais que la plus grande part de ce que nous connaissons est la
plus petite de celle que nous ignorons. Nous devons prendre conscience de la masse immense
des choses que nous ignorons. La science nous apprend ce que nous ne savons pas, elle nous
conduit à la conclusion selon laquelle nous ne savons encore rien.244
4. 1.10. L’IMPORTANCE DE LA LOGIQUE EPISTEMIQUE
Karl Popper a le mérite d’avoir défendu et contribué à mettre en évidence la place qui
doit être faite à la logique épistémique dans le progrès de la connaissance scientifique. Il
s’oppose à la prétention à la vérité d’un certain nombre des scientifiques. La logique
épistémique bat en brèche la représentation du sujet connaissant, ainsi énoncée :
B connaît M ou B sait M ou B croit que M. Elle se note : Fbm ou Pbm où
F et P indiquent les relations de savoir, de connaître, de croyance.
B est le sujet connaissant ou sachant ou croyant
M est la proposition connue ou crue ou sue ou l’état des choses. Pour Karl Popper,
Cette représentation est fausse, car le scientifique ne sait pas et ne croit pas. Le scientifique
(Sc) peut essayer.
Sc essaye de comprendre M
Sc essaye de penser à des alternatives à M
243
244
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
99.
Cf. MONTAIGNE, Essais, cité par BENMAKHLOUF, A., « Karl Popper, le savoir de l’ignorance » in
Centenaire Karl Popper du 31 octobre au 1 novembre 2002, Faculté des Sciences humaines et sociales,
Tunis, (décembre 2003), p.14.
Sc essaye de penser à des critiques de M
Sc propose un test pour M245
Karl Popper s’inspire de la combinaison de deux méthodes introduites par Alfred
Tarski ; la notion de vérité et la notion de contenu (logique) d’un énoncé.
Chaque énoncé est doté d’un contenu ou d’une classe des conséquences logiques.
Dans ce cas, tout contenu contient un sous contenu, constitué exclusivement de la classe de
toutes ses conséquences vraies. La classe des conséquences des énoncés tautologiques est
zéro. La classe de tous les énoncés vrais qui découlent d’un énoncé donné (ou qui appartient à
un système déductif donné) et qui ne sont pas tautologiques, est appelée son contenu de vérité.
Les contenus de vérité des tautologies (énoncés logiquement vrais) est zéro : il ne contient que
des tautologies. L’expression tautologique est celle qui est vraie quelles que soient les valeurs
de vérité des variables. Les énoncés faux constituent le contenu de fausseté.
Le contenu de fausseté d’un énoncé signifie qu’il doit s’agir d’une classe des
conséquences qui contient tous les énoncés faux, conséquence logique du contenu de fausseté
d’un énoncé et qui ne contient aucun énoncé vrai : « de tout énoncé faux il est possible de
déduire logiquement des énoncés vrais. La disjonction d’un énoncé faux et de n’importe quel
énoncé vrai est un exemple d’énoncé vrai qui découle logiquement de l’énoncé faux. » 246
Certaines théories peuvent être plus fortes, car dotées d’un plus grand contenu et
peuvent avoir une plus grande vérisimilitude. Telle est la véritable base logique de la méthode
scientifique, celle des conjectures audacieuses et des tentatives des réfutations. Au fait, une
conjecture audacieuse est une théorie dotée d’un plus grand contenu que celui de la théorie à
surpasser. C’est alors que sa probabilité d’être fausse est très grande. C’est quand on découvre
ses failles qu’on la réfute. Si nous ne parvenons pas à la réfuter nous aurons alors des raisons
de soupçonner ou de conjecturer que la théorie la plus forte n’a pas un contenu de fausseté
plus grand que la théorie la plus faible qui l’a précédée et, par conséquent, qu’elle a un degré
plus grand de vérisimilitude. 247
245
Cf. POPPER, K., La connaissance objective, Ed. Complexe, Bruxelles, 1985, pp. 154-155.
POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991, p.
104
247
Cf. POPPER, K., La connaissance objective. Une approche évolutionniste, Aubier-Montaigne, Paris, 1991,
p. 111.
246
4.1.11. LA REHABILITATION DE LA METAPHYSIQUE
A l’instar de Kant, Karl Popper réhabilite la métaphysique reléguée à la catégorie de
non-science par le positivisme logique. Son épistémologie est fondée sur la falsifiabilité.
Selon lui, accepter la falsifiabilité c’est consentir à l’existence de la métaphysique comme
science. La théorie empirique est dotée des conséquences métaphysiques douées de sens.
Pour lui, l’a priori est indispensable.
Quand la métaphysique ne s’abîme pas dans la
scolastique, elle est une science, susceptible d’inciter à la curiosité, à l’étonnement. Ce dernier
est père de la philosophie comme nous le précise Aristote. Devant une aporie on avoue son
ignorance et on cherche à connaître : « Toute découverte contient un élément irrationnel, une
intuition créatrice au sens de Bergson. »248
4.1.12. LA METHODOLOGIE DE CONTROLE
Une nouvelle méthodologie a été conçue par Karl Popper en vue de supplanter celle
utilisée par ses prédécesseurs notamment les Viennois. Il s’agit de la méthodologie qui relève
de son épistémologie : C’est le couple conjectures-réfutations dont le critère de démarcation
est la falsifiabilité. Grâce à cela Karl Popper inaugure une épistémologie sans sujet
connaissant, une épistémologie qui se veut objective par opposition à l’épistémologie
subjective dont la caractéristique la plus manifeste est celle du sujet connaissant c’est-à-dire la
prétention du sujet à atteindre la vérité. La démarche méthodologique conjectures-réfutations
usant du critère de démarcation de la falsifiabilité précise que toutes les théories sont toujours
provisoires et jamais définitives. Karl Popper estime que la méthodologie de la vérifiabilité
est restrictiviste et doit être remplacée par nouvelle méthodologie de recherche en vue du
progrès scientifique infini, le couple conjectures-réfutations. Les théories évoluent, aucune
théorie n’a la prétention à la vérité ni susceptible d’être falsifiée en vue de l’avancement
scientifique.
248
POPPER, K., La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1973, p.32.
4 .1.13. LE PRINCIPE DE CONTRADICTION
Karl Popper utilise le principe de contradiction. Le refus de ce principe rendrait
impossible la recherche scientifique ou rationnelle, car il est facile de démontrer que d’un
couple d’énoncés contradictoires entre eux, on peut logiquement déduire n’importe quel
énoncé. La contradiction selon Karl Popper n’est pas à situer dans la nature des choses, elle
est au niveau de la pensée. La connaissance scientifique doit proposer des conjectures et les
contrôler par déduction. Il faut que le scientifique contredise la théorie antérieure en vue de la
nouvelle. Avec les méthodes de décision : indirecte et contre-exemple, quand on aboutit à la
contradiction, on réalise que l’expression était correcte ; il était absurde de la considérer
comme fausse.
4.2. LIMITES
Certaines limites sont à déceler, selon nous, dans la pensée épistémologique de Karl
Popper, à savoir : l’oubli du domaine éthique de la vérité, les limites de son épistémologie
objective, la paupérisation de la science, insuffisance de la démarcation, l’infériorité de la
vraisemblance, les énoncés infalsifiables…
4. 2. 1. L’OUBLI DU DOMAINE ETHIQUE DE LA VERITE
Karl Popper n’a pas abordé la notion de la vérité sur le plan éthique, pourtant cette
dimension est importante. Dire la vérité est aussi un problème moral et à ce stade la véracité
s’oppose au mensonge. C’est alors qu’on se poserait la question ‘à quoi bon dire la vérité ?’
Et comme un adage populaire stipule que toute vérité n’est pas bonne à dire, les hommes se
contentent dans certaines circonstances de négliger la vérité, de la cacher. C’est alors qu’ils
estiment que certaines choses sont plus valeureuses que la vérité. La possibilité du mensonge,
de la dissimulation, les pousse à poser une question qui dépasse les phénomènes particuliers :
‘Etant donné que nous pouvons passer sous silence la vérité, quel intérêt avons-nous
d’elle ?’ ; ‘A quoi nous sert-elle’ ? Richard Rorty place le discours pragmatique contemporain
sur la vérité dans une perspective éthique. Il souligne qu’ « en tant que partisan de la
solidarité, ce qu’il dit de la valeur de la recherche coopérative humaine n’a qu’un fondement
éthique et non un fondement épistémologique. »249
La vie morale manifeste en l’homme une recherche de vérité qui n’est pas
réductible à celle de la connaissance. Cette vérité est la conformité d’une vie à un idéal, à une
finalité profonde reconnue comme un appel. La vérité d’un homme n’est pas dans le savoir,
mais dans le consentement réaliste et exigeant à vivre selon le bien.
Il faut alors parler moins d’un conditionnement que d’un dépassement de la vérité
purement théorique. Lorsque l’homme entend donner à la vérité la primauté et y conformer sa
vie, il remarque que la pensée est imaginante, car imaginer mon ami Paul c’est aller vers lui.
La vérité cesse d’être une valeur de la raison et devient celle de l’existence. Elle doit être
éthique. Pour Karl Popper, la vérité s’éloigne de tout discours éthique et pourtant, elle revêt
aussi cette dimension : « Où loge la vérité des hommes ? Ce n’est point ce qui se démontre. Si
dans ce terrain et non dans un autre les orangers développent de solides racines et produisent
des fruits, ce terrain-là, c’est la vérité des orangers. Si cette religion ; si cette culture, si cette
échelle de valeurs (…) et non telles autres favorisent dans l’homme cette plénitude, délivrent
en lui un grand seigneur qui s’ignorait, c’est que cette échelle de valeurs, cette culture sont la
vérité de l’homme.»250
La vérité pour l’homme c’est ce qui fait de lui un homme. La vérité, c’est ce qui
épanouit l’homme, ce qui le délivre et l’accomplit. Un homme raisonnable suppose donc autre
chose que la pensée rationnelle. Elle implique l’intuition des valeurs, la sélection des valeurs.
Un homme de valeur n’est pas seulement un homme qui enchaîne correctement des
propositions. C’est un homme qui fait preuve de jugement et qui, grâce à son sens moral, à
son expérience de vie, à de bonnes intuitions, choisit judicieusement les axiomes de départ.
4. 2.2. L’INSUFFISANCE DE LA DEMARCATION
La démarcation entre science et métaphysique est moins nette que ne le dit Karl
Popper. L’histoire
des sciences nous offre de nombreux cas où une théorie longtemps
considérée comme métaphysique s’est, cependant, révélée finalement testable. « Ainsi en a-til été de la théorie atomique et aussi de la théorie de la lumière. Popper lui-même a reconnu
que le critère de la démarcation ne peut pas être absolument tranchant mais qu’il doit avoir
des degrés. On aurait cependant souhaité le voir souligner davantage que, dans le passé et
249
250
RORTY, R., « Solidarité ou objectivité », in Critique, n° 439, 1983, p. 927.
De St EXUPERY, A., Terre des hommes, Gallimard, Paris, 1953, p. 24.
encore aujourd’hui, notamment, en biologie et dans les théories cosmologiques, les
scientifiques ne paraissent pas aussi préoccupés que Popper d’établir une démarcation
explicite dans leurs propos entre ce qui est science et ce qui est métaphysique. D’ailleurs, en
plus d’un cas, cette démarcation n’est pas aisée à établir. »251
L’épistémologie de Karl Popper considère que le but de la science est la recherche de
la vérité. Elle est conçue comme correspondance avec une réalité pré-existante. la recherche
de la vérité donne un sens à l’activité autonome de la science. Le réalisme pragmatiste de
Jurgën Habermas stipule de considérer comme empiriquement valables toutes les théories qui
fournissent des hypothèses informatives aptes à diriger la pratique technique sans conduire à
des échecs. Cette épistémologie paraît empiriste, car elle suppose que les théories peuvent être
mises à l’épreuve à l’aide de faits qui en sont indépendants.
4. 2. 3. LA PAUPERISATION DE LA SCIENCE
Karl Popper souligne la fugacité de la vérité et par là il propose une approximation de
la vérité. Affirmer que la vérité est approximative, inaccessible, c’est au moins reconnaître
une vérité, celle de la vérisimilitude. Par là sa propre thèse est nuancée voire infirmée, car
toute pensée qu’on affirme vise une vérité, se reconnaît faite pour la vérité et tend à poser
implicitement sa propre valeur. C’est une démonstration par l’absurde.
En science, nous aspirons tous à l’excellence. Cependant, la thèse selon laquelle la
vérité est inaccessible et, par conséquent, il faut plutôt que la science aspire à la vérisimilitude
doit être relativisée. Ce faisant, la vraisemblance est quelque chose qui approche la vérité sans
pour autant l’atteindre effectivement. En plus, le mot vérisimilitude est composé de verus et
similis cela pousse à prouver que personne ne peut fonder une vérité sur les hypothèses. En
réalité, Karl Popper progressivement détrône la science de son objet et lui dote d’un autre qui
est réellement incertain et par surcroît hypothétique. C’est dans ce contexte que l’on estime
que Karl Popper a appauvri la science en postulant l’approximation de la vérité.
251
RUSSO, F., « La connaissance scientifique selon Karl Popper » in Etudes, ( mai 1978), pp 395-396.
4.2.4. LES INCERTITUDES DANS LA PENSEE POPPERIENNE
On n’arrive pas très bien à savoir si Karl Popper entend nous proposer une logique
complète de la connaissance scientifique ou s’il se limite à la logique des tests, assurément
fondamentale mais qui est un aspect entre plusieurs autres. Dans ce cas cette pensée
poppérienne se révèle étroite. Sa logique est tantôt rigoureuse, strictement formelle, tantôt une
logique relevant d’une rationalité assez large, fondée sur des sentiments de convenance
difficilement objectivables. Karl Popper, en faisant place à divers niveau de rationalité a
traduit la réalité de la démarche scientifique mais il n’a pas mieux explicité cet état de chose.
Il a reconnu ce trait fondamental de la démarche scientifique que constitue la tension
entre deux visées : l’une de découverte, mobilisant toutes les essences créatrices de l’esprit
sans souci direct de la logique, de rigueur ; l’autre de justification, soumise à des règles de
plus en plus sévères, mais faisant place, lorsqu’il est impossible d’atteindre une preuve
certaine, à des décisions qui, bien qu’aussi raisonnables que possibles, comportent une part
instable de risque. Karl Popper n’a pas analysé et explicité cette situation qui fait de la
science une aventure.
4. 2.5.
L’INFERIORITE DE LA VRAISEMBLANCE A LA VERITE
Karl Popper en proposant comme but de la science la vraisemblance, parvient à
réduire l’objet de la science, car la vérité se distingue facilement de la vraisemblance, qui est
son degré inférieur et consiste dans ce qui paraît vrai. La vraisemblance est quelque chose qui
n’est pas réellement la vérité. Elle tend vers la vérité et a l’apparence de la vérité. Dans
pareille circonstance, il est difficile de penser que la vraisemblance puisse se présenter comme
l’objet de la science, car le chercheur est assoiffé de la vérité. La vraisemblance se réfère à ce
qui est considéré comme vrai sans preuve, sans certitude mais avec probabilité. Dans les
temps anciens, la vraisemblance fut exigée dans le théâtre surtout en vue de l’esthétique
notamment dans les tragédies mythologiques, historiques. La vraisemblance peut ne pas être
le vrai et le vrai peut n’être pas vraisemblable.
4.2.6. LES ENONCES INFALSIFIABLES
Certains énoncés ne peuvent pas être falsifiés par exemple : « soit il pleut soit il ne
pleut pas » ; « tous les points d’un cercle euclidien sont équidistants du centre ». Il est certain
que nulle part où l’on trouvera un énoncé d’observation logique qui peut réfuter l’énoncé
« soit il pleut soit il ne pleut pas », cet énoncé est vrai quel que soit le temps qu’il fait, c’est un
énoncé tautologique. On peut avoir de la chance dans les paris sportifs.
L’énoncé ‘les points d’un cercle euclidien sont équidistants du centre’ est
nécessairement vrai en raison de la définition même d’un cercle euclidien. Il en va de même
pour l’énoncé ‘ les célibataires ne sont pas mariés’. Cet énoncé est toujours vrai. Le
falsificationiste exige que les hypothèses scientifiques soient falsifiables en exhibant une série
d’énoncés d’observations, qu’une loi à une théorie acquiert une valeur informative. Ces
énoncés précités sont infalsifiables contrairement à il ne pleut jamais le Dimanche, Une fois
chauffé, tout corps se dilate.252
252
Cf. CHALMERS, A.-F., op. cit., pp. 62-63.
4.3. Conclusion
Ce chapitre avait comme but primordial de mettre en évidence les mérites et les limites
de la pensée épistémologique de Karl Popper. Parmi les mérites, nous avons cité l’importance
du paradigme de la falsifiabilité, la méthode hypothético-déductve, la libération de la
connaissance objective de la dictature du sujet, les nuances introduites dans les notion de
certitude et d’évidence par rapport à la vérité, la découverte de la fécondité de l’erreur, la lutte
contre la conception de la vérité absolue, la multiplication des objets de la science en vérité
visée et vérisimilitude atteinte, la mise en valeur des vertus philosophiques de la simplicité et
de la lucidité, l’importance de la logique épistémique, la réhabilitation de la métaphysique, la
méthodologie de contrôle, le principe de contradiction.
Nous avons essayé de cerner certaines limites, conformément à son idéologie de
falsification : l’oubli du domaine éthique de la vérité, l’insuffisance de la démarcation, la
paupérisation de la science, les incertitudes dans la pensée poppérienne, l’infériorité de la
vraisemblance à la vérité, les énoncés infalsifiables comme les énoncés tautologiques…
CONCLUSION GENERALE
Dans ce travail, nous avons étudié la question de la vérité dans l’épistémologie de
Karl Popper. Cette problématique est aussi vieille que la philosophie et a été l’objet de
plusieurs discussions au cours de son l’histoire. La science est une quête inachevée de la
vérité, raison pour laquelle Karl Popper pose cette problématique. La connaissance
scientifique vise la vérité mais aucun chercheur ne peut prétendre l’avoir atteinte.
La science fait appel à la vérité, qui joue un rôle régulateur dans le progrès de la
connaissance. L’idée de critique, de l’élimination de l’erreur qui, dans la science, occupe une
place fondamentale, suppose l’idée de vérité. L’effort de la science pour atteindre la vérité est
le motif le plus puissant de la découverte scientifique. Les théories cherchent toujours à se
rapprocher de la vérité. La démarche scientifique est une quête obstinée et audacieusement
critique de la vérité. Karl Popper cherche une définition de la vérité, celle d’artiste lui paraît
insuffisamment formel : la correspondance avec les faits. C’est alors que cette définition
formelle lui sera fournie par Alfred Tarski. Celui-ci démontre que la notion de vérité ne peut
pas être introduite dans une discussion logique rigoureuse sans faire appel à différents niveaux
de langage. D’où la distinction entre métalangage et langage objectif.
Au cours du premier chapitre, nous avions passé en revue certaines conceptions de la
vérité. L’histoire de la philosophie nous a fourni plusieurs conceptions de la vérité dont nous
avons présenté l’évolution et l’intelligibilité. Les conceptions de la vérité sont multiples,
notamment : vérité monstration, vérité correspondance, vérité cohérence, vérité utilitaire,
vérité consensuelle, vérité approximative, vérité impossible,…
Toutes ces approches illustrent clairement l’épistémologie traditionnelle dont le but
principal est le fait de préciser que le sujet connaît, sait et est dépositaire de la connaissance
d’une manière certaine, vraie, absolue. C’est alors que l’on se demande ce qui pourrait
garantir cette façon de soupçonner l’être prétendu être dans la vérité. Dans l’histoire de la
philosophie chaque époque ou chaque doctrine tente d’appréhender la vérité. Chez les
Sophistes, nous avons relevé que le critère de vérité est l’homme, car comme le soutenait
Protagoras, l’homme est la mesure de toutes choses, de celle qui est et de celle qui n’est pas.
Ce relativisme de la vérité conduit à l’historicité de la vérité au cours de laquelle, l’on
remarque que ce qui était vrai pour l’homme d’hier ne l’est plus aujourd’hui en tenant compte
du dynamisme humain. Pour ce faire, les sceptiques, grâce à leurs tropes, illustrent la théorie
du rejet de toute vérité en soutenant la suspension du jugement, l’impossibilité d’atteindre la
vérité. Les rationalistes estiment que le critère de la vérité est l’évidence et par conséquent
l’homme est capable d’atteindre une vérité absolue. L’homme est alors un sujet connaissant.
C’est alors que l’homme est dans une véritable certitude absolue, car elle est à l’abri de tout
risque de se tromper. Au Moyen Age, les vérités éternelles, censées exister indépendamment
du monde, sont conçues comme contenues dans l’intelligence de Dieu et comme soustraites à
sa volonté. Par ailleurs, la patristique, disait que « si fallor sum », si je me trompe je suis. Pour
les philosophes de cette époque, il existe un mouvement de retour vers soi-même qui se
présente comme une ascension vers Dieu, fondement original de toute vérité. De son côté, la
scolastique, avec Saint Thomas d’Aquin, pense que le critère de vérité se trouve dans les
raisons éternelles imitées par les formes créées, c’est-à-dire que la vérité se fonde dans la
relation triangulaire avec Dieu, la créature et l’intelligence. Pour Duns Scot et Guillaume
d’Occam, les vérités éternelles dépendent du choix exprès de Dieu. René Descartes estimera
que les vérités éternelles sont l’effet d’une libre création de Dieu et Malebranche estime
qu’elles sont incréées.
Hume empêche de chercher la vérité en remontant la chaîne de causalité. Le
scepticisme est une méthode de recherche de vérité. Faire du critère de vérifiabilité, le critère
de démarcation est une conséquence logique d’une conception erronée de la science qui
depuis Bacon a prévalu et a fait reposer la démarche scientifique sur une procédure inductive.
Progressivement, les empiristes précisent que le critère de la vérité est alors la conformité de
la pensée aux données de l’expérience. L’homme connaît grâce à l’expérience, celle-ci est
celle des faits observables pour justifier la vérité de la connaissance. Mais Karl Popper a subi
l’influence de certains de ses contemporains. C’est ainsi que nous réalisons une ébauche sur la
doctrine de Albert Einstein qui a profondément marqué l’épistémologie de Karl Popper. Cette
théorie veut dépasser la mécanique newtonienne sans se prétendre absolue. Cette attitude est
remarquablement alléchante à l’endroit de Karl Popper et marque réellement son entreprise
philosophique épistémologique. Karl Popper a subi l’influence du cercle de Vienne et a réussi
de mettre en doute le critère de démarcation que ce cercle propose la vérifiabilité. Il le
remplace par la falsifiabilité. Il a également subi l’influence de Alfred Tarski de qui il
apprend à utiliser les notions de vérité et de fausseté.
Au deuxième chapitre nous avons abordé la question de la vérité chez Karl Popper en
partant de sa réaction contre la philosophie du positivisme logique. Dans La logique de la
découverte scientifique, Karl Popper critique radicalement le Cercle de Vienne en s’appuyant
sur la critique de D. Hume à l’endroit du processus inductif. Il est évident que si les exemples,
peu importe le nombre confirmant l’inférence, peuvent justifier la vérité d’une proposition
universelle, il est vrai qu’un seul exemple diamétralement opposé permet d’en démontrer la
fausseté. Il s’agit donc de procéder à sa falsification. C’est la falsifiabilité qui constitue le
trait caractéristique des théories scientifiques. Pour lui, toute théorie scientifique doit être
falsifiée en vue du progrès de la science. De là, il approche la connaissance scientifique
comme un mouvement vers la vérité mais celle-ci se veut insaisissable, fugace alors il énonce
une théorie de la vérité approximative, c’est-à-dire que personne ne peut prétendre atteindre la
vérité ; on ne peut que l’approcher. C’est dans ce contexte qu’il prouve que le but de science
est la vérité, toujours fugitive susceptible d’être traduite en terme de vérisimilitude,
vraisemblance. Cependant, une théorie peut résister au test de falsification et elle est alors dite
théorie corroborée mais, certes, que les tests ultérieurs la falsifieront. Clairement, nous ne
connaissons pas la vérité, nous ne pouvons que conjecturer. Il est à noter que Karl Popper a
réussi à démontrer que la recherche de la vérité est un objet de toute activité scientifique.
L’activité des scientifiques est dynamisée grâce aux théories falsifiées. Les hommes de
science doivent être très critiques comme ils sont à tout moment en train de confronter leurs
théories à la réalité. Ils sont motivés par le souci de la critique en vue de la transformation de
leurs théories grâce aux faits de l’expérience de la réalité. Cette technique concourt au progrès
de la science en jouissant de l’élimination des erreurs et en s’approchant de la vérité. Le
propre de la science est de connaître par exclusion. Il est difficile de connaître en toute
globalité, il faut exclure, éliminer certains aspects de la réalité. Ne sont scientifiques que les
cas reconnus falsifiables. Aucun paradigme n’est définitif ou qui se trouverait à l’abri d’une
remise en question fondamentale.
Au troisième chapitre, nous nous sommes attelé à étudier l’épistémologie objective de
Karl Popper. Il s’insurge contre l’épistémologie traditionnelle qui dote le sujet du caractère
de connaître, d’être un sujet connaissant. Karl Popper récuse cette façon de voir, car la vérité
est inaccessible. Personne ne peut prétendre la connaître. Il met sur pied une philosophie
pluraliste par le truchement de la théorie de trois mondes. Il postule une épistémologie
objective, une épistémologie sans sujet connaissant, car la vérité demeure une visée de la
science mais s’avère inaccessible et alors personne ne peut prétendre la connaître, la science
serait arrêtée, et pourtant elle ne vise que la vérité qui est inatteignable. Cette épistémologie
objective est basée sur le paradigme de la falsifiabilité comme critère de démarcation. Pour
Karl Popper, l’idée d’une science qui ne serait pas objective ou bien qui n’est pas une
connaissance objective, n’en est pas une, car l’objectivité est consubstantielle à la science.
Le quatrième chapitre est une appréciation critique de la pensée épistémologique
poppérienne. Nous avions relevé quelques mérites que présente cette philosophie et tenté de
discerner quelques insuffisances toute théorie est falsifiable. La pensée poppérienne est si
riche et si complexe que nous ne prétendons nullement en avoir épuisé la quintessence. Notre
satisfaction est d’avoir pu clarifier sa conception épistémologique particulièrement sa vision
de la science comme un mouvement des rapprochements approximatifs de la vérité.
Nunc laborare oportet.
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28. LECOURT, Dominique, L’ordre et les jeux. Le positivisme en question, Bernard Grasset,
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29. KANT, Emmanuel, Critique de la raison pratique, P.U.F., Paris, 1943.
30. MALHERBE, Jean-François, La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique,
P.U.F., Paris, 1979.
31. MARFAUX, Louis-Marie, Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences
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32. NKOMBE OLEKO, François, Essai de logique générative, Médias Paul, Lubumbashi,
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33. ROBAYE, René, Introduction à la logique et à l’argumentation, Academia-Erasme,
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34. PARRAIN-VIAL, Jeanne, Tendances nouvelles de la philosophie, Le Centurion, Paris,
1978.
35. POCHE, François, Penser avec Arendt et Levinas. Du mal politique au respect de
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36. PLATON, Théétète, Ed. Garnier, Paris, S.d.
37. IDEM, Protagoras, Euthydème, Gorgias, Ménexène, Ménon, Cratyle, Flammarion, Paris,
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38. RENAULT, Alain (dir.), Histoire de la philosophie politique. Les philosophies politiques
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39. VERGEZ, André et HUISMAN, Denis, Cours de philosophie – terminales ABCDE,
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40. IDEM, Histoire de la Philosophie illustrée par les textes, Nathan, Paris, 1996.
41. SPINOZA, B., Œuvres complètes, Gallimard, Paris, 1954.
42. THONNARD, F. – J., Précis d’histoire de la philosophie, Desclée et Compagnie, Paris,
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43. Bible de Jérusalem, Edition du Cerf, Paris, 2002.
44. WITTGENSTEIN, Ludwig, Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, Paris, 1993.
III ARTICLES
45. ANIETIE ESSIEN, Anthonny, « La falsifiabilité comme critère de scientificité chez Karl
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46. BENMAKHLOUF, Ali, « Karl Popper, le savoir de l’ignorance » in Centenaire Karl
Popper du 31 octobre au 1 novembre 2002, Faculté des Sciences humaines et sociales,
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47. EKOLO ADIAKA, « Popper et le progrès scientifique » in Raison Ardente, n°62,
(décembre 2001), pp. 20-27.
48. LADRIERE, Jean, « Vérité et praxis dans la démarche scientifique » in Revue
philosophique de Louvain, Tome 72, (mai 1974), pp. 284-310.
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50. MBEN, Loic, « Le troisième monde poppérien : vers une épistémologie sans sujet
connaissant » in Raison Ardente, n°62, (décembre 2001), pp.58-70.
51. PEGORARO, Olinto, « Notes sur la vérité chez Saint Thomas d’Aquin et Martin
Heidegger » in Revue philosophique de Louvain, Tome 74, 1976, pp.45-55.
52. RICARD,Käty, « Science, métaphysique et théologie. Une lecture de Karl Popper» In
Etudes, (décembre 1987), pp. 623-634.
53. RORTY, Richard, « Solidarité ou objectivité » in Critique, n° 439, 1983, pp. 43-76.
54. RUSSO, François, « La connaissance scientifique selon Karl Popper » in Etudes, (mars
1978), pp.385-401.
55. SEDMAK Clemens., « Religion et falsification : est-ce qu’on peut falsifier une
religion ? » In Centenaire Karl Popper du 31 octobre au 1 novembre 2002, Faculté des
Sciences humaines et sociales, Tunis, (décembre 2003), pp. 75-95.
IV. DICTIONNAIRES
56. LALANDE, André., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, P. U. F., Paris,
1960.
57. LECOURT, Dominique, Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences, P.U.F,
Paris, 2006.
58. COMTE-SPONVILLE, André, Dictionnaire philosophique, Paris, P. U. F., 2001.
59. REY, Alain, Dictionnaire Micro Robert, Montréal, 1998.
60. GODIN, Christian, Dictionnaire de philosophie, Fayard, Paris, 2004.
61. MICHEL Albin, Dictionnaire de la Philosophie, Encyclopedia Universalis, Paris, 2000.
62. Encyclopédie philosophique universelle, les nations philosophiques, P. U.F., Paris, 1980.
V. COURS
63. LADRILLE Guillaume., Cours de critique des connaissances, G1 Philosophie,
Scolasticat Saint Jean Bosco Kansebula, Lubumbashi, Inédit, 1994-1995, pp. 21-22.
VI .INTERNET
64. Anonyme, La vérité [en ligne] http : //membres. Lyco 1. Fr/youpi 98/philo/ vérité. Pghtm
consulté le 5 mars 2008.
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHES……………………………………………………………………………….I
DEDICACE………………………………………………………………………………….II
IN MEMORIAM…………………………………………………………………………….III
AVANT PROPOS……………………………………………………………………………IV
INTRODUCTION GENERALE……………………………………………………………1
0.1 PROBLEMATIQUE………………………………………………………………………1
0.2 CHOIX ET INTERET DU SUJET………………………………………………………..4
0.3 HYPOTHESE DU TRAVAIL……………………………………………………………..5
0.4 METHODE DE TRAVAIL………………………………………………………………..5
0.5 DELIMITATION DU TRAVAIL…………………………………………………………6
0.6 ETAT DE LA QUESTION………………………………………………………………..6
0.7 SUBDIVISION DU TRAVAIL……………………………………………………………7
CHAPITRE PREMIER
CERTAINES CONCEPTIONS DE LA VERITE………………………………………………8
1.0 INTRODUCTION………………………………………………………………………..8
1.1 LA CONCEPTION DE LA VERITE MONSTRATION…………………………………10
1.1.1 PARMENIDE…………………………………………………………………………..10
1.1.2. SOCRATE……………………………………………………………………………..10
1.1.3. PLATON………………………………………………………………………………11
1.1.4. HEGEL………………………………………………………………………………...12
1.1.5. HUSSERL……………………………………………………………………………...13
1.1.6. HEIDEGGER………………………………………………………………………….14
1.2. LA CONCEPTION DE LA VERITE-CORRESPONDANCE……………………………16
1.2.1. ARISTOTE…………………………………………………………………………….17
1.2.2. SAINT AUGUSTIN…………………………………………………………………...18
1.2.3. SAINT THOMAS D’AQUIN…………………………………………………………18
1.2.4. L’ATOMISME LOGIQUE……………………………………………………………20
1.2.5. L’EMPIRISME LOGIQUE……………………………………………………………22
1.2.6. Alfred TARSKI………………………………………………………………………..24
1.3. LA CONCEPTION DE LA VERITE COHERENCE………………………………….....26
1.3.1. LA SYLLOGISTIQUE ARISTOTELITIENNE………………………………………26
1.3.2. LES RATIONALISTES……………………………………………………………….28
1.3.2.1. René DESCARTES………………………………………………………………….30
1.3.2.2. Emmanuel KANT……………………………………………………………………31
1.4. LA CONCEPTION DE LA VERITE UTILITAIRE……………………………………...34
1.4.1. LES SOPHISTES………………………………………………………………………34
1.4.2. NIETZSCHE…………………………………………………………………………...37
1.4.3. LES PRAGMATISTES………………………………………………………………..37
1.5. LA CONCEPTION CONSENCUELLE DE LA VERITE………………………………...39
1.6. LA CONCEPTION DE LA VERITE IMPOSSIBLE OU SCEPTICISME……………….40
1.7. Albert EINSTEIN ET LA NOTION DE LA VERITE APPROXIMATIVE……………………..41
1.8. CONCLUSION…………………………………………………………………………43
CHAPITRE DEUXIEME
LA QUESTION DE LA VERITE CHEZ KARL POPPER……………………………………44
2.0. INTRODUCTION……………………………………………………………………….44
2.1. KARL POPPER FACE AU POSITIVISME LOGIQUE………………………………..46
2.2. LA NOTION DE LA FALSIFIABILITE………………………………………………..50
2.3. DE LA VERITE CHEZ KARL POPPER………………………………………………..59
2.3.1. LA VERITE, IDEE REGULATRICE………………………………………………...60
2.3.2. LA NOTION DE LA VERITE APPROXIMATIVE………………………………….62
2.3.3. LA NOTION DE LA VERISIMILITUDE……………………………………………69
2.3.4. LA NOTION DE LA CORROBORATION………………………………………….73
2.4. LE PROGRES SCIENTIFIQUE………………………………………………………..76
2.5. LA METHODOLOGIE SCIENTIFIQUE POPPERIENNE……………………………77
2.6. CONCLUSION………………………………………………………………………….80
CHAPITRE TROISIEME
LA CONNAISSANCE SANS SUJET CONNAISSANT……………………………………….81
3.0. INTRODUCTION……………………………………………………………………….81
3.1. LA CONNAISSANCE SUBJECTIVE…………………………………………………..82
3.2. LA CRITIQUE POPPERIENNE DE LA CONNAISSANCE SUBJECTIVE…………..85
3.3. LA PHILOSOPHIE PLURALISTE……………………………………………………..89
3.3.1. LES TROIS MONDES………………………………………………………………..90
3.3.2. LE TROISIEME MONDE…………………………………………………………….91
3.3.2.1. LES SOURCES DU TROISIEME MONDE………………………………………..91
3.3.2.2. L’IMPORTANCE DU TROISIEME MONDE……………………………………...92
3.3.2.3. LE LANGAGE DU MONDE 3……………………………………………………..94
3.3.2.4. LA CONNAISSANCE OBJECTIVE……………………………………………….95
3.3. L’EPISTEMOLOGIE OBJECTIVE…………………………………………………….97
3.4. CONCLUSION…………………………………………………………………………103
CHAPITRE QUATRIEME
APPRECIATION CRITIQUE DE LA PENSEE POPPERIENNE…………………………..104
4.0. INTRODUCTION……………………………………………………………………..104
4.1. MERITES……………………………………………………………………………..105
4.1.1. LE PARADIGME DE LA FALSIFIABILITE………………………………………105
4.1.2. LA METHODE HYPOTHETICO-DEDUCTIVE…………………………………..107
4.1.3. LA CONNAISSANCE OJECTIVE LIBEREE DE LA DICTATURE DU SUJET
CONNAISSANT……………………………………………………………………108
4.1.4. LA NUANCE ENTRE CERTITUDE, VERITE ET EVIDENCE…………………..109
4.1.4.1. LA CERTITUDE………………………………………………………………….109
4.1.4.2. L’EVIDENCE………………………………………………………………………110
4.1.4.3. LA VERITE………………………………………………………………………...110
4.1.5. LA NUANCE ENTRE ILLUSION, ERREUR ET MEPRISE…...…………………111
4.1.5.1. L’ERREUR…………………………………………………………………………111
4.1.5.2. L’ILLUSION……………………………………………………………………….111
4.1.5.3. LA MEPRISE………………………………………………………………………111
4.1.6. LA FECONDITE DE L’ERREUR…………………………………………………..111
4.1.7. LA LUTTE CONTRE LA CONCEPTION ABSOLUE DE LA VERITE………….113
4.1.8. LA MULTIPLICITE DES OBJETS DE LA SCIENCE……………………………..114
4.1.9. LES VERTUS PHILOSOPHIQUES…………………………………………………114
4.1.10. L’IMPORTANCE DE LA LOGIQUE EPISTEMIQUE……………………………115
4.1.11. LA REHABILITATION DE LA METAPHYSIQUE………………………………117
4.1.12. LA METHODOLOGIE DE CONTROLE…………………………………………..117
4.1.13. LE PRINCIPE DE CONTRADICTION…………………………………………….118
4.2. LIMITES………………………………………………………………………………118
4.2.1. L’OUBLI DU DOMAINE ETHIQUE DE LA VERITE…………………………….118
4.2.2. L’INSUFFISANCE DE LA DEMARCATION……………………………………..119
4.2.3. LA PAUPERISATION DE LA SCIENCE…………………………………………..120
4.2.4. LES INCERTITUDES DANS LA PENSEE POPPERIENNE………………………121
4.2.5. LES ENONCES INFALSIFIABLES…………………………………………………122
4.3. CONCLUSION…………………………………………………………………………123
CONCLUSION GENERALE……………………………………………………………….124
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE……………………………………………………………128
TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………...132
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