La Tempête de Shakespeare

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Sommaire
La mise en scène
 Synopsis
p.4
 Sur La Tempête de Shakespeare
p.5
 Photographies
p.9
 Entretien avec Dominique Pitoiset
autour de sa Tempête
p.11
 Fragments d'une autobiographie
Théâtrale(entretien avec Dominique Pitoiset)
 Le court-circuitage des langues
p.13
p.21
(Entretien avec Francesca Covatta)
 Extraits d'articles de presse
p.27
La Tempête de Shakespeare
 « La Tempête »
ou la mise en scène de la magie
p.30
 Fortune scénique de la pièce
p.33
 Shakespeare notre contemporain
p.35
 William Shakespeare
p.37
Biographies
 Dominique Pitoiset – Parcours
p.49
 La Suite d'un parcours Shakespeare
p.50
 Les comédiens et manipulateurs
p.51
 Les collaborateurs de Dominique Pitoiset p.54
1
La Tempête
De William Shakespeare
Mise en scène, scénographie Dominique Pitoiset
Texte français Jean Michel Déprats
Assistante mise en scène et surtitres : Francesca Covatta
Lumières : Christophe Pitoiset
Costumes et poupées : Kattrin Michel
Son : Jean-christophe Chiron
Musique : Antonio Vivaldi « Il Cimento dell'armonia e dell'
Invenzione » enregistrée par Europa Galante
Manipulatrices :Patricia Christmann, Ulricke Monecke, Kathrin
Blüchert, Melani Romina, Inka Arlt
Avec
Dominique Pitoiset
Houda Ben Kamla
Sylviane Röösli
Andrea Nolfo
Ruggero Cara
Mario Pirrello
Production : TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
2
La Mise en scène
3
Synopsis
« Vous m'avez enseigné le langage, et le profit que j'en tire est que je sais
maudire. »
Caliban
Victime d'un complot ourdi par un frère félon, Prospero, ancien duc de Milan, fut
jadis écarté du pouvoir et condamné à un lointain exil. De l'île, où il vit entouré de
ses livres, de sa fille Miranda, de Caliban, être difforme réduit en esclavage et
d'Ariel, elfe épris de liberté, Prospero aperçoit un jour un bateau à bord duquel se
trouvent son frère et les hommes qui causèrent sa disgrâce. Usant des pouvoirs
magiques développés durant ses douze ans d'exil, Prospero déclenche alors une
tempête qui sème la panique et entraîne vers l'île tous les fantômes de son
passé...
Ecrite en 1611 par un Shakespeare entrant dans le crépuscule de sa vie, La Tempête est une pièce éminemment bigarrée, dans laquelle la fantaisie la plus vivace
le dispute à la mélancolie la plus tenace. Propice à de multiples variations, elle
témoigne d'un art exceptionnel du mélange des genres - comédie et tragédie sont
ici de vraies siamoises - autant que d'une vision sans concession des rapports
humains. Havre des utopies, l'île n'est-elle pas aussi le lieu où la question du
pouvoir se pose avec une particulière acuité ?
Happé par les inépuisables sortilèges de ce texte étincelant, Dominique Pitoiset
cède à l'appel du large et affronte une nouvelle fois La Tempête sur scène. Pour
se faire, il mobilise des techniques de représentation très contrastées et
embarque avec lui les grandes poupées conçues par Kattrin Michel, déjà
présentes dans la précédente version, ainsi qu'un tout nouvel équipage franco italien-tunisien-allemand, dont Roger Planchon prend la tête avec panache.
Naviguant dans la sphère de l'intime, au sein de laquelle prédominent les rapports
entre Prospero et Miranda, cette Tempête accueille les ombres de Beckett et de
Freud et nous entraîne au cœur d'un univers labyrinthique aux replis infinis.
Jérôme Provençal
NB : Roger Planchon est remplacé par Dominique Pitoiset
4
Sur La Tempête de Shakespeare
« Tu menti »
Ronan Mancec
N'aie pas peur, l'île est pleine de bruits.
De sons, de doux airs, qui donnent du plaisir et ne font pas de mal. Quelquefois mille
instruments vibrants
Bourdonnent à mes oreilles ; et quelquefois des voix
Qui si je me réveille après un long sommeil,
Me font à nouveau dormir, et alors dans mes rêves
Je crois voir les nuages s'ouvrir et dévoiler des richesses
Prêtes à tomber sur moi, si bien qu'en m'éveillant
Je pleure du désir de rêver encore.
William Shakespeare, La Tempête, trad. Jean-Michel Déprats.
On a longtemps considéré La Tempête, jouée pour la première fois en 1611, comme
la dernière pièce de William Shakespeare : et de fait elle a été lue pendant des
siècles comme le testament du dramaturge. Même si le canon shakespearien a été
élargi, les artistes qui s'en emparent aujourd'hui restent attachés à cette lecture de
La Tempête. Dominique Pitoiset a mis en scène la pièce à plusieurs reprises au
cours des dernières années : en 2001, en 2003, en 2006 ; quand il s'en est saisi en
arrivant en Italie en 2001, il a dit qu'elle était la clef de ses questionnements
individuels et de son parcours de metteur en scène expatrié1. La pièce lui parlait à
travers son histoire personnelle, d'homme venu travailler à l'étranger.
L'exil
La Tempête est une pièce où l'on cohabite. Sur une île magique et mystérieuse de
Méditerranée vivent un vieillard, Prospero, et sa fille qui est à peine sortie de
l'enfance, Miranda. Les serviteurs du mage Prospero sont deux êtres à la fois
gémellaires et opposés : Ariel est un esprit de l'air, harmonieux mais invisible aux
mortels, Caliban un être difforme en rébellion contre les mauvais traitements que lui
fait subir son maître. Si Prospero se retrouve ainsi exilé, c'est parce que son frère
Antonio lui a dérobé son duché de Milan par le passé. À l'ouverture de la pièce, la
1
'In Dominique PITOISET, « Fragments d'une autobiographie théâtrale », entretien avec Andrea
PORCHEDDU, Carnet, n° 1, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, janvier 2006, p. 9.
5
cour des princes usurpateurs fait naufrage et échoue sur l'île du magicien. La
Te mpête sera un huis clos. Une série de quêtes pour la liberté et la légitimité.
Cette valse orchestrée par Dominique Pitoiset se joue en quatre langues : français,
italien, allemand, arabe. Autant de passerelles jetées vers des horizons multiples,
des imaginaires divers. Les comédiens évoluent dans une lumière superbe due à
Christophe Pitoiset : avec ces bleus aquatiques, on les croirait vraiment sous l'eau,
ou bien immergés dans une atmosphère chargée de magie... De la galerie de
portraits que propose Shakespeare, Dominique Pitoiset n'a choisi de faire incarner
que six personnages : les quatre habitants de l'île que sont Prospero, Miranda, Ariel
et Caliban, et puis deux ivrognes, deux bouffons italiens nommés Stephano et
Trinculo. La cour des seigneurs italiens, qui inclue le prince Ferdinand, amoureux de
Miranda, est faite de marionnettes animées par cinq manipulatrices allemandes. À
chacun des groupes en présence est affectée une langue. Une langue, et par
conséquent une manière - manière de dire, manière de jouer -, un jeu théâtral
particulier.
Le corps d'un être humain est le produit de sa culture -c'est ce que les sciences
humaines, avec les travaux de Marcel Mauss, nous ont appris. Chaque langue
génère un corps spécifique : de même qu'elle façonne une pensée par sa
grammaire, elle modèle un visage par les phonèmes qu'elle emploie, leurs
récurrences, elle façonne un port, la courbe d'un dos, l'usage des bras... Tout acteur
qui travaille dans sa langue maternelle travaille sur ces données culturelles. C'est à
ces acquis qu'est sensible Dominique Pitoiset.
Le postulat de départ du metteur en scène était de travailler à partir de l'identité
nationale des comédiens, « un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre
dans ces trois pays»2 : France, Italie et Allemagne. Le spectacle joue donc sur la
confrontation des langues et des mondes.
Le spectacle est surtitré en français, dans la traduction de Jean-Michel Déprats qui
publie actuellement les nouvelles traductions de Shakespeare de la Bibliothèque de
La Pléiade. La pluralité des langues n'est pas un obstacle à la compréhension du
spectacle, elle renforce tout au contraire le discours sur les rapports de force au
cœur de la pièce.
Ils ne sont que deux à s'exprimer en langue française : Prospero (Roland Bertin) et
Miranda (Sylviane Röösli, comédienne suisse). Roland Bertin est entré à la Comédie
Française en 1983. C'est sur son phrasé particulier que Pitoiset voulait jouer : sur
son usage de la "belle langue", d'une diction parfaitement audible, posée, d'une
maîtrise renforcée par la stature de Bertin, son statut et la carrière qu'on lui connaît.
Dans La Tempête, tragicomédie, pièce hybride, l'illusion niche dans le langage.
Ariel se joue des autres par le biais du verbe, puissance magique, et déclenche les
sortilèges. De la même façon, l'allemand est utilisé comme l'instrument d'une
rhétorique corrompue. C'est la langue maternelle des cinq manipulatrices qui
animent la cour des princes de Milan et Naples. Leur jeu reprend d'une façon
2
D. PITOISET, t0C. Cit, P . 1 2
6
comique un parler de « méchants » de séries B, avec force grincements de dents et
ricanements sinistres. C'est en allemand qu'Antonio et Sébastien fomentent un
assassinat contre leur seigneur, en allemand qu'ils rivalisent de jeux de mots pour
faire taire son vieux conseiller, Gonzalo. C'est donc la langue des puissants, des
politiques, mais vue sous un éclairage vulgaire et trivial. Le conseiller Gonzalo est le
personnage de la pièce dont le verbiage ne cesse jamais, son parler est ampoulé, il
se prévaut de jeux de mots ridicules. L'allemand est la langue du grotesque masqué
sous un vernis de finesse.
L'italien est sans équivoque la langue de la bouffonnerie dans le spectacle. Les deux
ivrognes rescapés du navire, Trinculo et Stephano, sont effectivement des Italiens,
comme le reste des personnages de la pièce. Caliban parle la même langue qu'eux,
lui, le monstre autochtone à qui Prospero a « enseigné le langage » 3. Au-delà des
incohérences fictionnelles, le trio trouve son unité dans un jeu inspiré de la
commedia dell'arte. Les chansons à boire tout particulièrement font l'objet d'un
traitement efficace. Trinculo est d'ailleurs défini dans la liste des personnages
comme un « jester », c'est-à-dire un bouffon tel qu'on se le représente
traditionnellement, dans un costume bariolé.
L'arabe littéraire est la langue d'Ariel, l'esprit, interprété par une actrice tunisienne
lilliputienne (Houda Ben Kamla). L'arabe est ici la langue du métathéâtre. C'est la
langue magique par excellence, qui génère, provoque les illusions. Ariel, dans la
pièce, est le valet de Prospero, il est l'exécutant de ses directives. Quand il ne
fredonne pas des mélodies enchanteresses, ses paroles sont le plus souvent des
incantations ou des formules ayant des effets magiques. Les enchantements sont
donc proférés dans une langue qui nous est à la fois familière et étrangère - d'autant
plus que l'arabe littéraire diffère des dialectes arabes que nous pouvons rencontrer
au quotidien. C'est la langue de l'Orient, celle de la sensualité et de l'horreur dont
Les Mille et une nuits portent le sceau. Les agissements d'Ariel, l'ange qui met sur
pieds des épreuves cruelles, témoignent de la civilisation arabophone, mariage dans
notre imaginaire de raffinement et de barbarie.
Le personnage d'Ariel est le seul à utiliser cette langue de la magie. Prospero
s'adresse en français à Ariel, et c'est par son intermédiaire que toute fantasmagorie
prend corps. Ariel comprend et parle toutes les autres langues parlées sur l'île de
Pitoiset. Il s'adresse en français à son maître pour les questions plus triviales, il
écoute avec attention les complots des princes germanophones. Invisible, il parle en
italien aux bouffons pour alimenter leur dispute. C'est ainsi qu'il crie « Tu menti ! »
pendant que Caliban raconte son histoire, déstabilisant ainsi l'esclave et son
auditoire. Trinculo se retrouve rossé par ses acolytes. Ariel joue même avec le
surtitrage du spectacle. À la fin de la pièce, plutôt que d'expliquer qu'elle a emmené
les trois italiens dans la forêt et les a laissés dans la fange, l'actrice crache, a un rire
un peu diabolique, tandis que toute la réplique qu'elle devrait prononcer s'affiche.
Le français, employé par Prospero et Miranda, est la langue de la famille, la langue
familiale et.familière au spectateur. Son usage par le père et la fille, dans cet océan
de langues étrangères, crée d'entrée de jeu une proximité, sinon une complicité avec
le public. Pourtant, la solitude de Miranda est réelle. Son amoureux Ferdinand est
3
Traductions en français de Jean-Michel Déprats, texte inédit.
7
muet. C'est une poupée de chiffon. Le metteur en scène a choisi de le laisser aux
mains de Miranda, sans l'intervention des manipulatrices des marionnettes. Elle lui
parle donc seule, le dorlote comme s'il était véritablement sa poupée, le traîne par la
cheville comme un ours en peluche. Jamais il ne lui répond. Chacune des répliques
du personnage a été ôtée afin que Miranda ne fasse plus que monologuer devant
son jouet. Et cela fonctionne, on s'aperçoit que le discours de Miranda peut se
passer des réponses de Ferdinand. Face à elle, son père parle en français, mais il
est le maître des lieux et des sortilèges. Ariel, qui navigue d'une langue à l'autre,
d'une sphère à l'autre, est tant sa main que son oreille. Prospero lui chuchote des
secrets à l'oreille, de même qu'il va présider au jugement des princes allemands et
des ivrognes italiens.
Le texte de Shakespeare joue sur ce pluralisme des cultures. Les comédiens
élisabéthains mettaient en scène une féerie exotique, une pièce baignée des
sortilèges et des sensualités de la Méditerranée... Une importance particulière est
accordée aux allusions géographiques : Milan, Naples, Alger ou Tunis sont autant de
villes et de mondes exotiques à l'époque, qui recèlent des trésors et des monstres.
C'est là que, à en croire Sébastien et Antonio, résident les sorcières et les princesses
inaccessibles. Ce qui n'empêche pas Trinculo le Napolitain de s'exclamer quand il
découvre Caliban : « Were I in England now (as once I was), and had but this
fish painted, not a holiday fool there but would give a piece of silver » (`Si
j'étais à présent en Angleterre, et j'y suis allé autrefois, rien qu'avec une peinture de
ce poisson, pas un badaud du dimanche qui ne donnerait sa pièce d'argent'). À de
tels moments, le texte original offre lui aussi un jeu sur la distance géographique et le
décalage culturel.
Curieusement, le spectacle évacue totalement le texte original et la langue anglaise.
Mais mieux vaut encore que le spectacle ne soit composé que de traductions de
Shakespeare et ne s'aventure pas à les panacher avec de l'anglais. Après tout,
Shakespeare n'existe et ne nous parvient que lorsque l'on s'en saisit comme d'un
texte contemporain. Le texte doit être avant tout en prise avec la vie. S'affranchir de
la langue originale, c'est aussi s'affranchir de tout un passé, de la conception de
Shakespeare comme d'un héritage, comme d'un classique pétrifié. La magie est
d'oser utiliser le langage même pour stimuler nos imaginaires : La Tempête se
trouve ainsi déportée dans d'autres mondes. C'est le langage, ici, qui dit l'illusion
théâtrale.
Pour le metteur en scène, l'idée est que Miranda est la véritable héroïne de la pièce.
C'est pour sa fille que Prospero use de ses artifices : il entend la déciller, et initier
l'adolescente aux jeux de l'amour. Il lui apprend les règles d'un monde dont elle a
toujours été exclue, mais où, à l'issue de la pièce, elle reviendra maîtresse aux côtés
de Ferdinand d'un domaine plus grand et plus fort. L'île de La Tempête est un lieu
d'initiation, comme le dit Miranda dans une réplique qui est sans doute la plus
célèbre de la pièce: « O brave new world / That has such people in't ! », « O le
beau monde nouveau / Qui porte de tels êtres ! » ...
Ronan MANCEC, "Tu menti" ,
revue Théâtre S, n° 23, 1er semestre 2006, pp. 117-120.
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Photos
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photos
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Entretien avec Dominique Pitoiset autour de sa
Tempête
Vous mettez en scène une nouvelle fois La Tempête. Quels sont les
principaux signes distinctifs de cette nouvelle version ?
Elle est, en raison du choix d'un dispositif frontal, très différente de la premi ère
version, créée en Italie, qui favorisait une écriture spatiale d'une nature
particulière : les spectateurs entraient par des coulisses représentant le musée
de Prospero, rempli d'animaux naturalisés, puis restaient dans l'espace scénique
recouvert de 40 tonnes de sable. La scénographie de la nouvelle version est
nettement plus dépouillée : il y a certes encore du sable sur le plateau, mais
beaucoup moins. La plupart des comédiens ont changé et j'ai choisi de jouer
avec une distribution française, allemande, tunisienne et italienne. Le spectacle
est ainsi interprété en quatre langues surtitrées. Les rôles des nobles par
exemple sont tenus par des poupées baroques du type bunraku, manipulées par
une équipe allemande issue de l'école berlinoise Ernst Busch, et les
personnages populaires par des acteurs italiens avec quelques influences de la
Commedia dell' Arte.
Qu'est-ce qui fonde ce parti pris du pluralisme culturel ?
J'ai cherché à mélanger différentes esthétiques comme le réalisme à la
française, la truculence italienne et le théâtre concret post-brechtien par
exemple. L'île est un théâtre. L'île est une illusion, pour tous les personnages et,
en particulier, pour Miranda qui tombera amoureuse d'une marionnette, et qui,
par conséquent, va découvrir la sexualité avec un leurre... Ce n'est qu'à la toute
fin qu'elle comprendra que tout cela n'était qu'une mise en scène organisée par
son père. La relation père-fille occupe une place centrale dans ce spectacle.
Prospero dit littéralement « je fais tout cela pour toi, ma fille » mais les enfants
doivent-ils payer les fautes des pères et porter le poids de leurs traumatismes ?
Avec cet effet de lecture, j'ai voulu également suggérer l'idée que tous les
personnages sont pris dans une « tempête de chambre », dans un espace
mental. Tous sont, au fond, manipulés par un Prospero qui incarne ce que, dans
Le proche et le lointain, Richard Marienstras appelle «le machiavélisme du
bien ». Du coup, on se trouve en présence de schémas qui sont presque de
l'ordre de la récurrence schizophrénique, d'une forme de folie...
En imaginant cette nouvelle Tempête, j'ai pensé à L"île du docteur Moreau de
Wells et à L'invention de Morel de Bioy Casarès. Peu à peu m'est venue l'idée
d'un homme enfermé en lui-même : c'est pour cette raison que j'ai tenu à ce que
Prospero soit aveugle - ce qui nous rapproche de Fin de partie - et que tous ses
livres soient en braille. Après Beckett et sa relecture de Shakespeare, il fallait
nécessairement que Prospero ait « les yeux de l'intérieur ». II en devient plus
égocentrique, plus capricieux.
11
Je le vois aussi comme un Faust improbable, lointain cousin de celui de
Marlowe, ou encore comme un Merlin l'enchanteur qui improvise tout le temps
sans savoir où il va et comment tout cela finira. Prospero n'a pas la maîtrise de
sa magie. Sur cette île, située aux confins de la civilisation, « nulle part », tout
désir illicite sera révélé. Peut-être que le spectacle finira par ressembler à une
Tempête dans l'Ile de la tentation... Mais Shakespeare surpasse tellement tous
ces scenarii au rabais! Je m'étais déjà fait la réflexion en montant La Dispute de
Marivaux, qui procédait un peu de la même esthétique : on en apprend
beaucoup plus sur l'humain, le social, le politique et la nature du désir avec de
grands textes qu'avec un obscène dispositif voyeuriste. On a toujours tort
d'exclure les poètes.
La pièce, dans son texte même, est truffée de chansons, de bourdonnements, de sifflements et bruits divers. Quelle texture sonore voulez -vous
donner au spectacle ?
II s'agit vraiment, d'un « palazzo mentale » édifié à partir d'un travail très élaboré
sur les contrastes, les langues, les sons, les voix mais aussi les sur -titres, dont
Ariel a le contrôle et qu'il peut fausser à sa guise... Cela passe aussi par l a
musique de Vivaldi. J'ai utilisé l'enregistrement d'Europa Galante de Fabio
Biondi parce qu'il est très brut, contrasté et coloré, et réserve aussi des
moments d'une extrême langueur. Son interprétation de Vivaldi peut nous
emmener, après une phase de grande vivacité, vers la mélancolie. Ici il n'y a pas
de « happy end ». Le destin nous réserve encore quelques surprises. L île ne
nous laissera point croire à des certitudes.
Propos recueillis par Jérôme Provençal - novembre 2005
12
Fragments d'une autobiographie théâtrale
De Timon d'Athènes à La Tempête, votre parcours de metteur en scène
témoigne d'une attention particulière pour l'oeuvre de Shakespeare. Ce
lien avec Shakespeare, affectif autant qu'intellectuel, s'est renforcé
récemment, au cours des quelques années que vous avez passées entre
la France et l'Italie. Votre «voyage sentimental» dans l’œuvre de
Shakespeare semble alors être entré en correspondance avec votre
«voyage personnel»... Nous chercherons, dans cette brève conversation,
à retrouver les étapes essentielles de ces voyages croisés, et à saisir
quelques aspects significatifs de votre approche des textes
shakespeariens.
Plus que de parler des textes que j'ai mis en scène durant ces années,
j'aimerais m'interroger sur un cheminement intime qui a trouvé des résonances
et des correspondances très singulières dans l’œuvre de Shakespeare.
Au tout début de mon parcours de metteur en scène, ma préoccu pation
principale tournait autour du rôle de l'artiste, de ce rapport étrange qui lie
l'artiste au pouvoir et à la politique. Ce qui m'intéressait, c'était le rapport entre
celui qui regarde et celui qui agit. Ce qui revenait à accorder une place
essentielle à la réflexion sur le rôle de la mise en scène, et donc du metteur en
scène. Et dans cette primauté accordée à la mise en scène, à l'écriture
scénique, à la dramaturgie, Shakespeare a été et reste pour moi l'école la plus
exemplaire.
Effectivement votre théâtre est d’abord un «théâtre de parole». Mais
intéressons-nous à l'aspect biographique : cette façon de parler de soi à
travers le théâtre...
J'ai fait mes études au Théâtre National de Strasbourg, et je me suis formé
professionnellement à l'école berlinoise de Matthias Lan ghoff et Manfred
Karge. Là, j'ai appris les exigences d'un théâtre « concret », épique et
politique, un théâtre dans lequel le rapport avec le public est fondamental,
dans lequel la parole et sa transmission sont l'élément premier. Je n'aime
guère les spectacles qui célèbrent la liberté du corps, je les trouve souvent
démagogiques. Je suis plus sensible au corps qui balbutie, au corps qui
cherche à exprimer ses difficultés à «être» par la parole. Ce sont les conflits
qui m'intéressent, la difficulté à communiquer, les empêchements, les infirmités
de pâme, le pénible chemin vers la définition de soi.
Mais pour revenir à votre question, j'ai effectivement toujours tenté de tenir, à
travers mes spectacles, une sorte de journal de bord de mes interrogations de
créateur. L'attention à la dramaturgie, et donc au texte et à l'auteur, m'a
toutefois permis de garder une distance avec la matière traitée, autrement dit
de ne pas imposer mon « autoanalyse» au spectateur...
Une des questions qui me préoccupent depuis toujours est celle de la
légitimité: qu'est-ce qui fonde la légitimité? J'ai eu une éducation populaire :
13
mes parents m'ont enseigné les valeurs du mérite et du tra vail. La mesure avec
laquelle on peut évaluer et apprécier un homme, c'est le chemin parcouru : voir
d'où vous partez et où vous arrivez. Pas en termes de «carrière» ou
d'ascension sociale, mais de cohérence. C'est un enseignement qui est resté
très important pour moi.
Et pourtant, chaque fois que des responsabilités, des «pouvoirs» donc, m'ont
été confiés, je me suis toujours senti suspect aux yeux de certa ins. Suspect de
les avoir «usurpés»...
Shakespeare dit tout cela très bien. Molière aussi. Dans Le Misanthrope, il
raconte magnifiquement l'histoire d'un provincial arrivé à Paris pour faire sa «
place au soleil ». La mise en scène de ce spectacle en 1990 a été pour moi
l'occasion de réfléchir sur mon existence de provincial confronté à la «cour de
Mitterrand»: je détestais Philinte, la raison froide du politique, et je me rangeais
du côté d'Alceste, l'atrabilaire amoureux, «l'artiste».
C'est donc en m'interrogeant sur ma légitimité à exister en tant qu'artiste que
j'abordais la mise en scène...
Je retrouverai plus tard ces préoccupations en mettant en scène Othello
(2001): la question clef de l’œuvre n'est pas tant la jalousie, que le doute sur
l'identité, sur la légitimité. Othello est un étranger: il porte sur son corps les
signes de sa non-appartenance à la classe des privilégiés. Sa jalousie n'est
que la conséquence de son altérité. Pourquoi épouse-t-il Desdémone? Peutêtre, simplement, parce qu'il veut devenir vénitien, parce qu'il veut être
accepté, entrer dans le groupe légitimé et reconnu.
Ainsi, au fil des années, l'identification avec certains personnages apparaît
naturellement: j'ai mis en scène Le Misanthrope du point de vue d'Alceste,
Timon d'Athènes du point de vue de Timon, Faust du point de vue de Faust...
De la même facon, j'ai mis en scène Othello du point de vue d'Othello et non
de celui de lago parce que, contrairement à ce que l'on pense, le héros c'est
Othello. Les grands acteurs, et parmi eux Orson Welles, ne s'y sont pas
trompés, ils ont choisi d'interpréter le rôle d'Othello parce que l'axe, le centre et
l'enjeu de cette tragédie c'est lui. lago est le virus et Othello la maladie. Le
même type de rapport s'établit dans Tartuffe: Orgon est la maladie et Tartuffe
le parasite. C'est pourquoi j'ai abordé Othello et Tartuffe comme s'il s'agissait
d'un diptyque : mon parcours shakespearien a été, de loin en loin, enrichi par
des textes d'autres auteurs, textes liés entre eux, comme s'ils se faisaient écho
l'un à l'autre...
Vous avez déjà fait allusion à votre expérience italienne.
Une présence de plusieurs années, marquée par des travaux plutôt
importants dans votre parcours. Certains sous le signe de Shakes peare,
avec des épisodes marquants, comme ta mise en scène de La Tempête
dans le splendide Teatro Farnèse de Parme...
Mon entrée dans le 21 e siècle a coïncidé avec mon départ de la France pour
l'Italie et le désir d'une trilogie, d'abord imaginaire, et qui trouva matière à se
concrétiser à travers trois réalisations : Macbeth, Othello et La Tempête.
14
Macbeth a été ma première « pulsion », une plongée dans les thèmes qui
m'émouvaient alors, comme la relation au pouvoir, l'affirmation de soi,
l'usurpation...
Le deuxième volet, avec Othello, m'a servi à approfondir le thème du doute : le
doute qui mine la joie de se réaliser dans ses choix, profes sionnels, amoureux,
familiaux...
Et puis, j'en suis arrivé à La Tempête, un « canevas d' «improvisations» à partir
d'un projet de « machiavélisme du bien ». Prospero veut rétablir la légitimité de
sa fille Miranda. Les spectres des ennemis, les fantômes traumatiques du
passé reposent la même question sous des formes différentes : « les enfants
doivent-ils payer pour les doutes, les erreurs et les problèmes de leurs
parents?».
Des passages graduels, une plus grande introspection et peut-être une
autoanalyse systématique ont accompagné les premières étapes de votre
parcours à travers l'oeuvre de Shakespeare. Mais avec la mise en scène de
Peines d'amour perdues ; au théâtre Carignano de Turin, quelque chose
semble changer: j'ai le souvenir d'un spectacle très joyeux, vivant, plein
d'espoir. Dans le climat suggéré du cinéma des années cinquante, on
percevait aussi un arrière-goût amer, la conscience de ta réalité, des
douleurs du monde. Il me semble donc qu'il s'est produit en vous, durant
ces années italiennes, une évolution considérable: de la cécité de
Prospero, au théâtre Farnèse, à l'allégresse juvénile de Peines d'amour
perdues. Parlons de cette renaissance de l'humour, de l'esprit...
C'est vrai, on perçoit une sorte de tendresse ou de mélancolie dans Peines
d'amour perdues... Les personnages masculins veulent constituer une
«académie dédiée à l'austérité de l'étude» coupée du monde, et voilà qu'en face
de cette utopie irréalisable, se dresse le désir. Le plaisir de vivre l'instant, de le
cueillir, en suivant tes suggestions épicuriennes de Berowne, qui recommande à
ses amis de «cesser de renoncer à être eux-mêmes».
J'ai connu une période de grand bonheur en Italie, ma «renaissance italienne».
J'arrivais de France avec mes blessures, et la mise en scène de La Tempête
dans l'atmosphère magnifique du Théâtre Farnèse de Parme, m'a redonné une
grande confiance en moi. Le Farnèse restera, pour toute ma vie, un lieu de
pèlerinage, un complice généreux.
Au moment où je montais la pièce, je réfléchissais sur mon rôle de père depuis
que mes enfants, un jour, m'avaient demandé: «mais qu'est-ce qu'on fait ici?».
J'étais comme le Duc de Milan, sur une île, entre parenthèses. Je ne pensais
pas que je retournerais en France. C'était la première fois que je ne posais plus
de questions à mon père. Les grandes questions -sur le pourquoi de notre
naissance et de notre lutte pour exister-, c'étaient mes enfants qui me les
posaient.
15
Et pourtant, votre Prospero tâtonnait dans la nuit de sa cécité...
La Tempête parle de la mort : Prospero est un artiste, qui connaît les limites
de son art, mais aussi les limites de l'être humain. Il est loyal. Il renonce à
sa quête obsessionnelle, et peut-être se dirige-t-il vers la mort avec une
forme de sérénité...
Dans Peines d'amour perdues aussi, la mort est acceptée, et racontée par
Shakespeare comme une naturelle continuité de la vie: un retour au réel
après le "jeu".
Comment s'organise le travail des acteurs, durant les répétitions? Quel
travail faites-vous habituellement sur le texte et sur la mise en scène?
Quel est, en somme, votre rapport aux acteurs?
Je ne fais presque plus de travail «à la table ». J'utilise l es répétitions à la
table comme un premier espace scénique, comme un espace pour
rechercher ensemble et «apprendre à lire». Au début, je ne parle pas de
personnages, mais seulement d' «êtres» qui ont existé dans un passé
quelconque, et dont il ne reste que des paroles écrites: nous n'avons pas de
photos, pas de vidéo et ne savons pas a quoi ils ressemblent. Nous ne
connaissons d'eux que les paroles qu'ils ont prononcées dans des situations
déterminées. Aussi essayons-nous de mettre le texte au centre de la table
pour chercher à le comprendre, pour élaborer des hypothèses. Je demande
aux acteurs: « comment se substituer à une personne qui a "disparu", tout
en respectant une forme de crédibilité?». J'essaie toujours de faire un tra vail
à ta recherche du sens et de la crédibilité. J'évite la déclamation. J'aime la
langue qui se tait, bien construite, une langue parfaitement compréhensible
mais en même temps un peu cachée. Je ne crois pas à un travail
d'explication à la table, mais plutôt à une recherche de la crédibilité du dire,
de la voix, du regard. Comme disait Jouvet: «Comprendre c'est commencer
par dire».
A ce propos, quelle différence linguistique discernez-vous entre le travail
en France et en Italie?
C 'était intéressant de travailler dans une langue qui n'était pas la mienne : cette
situation qui aurait pu sembler problématique a été pour moi extrêmement
stimulante. Au contact d'une «langue sœur», mon oreille, même quand elle ne
comprenait pas immédiatement le sens, comprenait viscéralement,
organiquement N'ayant pas une compréhension directe, je n'avais pas la
tentation d'illustrer et, paradoxalement, je comprenais mieux: mon approche était
une approche brechtienne.
Dans certaines situations, j'imagine que je «coupe le son» et que j'observe un e
scène, muette, comme à travers une fenêtre. Ou bien, d'autres fois, je ferme les
yeux pendant les répétitions. Les acteurs s'en aperçoivent, peut-être qu'ils s'en
plaignent, mais pour moi c'est comme tout voir d'une autre manière, c est à dire
en écoutant. Ce sont deux méthodes possibles: ne pas voir et écouter, ou bien
16
voir et ne pas entendre. Mais dans les deux cas, les situations m'apparaissent
claires, immédiates, compréhensibles.
Strindberg, en se promenant dans la rue, observait ce qui se passait à l'intérieur
des maisons. C'est une manière de comprendre la vie, de saisir l'universalité de
l'homme. En particulier dans les moments de crise: les gestes changent, les
paroles aussi, mais le processus organique - d'une conversation, d'une dispute est partout le même. L'expérience italienne m'a appris que les acteurs y sont
«immédiats », celle avec les Allemands que les comédiens « racontent»; les
Français - trop souvent - « récitent ». Les Italiens « cherchent à être » et c'est
pour cela que j'adore le théâtre italien, que j'aime travailler avec les acteurs
italiens.
Dans cette nouvelle version de La Tempête, j'essaie de travailler avec les
particularités des trois langues que j'ai traversées. À l'intérieur d'un même
contexte, je fais référence à des pratiques théâtrales différentes: j'utilise les
techniques du théâtre épique allemand pour les marionnettes, la fraîcheur
lumineuse des acteurs italiens pour les personnages comiques, le pragmatisme
et la rationalité des acteurs français. J'essaie de créer un mélange entre les
techniques et l'histoire du théâtre dans ces trois pays.
Qu'est-ce que, pour vous, la mise en scène au théâtre?
La mise en scène est l'art de la matérialisation des idées. Les idées naissent
à travers la documentation, les lectures, les interrogations sur le texte et les
situations créées par celui-ci. De cette lecture - au sens large - naît la mise
en scène.
Vous avez affirmé ne plus faire de lectures à la table mais vous appuyer
directement sur les acteurs et le texte. Pourtant, dans vos spectacles, le
dispositif scénique et visuel a un grand rôle. Cette importance donnée à
la force de l'image, du dispositif, cette prégnance du contexte historique
précèdent-elles le début des répétitions? Autrement dit, les élaborezvous avant, grâce à la lecture et à la recherche, ou émergent-elles d'un
travail collectif?
Le dispositif scénique, la scénographie, émergent de longues heures de
lectures et de réflexions. Par exemple, dans La Tempête, je n'ai gardé de
l'idée d'une île que le sable blanc, mais cette île - un peu celle du Docteur
Moreau - ressemble aussi au cabinet d'un médecin : le bureau de Prospero,
les livres, les caisses de voyage, le papier peint sur les murs, les poupées,
les souvenirs sont ceux d'un bureau. Mais on marche sur du sable...
Qu'est-ce qui a changé dans cette nouvelle mise en scène de La
Tempête?
17
J'ai fait allusion au fait que j'étais passé par trois langues. Pour la ver sion
créée à Bordeaux, j'ai ajouté une quatrième langue : l'arabe. Je défi nirais ma
mise en scène comme une sorte de carnet de voyage, fait avec tout ce que
j'ai pu conserver de mes pérégrinations. D'Italie j'ai gardé les personnages
populaires, Stefano, Trinculo et Caliban, qui parlent italien, avec des
éléments très colorés, comme dans la commedia dell'arte. Le théâtre de
marionnettes vient d'Allemagne: ce sont les fantômes, les spectres du passé,
ils parlent allemand. La famille (Prospero et Miranda) parle français. Ariel
parle arabe : elle s'amuse à tout traduire, à jouer avec les sous -titres, en
mettant en évidence le mécanisme théâtral, la mise en scène de Prospero qui
répète toujours la même scène, le même trauma initial. Prospero est vieux, et
il est aveugle: ainsi sur scène y a-t-il une cinquième langue, faite de trous et
de points: le braille.
Allusion aux personnages de Beckett, la cécité de Prospero reste, peut -être,
l'élément fort de cette mise en scène. Quand je lisais le texte, j'étais
impressionné par le nombre de fois où Prospero demande à quelqu'un de
regarder : «dis-moi ce que tu vois». Il demande à Ariel de vérifier, de lui faire
des rapports; il réclame plusieurs fois à Miranda de lui rendre compte de ce
qu'elle ressent. Face à Ferdinand par exemple, il lui demande «dis -moi ce que
tu vois» et elle répond «ah, c'est magnifique!». Miranda ne fait pas seulement
une description, elle énonce aussi son parcours émotionnel.
Alors je me suis dit «voici une solution pour le bâton de Prospero! »: sa
baguette magique est en même temps le bâton de l'aveugle et la baguette de
l'instituteur. Prospero n'a-t-il pas été le professeur de Miranda et de Caliban ?
N'a-t-il appris à lire et à écrire à ces adolescents? Ainsi, le bâton est un objet
«ordinairement extraordinaire».
Selon René Girard, Prospero est un grand metteur en scène: Cali ban
représente le vieux théâtre que Shakespeare voulait abandon ner et Ariel
en revanche le théâtre de la légèreté, de l'image, de la poésie que l'auteur
voulait atteindre avec La Tempête. En ce sens, l’œuvre a toujours été
considérée comme profondément métathéâtrale. Dans votre mise en
scène au Théâtre Farnèse cet élément était évident: vous y avez joué avec
l'espace théâtral, avec la conscience du public. Le passage d'un lieu
extraordinaire comme le théâtre Farnèse à un espace contemporain a -t-il
fait disparaître cet élément? Est-ce une lecture qui vous intéresse
encore?
Évidemment qu'elle m'intéresse, et je crois, même, que dans cette nouvelle
mise en scène elle ressort encore davantage, grâce à la présence conjointe
d'acteurs et de marionnettes.
Au Farnèse, dans un théâtre classique, «l'île» respirait mieux, elle était plus
évidente. Maintenant, le spectacle s'inscrit dans une «boite», dans un théâtre
de chambre, même si la chambre est assez grande... Mon Prospero est dans
son bureau, chez lui, il porte un pyjama et Miranda est une jeune fille grasse et
gracieuse de quinze ans. Les nobles et Ferdinando sont des marionnettes
18
tandis que leurs « manipulateurs» - vêtus de noir comme dans le théâtre japonais- deviennent, avec leurs masques, les ombres d'Ariel...
Mon Caliban est un acteur de petite taille, et nous renvoie à une forme
théâtrale plus proche de l'art du cirque et de la piste. Je travaille, sur une idée
toute italienne du clown. Il y a le petit clown qui joue du tam bour, puis le
clown-Auguste, autrement dit Trinculo, qui renvoie en quelque sorte au clown
anglais - truculent et alcoolique -, et enfin le Capitaine, le clown noble. Cette
atmosphère de cirque était déjà perceptible dans la mise en scène du Théâtre
Farnèse.
Désormais, la présence des marionnettes ajoute une autre dimension: elle
évoque un monde où les personnages pourraient être carrément des
hologrammes. Je pense souvent à un récit fantastique, L'invention de Morel du
romancier sud-américain Adolfo Bioy Casares : le personnage principal de
cette histoire est une sorte de Robinson Crusoë qui fait naufrage sur une île
et tombe sur des créatures qui se révèlent purement virtuelles.
Dans la version du théâtre Farnèse il y avait encore des figures très réelles,
très incarnées: ici, la mise en scène est sans espoir: sur l'île, restent
seulement Prospero et sa fille. À la fin, Caliban, Sté phano et Trinculo sont
«bloqués» dans une vitrine, ce ne sont plus que des objets en exposition
dans une maison. Comme des poupées de cire, des automates.. .
Une qualité très importante des personnages de Shakespeare est qu'ils ne
sont jamais à échelle humaine. Ils ne sont jamais à «taille réelle», ils sont
toujours un peu plus petits que les hommes, ils voient leur taille se réduire,
deviennent comme des insectes dans un présentoir. Je crois que c'est une
grande particularité du théâtre épique ou tout au moins d'un théâtre
«concret», par rapport au naturalisme ou à un certain genre de réalisme
psychologique: l'humain change d'échelle dans la boite de la repr ésentation.
Nous sommes un peu plus grands et eux un peu plus petits...
Cela signifie-t-il que le metteur en scène observe, à la manière d'un
scientifique, les possibles réactions entre des éléments placés dans un
même milieu?
Le metteur en scène est un démiurge. Le théâtre n'est pas une science
exacte, c'est une étude de l'humain dans ses dynamiques irrationnelles. Dans
la médecine, dans la philosophie, il y a une recherche d'objectivité pour
caractériser l'être humain. Le théâtre, en revanche, est un l ieu d'observation
de l'homme qui échappe à des définitions précises, mais qui pourra peut -être
un jour être défini par la chimie. C'est ce qui m'intéresse dans le théâtre, la
possibilité de mettre en présence des données sociales, affectives,
organiques comme si elles étaient des composants chimiques: fioles dont
j'expérimente tes réactions chimiques. C'est pour moi un geste politi que : en
observant ces réactions, je trouve matière à « corriger» mon quotidien et mon
rapport aux autres.
19
Qu'est-ce qui fait qu'un individu, prédéterminé par des conditionnements
sociologiques, biologiques et culturels, réagit d'une certaine manière et
produit un certain type de situations? Qu'est-ce qui définit nos espaces de
liberté non conscients? Qu'est-ce que le libre arbitre? Comment la conscience
travaille t-elle pour nous faire passer de la réaction impulsive à la décision
politique, éthique, déontologique? Pour moi, ce sont des questions très
complexes. Ce qui m'intéresse c'est l'étude comportementale dans des
situations données. Par exemple une rupture sentimentale, la perte d'un
emploi, une situation qui génère la violence, une naissance non désirée, de
petites contrariétés, la faillite d'un système idéologique ou économique... En
somme, quand et comment l'homme se retrouve-t-il à la merci de La
Tempête? Nous pensons pouvoir décider de notre vie, être maîtres de notre
cœur et de nos actes. Nous le sommes souvent, mais il est toujours bon de
nous interroger sur cela. J'aime le théâtre parce que c'est le seul lieu où l'on
a la possibilité de partager, en direct, une expérience qui met en jeu de
l'humain, les balbutiements de l'être humain. Ainsi, ce que j'adore dans
l'opéra, ce n'est pas la machinerie baroque et spectaculaire, mais le cri
primitif: une grosse dame, qui avance vers la rampe et chante un «aria»,
provoque un tel étourdissement en moi que je peux me poser des questions
sur l'existence. Notre travail, c'est la préparation de ces «instants lyriques ».
Ainsi votre Tempête est une métaphore de tout cela : en réalité Prospero
avec ses marionnettes, métaphoriquement et en l'espace de deux heures,
fait ce que vous faites, vous, dans votre parcours de metteur en scène. Il
crée et cherche cette alchimie, cette réaction chimique... Si vous deviez
faire un bilan, tirer les comptes de ce voyage avec Shakespeare, qu'est-ce
qui resterait des textes abordés et des pays traversés?
Pour moi, le théâtre est une activité liée à l'adolescence. Je ne veux pas dire par
là que c'est une pratique infantile, mais que si le théâtre est trop adulte il devient
ennuyeux... Le théâtre a besoin de mentir, de feindre, mais il est, en même
temps, un art extrêmement sincère. Le théâtre n'est jamais un objet fini, il est
toujours en mouvement, en devenir. S'il perd cette vertu, il se défait de cette
force brute qui le caractérise...
En Italie, en ce moment, le gouvernement Berlusconi met en danger
l'intelligence humaine en la privant des moyens d'expression qui lui sont
propres, et cela prive toute la communauté humaine d'importantes perspectives.
Réfléchir sur le rôle de l'artiste et de l'art dans la société aide à donner un
nouveau souffle à l'humanité. Nous sommes revenus au temps des tribus, un
temps qui, je le souhaite, précède un renouveau du débat et une réévaluation de
ce qui forme une communauté, une communauté de valeurs partagées. Et L'acte
théâtral est un moyen, même s'il est complètement éphémère, pour continuer à
nous poser l'éternelle. question: qui sommes-nous?
D'après un entretien d' Andrea Porcheddu avec Dominique Pito iset
(avec la collaboration de Patrizia Bologna, traduction Olivier Favier) .
Décembre 2005
20
Le court-circuitage des langues
Entretien avec Francesca Covatta
Assistante de Dominique Pitoiset.
Francesca est italienne. Elle a fait ses études dans une école américaine avant de
commencer à travailler en France.
Vous êtes assistante à la mise en scène. Comment vous situez-vous dans le
travail ?
Je suis la traduction faite personne ! J'ai vécu toute ma vie en traduction. J'ai toujours
travaillé avec des metteurs en scène étrangers. Soit je passais par l'anglais, soit je
passais par le français. Je pense que cette traduction permanente que je fais dans la
vie a beaucoup stimulé Dominique Pitoiset. L'italien est pour lui une langue qui n'a
aucun pouvoir d'évocation, parce que ce n'est pas sa propre langue. C'est quelqu'un
qui ne fonctionne pas du tout dans la traduction, il n'y arrive pas. Il est très ancré
dans le français, il a un rapport aux mots, â la parole française, très fort... Avec
l'italien, il est intéressé par la musique de la langue, qui est tout â fait différente du
français.
Pouvez-vous me parler de la genèse du spectacle ?
On a commencé avec une première version de La Tempête qui n'était qu'en italien et
exclusivement avec des acteurs. Puis on a fait une deuxième version en trois
langues avec des marionnettes, et là nous sommes partis sur la troisième version en
quatre langues avec des marionnettes... Ça a beaucoup évolué. Ce spectacle est né
en 2001 au Théâtre Farnèse. On a fait une traduction exprès, en italien, par
Alessandro Serpieri, qui est un traducteur littéraire. Ce qui est italien sur ce plateau
vient de cette traduction-là. En Italie on n'a pas du tout l'habitude de faire des
traductions pour le théâtre, pour des mises en scène. Soit le metteur en scène prend
différentes traductions, en fait un mélange - ce qui pose de vrais problèmes de
continuité de langue -soit il se lance lui-même dans une traduction.
La traduction de Serpieri est une traduction assez littéraire mais quand même très
concrète. Je peux en parler parce que je suis italienne : elle a une force de
truculence, elle donne beaucoup de chances de jeu à l'acteur. Le texte que l'on voit
en surtitres, c'est celui de Jean-Michel Déprats. Sa traduction est beaucoup plus
poétique, beaucoup plus liée à la métaphore, à l'image, que la traduction italienne qui
est beaucoup plus ancrée dans l'action.
Vous avez fait le détour par l'anglais... Vous utilisez quatre langues différentes,
mais pas le texte anglais. C'est surprenant.
On a toujours le texte anglais sous les yeux quand on travaille. J'ai travaillé sur
Shakespeare avec Dominique trois fois déjà. Il a sa traduction française, moi j'ai
21
l'anglais sous les yeux. L'acteur a sa traduction à lui : l'italien souvent. On avait aussi
fait Peines d'amour perdues, en italien, avec une traduction exprès pour Dominique.
On avait à nouveau utilisé cette formation en trois langues. Le spectacle n'était qu'en
italien mais nous travaillions sans arrêt en trois langues (Dominique toujours en
français).
Pour l'allemand, nous avons utilisé une traduction littéraire de Schlegel-Tieck. Mais
elle a été épurée par les comédiennes, les manipulatrices, notamment de ce qui est
métaphore et image poétique. En effet c'est très difficile pour une poupée de jouer
ça. Dans cette école-là, dans cette technique, la poupée ne supporte pas l'image
fleurie, la métaphore. Elle est toujours dans l'action, elle a besoin de tracer, d'aller en
avant. Ce n'est pas possible de s'installer dans un moment de poésie. L'adaptation
est de Dominique Pitoiset : il a sélectionné les enjeux principaux, puis Patricia
Christmann a fait un travail d'épuration avec lui, pour retrouver des souffles de
phrase qui pouvaient coller avec la technique des marionnettes.
L'arabe est une langue double : orale et littéraire. La traduction est une traduction en
arabe littéraire. Mais nous avons choisi une langue qui colle vraiment aux actions.
Comme personne d'entre nous ne parle arabe, on a essayé de travailler avec Houda
Ben Kamla sur la traduction anglaise. On a repéré le texte anglais dans sa traduction
à elle.
Qu'est-ce qu'il se passe avec ce court-circuitage de langues ? C'est vrai que la
traduction est une trahison. Mais quand tu mets les langues en court-circuit, ce n'est
que le noyau qui ressort. Tout ce qui est anodin dans le mot tombe à l'eau par le
court-circuitage : tout ce qui fait partie de la racine du mot qu'on utilise, mais qui n'est
pas vraiment signifiant dans la phrase. Mais qui est très signifiant pour la personne
qui écoute. Tout ce qui est lié culturellement au mot. Une pub, par exemple, qui a fait
s'accoupler ce mot-là à un autre mot. Même inconsciemment, pour le public, ça
passe par ça. Les gens qui viennent au théâtre sont sans arrêt stimulés par ça. Les
mots et même la musique des phrases prend une importance différente par rapport
à ce qui se passe dans la pub ; il suffit que la phrase soit dans la même rythmique,
avec un mot qui est à la bonne place, et paf, tu es dans le slogan d'une pub !
Dans un entretien réalisé pour le TNBA 4, Dominique Pitoiset dit : « J'essaie
de créer un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre dans ces
trois pays », à savoir la France, l'Italie et l'Allemagne.
Pour la France et pour l'Italie, il a vraiment pris des morceaux de l'histoire du
théâtre : la Comédie Française et la commedia dell'arte. Il les a pris en bloc : la
langue, les formes, les acteurs... II a pris la Comédie Française avec ses défauts et
ses vertus , de même avec la commedia dell'arte, qui peut être parfois un peu
vulgaire, lourde, mais qui est aussi vivante, colorée.
En Allemagne c'est un peu différent. S'il s'agit d'une tradition, c'est la nouvelle
tradition, celle qui découle du théâtre concret brechtien, et transportée dans la
marionnette. Elle utilise la technique bunraku mais elle ne l'est pas vraiment. Elle
en est une évolution. Les patins (les manipulatrices glissent leurs pieds dans les
4
Dominique PITOISET, « Fragments d'une autobiographie théâtrale », entretien avec Andrea
PORCHEDDU, Carnet n° 1, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, janvier 2006.
22
patins que portent les marionnettes), c'est une technique que nous avons inventée,
parce que nous avions besoin que les cinq marionnettistes puissent être
autonomes. Nous n'avions pas la possibilité d'en avoir quinze - chaque personnage
devrait être travaillé à trois, comme Ferdinand. Ce n'est donc pas vraiment la
tradition japonaise, ce n'est pas non plus la tradition allemande, c'est un peu une
fusion des deux dans la technique. Par contre, les cinq marionnettistes viennent de
la même école et leur démarche est vraiment très liée à l'école brechtienne. Là
aussi avec ses défauts et ses vertus ; par exemple c'est très froid, très cadré.
Dans la recherche des interprètes, il y a aussi un jeu sur la nationalité et les
types. Je pense aux deux ivrognes, Stephano et Trinculo.
On sait que Shakespeare avait tiré ces deux personnages de certains canovaccios
de la commedia dell'arte. Shakespeare les traite de diables sans arrêt dans le
texte. Les Italiens étaient vus comme les cochons, les décadents de l'Europe par
Shakespeare et ses contemporains. La Renaissance anglaise est tirée de la
Renaissance italienne, mais elle a été épurée (par Elisabeth) de toute sensualité. Il y
a un dicton magnifique en anglais qui dit que l'anglais italianisé est un diable incarné.
Les trois comiques sont des Italiens. Les nobles sont des Allemands, non seulement
parce que ce sont les méchants, mais aussi par rapport au fait que ce sont des
hommes d'Etat bornés. Les Français, c'est la langue, et le cliché du philosophe du
siècle des Lumières. Prospero (quand il décrit Milan) est présenté comme un ancêtre
du philosophe des Lumières.
L'écriture de Shakespeare est une écriture de groupe. On sent que ce n'est pas
l'écriture d'un seul auteur. Chaque personnage est tellement riche ! On pourrait jouer
chaque scène et chaque pièce du point de vue de chaque personnage, ça resterait
cohérent. Il y avait un canevas sur lequel les acteurs improvisaient. Shakespeare
retenait â la fin les bonnes propositions. C'était cela qu'on éditait. C'est parce qu'il y
avait tout ce matériau qui arrivait sur le plateau que tout était nourri. Il y a tellement
de fils à tirer que chacun peut donner son interprétation sans être infidèle.
Seuls six personnages sont incarnés en tant que tels. Comment s'est fait ce
choix ? Pourquoi choisir de ne pas incarner Ferdinand et de mettre sur scène,
en chair et en os, Trinculo et Stephano, qui ne sont pas centraux ?
Dans cette mise en scène, les seuls vrais vivants, êtres humains, ce sont Prospero et
Miranda. Ariel est un esprit, et peut-être l'esprit de Prospero : dans le sens où c'est
sa raison, sa capacité de création, son intelligence. Ariel n'existe peut-être pas, elle
est dans sa tête et Prospero est le seul à la voir. Les trois Italiens finissent dans une
boîte. Pourquoi ? Ce sont peut-être des marionnettes... Des marionnettes d'une
matière différente, faites de chair et d'os. C'était un peu l'idée. Tous sont des
marionnettes, sauf Ariel qui est l'esprit, et Prospero et Miranda.
Prospero fait une mise scène dans sa chambre, ou dans la chambre de Miranda,
pour initier Miranda. On peut penser que ce n'est pas une île, mais une maison, une
chambre : c'est un huis clos. « C'est pour toi que je fais tout ça ma chérie, pour toi
ma fille, etc. Tu ne sais pas qui tu es, d'où tu viens, d'où nous venons, nous deux. ».
C'est un moment de crise sur l'île, puisque Miranda a atteint l'âge de la puberté, elle
23
commence à être adolescente et elle a envie de découvrir ce qu'il y a d'autre. Pour
faire ça, il faut déjà savoir d'où on vient, et puis il fait faire le premier pas. Prospero
met en scène le récit des origines non seulement pour faire comprendre mais pour
faire sentir à Miranda ce qu'est la trahison, et ce qu'est la civilisation, la société de
cour. Il lui fait aussi découvrir les premiers émois de l'amour, mais avec sécurité.
Miranda découvre l'érotisme avec une poupée de chiffon.
Nous tous, nous tomberions dans le piège. Elle n'a jamais rien vu d'autre. C'est le
seul moyen qu'a Prospero de lui dire combien c'est terrible et beau en même
temps. Quelque chose la protège "quand même", comme un condom... Cela
accélère aussi son initiation. En fait le vrai protagoniste de ce spectacle n'est pas
Prospero : c'est Miranda. Elle est la seule à avoir une vraie évolution. Elle
commence gamine, elle devient femme. Au début elle pleurniche dans son coin en
disant « Papa, t'es méchant, etc. », et à la fin elle accepte la "folie" de Prospero, et
même, elle le soutient.
Dans la pièce originale, elle voit un garçon qui pourrait être moche comme un pou,
c'est juste parce qu'il a des habits brillants et que c'est un garçon qu'elle tombe
follement amoureuse. Nous avons ajouté une couche de cruauté, puisque là le
public sait que c'est un leurre. Et il aurait envie de dire « Mais non, ne l'embrasse
pas ! »...
On a parlé des quatre langues. Il y a au moins deux autres niveaux de langage
qui sont présents dans cette mise en scène, à commencer par le braille. Or il
s'agit d'une langue invisible, non orale, faite de trous et de points. C'est une
langue mais ce n'est qu'un support pour relayer l'information.
Le braille, c'est vraiment l'incarnation moderne de la magie. Il n'y a rien de plus
magique que de savoir que des petits trous peuvent déchaîner les mots. On avait
pensé à Prospero aveugle, on a fait tout un parcours sur ça, et on est tombé sur le
braille. Ça a généré un sens incroyable : le fait que Prospero soit magicien, qu'Ariel
puisse lire ça, qu'il y ait ce lien entre les quatre personnages. Caliban et Miranda
étaient des copains d'école avant le viol, comme des frère et soeur. C'est la langue
de l'enchantement. Quand Prospero dit à Ariel « Va, libère-les », elle ne va pas ouvrir
une cage, elle va chanter la formule magique. Il faut être magicien pour pouvoir lire le
livre.
Les surtitres forment la sixième langue du spectacle, qui se superpose encore
aux autres.
C'est le texte de Jean-Michel Déprats. On a beaucoup coupé, mais il n'y a pas un
mot qui ne soit pas de lui. Pour nous, ils sont vraiment intégrés au spectacle. Ce
n'est pas seulement une façon de faire comprendre aux gens. Parfois je laisse
traîner un surtitre pendant beaucoup de temps. Il est alors comme le titre de la
situation. J'ai parfois beaucoup coupé pour laisser cette langue, ce langage, cette
structure écrite dans une continuité, et dans une homogénéité sans contradiction. Il y
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avait des choses que les acteurs disaient sur scène qui auraient coupé cette
homogénéité. J'ai choisi de ne pas le mettre dans l'écriture.
On essaie de travailler sur l'idée que cela fasse partie de la mise en scène de
Prospero. D'une manière un peu grossière, c'est comme si c'était des titres
d'improvisation que Prospero lançait, ou bien des sollicitations. Les acteurs de
Prospero metteur en scène doivent y répondre. Ils sont comme connectés sans arrêt
avec lui. L'autre image possible c'est que les titres sont les souffleurs des
personnages. Après les personnages rajoutent, mais les surtitres sont leur canevas.
Il faut le respecter car Prospero le veut. D'ailleurs Miranda est la seule à ne pas être
surtitrée, jamais. Parce qu'elle n'est jamais manipulée directement.
Est-ce que Shakespeare, ce sont juste des idées ? Est-ce qu'il ne se tient que
par sa langue ? Ici la langue de Shakespeare n'existe pas. Sans elle, que restet-il de Shakespeare ?
C'est une très belle question. C'est vrai que la langue de Shakespeare n'existe plus
dans cette mise en scène. Dominique et moi avons la conviction que la langue ne
génère pas seulement du sens, mais aussi du corps et des actions. Je crois que ce
qui reste de Shakespeare dans cette mise en scène, c'est justement ça. Parce que
nous travaillons toujours avec l'anglais à côté et parce qu'on essaye de trouver des
traductions qui collent le plus possible à ce noyau d'action qui est dans Shakespeare.
C'est ce qui reste. L'émanation de cette langue, en corps et en action. Cela passe
par d'autres langues, d'autres mots, donc ça se modifie un peu, c'est évident.
Pourtant la parole de Shakespeare, quand elle n'est pas en anglais, est dénaturée, bouleversée du moins. Ne pas jouer en anglais mais avec des
surtitres, est-ce seulement lié au choix d'acteurs ?
Oui, c'est sans doute la réponse. Que ce ne soit pas la même forme de parole, pas
les mêmes syllabes, pas le son anglais, c'est tout à fait vrai. On ne pourrait jamais
imaginer monter Verdi en anglais par exemple. Par contre je ne crois pas pouvoir
utiliser le mot "dénaturer" ni dire que ce soit une fidélité de jouer Shakespeare en
anglais. Dans le travail, on essaie de faire sortir plus que la musique des mots, plus
que tout ce que j'appelle l'anodin, la pléthore de significations qui sont autour du
noyau d'action qu'il y a dans la parole. Je pense que c'est ça la vraie fidélité. C'est
d'essayer de faire sortir ce qui est l'essence (comme le parfum) de ce que
Shakespeare a écrit, et de retrouver la même essence dans une autre musique, qui
est une autre langue.
C'est pour cela qu'on ne travaille pas beaucoup à la table. Parce que le travail à la
table, dans la tradition, c'est un travail musical : où prend-on son souffle, où appuie-ton le sens, où fait-on la variation d'intonation, où fait-on une petite pause, où est le
rapido, le crescendo, etc. ? Ce travail-là, on ne peut le faire que dans sa propre
langue. Et dans la langue de l'écriture, en allant chercher ce que l'auteur a voulu faire
avec la forme de parole. C'est donc très bien, et souhaitable, quand on joue Molière
en français ou Goldoni en italien - ou Shakespeare en anglais. Après on peut choisir
de ne pas le suivre, mais c'est très important de savoir ce que Shakespeare a voulu
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faire, dans la musique. Nous, comme nous travaillons toujours en traduction, nous
cherchons à comprendre en anglais puis à le mettre en français. On ne cherche
sûrement pas à reproduire la même musique en français. Ce n'est pas possible
d'ailleurs : il n'y a pas le même nombre de syllabes, les mots n'ont pas les mêmes
"mots anodins" autour. On cherche dans quelle action et dans quel corps
Shakespeare a inséré sa phrase. Je veux retrouver le même corps, avec les acteurs,
et les mêmes actions dans les mots : et surtout le même mouvement dynamique. Où
une séquence commence, où elle finit, où une phrase commence-t-elle, où finit-elle ?
Où sont les interruptions de sens ?
Dominique aime beaucoup dire que la table est le premier plateau. On cherche tout
de suite à mettre en mouvement le verbe. Ça bouge tout de suite, et très
naturellement. On ne fait pas de la mise en place. Ça veut dire aussi qu'on retourne
à la table parfois. On cherche une partition physique plus que musicale. La parole et
l'action deviennent une seule chose, une seule partition.
Dominique Pitoiset citait Louis Jouvet : « Comprendre c'est commencer par
dire »...
Dire. Comprendre. Etre. C'est ça le chemin. C'est le chemin pour l'acteur. Le
traducteur de théâtre doit aussi être un tout petit peu acteur, pour réussir à apprécier
la musique, le découpage, la partition que Shakespeare a mis en place. Les mots
qu'on dit ont une résonance, une ampleur. C'est elle qui nous donne la possibilité de
comprendre, et donc d'être. Mais pour choisir les bons mots, qui vont être
générateurs de cette résonance, il faut avoir déjà fait le chemin.
Entretien recueilli à Quimper, le 8 ,février 2006.
Francesca COVATTA, "Le Court-circuitage des langues",
entretien avec Ronan MANCEC, revue Théâtre S,
n° 23, le semestre 2006, pp. 121-126
26
Extraits d'articles de presse:
A Bordeaux, "Tempête" sous un crâne
Un petit bateau avance dans la tempête, son ombre, bien plus grande que lui,
voyageant dansante et floue sur le mur du théâtre. Fracas, éclats, éclairs. Cris,
naufrage. Un vieil homme en pyjama et lunettes d'aveugle abrité sous un grand
parapluie noir, un petit être à face et couleur de lune. C'est par cette image
magnifique, et dans ce climat étrange, que commence La Tempête, de
Shakespeare, créée par Dominique Pitoiset dans son Théâtre du Port de la Lune,
à Bordeaux. Une étrangeté dont ne se départira pas cette mise en scène, qui
situe La Tempête entre Fin de partie, de Samuel Beckett et L'Ile du docteur
Moreau, de H. G. Wells.
II faut dire qu'elle est bien mystérieuse et ensorcelante, cette pièce, la dernière de
Shakespeare, écrite en 1611, cinq ans avant sa mort. Pièce testamentaire et vertigineuse, qui semble receler en elle tous les sortilèges du théâtre, elle est l'une de
celles qui, dans le répertoire, permettent le plus au metteur en scène de déployer
l'étendue de son talent et de sa vision. Car l'île du vieux mage Prospero, sur laquelle il a échoué avec sa fille Miranda après avoir été dépossédé de son titre de
duc de Milan, est surtout habitée par les ombres, les esprits, les elfes, les gnomes
et autres créatures immatérielles et surnaturelles : qui sont-elles, et qu'en faire,
dans l'art concret du théâtre ?
L'île du docteur Pitoiset est un antre de savant fou, avec des caisses de bois
posées sur le sable. Prospero, aveugle, lit ses livres en braille, son manteau
magique est une robe de chambre avachie, et sa baguette le bâton sur lequel il
s'appuie. De ses caisses vont sortir les accessoires et les personnages de son
théâtre intime, qui va se déployer sous nos yeux dans le climat fantastique du
songe ou du cauchemar : les nobles usurpateurs, échoués sur l'île, sont ainsi de
grandes poupées actionnées par des manipulateurs en noir, qui parlent en
allemand. Caliban est un comédien de petite taille noir, et les truculents Trinculo
et Stephano, des personnages directement issus de la commedia dell'arte : tous
trois parlent en italien.
Ce jeu fascinant avec divers niveaux de théâtre n'est pas seulement séduisant
pour le spectateur : il éclaire La Tempête sous une lumière particulière, qui fait
des créatures de l'île, qu'il s'agisse du génial Ariel, l'esprit de l'air (joué par la
fantastique Houda Ben Kamla, une comédienne tunisienne et lilliputienne), ou des
nobles, des créatures n'existant que dans le cerveau de Prospero : fantômes du
passé, ombres de l'inconscient. "Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont
faits, et notre petite vie est entourée par un sommeil", dira le vieux mage. »
27
Très noir, très plastique
C'est comme si le metteur en scène examinait sous sa loupe de savant naturaliste
la fin de toutes nos utopies. Et pourtant, il les recrée sur scène, ces utopies, en
jouant sa Tempête en quatre langues, en mêlant les genres, en faisant se côtoyer
théâtre d'art et spectacle populaire. La partie n'est peut-être pas totalement finie.
Ce n'est pas le moindre des beaux paradoxes de cette Tempête très cosa
mentale. Tempête sous un crâne.
Fabienne Darge
(Le Monde, extrait de l'article
A Bordeaux, Tempête sous un crâne, 14/01/2006)
Une esthétique remarquable
« Une mention spéciale revient à Kattrin Michel, créatrice des poupées
manipulées par six artistes allemandes très talentueuses. Ces poupées, figurant
le roi de Naples et sa cour, sont tellement naturalistes que l'on doute un moment
que ce ne soient de vrais hommes « un peu petits », puisque ce parti a lui aussi
été pris. Quant à la manipulation, elle est d'une finesse, d'une précision et d'une
justesse remarquables.
Les deux amis italiens Trinculo et Stefano, véritables bouffons, offrent eux aussi
de savoureux moments de jeu, tout à fait sur un autre code - celui de la farce,
explicitement inclus dans l'écriture de Shakespeare. La bande-son elle-même
devient un personnage à part entière au fur et à mesure de la représentation. La
musique de Vivaldi résonne à plusieurs reprises jusqu'à s'identifier aux
spectateurs, qui se retrouvent eux aussi en pleine lumière. Les idées ne
manquaient donc pas à Dominique Pitoiset qui s'est donné les moyens de les
réaliser. »
A.E
(Le Petit Bleu, extrait de l'article
Prospero perdu dans la Tempête, 08/02/2006)
28
La Tempête
de
Shakespeare
29
« La Tempête » ou la mise en scène de la magie
Contexte historique
La Tempête est précisément ancrée dans son époque. Le titre fait référence à
un véritable ouragan qui, le 3-4 juillet 1609, a dispersé les vaisseaux
d'émigrants britanniques partis de Plymouth vers la Virginie sous le
commandement de Geoge Somers, et a tait s'échouer le navire amiral dans les
parages des mudes. Pendant neuf mois, les naufragés sont restés prisonniers
d'une île, totalement coupés du monde extérieur. C'est seulement en mai 1610
qu'ils réussisirent à gagner les côtes américaines, puis à retourner en
Angleterre où leur aventure allait enfiévrer les imaginations. Shakespeare put
lire entre autres à ce sujet le récit de Silvester Jourdan, A Discovery of the
Bermudes, otherwise called the isles of Devils (Découverte des Bermudes,
autrement nommées Îles des Diables), titre laissant clairement supposer
l'existence d'îles enchantées. Une telle évocation devait être spécialement
appréciée à un moment où l'occultisme était en faveur Angleterre et notamment
dans les milieux proches de Shakespeare. Ainsi, un certain John Dee,
alchimiste et astrologue renommé, a peut-être inspiré le personnage de
Prospéro, héros de la Tempête Le roi Jacques Ier lui-même s'intéressait aux
études occultes, et c'est devant lui qu'a eu lieu la première représentation
connue de la pièce, le 1er novembre 1611 au Banqueting House à Whitehall.
Un contexte favorisait donc bien le fait que la magie constitue l'un des sujets
essentiels de la tempête à la fois dans ses pouvoirs et ses limites.
Les pouvoirs de la magie
Le héros de la Tempête exerce effectivement des pouvoirs surnaturels et dès
le début, en provoquant cette tempête qui donne son titre à la pièce et nous
transporte d'emblée dans le monde de l'illusion : les passagers du vaisseau
resteront en vie et garderont des vêtements immaculés, mais ils seront
transportés sur le rivage en dépit des lois de la nature. Tout au long de la pièce,
Prospéro commande aux esprits de l'air, représentés par Ariel et plusieurs elfes .
Avec leur complicité, il produit dan, la nature ou sur les êtres humains des effets
qui dépassent l'entendement.
Plus précisément, à l'image (les astrologues en vogue dans l'Angleterre de
l'époque, Prospéro exerce la magie blanche et s'oppose ainsi à la magie noire
des puissances néfastes. Cette dernière est incarnée par la sorcière Sycorax,
mère de l'esclave sauvage et difforme qu'est Caliban, et qui avait tenté en vain
d'asservir les esprits de l'air, car, en arrivant dans l'île, Prospéro avait délivré
Ariel pour en faire son auxiliaire. La magie blanche qu'exerce Prospéro consiste
à instaurer le " bettering of [the] mind », c'est-à-dire le perfectionnement de
l'esprit. Certes, a priori, en tant qu'ex-duc légitime de Milan, Prospéro semble
animé d'intentions plus intéressées, puisque par ses actions tragiques il veut
démasquer son frère l'usurpateur et ainsi recouvrer son duché. Mais ces projets
peuvent n'apparaître que comme des voies d'accès à un plus noble dessein,
d'ordre spirituel : rétablir dans son harmonie une société souffrant d'être aux
30
mains d'un traître. La preuve en est due, dès le début de la pièce, Prospéro, en
promettant à Ariel (le lui rendre sa liberté une fois l'ordre rétabli, annonce en
quelque sorte qu'il renoncera alors à ses charmes.
Le héros de la Tempête semble donc glorifier les pouvoirs de la magie, d'autant
plus qu'il avoue être au sommet de son art au montent précis où il doit le
pratiquer :
" La Fortune, prodigue maintenant de ses faveurs,
Jette mes ennemis sur ce rivage ;
Et [...] cela, c'est au moment même
Où ma science prévoit que mon zénith
Est visité d'une certaine étoile, très propice,
Dont il faut que j'accueille le bon influx."
On a pu dès lors estimer qu'en écrivant la Tempête Shakespeare avait voulu
manifester sa propre adhésion à l'occultisme. C'est notamment l'opinion de
Frances Yates, pour qui « Prospéro est à l'apogée du long combat spirituel
qu'ont mené Shakespeare et ses contemporains. Il [...)établit la légitimité de la
Kabbale blanche ". Cependant, dans la mesure où il écrit non pas un traité
occultiste mais une couvre littéraire, et certes fort complexe, Shakespeare se
serait-il borné à glorifier l'art de la magie sans en montrer ses limites?
Les limites de la magie
Prospéro n'incarnerait-il pas tout autant une critique qu'un éloge de la magie ?
C'est la thèse que soutient l'un des derniers traducteurs de la Tempête le poète
Yves Bonnefoy, dans sa longue et riche préface à la récente édition de la pièce
dans la collection « Folio Théâtre ».
Son premier argument est le désintérêt que Prospéro manifeste envers les
êtres humains, à l'exception de sa fille Miranda. Il est bleu sûr normal que ce
duc dépossédé n'éprouve qu'aversion et mépris pour son frère Antonio et ses
complices et ne soit guère attiré par le roi de Naples Alonso et ses courtisans.
S'il semble en revanche montrer de l'estime, voire de l'affection au vieux
conseiller Gonzalo et une certaine bienveillance à son futur gendre Ferdinand,
fils du roi de Naples, n'est-ce pas parce que le premier l'a aidé au moment où il
a été exilé et parce que le second représente un des moyens qu'il a choisis
pour mener à bien sa présente entreprise? Car c'est la société dans son
harmonie et non les individus qui importent pour Prospéro, personnage qui se
complaît dans une certaine réclusion sur soi.
En outre, ce représentant de la magie blanche n'est pas exempt de zones
d'ombre. Elles se révèlent en particulier à travers l'hostilité qu'il manifeste à
l'égard de son frère et de Caliban. Pour se venger du premier, il imite ses
méfaits, puisque l'attirant à sa manière dans ses filets, il reproduit l'action dont
Antonio fut coupable ; ainsi «A voir maintenant Prospéro calquer le
comportement de son frère [...] on se dit qu'Antonio est une part de lui -même ",
31
une part mauvaise qu'il a voulu écarter pour devenir mage, mais qui subsiste
néanmoins en lui.
Pareillement, son acharnement contre Caliban ne refléterait-il pas un autre
aspect nocturne de Prospéro, qu'il n'a pas su sublimer? Plus généralement, le
sage qu'il prétend être trahit à plusieurs reprises un mauvais caractère, des
sautes d'humeur, de l'agressivité à la mélancolie.
Dès lors, la pièce se termine-t-elle vraiment par une victoire de Prospéro ?
Certes, il a su piéger ses rivaux et, mieux encore, il va dominer son instinct de
vengeance à leur égard en leur accordant son pardon, mais le désordre du
monde n'en sera pas pour autant anéanti : Antonio le traître et Sébastien son
complice ne se repentent pas ; même le mariage de Miranda et de Ferdinand ne
rétablira peut-être pas l'harmonie, car la future épouse s'apprête à subir les lois
de son mari, sachant qu'elle comptera moins pour lui que ses ambitions
d'homme de pouvoir.
De toute façon, en choisissant de pardonner, Prospéro décide simultanément de
renoncer à ses pouvoirs de mage, qui ne pourraient désormais que le détourner
de la vertu : au début de l'acte V, il abjure solennellement " Cette magie
primaire" qui ne conduit pas au salut de l'âme. Plus nettement encore, dans
l'épilogue, élément inhabituel dans les pièces de l'époque, Prospéro, s'avançant
vers le public, le dos tourné à l'île des illusions, avoue :
"J'ai renoncé tous mes channes
Et n'ai donc plus d'autres armes
Que ma pauvre humanité."
.
Le mage qu'il était, cet « être arrogant, brutal même, q u i ne doutait ni du bienfondé de son droit ni de la valeur de sa science, voici qu'il se consent
désormais et s'avoue l'homme le plus ordinaire : duc de Milan peut -être, mais
sans vrai bien que saconscience de soi, d'ailleurs précaire ; et en risque de
désespoir s'il ne reçoit pas d'autres êtres la sympathie q u e tout au long de
cejour il n' a guère su accorder lui-même ». Jamais peut-être Shakespeare n'a
aussi directement et intimement parlé à son spectateur que dans cet épilogue
émouvant qui suggère finalement que le surnaturel n'était qu'illusion et que la
vérité est humaine, mais aussi que les limites sont floues entre le réel et le rêve
et que, comme le dit le passage le plus célèbre de la pièce, « Nous sommes de
l'étoffe dont les songes sont faits ». Dès lors, le vrai magicien, celui qui fait (le
ses songes une vérité, ce n'est pas Prospéro, c'est Shakespeare, c'est le
théâtre, qui met en scène cette magie. C'est peut-être pourquoi la Tempête a
été si souvent représentée.
32
Fortune scénique de la pièce
En Angleterre
Après les premières représentations de 1611 à 1613, des adaptations de la
Tempête furent écrites à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe. En 1667, William et
John Dryden ajoutent trois personnages : une soeur de Caliban, une mère de
Miranda et un beau jeune homme, Hippolito. Cette nouvelle Tempête est
adaptée en un opéra auquel Purcell apporte sa musique en 1695, et, jusqu'au
milieu du XVIIIe siècle, cette adaptation est jouée de préférence à l'oeuvre
originale. Celle-ci reprend ses droits en 1757 avec le grand David Garrick ; puis
en 1767, Charles Kean inaugure une tendance à renforcer par des effets
scéniques les aspects illusionnistes de la pièce. A la fin du XIXe siècle, les
représentations deviennent de plus en plus conformes à celles du théâtre du
Globe ou de la cour du roi Jacques Ier.
Parmi les mises en scène récentes, signalons celle de Jonathan Miller à
Londres, qui transposa l'œuvre en dénonciation du colonialisme, et surtout
celles de Peter Brook, d'abord à Stratford-on-Avon en 1963, puis à Londres en
1968 dans une version délibérément outrée. Le grand acteur John Gielguld a
interprété Prospéro à quatre reprises, et la Tempête a aussi inspiré plusieurs
films, dont le récent Prospero's Books de Peter Greenaway (1991).
En France
Alors que la Tempête n'a presque jamais cessé d'occuper les scènes anglaises,
on n'en trouve pas trace dans nos théâtres avant 1955. La complexité et la
polysémie de la dernière pièce de Shakespeare ont-elles jusque-là fait peur a
nos metteurs en scène ?
Encore ne sont-ce, dans les années 1950-1960, que les artisans de la décentraliisation et quelques bons amateurs qui osent s'y affronter. La première mise
en scène recensée date de juillet 1955, où John Blatchley monte à Saint-Étienne
l'adaptation de Jacques Copeau sous une tente de cirque dotée de voiles par
[...] Bazaine : Jean Dasté est Prospéro, Delphine Seyrig, Ariel. En 1958, Jean
Deschamps monte la pièce dans une adaptation d'Yves Florenne, et, en 1963,
Jacques Mauclair la fait tenir sur la petite scène de l'Alliance française.
Puis les événements de 1968 suscitent une vogue de mises en scène engagées
de la Tempête. Une vision anticolonialiste apparaît dans l'adaptation du poète
martiniquais Aimé Césaire ou dans l'espèce de tournage de western réalisé par
Jean-Marie Serreau dans le contexte du Black Power en 1969, où Michael
Lonsdale joue un Prospéro capitaliste esclavagiste. En 1974, la lecture brech tienne de Bernard Sobel au TEP vent voir dans la pièce une prise de conscience
politique de Shakespeare, qui dénoncerait son idéalisme antérieur.
33
A ces visions un peu trop réductrices succèdent des spectacles drôles et
poétiques. En 1981, la Tempête est montée par François Marthouret sur une
scène en pente surplombant une plate-forme ovale et avec des costumes insolites : Ariel porte salopette grise et baskets argentées. En 1986, à Avignon,
Alfredo Arias voit la pièce en conte philosophique drôle et amer présentant un
monde désacralisé merveilleux et cruel ; Pierre Dux y campe un Prospéro des pote éclairé, lucide et bonhomme.
Dans ces années quatre-vingt, deux magnifiques Tempête viennent d'Italie. En
1983, au théâtre de l'Europe, le grand Giorgio Strehler crée, sous une étince lante simplicité, une merveille de précision et de légèreté dans une douce
lumière : les personnages évoluent sur une plage de sable blanc encadrée de
signes astrologiques sur u n rectangle de lattes entre deux mers de toile. En
1987, c'est le Teatro de Bologne qui présente une admirable mise en scène
dans un climat magique mêlant la portée initiatique et la vigueur comique de la
pièce.
Toutefois, ces brillantes réussites vont se trouver surpassées par l'extraordi naire
mise en scène de Peter Brook en 1990 puis en 1992 aux Bouffes du Nord. Le
grand homme de théâtre donne au texte adapté par Jean-Claude Carrière une
clarté lumineuse, magnifiée par une constante invention scénique avec des
comédiens de tous les continents. Peter Brook estime que la Tempête est plus
due jamais d'actualité en cette fin de XXe siècle, « parce qu'elle affirme d'une
manière exceptionnelle des valeurs dont nous manquons le plus : la tolérance, la
compassion, la miséricorde».
Après cette splendeur, deux mises en scène sont cependant parvenues à être
remarquées. En 1992, pour le cinq centième anniversaire du voyage de
Christophe Colomb, le Guatémaltèque Mario Gonzalez replace à nouveau la
pièce dans un contexte colonial : l'île est symbolisée par une tournette double où
les courtisans tournent comme des mannequins. Surtout, en 1993, au théâtre
d'Hérouville, Michel Dubois, faisant revêtir aux acteurs des costumes d'époques
disparates, cherche à mettre en valeur l'universalité de la pièce[...].
Extrait de L'Ecole des Lettres II
"La Tempête" de Shakespeare,
De la magie au théâtre à la magie du théâtre
n°11, 1997-1998
34
Shakespeare notre contemporain
La baguette de Prospero
[...] Le récit de Prospero est une histoire de lutte pour le pouvoir, de contrainte et
de complot. Mais ce n'est pas seulement l'histoire du duché de Milan. Le destin
d'Ariel et de Coriolan sera une répétition de ce même thème. Le théâtre de
Shakespeare est le Theatrum Mundi. La violence et la terreur en tant que
principes du monde seront montrées en catégories cosmiques. La préhistoire
d'Ariel et de Caliban est la répétition des tribulations de Prospero, une illustration
supplémentaire du même thème. Les drames de Shakespeare sont construits non
pas conformément au principe de l'unité d'action, mais au principe de l'analogie,
d'une double, triple ou même quadruple intrigue qui répète le même thème
essentiel ; ce sont des systèmes de miroirs convexes et concaves qui reflètent,
grossissent et parodient une même situation.
[...]
Qui est Prospero et que signifie sa baguette ? Pourquoi chez lui la science est elle associée à la magie et quel est le sens dernier de sa confrontation avec
Caliban ? Car en définitive, ce sont Prospero et Caliban les héros de La Tempête.
Pourquoi retourne-t-il désarmé dans le monde des hommes ? Dans aucun des
chefs d'oeuvre de Shakespeare, à l'exception du seul Hamlet, n'ont été montrées
aussi brutalement que dans La Tempête l'antinomie entre la grandeur de l'esprit
humain et la cruauté de l'histoire, la fragilité de l'ordre des valeurs. C'est là une
antinomie profondément ressentie par les hommes de la Renaissance et qui, pour
eux, était tragique. Les neuf sphères célestes immuables qui, conformément à
l'enseignement médiéval, se disposaient concentriquement autour de la terre,
étaient la garantie de l'ordre naturel. A la hiérarchie céleste correspondait la
hiérarchie sociale. Or les neuf cieux n'existent plus. La terre est devenue l'une
des poussières de l'espace étoilé, tandis que simultanément l'univers se
rapproche ; les corps célestes se meuvent selon les lois que la raison humaine
vient de découvrir. La terre est devenue à la fois très petite et très grande. L'ordre
naturel a perdu son sacre, l'histoire n'est plus que l'histoire de l'homme. On aurait
pu rêver qu'elle allait changer. Mais elle n'a pas changé. Jamais encore on n'a si
douloureusement ressenti le déchirement entre le rêve et la réalité, entre les
possibilités qui résident en l'homme et la misère de son sort. Tout aurait pu
changer et rien.n'a changé. [...]
Le grand monologue de Prospero au cinquième acte de La Tempête, où les
romantiques déchiffraient l'adieu de Shakespeare au théâtre est une profession
de foi dans la puissance démiurgique de la poésie, et est en réalité très proche de
l'enthousiasme de Léonard* pour la puissance de l'esprit humain qui a arraché à
la nature ses forces élémentaires. Ce monologue est un lointain écho d'un
passage célèbre des Métamorphoses d'Ovide. Le monde est vu dans son
mouvement et sa transformation, les quatre éléments, la terre, l'eau, le feu et l'air,
sont libérés mais ils n'obéissent plus aux dieux, ils sont au pouvoir de l'homme qui
bouleverse pour la première fois l'ordre de la nature.
35
[...] L'homme est un animal comme les autres, plus cruel seulement, peut-être,
mais au contraire de tous les autres, il a conscience de son destin et veut le chan ger. II naît et meurt dans un temps qui lui échappe et jamais il ne pourra s'y résigner. La baguette de Prospero contraint l'histoire du monde à se répéter sur une
île déserte. Les acteurs peuvent la jouer en l'espace de quatre heures. Mais la baguette de Prospero ne peut changer le cours du monde. La moralité une fois
achevée, le pouvoir de magicien de Prospero doit également prendre fin. II ne lui
reste plus qu'une amère sagesse.
*Léonard de Vinci
Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, 1962
36
William Shakespeare
(Stratford on Avon 1564-1616).
Le plus illustre poète dramatique de tous les temps, dont l'œuvre reste unique
par sa diversité, sa richesse, sa profondeur et sa beauté poétique.
Une vie d'homme de théâtre
Sa vie est aussi bien connue que celle de beaucoup d'auteurs de son temps. II
fréquente probablement la très bonne école de Stratford, mais ne va pas à
l'université.
En 1582 il épouse Ann Hathaway, de huit ans son aînée, qui donne le jour six
mois plus tard à une fille, puis, en 1585, à des jumeaux. On le perd de vue
pendant sept ans. Il n'est pas impossible (l'hypothèse est a été reprise
récemment) que pendant ces « années perdues » il ait servi, comme précepteur
ou maître d'école, une grande famille catholique du Lancashire. Il est possible
aussi qu'il se soit joint à une compagnie en tournée.
On le retrouve à Londres en 1592, acteur et auteur suffisamment envié pour être
attaqué par Greene*. Et 1593 et 1594 (années où les épidémies de peste
paralysent la vie théâtrale) il publie deux volumes de poèmes : Vénus et Adonis
et le Viol de Lucrèce (ses Sonnets, qui datent de la même époque ou des
années immédiatement postérieures, ne verront le jour qu'a 1609).
En 1595 il est, avec R. Burbage et W. Kempe, l'un des trois signataires d'un
reçu pour des représentations données à la cour pendant les fêtes de Noël 1594
par les Chamberlain's Men, ce qui semble indiquer qu'il occupe déjà une place
importante dans cette compagnie.
En 1597 il achète l'une des plus belles maisons de Stratford. Il connaît don c très
tôt le succès et la prospérité. Actionnaire de sa compagnie et du théâtre du
Globe puis de celui de Black-friars, acteur et auteur attitré de la première
troupe d'Angleterre, il vécut sans doute la vie d'un homme de théâtre
professionnel jusque vers 1610. Il regagne ensuite sa ville natale, mais sans
rompre complètement avec ses camarades. Son testament mentionne des dons
à Burbage, et à deux autres de ses associés, John Heminge et Henry Condell.
Ceux qui le connurent n'eurent pas seulement pour lui de l'admiration, mais de
l'affection et de l'estime. Les accusations dont il est victime en 1592 sont
démenties aussitôt par l'imprimeur de Greene, et son honnêteté est hautement
confirmée plus tard par Jonson. Aucun de ses contemporains (et ils furent très
nombreux à le connnaître) ne contesta jamais qu'il ait bien été l'auteur de ses
pièces. Les thèses « antistratfordiennes » datent essentiellement du XXe siècle.
Aucun spécialiste n'y croit, mais des ont eu du succès auprès d'un public avide
de scandales, amateur de cryptographie, ou simplement ignorant. Curieusement,
c'est en France qu'elles trouvent encore le plus d'audience. La raison en est
peut-être la qualité d'un ouvrage d'Abel Lefranc, le plus sérieux dans ce
domaine (A la découverte de Shakespeare, 1945-1950). Shakespeare a été
aussi victime des assauts des « désintégrateurs » qui ont cru reconnaître dans
ses oeuvres la manière de plusieurs de ses contemporains. A l'inverse, sa noto -
37
riété lui a souvent valu l'attribution de pièces auxquelles il était étranger. Tout
récemment encore, une nouvelle tentative a été faite pour lui attribuer un
Edouard III anonyme de 1596.
Le « canon » shakespearien
Le « canon shakespearien fait néanmoins l'objet d'un large consensus. On le
divise traditionnellement en trois ou quatre catégories : aux trois divisions de
l'in-folio de 1623 (pièces historiques, comédies et tragédies) on ajoute souvent
la catégorie des tragi-comédies romanesques (romances) où l'on regroupe les
dernières pièces. Cette classification est commode, mais elle néglige la
diversité des oeuvres. Elle réunit des pièces parfois très différentes les unes
des autres (il n'y a pas de modèle unique correspondant à un genre), estompe
des traits communs (les drames historiques sont souvent tragiques, les tragédies
souvent historiques), et néglige les aspects très particuliers de certaines pièces
(ainsi les problem plays telles que Tout est bien qui finit bien, Troïlus et
Cressida, Mesure pour mesure ou Timon d'Athènes).
On place dans la catégorie des pièces historiques (à l'intérieur de laquelle la
division en deux tétralogies est peu utile, de même que la distinction entre
"chroniques" et "histoires ") les trois parties de Henry VI (vers 1590-1592),
Richard III (vers 1593), Richard II (1595), le Roi Jean (vers 1596), les deux
parties de Henry IV (vers 1597 et vers 1598), et Henry V (vers 1599). Parmi les
comédies on range la Comédie des erreurs (The Comedy of Errors, vers 1,590,
ou 1594), les Deux Gentilshommes de Vérone (The Two Gentlemen of Verona,
vers 1590), la Mégère apprivoisée (Tire Taming of the Shrew, avant 1594),
Peines d'amour perdues (Love's Labour's Lost, vers 1594), le Songe d'une nuit
d'été (A Midsummer Night's Dream, vers 1595), le Marchand de Venise (The
Merchant of Venice, vers 1596), Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About
Nothing, vers 1599), les Joyeuses Commères de Windsor (The Merry Wives of
Windsor, vers 1600, ou dès 1597), Comme il vous plaira (As You Like it, vers
1600), la Nuit des Rois (Twelfth Night, vers 1600), Tout est bien qui finit bien
(All's Well That Ends Well, vers 1603) et Mesure pour mesure ( Measure for
Measure, 1604).
Les tragédies comprennent Titus Audronicus (vers 1592), Roméo et Juliette
(vers 1595), Jules César, avec laquelle le Globe a peut-être été inauguré en
1599, Hamlet (vers 1601), Troïlus et Cressida (vers 1602), Othello (vers 1603),
le Roi Lear (vers 1605), Macbeth (vers 1606), Antoine et Cléopâtre (vers 1607),
Turion d'Athènes (vers 1608, ou dès 1604 '?) et Coriolan (vers 1608).
Les tragi-comédies finales sont Cymbeline (vers 1610), le Conte d'hiver (The
Winter's Tale, vers 1611) et la Tempête (1611) ainsi que Périclès (vers 1608),
probablement due en partie à Thomas Middleton. Cardenio (1613), qui a
disparu, les Deux Nobles Cousins (The Two Noble Kinsmen 1613-1614), et
Henry VIII (vers 1613, d'abord connu sous le titre de All is True avant d'être
publié comme The Famous History of the Life ol King Henry the Eighth ont sans
doute été écrits en collaboration avec Fletcher.
38
Les éditions
Shakespeare ne s'est pas intéressé à la publication de ses oeuvres dramatiques,
qui étaient d'ailleurs la propriété de sa compagnie. Dix-neuf d'entre elles ont
d'abord paru dans des éditions in-quarto, publiées souvent très peu de temps
après les représentations et parfois sans autorisation. En 1623 Heminge et
Condell réunissent 36 pièces (ils excluent Périclès) dans un très bel in-folio qui
constitue le principal document de référence. Depuis le XVIIIe siècle un énorme
travail d'établissement et d'analyse des textes s'est poursuivi, et de grands
progrès sont encore accomplis de nos jours. Les meilleures éditions doivent se
renouveler périodiquement : ainsi une nouvelle édition de l'Arden Shakespeare
(Methuen) a commencé en 1951, un New Penguin Shakespeare en 1967, le
nouvel Oxford Shakespeare en 1982 et le New Cambridge Shakespeare en 1984.
A Oxford même, la dernière édition des oeuvres complètes (1986) propose des
changements parfois radicaux. Quant aux études critiques, elles sont
innombrables. Des bibliothèques entières (la Folger Shakespeare Library de
Washington, par exemple) leur sont consacrées.
L'art du dramaturge
Une meilleure compréhension des textes et de leurs conditions de représentation
a permis de mieux apprécier la dramaturgie shakespearienne. Il est bien évident,
tout d'abord, que Shakespeare a su tirer le meilleur parti des ressources que lui
offraient les lieux théâtraux dont il disposait. Au début de sa carrière - avant la
construction du Globe - il a dû sans doute s'accommoder de conditions précaires.
Mais devant la nécessité de faire appel à l'imagination du spectateur (le prologue
et les choeurs de Henry V sont très révélateurs à cet égard), c'est par le langage
poétique qu'il supplée aux déficiences des moyens scéniques. II utilise toutes les
possibilités de la très vaste scène qui s'avance jusqu'au milieu de l'auditoire, et
qui permet tout aussi facilement dans un même spectacle, de faire évoluer des
groupes (foules, armées, cortèges) que de ménager des apartés ou d'isoler un
personnage au premier plan.
Shakespeare use de cet outil pour décrire les mouvements qui agitent les partis
ou les sociétés, et même temps que les relations entre les individus et les
sentiments personnels, en donnant à entendre toutes les formes de dialogue et
de monologue, du débat politique à la conversation privée, du discours public à la
réflexion la plus confidentielle, et en jouant sur un rapport entre la salle et la
scène qui donne au spectateur le privilège de vivre à la fois l'illusion et la
conscience de l'illusion. Avec le même art, il a intégré dans ses oeuvres des
éléments conventionnels qui, chez d'autres, restent souvent extérieurs au propos
: non seulement le chant et la musique, mais la danse (la danse aristocratique
dans Roméo et Juliette comme la danse populaire dans le Conte d'hiver par
exemple) et le masque de cour (plaisant dans Peintes d'amour perdues ou
sérieux dans la Tempête).
C'est en les renouvelant qu'il utilise des personnages popularisés par de vieux
usages ou par des modèles récents, comme le clown ou le fantôme : le Touchstone de Comme il vous plaira et le Feste de la Nuit des rois ne sont pas des
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bouffons traditionnels, de simples faiseurs de bons mots étrangers à l'intrigue,
mais des créations originales qui participent à l'action, et c'est d'eux, en partie,
que proviennent des personnages satiriques aussi fortement individualisés et
aussi importants que le Thersite de Troïlus et Cressida et l'Apemantus de Timon
d'Athènes. Le fantôme, de Richard II à Macbeth, en passant par Jules César et Hamlet, cesse d'être une simple force stéréotypée : il hante la conscience des
protagonistes, et son intervention se justifie, non plus par le désir de suivre un
exemple classique ou par celui de flatter le goût du public pour le sensationnel,
mais par une fonction remplie dans le déroulement du drame.
Du bon usage des sources
La même originalité se retrouve dans l'utilisation des sources. Un exemple
significatif nous en est donné très tôt avec la Comédie des erreurs. Shakespeare
y part des Menechmes de Plaute, mais il incorpore des données provenant de
l'Amphitryon (de Plaute également) et de l'histoire d'Apollonius de Tyr, telle que
l'a racontée John Gower, poète anglais du XIVe siècle. Sur ces bases, il
construit une intrigue extraordinairement serrée, incluse dans un seul lieu et un
seul temps, où le comique fondé sur les confusions entre des jumeaux se double
fun plaisir plus intellectuel, issu d'un dédoublement des situations (par l'addition
fun second couple de jumeaux) et de la subtilité avec laquelle l'action est
agencée.
Parmi les sources les plus importantes du point de vue de la dramaturgie, il faut
citer les œuvres des historiens, dont l'influence ne se manifeste pas seulement
dans les pièces historiques. Chez les chroniqueurs anglais, et chez Plutarque
aussi, Shakespeare a trouvé de longues séquences d'événements qui se
déroulent dans des lieux multiples, et mettent en jeu des sociétés en même
temps que des individus. II leur a emprunté des situations qui lui permettent de
superposer des plans métaphysiques ou mythiques aux plans politiques, sociaux
et psychologiques, et de donner un dynamisme poétique au vieux principe des
correspondances entre le macrocosme et le microcosme. C'est pourquoi les
dimensions du récit déconcertent parfois le spectateur habitué aux normes de la
tragédie classique française : Jules César n'est pas le récit de l'assassinat de
César, mais décrit ses conséquences aussi bien que ses causes, Hamlet ne
prend fin qu'avec le triomphe de Fortinbras, Antoine et Cléopâtre ne se termine
pas avec la mort d'Antoine.
Temps et espace
La durée de l'action n'étant pas soumise à une contrainte formelle, le temps
peut se manipuler à toutes sortes de fins poétiques et dramatiques, être subi et
vécu, imaginé et remémoré. C'est d'ailleurs ce qui explique que dans certaines
pièces la chronologie soit objectivement incertaine ou contradictoire : on peut
parler, à propos d'Othello par exemple, d'un « double temps » du déroulement
de l'action, mais c'est un temps dramatiquement juste.
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La pluralité des lieux est mise à profit de la même manière. Ils peuvent marquer
les étapes de l'itinéraire tragique ou romanesque que suit un héros, comme dans
Richard II, le Roi Lear, Timon d'Athènes ou Périclès mais peuvent aussi
s'opposer les uns aux autres de différentes façons : le camp grec et le camp
troyen dans Troïlus et Cressida, Venise et Chypre dans Othello, Venise et
Belmont dans le Marchand de Venise. Lieux d'affrontements ou de réunions, de
rencontres ou de séparations, lieux d'emprisonnement ou d'exil, de retraite ou
d'errance, lieux de méditations privées ou d'engagements publics, ils contribuent
toujours à une vision d'ensemble, et prennent souvent une valeur symbolique ou
métaphorique : la fameuse " lande » du Roi Lear est le décor d'une détresse qui
sombre dans la folie au milieu d'une nuit de tempête où se déchaînent les
éléments hostiles.
Techniques d'écriture dramatique
A la souplesse du cadre spatio-temporel s'ajoute une grande liberté dans
l'utilisation des techniques de conduite du récit. La structure narrative essentielle
est la scène, qui correspond à une unité de lieu et de temps, et à la fin de laquelle
tous les personnages sortent. La division en actes est beaucoup moins
significative, et elle est due le plus souvent aux éditeurs du XVII Ie siècle. II y a
cependant des exceptions : au début de la carrière de Shakespeare on la trouve
dans la Cornédie des erreurs, Titus Andronicus, et Henry V, où toutefois il ne
semble pas qu'elle ait pu correspondre à des interruptions du spectacle à la fin de
chaque acte. On l'aperçoit aussi plus tard, dans Mesure pour mesure et Macbeth.
Elle existe enfin dans les toutes dernières pièces, jouées au Blackfriars, où, suivant
la pratique des théâtres privés, le spectacle était interrompu par des interventions
musicales à la fin des actes, et où le découpage en cinq actes reflète l'influence
grandissante du goût néoclassique.
Ailleurs, la division en scènes est la seule qui importe, et elle n'entraîne d'autre
contrainte que le respect d'une règle implicite, très généralement observée : deux
scènes successives ne doivent pas faire intervenir les mêmes personnages dans
le même lieu. Cette liberté permet d'éviter le recours au discours narratif ou
descriptif pour l'exposition, et pour la relation d'actions qui se passent dans des
lieux différents : sauf quand Shakespeare choisit délibérément d'introduire un
narrateur, l'exposition se fait progressivement au cours des premières scènes, et
les événements qui se déroulent dans des lieux éloignés sont montrés au lieu
d'être rapportés.
Cela ne veut pas dire pour autant que l'histoire soit racontée de façon rudimen taire, que le récit apporte une simple succession d'épisodes. Au contraire,
Shakespeare utilise fréquemment des procédés de présentation et
d'enchâssement qui créent une distance et provoquent la réflexion. II fait ainsi
intervenir des chœurs : dans Henry V pour annoncer l'action, puis la ponctuer et
la commenter, en soulignant les limites de la représentation théâtrale, dans
Roméo et Juliette, pour apporter un élément à la fois lyrique et tragique. Une
fonction narrative est parfois donnée à une figure qui tend à devenir un véritable
personnage : le Temps dans le Conte d'hiver ; le poète Gower, à la fois prologue
et épilogue, narrateur et commentateur dans Périclès. Le procédé de l'induction
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(sorte d'introduction dramatisée) est repris dans la seconde partie de Henry IV
avec la figure de la Rumeur et surtout dans la Mégère apprivoisée où l'histoire
de Katharina et de Petrucchio est représentée comme une pièce jouée devant
l'ivrogne Christopher Sly par une troupe d'acteurs.
Ces procédés ne sont pas sans rapports avec celui de la « double intrigue » qui
accorde à certains personnages, ou groupes de personnages de second plan,
un statut privilégié, en leur faisant vivre une aventure distincte de l'intrigue
principale. L'intrigue secondaire, d'une manière ou d'une autre, est
complémentaire de l'intrigue principale, même dans des pièces comme la Nuit
des rois où la relation peut sembler assez ténue. Elle peut s'unir étroitement à
l'intrigue principale, comme dans Lear où le destin de Gloucester, analogue à
celui du roi, vient amplifier les thèmes de la douleur, de l'ingratitude, de la
cruauté et de la déraison.
La similitude entre les destins tragiques de Lear et de Gloucester n'est qu'un
exemple des situations parallèles que Shakespeare a souvent mises en scène,
et dont la plus frappante est offerte par Hamlet : Hamlet, Laerte et Fortinbras
sont placés tous trois dans la situation du fils qui doit venger son père, et si
Laerte et Fortinbras restent au deuxième ou au troisième plan, c'est à Laerte
que Hamlet doit sa mort, et c'est Fortinbras qui demeure seul pour triompher. De
tels parallélismes relèvent de structures dramatiques et de systèmes de
personnages plus homogènes, plus complexes et plus significatifs qu'on ne le
soupçonne de prime abord.
La théâtralité en miroir
Shakespeare ne cède que rarement au vertige baroque de la mise en abyme.
Des Masques sont représentés dans Peines d'amour perdues et dans la
Tempête ; Falstaff joue explicitement le rôle du roi dans Henry V; dans le Songe
d'une nuit d'été puis dans Hamlet, le théâtre se donne en spectacle, "farce
tragique" dans la comédie, tragédie dans la tragédie. La fable d'amour et de
mort de Pyrame et Thisbé est un "spectacle des gueux » parodiant
grotesquement Roméo et Juliette.
Un spectacle illusoire, mais semblable en cela à tout théâtre : le théâtre dans le
théâtre n'est que l'ombre dans l'ombre, sollicitant également l'action supplétive
de l'imagination du spectateur, mise en avant par Thésée comme par le
prologue de Henry V ; dans Hamlet le théâtre devient piège, arme, instrument
de révélation de la vérité dans les mains d'un prince appelé, quant à lui, à diriger
de vrais comédiens. Le théâtre selon Shakespeare se situe tour à tour du côté
de la fête et de la participation du côté de la vérité et de sa quête, dans le
monde, pourri par les apparences, de Hamlet, du côté de l'éphémère et de
l'insubstantiel dans la Tempête.
En quelques endroits, Shakespeare offre une autre modalité à la présence du
théâtre dans le théâtre : celle de la réflexion, au sens non plus optique mais
théorique. Le théâtre envahit le discours, dans le célèbre prologue de Henry V et
dans les non moins fameux conseils de Hamlet aux comédiens ; le théâtre est
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très souvent invoqué, pour définir la vie et son absurdité dans Macbeth, dans les
tétralogies pour constater la théâtralité de l'Histoire. Le plateau du théâtre se
prolonge au coeur même de la vie, et c'est cette contamination que creuse
inlassablement Shakespeare.
C'est parce que l'homme n'est qu'une ombre qui passe dans le monde que le
théâtre peut prétendre au statut de miroir de la nature, reflétant fidèlement dans
sa pratique même, éphémère et dépouillée, la position de l'homme sous le
regard de Dieu. La présence du théâtre dans le théâtre se nourrit de la
conception du theatrum mundi prégnante en Europe au tournant des XVIe et
XVIIe siècles, et qui bascule alors de la théologie dans l'art, envahissant
notamment le théâtre espagnol, anglais et français : sur la scène du monde,
comme sur celle du théâtre, l'homme est un pantin manipulé par la Providence,
élevé au sommet de la gloire pour être précipité dans la chute. L'acteur ne joue
d'autre rôle sur la scène des théâtres que celui de l'humaine condition.
Reflet et réflexion : ces deux formes de redoublement explicite ne sont pas, loin
de les seuls moyens dont dispose Shakespeare pour tendre au théâtre un miroir
intérieur. Le plus souvent; c'est par le biais de ce que l'on pourrait nommer des
"dispositifs" de théâtre qu'affleure, au coeur même de ses pièces, une présence
d'autant plus forte qu'elle est devenue consciente d'elle-même. Théâtralité
minimale : celle du spectacle involontaire. C'est la manipulation d'un fait donné à
voir par un personnage à un autre, selon une perspective qui le fausse
entièrement, l'envers maléfique de l'illusion. L'exemple canonique est celui
d'Othello : le spectacle trompeur du contentement amoureux de Cassio, montré
par lago comme preuve visuelle de l'infidélité de Desdémone, précipite Othello
dans la folie furieuse. Pouvoir de l'image au théâtre. Ce que les yeux croient voir
a ici une puissance de suggestion plus forte que ce que les oreilles peuvent
entendre : c'est par les yeux qu'Othello, qui exigeait de voir avant de consentir à
douter, est convaincu de la trahison de sa bien-aimée. Dans Hamlet, cependant, la pantomime ne révèle pas à Claudius le sens de la représentation
théâtrale que seule la parole achève : le théâtre se donne alors à entendre
autant qu'à voir.
L'image offerte au regard ou à l'esprit, par le jeu des mots, est ambivalente,
interprétable à volonté. Les pouvoirs du théâtre le rendent apte à révéler le
faux aussi puissamment que le vrai. Ce scepticisme dramaturgique est un
élément clé de la durable modernité de Shakespeare.
Une autre forme de théâtralité est engagée avec la pratique du déguisement et
du travestissement sexuel, récurrente dans les comédies : Hélène des Peines
d'amour perdues conserve sa féminité sous le couvert d'une pèlerine, mais
Rosalinde dans Comme il vous plaira, Viola dans la Nuit des rois, Julia dans
les Deux Gentilslsoinmes de Vérone, Portia dans le Marchand de Venise
empruntent l'habit, le langage et le comportement attribués à l'au tre sexe. Ces
personnages « acteurs » exercent alors leur pouvoir d'illusion sur des
personnages « spectateurs », avec la complicité du public de la pièce placé en
position de supériorité.
Le succès du jeu et l'issue favorable de la situation périlleuse qui rendaient
nécessaire le recours au travestissement n'occultent en rien le fait que l'arme «
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théâtrale » est utilisée pour des enjeux vitaux : obtenir, ou mettre à l'épreuve,
l'amour de qui l'on aime, soustraire un homme à un grave péril. Le dispositif
théâtral est si étroitement imbriqué dans la fable que le dévoilement précipite
le dénouement, mais le travestissement aura permis au personnage -acteur de
s'affirmer et d'atteindre son but, dans la jubilation du jeu. Cette arme est
parfois utilisée dans des contextes tragiques : c'est, dans le Roi Lear, Edgar, le
fils renié contraint à revêtir le masque de « poor Tom » ou, dans Macbeth,
l'énigmatique faux autoautoportait que donne de lui-même le prince Malcolm
pour mettre à l'épreuve Macduff. Le jeu théâtral n'est autre que la distance (le
jeu au sens mécanique) créée entre un être et un paraître, signe de
désenchantement, lorsqu'il est la seule arme de l'homme vertueux dans u n
temps disjoint, ou au contraire signe de l'invention festive et carnavalesque
présente au cœur même de la fable théâtrale comme de la vie humaine.
Cependant, Shakespeare pousse plus loin encore l'exploration de la théâtralité
dans le théâtre même, en inventant des personnages qui, par les procédés de mise
en scène d'événements ou de discours, ou de manipulation de l'identité d'autres
personnages qu'ils mettent en oeuvre, s'apparentent à des démiurges de la
scène. Maria dans la Nuit des rois, Paulina dans Le Conte d' hiver, le duc de
Vienne de Mesure pour mesure, Hamlet présentent à un double public, intérieur et
extérieur à la pièce, les fruits de leur invention : un puritain trouble-fête métamorphosé en soupirant ridicule, une statue qui s'anime, un faux ange démasqué et ses
victimes sauvées non sans maints déguisements, substitutions, voire résurrections.
Outre leur fonction divertissante, ces fictions internes creusent de manière
allégorique des questions essentielles : la fracture entre l'être et l'apparence,
l'aveuglement humain, le doute frappant toute quête de vérité absolue, la similitude
de Pacte théâtral avec l'évocation des morts.
Hamlet seul adopte tour à tour l'ensemble des rôles ou des fonctions mises en
ouvre par le processus théâtral : lecteur et dramaturge (il récrit en partie le «
Meurtre de Gonzague " acteur (de sa folie), metteur en scène des comédiens, et
pour finir spectateur (de Claudius).
Si une vérité se dégage du théâtre de Shakespeare, en dépit d'un scepticisme
dramaturgique constant, elle est à rechercher dans cette affirmation des pouvoirs
démiurgiques de l'homme de théâtre et du théâtre lui-même. Le théâtre du monde,
avec Shakespeare, devient le théâtre comme monde, métaphore signifiante de
celui-ci, capable, grâce au concours de l'imagination du spectateur, d'évoquer la
bataille d'Azincourt dans le cercle de bois (wooden O) du théâtre, de ranimer les
morts, d'extraire quelques vérités de la gangue des apparences.
On peut penser qu'une telle célébration du théâtre par et dans le théâtre constitue
l'aiguillon principal des metteurs en scène de notre époque. Si monter
Shakespeare aujourd'hui ne peut plus être ou n'est plus seulement reconstituer le
sénat romain, les remparts d'Elseneur, donner des ailes à Ariel, f aire évoluer
de jeunes garçons troublants interprétant des filles déguisées en garçons,
motiver l'inaction d'Hamlet, éclairer la jalousie de Léontès (le Conte d'Hiver) ou
celle d'Othello, cela reste la rencontre concrète de toutes les grandes
questions que pose la pratique du théâtre.
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Shakespeare en France
Traduire Shakespeare et mettre en scène des pièces conçues pour l'espace à la
fois multiple et non décoratif du théâtre élisabéthain : longtemps ces deux
démarches se sont révélées problématiques en France. Une histoire (les
traductions françaises de Shakespeare dégagerait deux époques.
Durant la première, s'étendant jusqu'au début du XXe siècle, les traductions
pour la lecture, généralement en prose, de l'entreprise de Letourneur à celle de
François-Victor Hugo pour les oeuvres complètes, affirment, à défaut de toujours
les respecter, les principes d'intégralité et de fidélité ; elles n'ont que peu de
chose à voir avec les adaptations pour la scène, presque toujours en
alexandrins expurgés de tout élément grotesque ou obscène, qui s'autorisent
d'importants aménagements dramaturgiques afin de rendre possible la
succession de décors illustrant les différents lieux de la pièce.
La seconde époque, inaugurée par des metteurs en scène d'esthétiques
différentes mais également soucieux de porter sur la scène un Shakespeare
plus véritable, Copeau et Antoine, voit se combler le fossé entre ces deux types
de transposition textuelle, au profit de nouvelles oppositions : les adaptations
utilisant les textes shakespeariens comme matériau pour une réécriture littéraire
ou scénique, depuis Brecht, revendiquent leur légitimité, tandis que les
traductions, s'offrant comme textes à jouet et à lire, se fondent sur la précision
da enjeux linguistique, poétique et théâtral.
L'historicité de la langue de traduction renouvelle régulièrement l'actualité de la
translation du vocabulaire, des structures syntaxiques, des images, des jeux de
mots; la poéticité de la langue shakespearienne demeure une pierre
d'achoppement, l'enjeu théâtral enfin, à savoir la manière propre à la langue
shakespearienne de solliciter l'engagement corporel du comédien, a été surtout
mis en évidence, depuis une quinzaine d'années, par le traducteur J.-M.
Déprats, selon lequel la traduction doit s'efforcer de prendre en compte cette «
musculature » de la langue afin de favoriser la relation des comédiens français
au texte shakespearien. Dans le même sens, les traductions de Jean-Claude
Carrière pour Peter Brook, depuis Timon d'Athènes en 1974, dans une langue
simple et contemporaine mettant en valeur les « mots rayonnants » du texte
shakespearien, s'articulent à une pratique de jeu.
Jamais le paysage de la traduction de Shakespeare en français ne s'est trouvé
aussi varié qu'aujourd'hui : c'est surtout sur le plan des images qu'Y. Bonnefoy
traduit et retraduit Shakespeare en poète, de Hamlet à la Tempête, tandis qu'A.
Markowicz ou Malaplate se prononcent pour un texte français versifié de
manière à donner l'idée du vers shakespearien. La contrainte métrique du
décasyllabe pour l'un, de l'alexandrin pour l'autre, même exemptée de la rime,
entraîne inévitablement de multiples écarts avec la lettre du texte. J. -M. Déprats,
quant à lui, se refusant à privilégier l'un des trois enjeux, linguistiqu e, poétique
et théâtral, tente leur conciliation dans une prose de théâtre de laquelle ne sont
absents ni le rythme ni les jeux de sonorités.
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Le répertoire d'élection des Français à l'intérieur du corpus shakespearien se
révèle en constante évolution, notamment du fait que Shakespeare a été
longtemps beaucoup plus traduit et commenté que joué.
Jusqu'à la fin du XIX e siècle, la scène française n'a montré régulièrement, sous
des cormes très altérées, que les tragédies légendaires les plus célèbres,
Hamlet, Macbeth, Othello, le Roi Lear, Roméo et Juliette, auxquelles venaient
s'ajouter Richard III et quelques rares comédies adaptées de la Mégère
apprivoisée, du Marchand de Venise, et des pièces dans lesquelles paraît
Falstaff. Les tragédies n'ont jamais quitté les scènes françaises.
En revanche, c'est la Nuit des rois montée par Copeau en 1914 au théâtre du
Vieux- Colombier, qui révèle au public français l'univers contrasté, poétique et
farcesque, bouffon et mélancolique, d'une partie des comédies de
Shakespeare. L'attrait de cette dramaturgie, dans laquelle l'imaginaire et le
féerique tiennent une bonne place, n'a pas fléchi : le Songe d'une nuit d'été et
la Tempête demeurent aujourd'hui les comédies les plus souvent montées en
France, cette dernière pièce, marquée par la mise en scène de Strehler en
1978, symbolisant l'art du théâtre et sa magie de l'inutile.
Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour voir explorer en France le théâtre
historique : la création de Richard Il au premier festival d'Avignon, en 1947, est
à l'origine d'une fascination durable qui, à la suite de Vilar, jouera sur une
nouvelle génération (Chéreau, Mnouchkine). Plus récemment, des metteurs en
scène ont choisi d'aborder le théâtre historique sous la forme de cycles : les
Kings de Denis Llorca en 1978 parcouraient les trois parties de Henry VI et
Richard III ; « Les Shakespeare » de Mnouchkine, de 1981 à 1984, évoquaient
l'histoire avec Richard II, et une adaptation des deux parties de Henry IV, avec
le contrepoint d'une comédie, la Nuit des Rois) , Stuart Seide donnait à
Avignon les trois parties de henry VI en 1994. Ces « Shakespeare au long
cours » favorisent l'immersion du public dans le temps à la fois déterminé et
archétypal des événements historiques (couronnements, guerres fratricides,
dépositions, assassinats) représentés par Shakespeare. Par ailleurs, tout un
courant de mise en scène, illustré par B. Besson, B. Sobel, M. Langhoff, tend à
bousculer les habituelles distinctions de genre en traitant selon une
interprétation de type historique et politique un certain nombre de tragédies,
tels Hamlet Macbeth le Roi Lear, Richard III.
Enfin, à la faveur de nouvelles traductions à la fois précises et conçues pour la
scène, l'intérêt de quelques metteurs en scène s'est tourné vers une partie du
répertoire shakespearien longtemps considérée comme inaccessible au public
français : celui des comédies dans lesquelles les jeux de langage et les mots
d'esprit jouent un rôle déterminant, Peines d'amour perdues, interprété par les
jeunes comédiens du TNS sous la direction de J.-P. Vincent, puis dans une mise
en scène de Laurent Pelly (1995), ou Tout est bien qui finit bien (J.-P Vincent,
1996).Cette dernière pièce relève, par son atmosphère grave, des comédies
problématiques - problem plays - génératrices d'un « rire faussement libérateur »
(Henri Suhamy), dont la plus sombre, Mesure pour mesure, fascine
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régulièrement les metteurs en scène, de Lugné-Poe à Brook, Zadek et Braunschweig.
Il semble que tous les metteurs en scène français, à un moment donné, désirent
s'affronter à Shakespeare, comme pour mettre à l'épreuve, au contact de ses
pièces, leur propre démarche artistique. Autrefois, ce désir intervenait souvent
dans la maturité (Baty, Barrault, Vitez), et se portait plus volontiers sur les
grandes tragédies. Chez les jeunes metteurs en scène d'aujourd'hui
(Braunschweig, Pitoiset, Pelly), Shakespeare est présent dès l'origine de la
pratique théâtrale, dont il exalte la nature festive.
Il y a ceux qui révèlent à chaque spectacle une facette différente de l'univers
shakespearien, d'autres pour qui il existe une pièce élue, périodiquement reprise :
Mesguich et Hamlet Lavaudant et le Roi Lear.
A cette universalité de l'intérêt des metteurs en scène et des comédiens pour
Shakespeare correspond une extrême diversité des démarches scéniques et de
jeu : du naturalisme à la convention la plus poussée, du décor figuratif à l'espace
neutre voué au jeu et à la mise en lumière de la théâtralité ; de l'incarnation à la
mise à distance épique ou ritualisante des personnages ; jusqu'à la recherche
expérimentale, avec le Qui est là de Peter Brook, par exemple, d'une dimension
cérémonielle dont le théâtre a besoin et dont Shakespeare demeure une source
vive.
Extrait de l'Article Shakespeare William
Dictionnaire encyclopédique du Théâtre
Michel Corvin
Larousse1995
47
Biographies
48
Dominique Pitoiset - Parcours
Né à Dijon, il suit des études en architecture, puis en arts plastiques aux BeauxArts. II rejoint ensuite l'École supérieure d'art dramatique du Théâtre National de
Strasbourg (TNS). Dès sa sortie, en 1981, il est assistant auprès de Jean -Pierre
Vincent, Manfred Karge et Matthias Langhoff.
A partir de 1983, il crée en parallèle sa propre compagnie et monte Comédienne
d'un certain âge pour jouer la femme de Dostoievski d'Edward Radzjinski, Le Pélican d'August Strindberg, Le Misanthrope de Molière, Timon d'Athènes de Shakespeare, Faust, version UrFaust de Goethe, Oblomov de Gontcharov, La dispute de
Marivaux et Les Noces de Figaro de Mozart pour l'opéra.
En 1996, il est nommé directeur du Théâtre national Dijon Bourgogne (fusion du
Centre dramatique national de Bourgogne et du festival Théâtre en Mai qui donne
à voir la nouvelle génération de la scène internationale). La même année, il crée
Le Procès d'après Kafka, présenté au Festival d'Avignon et au Théâtre de la Ville
à Paris, puis La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, Les brigands
de Schiller, Le réformateur de Thomas Bernhard, Don Giovanni de Mozart à
l'Opéra National de Paris Bastille.
En 2000, il est nommé directeur du Théâtre national de Chaillot avant qu'un chan gement ministériel n'invalide cette nomination. II monte alors une Trilogie autour
de Shakespeare : Othello au Théâtre national de Bretagne et au Théâtre national
de Chaillot, La Tempesta, au Teatro Farnese di Parma pour le Teatro Due (et à
Nantes et à Sceaux pour la version française), Macbeth opéra de Verdi au Teatro
Regio di Parma - Festival Verdi.
Ces deux créations marquent le début des années italiennes de Dominique
Pitoiset. II devient metteur en scène associé au Teatro Due de Parme et au
Teatro Stabile de Turin.
Depuis janvier 2004, il dirige le CDN de Bordeaux (TnBA- Théâtre national de
Bordeaux en Aquitaine). II a signé deux mises en scène en 2004/2005 : La peau
de chagrin (du 18 au 29 janvier 2005 et à Sceaux du 3 au 20 février 2005) et
Albert et la bombe (du ler au 11 juin 2005 - reprise en octobre 2005 et tournée),
son premier spectacle pour enfants. En 2005/2006 il termine son parcours
shakespearien et crée La Tempête de William Shakespeare.
Pour la saison 2006/2007, il s'est intéressé plus particulièrement aux écritures
contemporaines, notamment en créant en septembre 2006 le spectacle
Sauterelles de Bilijana Srbljanovic. Actuellement, il travaille avec l'auteur
québécois Wajdi Mouawad sur sa prochaine création qui aura lieu en juin 2008 et
qui aura pour thématique principale la Thébaïde. Parallèlement, il poursuit son
travail jeune public avec son adaptation en portugais d'Alberto e a bomba, recréé
à Porto en février 2007.
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La Suite d'un parcours Shakespeare
Avec cette reprise de La Tempête, dernière oeuvre de Shakespeare,
Dominique Pitoiset poursuit son parcours autour du grand auteur anglais,
dont il a monté Timon d'Athènes en 1991 (Maison de la Culture de
Chambéry et au Théâtre Athénée Louis Jouvet à Paris). II faudra attendre
dix ans pour qu'il choisisse de remonter Shakespeare. Ainsi 2002 est -elle
l'année d'une trilogie qui comprend Othello (Théâtre National de Bretagne et
Théâtre National de Chaillot), La Tempête dans une version italienne (Teatro
Farnese di Parma pour le Teatro Due) et Macbeth, opéra de Verdi au Teatro
Regio di Parma - Festival Verdi. En 2003, il crée Peines amour perdues en
Italie ainsi que sa première version française de La Tempête (Les Gémeaux
Sceaux Scène Nationale, TNP Villeurbanne et Maison de la Culture de Loire
Atlantique). Fasciné par ce texte qu'il qualifie de « sonate des spectres » et
de « machinerie théâtrale », Dominique Pitoiset souhaite lui redonner toute
sa couleur fantastique et utopique qui n'est pas sans rappeler L'invention de
Morel de l'auteur argentin Bioy Caserès ou L'île du Docteur Moreau de
Georges Wells.
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Les comédiens et manipulateurs
Houda Ben Kamla – Ariel
Actrice et comédienne tunisienne, elle a notamment joué sous la direction de
Anouar El Ayachi, Sadok Ammar et Habib Zrafi, Kamel El Ajimi, Anis Joumaa. Do minique Pitoiset qui l'a rencontrée et « découverte » à l'Institut Supérieur d'Art
Dramatique de Tunis, l'a fait venir en France pour lui confier le rôle d'Ariel. Après
cette première collaboration réussie, il réitère ce choix en lui confiant le rôle de
d'Alegra dans sa dernière création Sauterelles.
Sylviane Rôôsli – Miranda
Formations : 2000 - 2002 : Conservatoire d'art dramatique, ESAD, classes préparatoires Genève. 2003 - 2005 : Ecole du Théâtre des Teintureries, Lausanne.
Elle a, sous la direction de Dominique Pitoiset, interprété le rôle de Flipote dans
Le Tartuffe (Molière), Théâtre de Carouge, Genève (2002), Théâtre KleberMéleau, Lausanne (2003), tournée franco-suisse (2003 / TnBA Bordeaux, Jean
Vilar Suresnes, Stadtgarten Wintertur, Théâtre de Carouge).
Elle a également joué dans Supermarché (Bijana Srbjanovic) mise en scène
d'Eric Devanthery (Théâtre du Galpon, Genève, rôle de Diana), effectué un stage
de tauromachie, Arles (2004), travaillé à l'école du Théâtre des Teintureries avec,
entre autres, Pierre Maillet, Claude Degliame, Christian Collin, Pip Simons,
Pasquier-Rossier (2005), tourné dans Le roi pognon, long métrage du Chantier
Collectif, dans le rôle de Mère Maquerelle et Split, court métrage de Prune Jaillet
(rôle de Marilène) et interprété le rôle de Maria dans Les 4 jumelles (Copi) mise
en scène de Pierre Maillet pour la Compagnie Ammoniac, Théâtre de la
Guinguette, Cinéma oblo, Lausanne.
Ruggero Cara – Trinculo
1968/70, II fréquente l'école d'art dramatique du Piccolo Teatro. En 1971, il est
l'un des fondateurs du Teatro del Sole, où pendant 5 ans il monte et interprète de
nombreux spectacles parmi lesquels Città degli animali, La vera Vita di Jakob
Geherda, un inédit de Bertolt Brecht, Gli orazi e curiazi, Rata...ta'..ta...Sinfonia in
Nero de G. Cabella. 1987, il signe la mise en scène de La stanza dei fiori di
China, spectacle de G. Cabella interprété par Angela Finocchiaro. 1992, il est
choisi par Jérôme Savary pour interpréter le rôle de Sir Toby dans La Douzième
Nuit de Shakespeare, qui donnera lieu à une tournée pendant toute la saison.
Toujours fidèle à l'auteur anglais, il monte Comme il vous plaira (1997) pour un
cours à l'école Paolo Grassi de Milan, La Mégère apprivoisée (1998), aux cotés
de Michèle Placido et Elisabetta Pozzi, dans une production du Teatro romano de
Vérone, mise en scène par Gigi dell'Aglio. 2000, il met en scène la comédie
française André le Magnifique (4 récompenses aux Molières 1998). II joue dans
Comme il vous plaira de Shakespeare, mise en scène de G. dall'Aglio pour le
Teatro Stabile de Parme. 2003, tournée du monologue Le Fétichiste de Michel
Tournier. 2004, Vocazione/Set de Goethe, mise en scène Gabriele Vacis pour le
Teatro Stabile de Turin.
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Andrea Nolfo – Caliban
Né à Sanremo en 1970.
II interprère Caractère dans 2 versions différentes de Rigoletto, mise en scène
Hennig Brochaus, Teatro Verdi di Parma. 2001 : personnage du nain du Duc de
Mantoue dans Rigoletto, mis en scène de M. Annunziata, Teatro Rendano de
Cosenza - Les Carmen 2, mise en scène de Jérôme Savary, rôle de toréador.
2002 L'esclave de Freccia dans L'Avare de Molière de Jérôme Savary - Les
géants de la montagne de Pirandello, mise en scène de Maurizio Panici. Le nain
Quaqueo, acteur principal : Mariano Rigillo, reprise des Géants de la
montagne... 2006 : Caliban dans La Tempête de Shakespeare, mise en scène
de Dominique Pitoiset.
Mario Pirrello – Stefano
En 1997, il obtient son diplôme à l'école du Teatro Stabile de Turin (TST),
dirigée par Luca Ronconi (spectacle de fin d'études : I soldati de R. Lenz, mis
en scène par M. Avogadro).
Au théâtre, il joue notamment sous la direction de M. Di Mauro dans Antigone
non abita più qui (m.e.s.), de Dominique Pitoiset dans La comédie humaine (H.
de Balzac) et Pene d'amore perdute (Shakespeare), de M. Avogadro dans Il
benessere (F. Brusati), de Jean-Christophe Saïs dans Roméo et Juliette, de
Mamadu Dioume dans II sogno d'una notte di mezza estate, de M. Avogadro
dans Le pareti della solitudine (T. Ben Jelloun) et Guerre et paix (Tolstoï).
Au cinéma, il a joué dans Il vestito dell'Imperatore, réal. A. Taylor - Frank Kafka
nella colonia penale, réal. D. Buzzolan - Il mio regno per un sollazzo, courtmétrage réalisé par F. Lagi, Prix de la meilleure interprétation masculine au
festival international Sentiero corto de Malesco... et à la télévision dans Cuore,
réal. M. Zaccaro, Mediaset - Camera Café, Magnolia - La storia a puntate,
RAISAT - L'albero azzurro, RAI.
Patricia Christmann - manipulatrice
Elle est née en 1972 à Eupen, dans la communauté germanophone de Belgique.
Après des études de peinture à l'Académie Royale des Beaux Arts de L iège, elle
s'installe à Bochum (Allemagne) et prend des cours d'art dramatique, danse,
masques, clown, travaillant comme comédienne dans différentes compagnies
indépendantes. Elle pratique le théâtre de la rue, le théâtre de marionnettes et
suit une formation de manipulation à la Ernst Busch Hochschule de Berlin, puis
travaille en Allemagne, en Suisse et en France, intervenant comme
marionnettiste et actrice, indifféremment associée à des grands théâtres ou de
petites compagnies, seule ou dans une troupe.
En 2005-2006, elle a été « artiste associée » au TnBA. Elle joue également dans
le spectacle Albert et la bombe de Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio et fait
partie de l'aventure portugaise d Alberto e a bomba à Porto.
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Kathrin Bluechert - manipulatrice
Née à Berlin (1972), elle suit une formation artistique pluridisciplinaire (peinture,
danse, théâtre), puis rejoint le théâtre de rue « Los Dillettantos », qui se produit
dans toute l'Allemagne puis elle étudie le théâtre de marionnettes à l'école d'art
dramatique Ernst Busch à Berlin. Son diplôme d'actrice en poche, elle travaille
au « Théâtre du rire » (Theater des Lachens) à Frankfurt-Oder. Depuis 2003,
elle a rejoint le théâtre Waidspeicher à Erfurt.
Mélanie R. Ancic - manipulatrice
Née à Böblingen (1974), elle a suivi dans un premier temps des études
théoriques sur le théâtre et la politique culturelle puis s'est spécialisée dans la
manipulation de marionnettes de 1998 à 2002, à l'université scénique et
dramatique Ernst Busch de Berlin. Depuis 2002, elle travaille sur différentes
productions théâtrales entre l'Allemagne et la Suisse, notamment au Carroussel
théâtre à Berlin, au Theater an der Sihl à Zürich, au Bayerisches
Staatsschauspiel Residenztheater à Munich, au Deutsches Theater de Berlin et
dernièrement au Theater Junge Generation à Dresde où elle est membre
régulière de la troupe depuis 2003.
Ulrike Monecke- manipulatrice
Née à Gera (1996), en ex RDA, elle suit la formation de marionnettiste à la "
Ernst Busch-Hochschule für Schauspielkunst " (Berlin est) et ses années
d'études (19881992) seront marquées par de grands changements : la chute du
mur de Berlin et la fin de la RDA. Lorsqu'elle rejoint la compagnie "Theater o.N."
à Berlin, en tant qu'actrice et marionnettiste (théâtre d'ombres, marionnettes à
doigts), elle y crée son solo Jumping mouse, d'après un conte indien.
Aujourd'hui elle travaille comme artiste indépendante et vit à Berlin.
Inka Arlt - manipulatrice
Née en Allemagne à Cologne (1973), elle a également appris à manipuler les
marionnettes l'université scénique et dramatique Ernst Busch de Berlin entre
1997 et 2001.
De 2001 à 2004, elle intègre l'équipe du Puppentheater de la ville de Dresde.
Depuis 2004, elle est une artiste indépendante et travaille pour des festivals de
théâtre de rue et de marionnettes. Elle est régulièrement invitée à venir travailler
sur des productions du Puppentheater de la ville d'Halle.
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Les collaborateurs de Dominique Pitoiset
Francesca Covatta - Assistance à la mise en scène
Née à Rome, Italie. Diplômée en mise en scène du Conservatoire de Rome,
Francesca Covatta a été l'assistante de nombreux metteurs en scène italiens :
Michèle Placido, Marco Bellochio, Nanni Garella...Elle a également été responsable
du casting et assistante à la mise en scène auprès de plusieurs metteurs en scène
étrangers, notamment Silviu Purcarete au CDN de Limoges et Bob Wilson au
Watermill Center de New York.
Elle collabore avec Dominique Pitoiset depuis quatre ans et l'a assisté à la mise
en scène sur La Peau de chagrin et son dernier spectacle Sauterelles.
Kattrin Michel - Costumes et poupées
Née à Leipzig en 1967, et vivant aujourd'hui entre Berlin et Bordeaux, Kattrin Mi chel étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Berlin-Weissensee, de 1989 à 1996. Dès
1993, elle entame sa carrière de décoratrice et costumière. Elle collabore avec
Dominique Pitoiset pour Faust, Oblomov, La dispute, Les noces de Figaro, Le
procès, La nuit juste avant les forêts, Les brigands, Othello, MacBeth (Opéra),
La tempête, La Peau de chagrin, Albert et la bombe et sa dernière création
Sauterelles. Elle travaille aussi avec Dieter Dom au Münchenes Kammers-piele
et avec Alexander Lang au Bayerisches Staatstheater ainsi qu'au Schauspiel
Frankurt/Main. Avec Jarg Pataki, elle collabore trois fois au Luzerner Theater et
une fois au Bayerisches Staatsschauspiel. Elle travaille à plusieurs films
d'animation avec Heinrich Sabl, à Berlin. Elle expose à plusieurs reprises ses
marionnettes.
Elle a été artiste associée au TnBA pour la saison 2004/2005.
Christophe Pitoiset – Lumières
Diplômé de l'ENSATT (EcoIe Nationale Supérieure des Arts et Techniques du
Théâtre) en 1987, Christophe Pitoiset devient très rapidement, dès Timon
d'Athènes, l'éclairagiste attitré de son frère, dont il signe presque toutes les
lumières, tant pour le théâtre que pour l'opéra. Par ailleurs, il signe la création
lumière de deux spectacles de Rézo Gabriadzé et collabore avec le chorégraphe
Jose Montalvo (six spectacles), Jean-Louis Thamin et Nicolas Rossier.
Jean-Christophe Chiron – Son
Formé au chant aux Studios de Variétés à Paris, Jean-Christophe Chiron est
aussi compositeur et musicien. II a d'abord travaillé auprès de Jean -Luc Borg au
Théâtre par le Bas à Nanterre, avant d'intégrer des Maisons de disque (Sony
France) et divers labels indépendants. Après quelques années à la Maison de la
Culture à Amiens, il s'installe à Bordeaux et devient régisseur son permanent au
TnBA, sous la direction de Jean-Louis Thamin, puis auprès de Dominique
Pitoiset. Il a notamment travaillé sur la création de La peau de chagrin (janvier
2004) et sur Albert et la bombe (juin 2004).
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