Sommaire La mise en scène Synopsis p.4 Sur La Tempête de Shakespeare p.5 Photographies p.9 Entretien avec Dominique Pitoiset autour de sa Tempête p.11 Fragments d'une autobiographie Théâtrale(entretien avec Dominique Pitoiset) Le court-circuitage des langues p.13 p.21 (Entretien avec Francesca Covatta) Extraits d'articles de presse p.27 La Tempête de Shakespeare « La Tempête » ou la mise en scène de la magie p.30 Fortune scénique de la pièce p.33 Shakespeare notre contemporain p.35 William Shakespeare p.37 Biographies Dominique Pitoiset – Parcours p.49 La Suite d'un parcours Shakespeare p.50 Les comédiens et manipulateurs p.51 Les collaborateurs de Dominique Pitoiset p.54 1 La Tempête De William Shakespeare Mise en scène, scénographie Dominique Pitoiset Texte français Jean Michel Déprats Assistante mise en scène et surtitres : Francesca Covatta Lumières : Christophe Pitoiset Costumes et poupées : Kattrin Michel Son : Jean-christophe Chiron Musique : Antonio Vivaldi « Il Cimento dell'armonia e dell' Invenzione » enregistrée par Europa Galante Manipulatrices :Patricia Christmann, Ulricke Monecke, Kathrin Blüchert, Melani Romina, Inka Arlt Avec Dominique Pitoiset Houda Ben Kamla Sylviane Röösli Andrea Nolfo Ruggero Cara Mario Pirrello Production : TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine 2 La Mise en scène 3 Synopsis « Vous m'avez enseigné le langage, et le profit que j'en tire est que je sais maudire. » Caliban Victime d'un complot ourdi par un frère félon, Prospero, ancien duc de Milan, fut jadis écarté du pouvoir et condamné à un lointain exil. De l'île, où il vit entouré de ses livres, de sa fille Miranda, de Caliban, être difforme réduit en esclavage et d'Ariel, elfe épris de liberté, Prospero aperçoit un jour un bateau à bord duquel se trouvent son frère et les hommes qui causèrent sa disgrâce. Usant des pouvoirs magiques développés durant ses douze ans d'exil, Prospero déclenche alors une tempête qui sème la panique et entraîne vers l'île tous les fantômes de son passé... Ecrite en 1611 par un Shakespeare entrant dans le crépuscule de sa vie, La Tempête est une pièce éminemment bigarrée, dans laquelle la fantaisie la plus vivace le dispute à la mélancolie la plus tenace. Propice à de multiples variations, elle témoigne d'un art exceptionnel du mélange des genres - comédie et tragédie sont ici de vraies siamoises - autant que d'une vision sans concession des rapports humains. Havre des utopies, l'île n'est-elle pas aussi le lieu où la question du pouvoir se pose avec une particulière acuité ? Happé par les inépuisables sortilèges de ce texte étincelant, Dominique Pitoiset cède à l'appel du large et affronte une nouvelle fois La Tempête sur scène. Pour se faire, il mobilise des techniques de représentation très contrastées et embarque avec lui les grandes poupées conçues par Kattrin Michel, déjà présentes dans la précédente version, ainsi qu'un tout nouvel équipage franco italien-tunisien-allemand, dont Roger Planchon prend la tête avec panache. Naviguant dans la sphère de l'intime, au sein de laquelle prédominent les rapports entre Prospero et Miranda, cette Tempête accueille les ombres de Beckett et de Freud et nous entraîne au cœur d'un univers labyrinthique aux replis infinis. Jérôme Provençal NB : Roger Planchon est remplacé par Dominique Pitoiset 4 Sur La Tempête de Shakespeare « Tu menti » Ronan Mancec N'aie pas peur, l'île est pleine de bruits. De sons, de doux airs, qui donnent du plaisir et ne font pas de mal. Quelquefois mille instruments vibrants Bourdonnent à mes oreilles ; et quelquefois des voix Qui si je me réveille après un long sommeil, Me font à nouveau dormir, et alors dans mes rêves Je crois voir les nuages s'ouvrir et dévoiler des richesses Prêtes à tomber sur moi, si bien qu'en m'éveillant Je pleure du désir de rêver encore. William Shakespeare, La Tempête, trad. Jean-Michel Déprats. On a longtemps considéré La Tempête, jouée pour la première fois en 1611, comme la dernière pièce de William Shakespeare : et de fait elle a été lue pendant des siècles comme le testament du dramaturge. Même si le canon shakespearien a été élargi, les artistes qui s'en emparent aujourd'hui restent attachés à cette lecture de La Tempête. Dominique Pitoiset a mis en scène la pièce à plusieurs reprises au cours des dernières années : en 2001, en 2003, en 2006 ; quand il s'en est saisi en arrivant en Italie en 2001, il a dit qu'elle était la clef de ses questionnements individuels et de son parcours de metteur en scène expatrié1. La pièce lui parlait à travers son histoire personnelle, d'homme venu travailler à l'étranger. L'exil La Tempête est une pièce où l'on cohabite. Sur une île magique et mystérieuse de Méditerranée vivent un vieillard, Prospero, et sa fille qui est à peine sortie de l'enfance, Miranda. Les serviteurs du mage Prospero sont deux êtres à la fois gémellaires et opposés : Ariel est un esprit de l'air, harmonieux mais invisible aux mortels, Caliban un être difforme en rébellion contre les mauvais traitements que lui fait subir son maître. Si Prospero se retrouve ainsi exilé, c'est parce que son frère Antonio lui a dérobé son duché de Milan par le passé. À l'ouverture de la pièce, la 1 'In Dominique PITOISET, « Fragments d'une autobiographie théâtrale », entretien avec Andrea PORCHEDDU, Carnet, n° 1, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, janvier 2006, p. 9. 5 cour des princes usurpateurs fait naufrage et échoue sur l'île du magicien. La Te mpête sera un huis clos. Une série de quêtes pour la liberté et la légitimité. Cette valse orchestrée par Dominique Pitoiset se joue en quatre langues : français, italien, allemand, arabe. Autant de passerelles jetées vers des horizons multiples, des imaginaires divers. Les comédiens évoluent dans une lumière superbe due à Christophe Pitoiset : avec ces bleus aquatiques, on les croirait vraiment sous l'eau, ou bien immergés dans une atmosphère chargée de magie... De la galerie de portraits que propose Shakespeare, Dominique Pitoiset n'a choisi de faire incarner que six personnages : les quatre habitants de l'île que sont Prospero, Miranda, Ariel et Caliban, et puis deux ivrognes, deux bouffons italiens nommés Stephano et Trinculo. La cour des seigneurs italiens, qui inclue le prince Ferdinand, amoureux de Miranda, est faite de marionnettes animées par cinq manipulatrices allemandes. À chacun des groupes en présence est affectée une langue. Une langue, et par conséquent une manière - manière de dire, manière de jouer -, un jeu théâtral particulier. Le corps d'un être humain est le produit de sa culture -c'est ce que les sciences humaines, avec les travaux de Marcel Mauss, nous ont appris. Chaque langue génère un corps spécifique : de même qu'elle façonne une pensée par sa grammaire, elle modèle un visage par les phonèmes qu'elle emploie, leurs récurrences, elle façonne un port, la courbe d'un dos, l'usage des bras... Tout acteur qui travaille dans sa langue maternelle travaille sur ces données culturelles. C'est à ces acquis qu'est sensible Dominique Pitoiset. Le postulat de départ du metteur en scène était de travailler à partir de l'identité nationale des comédiens, « un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre dans ces trois pays»2 : France, Italie et Allemagne. Le spectacle joue donc sur la confrontation des langues et des mondes. Le spectacle est surtitré en français, dans la traduction de Jean-Michel Déprats qui publie actuellement les nouvelles traductions de Shakespeare de la Bibliothèque de La Pléiade. La pluralité des langues n'est pas un obstacle à la compréhension du spectacle, elle renforce tout au contraire le discours sur les rapports de force au cœur de la pièce. Ils ne sont que deux à s'exprimer en langue française : Prospero (Roland Bertin) et Miranda (Sylviane Röösli, comédienne suisse). Roland Bertin est entré à la Comédie Française en 1983. C'est sur son phrasé particulier que Pitoiset voulait jouer : sur son usage de la "belle langue", d'une diction parfaitement audible, posée, d'une maîtrise renforcée par la stature de Bertin, son statut et la carrière qu'on lui connaît. Dans La Tempête, tragicomédie, pièce hybride, l'illusion niche dans le langage. Ariel se joue des autres par le biais du verbe, puissance magique, et déclenche les sortilèges. De la même façon, l'allemand est utilisé comme l'instrument d'une rhétorique corrompue. C'est la langue maternelle des cinq manipulatrices qui animent la cour des princes de Milan et Naples. Leur jeu reprend d'une façon 2 D. PITOISET, t0C. Cit, P . 1 2 6 comique un parler de « méchants » de séries B, avec force grincements de dents et ricanements sinistres. C'est en allemand qu'Antonio et Sébastien fomentent un assassinat contre leur seigneur, en allemand qu'ils rivalisent de jeux de mots pour faire taire son vieux conseiller, Gonzalo. C'est donc la langue des puissants, des politiques, mais vue sous un éclairage vulgaire et trivial. Le conseiller Gonzalo est le personnage de la pièce dont le verbiage ne cesse jamais, son parler est ampoulé, il se prévaut de jeux de mots ridicules. L'allemand est la langue du grotesque masqué sous un vernis de finesse. L'italien est sans équivoque la langue de la bouffonnerie dans le spectacle. Les deux ivrognes rescapés du navire, Trinculo et Stephano, sont effectivement des Italiens, comme le reste des personnages de la pièce. Caliban parle la même langue qu'eux, lui, le monstre autochtone à qui Prospero a « enseigné le langage » 3. Au-delà des incohérences fictionnelles, le trio trouve son unité dans un jeu inspiré de la commedia dell'arte. Les chansons à boire tout particulièrement font l'objet d'un traitement efficace. Trinculo est d'ailleurs défini dans la liste des personnages comme un « jester », c'est-à-dire un bouffon tel qu'on se le représente traditionnellement, dans un costume bariolé. L'arabe littéraire est la langue d'Ariel, l'esprit, interprété par une actrice tunisienne lilliputienne (Houda Ben Kamla). L'arabe est ici la langue du métathéâtre. C'est la langue magique par excellence, qui génère, provoque les illusions. Ariel, dans la pièce, est le valet de Prospero, il est l'exécutant de ses directives. Quand il ne fredonne pas des mélodies enchanteresses, ses paroles sont le plus souvent des incantations ou des formules ayant des effets magiques. Les enchantements sont donc proférés dans une langue qui nous est à la fois familière et étrangère - d'autant plus que l'arabe littéraire diffère des dialectes arabes que nous pouvons rencontrer au quotidien. C'est la langue de l'Orient, celle de la sensualité et de l'horreur dont Les Mille et une nuits portent le sceau. Les agissements d'Ariel, l'ange qui met sur pieds des épreuves cruelles, témoignent de la civilisation arabophone, mariage dans notre imaginaire de raffinement et de barbarie. Le personnage d'Ariel est le seul à utiliser cette langue de la magie. Prospero s'adresse en français à Ariel, et c'est par son intermédiaire que toute fantasmagorie prend corps. Ariel comprend et parle toutes les autres langues parlées sur l'île de Pitoiset. Il s'adresse en français à son maître pour les questions plus triviales, il écoute avec attention les complots des princes germanophones. Invisible, il parle en italien aux bouffons pour alimenter leur dispute. C'est ainsi qu'il crie « Tu menti ! » pendant que Caliban raconte son histoire, déstabilisant ainsi l'esclave et son auditoire. Trinculo se retrouve rossé par ses acolytes. Ariel joue même avec le surtitrage du spectacle. À la fin de la pièce, plutôt que d'expliquer qu'elle a emmené les trois italiens dans la forêt et les a laissés dans la fange, l'actrice crache, a un rire un peu diabolique, tandis que toute la réplique qu'elle devrait prononcer s'affiche. Le français, employé par Prospero et Miranda, est la langue de la famille, la langue familiale et.familière au spectateur. Son usage par le père et la fille, dans cet océan de langues étrangères, crée d'entrée de jeu une proximité, sinon une complicité avec le public. Pourtant, la solitude de Miranda est réelle. Son amoureux Ferdinand est 3 Traductions en français de Jean-Michel Déprats, texte inédit. 7 muet. C'est une poupée de chiffon. Le metteur en scène a choisi de le laisser aux mains de Miranda, sans l'intervention des manipulatrices des marionnettes. Elle lui parle donc seule, le dorlote comme s'il était véritablement sa poupée, le traîne par la cheville comme un ours en peluche. Jamais il ne lui répond. Chacune des répliques du personnage a été ôtée afin que Miranda ne fasse plus que monologuer devant son jouet. Et cela fonctionne, on s'aperçoit que le discours de Miranda peut se passer des réponses de Ferdinand. Face à elle, son père parle en français, mais il est le maître des lieux et des sortilèges. Ariel, qui navigue d'une langue à l'autre, d'une sphère à l'autre, est tant sa main que son oreille. Prospero lui chuchote des secrets à l'oreille, de même qu'il va présider au jugement des princes allemands et des ivrognes italiens. Le texte de Shakespeare joue sur ce pluralisme des cultures. Les comédiens élisabéthains mettaient en scène une féerie exotique, une pièce baignée des sortilèges et des sensualités de la Méditerranée... Une importance particulière est accordée aux allusions géographiques : Milan, Naples, Alger ou Tunis sont autant de villes et de mondes exotiques à l'époque, qui recèlent des trésors et des monstres. C'est là que, à en croire Sébastien et Antonio, résident les sorcières et les princesses inaccessibles. Ce qui n'empêche pas Trinculo le Napolitain de s'exclamer quand il découvre Caliban : « Were I in England now (as once I was), and had but this fish painted, not a holiday fool there but would give a piece of silver » (`Si j'étais à présent en Angleterre, et j'y suis allé autrefois, rien qu'avec une peinture de ce poisson, pas un badaud du dimanche qui ne donnerait sa pièce d'argent'). À de tels moments, le texte original offre lui aussi un jeu sur la distance géographique et le décalage culturel. Curieusement, le spectacle évacue totalement le texte original et la langue anglaise. Mais mieux vaut encore que le spectacle ne soit composé que de traductions de Shakespeare et ne s'aventure pas à les panacher avec de l'anglais. Après tout, Shakespeare n'existe et ne nous parvient que lorsque l'on s'en saisit comme d'un texte contemporain. Le texte doit être avant tout en prise avec la vie. S'affranchir de la langue originale, c'est aussi s'affranchir de tout un passé, de la conception de Shakespeare comme d'un héritage, comme d'un classique pétrifié. La magie est d'oser utiliser le langage même pour stimuler nos imaginaires : La Tempête se trouve ainsi déportée dans d'autres mondes. C'est le langage, ici, qui dit l'illusion théâtrale. Pour le metteur en scène, l'idée est que Miranda est la véritable héroïne de la pièce. C'est pour sa fille que Prospero use de ses artifices : il entend la déciller, et initier l'adolescente aux jeux de l'amour. Il lui apprend les règles d'un monde dont elle a toujours été exclue, mais où, à l'issue de la pièce, elle reviendra maîtresse aux côtés de Ferdinand d'un domaine plus grand et plus fort. L'île de La Tempête est un lieu d'initiation, comme le dit Miranda dans une réplique qui est sans doute la plus célèbre de la pièce: « O brave new world / That has such people in't ! », « O le beau monde nouveau / Qui porte de tels êtres ! » ... Ronan MANCEC, "Tu menti" , revue Théâtre S, n° 23, 1er semestre 2006, pp. 117-120. 8 Photos 9 photos 10 Entretien avec Dominique Pitoiset autour de sa Tempête Vous mettez en scène une nouvelle fois La Tempête. Quels sont les principaux signes distinctifs de cette nouvelle version ? Elle est, en raison du choix d'un dispositif frontal, très différente de la premi ère version, créée en Italie, qui favorisait une écriture spatiale d'une nature particulière : les spectateurs entraient par des coulisses représentant le musée de Prospero, rempli d'animaux naturalisés, puis restaient dans l'espace scénique recouvert de 40 tonnes de sable. La scénographie de la nouvelle version est nettement plus dépouillée : il y a certes encore du sable sur le plateau, mais beaucoup moins. La plupart des comédiens ont changé et j'ai choisi de jouer avec une distribution française, allemande, tunisienne et italienne. Le spectacle est ainsi interprété en quatre langues surtitrées. Les rôles des nobles par exemple sont tenus par des poupées baroques du type bunraku, manipulées par une équipe allemande issue de l'école berlinoise Ernst Busch, et les personnages populaires par des acteurs italiens avec quelques influences de la Commedia dell' Arte. Qu'est-ce qui fonde ce parti pris du pluralisme culturel ? J'ai cherché à mélanger différentes esthétiques comme le réalisme à la française, la truculence italienne et le théâtre concret post-brechtien par exemple. L'île est un théâtre. L'île est une illusion, pour tous les personnages et, en particulier, pour Miranda qui tombera amoureuse d'une marionnette, et qui, par conséquent, va découvrir la sexualité avec un leurre... Ce n'est qu'à la toute fin qu'elle comprendra que tout cela n'était qu'une mise en scène organisée par son père. La relation père-fille occupe une place centrale dans ce spectacle. Prospero dit littéralement « je fais tout cela pour toi, ma fille » mais les enfants doivent-ils payer les fautes des pères et porter le poids de leurs traumatismes ? Avec cet effet de lecture, j'ai voulu également suggérer l'idée que tous les personnages sont pris dans une « tempête de chambre », dans un espace mental. Tous sont, au fond, manipulés par un Prospero qui incarne ce que, dans Le proche et le lointain, Richard Marienstras appelle «le machiavélisme du bien ». Du coup, on se trouve en présence de schémas qui sont presque de l'ordre de la récurrence schizophrénique, d'une forme de folie... En imaginant cette nouvelle Tempête, j'ai pensé à L"île du docteur Moreau de Wells et à L'invention de Morel de Bioy Casarès. Peu à peu m'est venue l'idée d'un homme enfermé en lui-même : c'est pour cette raison que j'ai tenu à ce que Prospero soit aveugle - ce qui nous rapproche de Fin de partie - et que tous ses livres soient en braille. Après Beckett et sa relecture de Shakespeare, il fallait nécessairement que Prospero ait « les yeux de l'intérieur ». II en devient plus égocentrique, plus capricieux. 11 Je le vois aussi comme un Faust improbable, lointain cousin de celui de Marlowe, ou encore comme un Merlin l'enchanteur qui improvise tout le temps sans savoir où il va et comment tout cela finira. Prospero n'a pas la maîtrise de sa magie. Sur cette île, située aux confins de la civilisation, « nulle part », tout désir illicite sera révélé. Peut-être que le spectacle finira par ressembler à une Tempête dans l'Ile de la tentation... Mais Shakespeare surpasse tellement tous ces scenarii au rabais! Je m'étais déjà fait la réflexion en montant La Dispute de Marivaux, qui procédait un peu de la même esthétique : on en apprend beaucoup plus sur l'humain, le social, le politique et la nature du désir avec de grands textes qu'avec un obscène dispositif voyeuriste. On a toujours tort d'exclure les poètes. La pièce, dans son texte même, est truffée de chansons, de bourdonnements, de sifflements et bruits divers. Quelle texture sonore voulez -vous donner au spectacle ? II s'agit vraiment, d'un « palazzo mentale » édifié à partir d'un travail très élaboré sur les contrastes, les langues, les sons, les voix mais aussi les sur -titres, dont Ariel a le contrôle et qu'il peut fausser à sa guise... Cela passe aussi par l a musique de Vivaldi. J'ai utilisé l'enregistrement d'Europa Galante de Fabio Biondi parce qu'il est très brut, contrasté et coloré, et réserve aussi des moments d'une extrême langueur. Son interprétation de Vivaldi peut nous emmener, après une phase de grande vivacité, vers la mélancolie. Ici il n'y a pas de « happy end ». Le destin nous réserve encore quelques surprises. L île ne nous laissera point croire à des certitudes. Propos recueillis par Jérôme Provençal - novembre 2005 12 Fragments d'une autobiographie théâtrale De Timon d'Athènes à La Tempête, votre parcours de metteur en scène témoigne d'une attention particulière pour l'oeuvre de Shakespeare. Ce lien avec Shakespeare, affectif autant qu'intellectuel, s'est renforcé récemment, au cours des quelques années que vous avez passées entre la France et l'Italie. Votre «voyage sentimental» dans l’œuvre de Shakespeare semble alors être entré en correspondance avec votre «voyage personnel»... Nous chercherons, dans cette brève conversation, à retrouver les étapes essentielles de ces voyages croisés, et à saisir quelques aspects significatifs de votre approche des textes shakespeariens. Plus que de parler des textes que j'ai mis en scène durant ces années, j'aimerais m'interroger sur un cheminement intime qui a trouvé des résonances et des correspondances très singulières dans l’œuvre de Shakespeare. Au tout début de mon parcours de metteur en scène, ma préoccu pation principale tournait autour du rôle de l'artiste, de ce rapport étrange qui lie l'artiste au pouvoir et à la politique. Ce qui m'intéressait, c'était le rapport entre celui qui regarde et celui qui agit. Ce qui revenait à accorder une place essentielle à la réflexion sur le rôle de la mise en scène, et donc du metteur en scène. Et dans cette primauté accordée à la mise en scène, à l'écriture scénique, à la dramaturgie, Shakespeare a été et reste pour moi l'école la plus exemplaire. Effectivement votre théâtre est d’abord un «théâtre de parole». Mais intéressons-nous à l'aspect biographique : cette façon de parler de soi à travers le théâtre... J'ai fait mes études au Théâtre National de Strasbourg, et je me suis formé professionnellement à l'école berlinoise de Matthias Lan ghoff et Manfred Karge. Là, j'ai appris les exigences d'un théâtre « concret », épique et politique, un théâtre dans lequel le rapport avec le public est fondamental, dans lequel la parole et sa transmission sont l'élément premier. Je n'aime guère les spectacles qui célèbrent la liberté du corps, je les trouve souvent démagogiques. Je suis plus sensible au corps qui balbutie, au corps qui cherche à exprimer ses difficultés à «être» par la parole. Ce sont les conflits qui m'intéressent, la difficulté à communiquer, les empêchements, les infirmités de pâme, le pénible chemin vers la définition de soi. Mais pour revenir à votre question, j'ai effectivement toujours tenté de tenir, à travers mes spectacles, une sorte de journal de bord de mes interrogations de créateur. L'attention à la dramaturgie, et donc au texte et à l'auteur, m'a toutefois permis de garder une distance avec la matière traitée, autrement dit de ne pas imposer mon « autoanalyse» au spectateur... Une des questions qui me préoccupent depuis toujours est celle de la légitimité: qu'est-ce qui fonde la légitimité? J'ai eu une éducation populaire : 13 mes parents m'ont enseigné les valeurs du mérite et du tra vail. La mesure avec laquelle on peut évaluer et apprécier un homme, c'est le chemin parcouru : voir d'où vous partez et où vous arrivez. Pas en termes de «carrière» ou d'ascension sociale, mais de cohérence. C'est un enseignement qui est resté très important pour moi. Et pourtant, chaque fois que des responsabilités, des «pouvoirs» donc, m'ont été confiés, je me suis toujours senti suspect aux yeux de certa ins. Suspect de les avoir «usurpés»... Shakespeare dit tout cela très bien. Molière aussi. Dans Le Misanthrope, il raconte magnifiquement l'histoire d'un provincial arrivé à Paris pour faire sa « place au soleil ». La mise en scène de ce spectacle en 1990 a été pour moi l'occasion de réfléchir sur mon existence de provincial confronté à la «cour de Mitterrand»: je détestais Philinte, la raison froide du politique, et je me rangeais du côté d'Alceste, l'atrabilaire amoureux, «l'artiste». C'est donc en m'interrogeant sur ma légitimité à exister en tant qu'artiste que j'abordais la mise en scène... Je retrouverai plus tard ces préoccupations en mettant en scène Othello (2001): la question clef de l’œuvre n'est pas tant la jalousie, que le doute sur l'identité, sur la légitimité. Othello est un étranger: il porte sur son corps les signes de sa non-appartenance à la classe des privilégiés. Sa jalousie n'est que la conséquence de son altérité. Pourquoi épouse-t-il Desdémone? Peutêtre, simplement, parce qu'il veut devenir vénitien, parce qu'il veut être accepté, entrer dans le groupe légitimé et reconnu. Ainsi, au fil des années, l'identification avec certains personnages apparaît naturellement: j'ai mis en scène Le Misanthrope du point de vue d'Alceste, Timon d'Athènes du point de vue de Timon, Faust du point de vue de Faust... De la même facon, j'ai mis en scène Othello du point de vue d'Othello et non de celui de lago parce que, contrairement à ce que l'on pense, le héros c'est Othello. Les grands acteurs, et parmi eux Orson Welles, ne s'y sont pas trompés, ils ont choisi d'interpréter le rôle d'Othello parce que l'axe, le centre et l'enjeu de cette tragédie c'est lui. lago est le virus et Othello la maladie. Le même type de rapport s'établit dans Tartuffe: Orgon est la maladie et Tartuffe le parasite. C'est pourquoi j'ai abordé Othello et Tartuffe comme s'il s'agissait d'un diptyque : mon parcours shakespearien a été, de loin en loin, enrichi par des textes d'autres auteurs, textes liés entre eux, comme s'ils se faisaient écho l'un à l'autre... Vous avez déjà fait allusion à votre expérience italienne. Une présence de plusieurs années, marquée par des travaux plutôt importants dans votre parcours. Certains sous le signe de Shakes peare, avec des épisodes marquants, comme ta mise en scène de La Tempête dans le splendide Teatro Farnèse de Parme... Mon entrée dans le 21 e siècle a coïncidé avec mon départ de la France pour l'Italie et le désir d'une trilogie, d'abord imaginaire, et qui trouva matière à se concrétiser à travers trois réalisations : Macbeth, Othello et La Tempête. 14 Macbeth a été ma première « pulsion », une plongée dans les thèmes qui m'émouvaient alors, comme la relation au pouvoir, l'affirmation de soi, l'usurpation... Le deuxième volet, avec Othello, m'a servi à approfondir le thème du doute : le doute qui mine la joie de se réaliser dans ses choix, profes sionnels, amoureux, familiaux... Et puis, j'en suis arrivé à La Tempête, un « canevas d' «improvisations» à partir d'un projet de « machiavélisme du bien ». Prospero veut rétablir la légitimité de sa fille Miranda. Les spectres des ennemis, les fantômes traumatiques du passé reposent la même question sous des formes différentes : « les enfants doivent-ils payer pour les doutes, les erreurs et les problèmes de leurs parents?». Des passages graduels, une plus grande introspection et peut-être une autoanalyse systématique ont accompagné les premières étapes de votre parcours à travers l'oeuvre de Shakespeare. Mais avec la mise en scène de Peines d'amour perdues ; au théâtre Carignano de Turin, quelque chose semble changer: j'ai le souvenir d'un spectacle très joyeux, vivant, plein d'espoir. Dans le climat suggéré du cinéma des années cinquante, on percevait aussi un arrière-goût amer, la conscience de ta réalité, des douleurs du monde. Il me semble donc qu'il s'est produit en vous, durant ces années italiennes, une évolution considérable: de la cécité de Prospero, au théâtre Farnèse, à l'allégresse juvénile de Peines d'amour perdues. Parlons de cette renaissance de l'humour, de l'esprit... C'est vrai, on perçoit une sorte de tendresse ou de mélancolie dans Peines d'amour perdues... Les personnages masculins veulent constituer une «académie dédiée à l'austérité de l'étude» coupée du monde, et voilà qu'en face de cette utopie irréalisable, se dresse le désir. Le plaisir de vivre l'instant, de le cueillir, en suivant tes suggestions épicuriennes de Berowne, qui recommande à ses amis de «cesser de renoncer à être eux-mêmes». J'ai connu une période de grand bonheur en Italie, ma «renaissance italienne». J'arrivais de France avec mes blessures, et la mise en scène de La Tempête dans l'atmosphère magnifique du Théâtre Farnèse de Parme, m'a redonné une grande confiance en moi. Le Farnèse restera, pour toute ma vie, un lieu de pèlerinage, un complice généreux. Au moment où je montais la pièce, je réfléchissais sur mon rôle de père depuis que mes enfants, un jour, m'avaient demandé: «mais qu'est-ce qu'on fait ici?». J'étais comme le Duc de Milan, sur une île, entre parenthèses. Je ne pensais pas que je retournerais en France. C'était la première fois que je ne posais plus de questions à mon père. Les grandes questions -sur le pourquoi de notre naissance et de notre lutte pour exister-, c'étaient mes enfants qui me les posaient. 15 Et pourtant, votre Prospero tâtonnait dans la nuit de sa cécité... La Tempête parle de la mort : Prospero est un artiste, qui connaît les limites de son art, mais aussi les limites de l'être humain. Il est loyal. Il renonce à sa quête obsessionnelle, et peut-être se dirige-t-il vers la mort avec une forme de sérénité... Dans Peines d'amour perdues aussi, la mort est acceptée, et racontée par Shakespeare comme une naturelle continuité de la vie: un retour au réel après le "jeu". Comment s'organise le travail des acteurs, durant les répétitions? Quel travail faites-vous habituellement sur le texte et sur la mise en scène? Quel est, en somme, votre rapport aux acteurs? Je ne fais presque plus de travail «à la table ». J'utilise l es répétitions à la table comme un premier espace scénique, comme un espace pour rechercher ensemble et «apprendre à lire». Au début, je ne parle pas de personnages, mais seulement d' «êtres» qui ont existé dans un passé quelconque, et dont il ne reste que des paroles écrites: nous n'avons pas de photos, pas de vidéo et ne savons pas a quoi ils ressemblent. Nous ne connaissons d'eux que les paroles qu'ils ont prononcées dans des situations déterminées. Aussi essayons-nous de mettre le texte au centre de la table pour chercher à le comprendre, pour élaborer des hypothèses. Je demande aux acteurs: « comment se substituer à une personne qui a "disparu", tout en respectant une forme de crédibilité?». J'essaie toujours de faire un tra vail à ta recherche du sens et de la crédibilité. J'évite la déclamation. J'aime la langue qui se tait, bien construite, une langue parfaitement compréhensible mais en même temps un peu cachée. Je ne crois pas à un travail d'explication à la table, mais plutôt à une recherche de la crédibilité du dire, de la voix, du regard. Comme disait Jouvet: «Comprendre c'est commencer par dire». A ce propos, quelle différence linguistique discernez-vous entre le travail en France et en Italie? C 'était intéressant de travailler dans une langue qui n'était pas la mienne : cette situation qui aurait pu sembler problématique a été pour moi extrêmement stimulante. Au contact d'une «langue sœur», mon oreille, même quand elle ne comprenait pas immédiatement le sens, comprenait viscéralement, organiquement N'ayant pas une compréhension directe, je n'avais pas la tentation d'illustrer et, paradoxalement, je comprenais mieux: mon approche était une approche brechtienne. Dans certaines situations, j'imagine que je «coupe le son» et que j'observe un e scène, muette, comme à travers une fenêtre. Ou bien, d'autres fois, je ferme les yeux pendant les répétitions. Les acteurs s'en aperçoivent, peut-être qu'ils s'en plaignent, mais pour moi c'est comme tout voir d'une autre manière, c est à dire en écoutant. Ce sont deux méthodes possibles: ne pas voir et écouter, ou bien 16 voir et ne pas entendre. Mais dans les deux cas, les situations m'apparaissent claires, immédiates, compréhensibles. Strindberg, en se promenant dans la rue, observait ce qui se passait à l'intérieur des maisons. C'est une manière de comprendre la vie, de saisir l'universalité de l'homme. En particulier dans les moments de crise: les gestes changent, les paroles aussi, mais le processus organique - d'une conversation, d'une dispute est partout le même. L'expérience italienne m'a appris que les acteurs y sont «immédiats », celle avec les Allemands que les comédiens « racontent»; les Français - trop souvent - « récitent ». Les Italiens « cherchent à être » et c'est pour cela que j'adore le théâtre italien, que j'aime travailler avec les acteurs italiens. Dans cette nouvelle version de La Tempête, j'essaie de travailler avec les particularités des trois langues que j'ai traversées. À l'intérieur d'un même contexte, je fais référence à des pratiques théâtrales différentes: j'utilise les techniques du théâtre épique allemand pour les marionnettes, la fraîcheur lumineuse des acteurs italiens pour les personnages comiques, le pragmatisme et la rationalité des acteurs français. J'essaie de créer un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre dans ces trois pays. Qu'est-ce que, pour vous, la mise en scène au théâtre? La mise en scène est l'art de la matérialisation des idées. Les idées naissent à travers la documentation, les lectures, les interrogations sur le texte et les situations créées par celui-ci. De cette lecture - au sens large - naît la mise en scène. Vous avez affirmé ne plus faire de lectures à la table mais vous appuyer directement sur les acteurs et le texte. Pourtant, dans vos spectacles, le dispositif scénique et visuel a un grand rôle. Cette importance donnée à la force de l'image, du dispositif, cette prégnance du contexte historique précèdent-elles le début des répétitions? Autrement dit, les élaborezvous avant, grâce à la lecture et à la recherche, ou émergent-elles d'un travail collectif? Le dispositif scénique, la scénographie, émergent de longues heures de lectures et de réflexions. Par exemple, dans La Tempête, je n'ai gardé de l'idée d'une île que le sable blanc, mais cette île - un peu celle du Docteur Moreau - ressemble aussi au cabinet d'un médecin : le bureau de Prospero, les livres, les caisses de voyage, le papier peint sur les murs, les poupées, les souvenirs sont ceux d'un bureau. Mais on marche sur du sable... Qu'est-ce qui a changé dans cette nouvelle mise en scène de La Tempête? 17 J'ai fait allusion au fait que j'étais passé par trois langues. Pour la ver sion créée à Bordeaux, j'ai ajouté une quatrième langue : l'arabe. Je défi nirais ma mise en scène comme une sorte de carnet de voyage, fait avec tout ce que j'ai pu conserver de mes pérégrinations. D'Italie j'ai gardé les personnages populaires, Stefano, Trinculo et Caliban, qui parlent italien, avec des éléments très colorés, comme dans la commedia dell'arte. Le théâtre de marionnettes vient d'Allemagne: ce sont les fantômes, les spectres du passé, ils parlent allemand. La famille (Prospero et Miranda) parle français. Ariel parle arabe : elle s'amuse à tout traduire, à jouer avec les sous -titres, en mettant en évidence le mécanisme théâtral, la mise en scène de Prospero qui répète toujours la même scène, le même trauma initial. Prospero est vieux, et il est aveugle: ainsi sur scène y a-t-il une cinquième langue, faite de trous et de points: le braille. Allusion aux personnages de Beckett, la cécité de Prospero reste, peut -être, l'élément fort de cette mise en scène. Quand je lisais le texte, j'étais impressionné par le nombre de fois où Prospero demande à quelqu'un de regarder : «dis-moi ce que tu vois». Il demande à Ariel de vérifier, de lui faire des rapports; il réclame plusieurs fois à Miranda de lui rendre compte de ce qu'elle ressent. Face à Ferdinand par exemple, il lui demande «dis -moi ce que tu vois» et elle répond «ah, c'est magnifique!». Miranda ne fait pas seulement une description, elle énonce aussi son parcours émotionnel. Alors je me suis dit «voici une solution pour le bâton de Prospero! »: sa baguette magique est en même temps le bâton de l'aveugle et la baguette de l'instituteur. Prospero n'a-t-il pas été le professeur de Miranda et de Caliban ? N'a-t-il appris à lire et à écrire à ces adolescents? Ainsi, le bâton est un objet «ordinairement extraordinaire». Selon René Girard, Prospero est un grand metteur en scène: Cali ban représente le vieux théâtre que Shakespeare voulait abandon ner et Ariel en revanche le théâtre de la légèreté, de l'image, de la poésie que l'auteur voulait atteindre avec La Tempête. En ce sens, l’œuvre a toujours été considérée comme profondément métathéâtrale. Dans votre mise en scène au Théâtre Farnèse cet élément était évident: vous y avez joué avec l'espace théâtral, avec la conscience du public. Le passage d'un lieu extraordinaire comme le théâtre Farnèse à un espace contemporain a -t-il fait disparaître cet élément? Est-ce une lecture qui vous intéresse encore? Évidemment qu'elle m'intéresse, et je crois, même, que dans cette nouvelle mise en scène elle ressort encore davantage, grâce à la présence conjointe d'acteurs et de marionnettes. Au Farnèse, dans un théâtre classique, «l'île» respirait mieux, elle était plus évidente. Maintenant, le spectacle s'inscrit dans une «boite», dans un théâtre de chambre, même si la chambre est assez grande... Mon Prospero est dans son bureau, chez lui, il porte un pyjama et Miranda est une jeune fille grasse et gracieuse de quinze ans. Les nobles et Ferdinando sont des marionnettes 18 tandis que leurs « manipulateurs» - vêtus de noir comme dans le théâtre japonais- deviennent, avec leurs masques, les ombres d'Ariel... Mon Caliban est un acteur de petite taille, et nous renvoie à une forme théâtrale plus proche de l'art du cirque et de la piste. Je travaille, sur une idée toute italienne du clown. Il y a le petit clown qui joue du tam bour, puis le clown-Auguste, autrement dit Trinculo, qui renvoie en quelque sorte au clown anglais - truculent et alcoolique -, et enfin le Capitaine, le clown noble. Cette atmosphère de cirque était déjà perceptible dans la mise en scène du Théâtre Farnèse. Désormais, la présence des marionnettes ajoute une autre dimension: elle évoque un monde où les personnages pourraient être carrément des hologrammes. Je pense souvent à un récit fantastique, L'invention de Morel du romancier sud-américain Adolfo Bioy Casares : le personnage principal de cette histoire est une sorte de Robinson Crusoë qui fait naufrage sur une île et tombe sur des créatures qui se révèlent purement virtuelles. Dans la version du théâtre Farnèse il y avait encore des figures très réelles, très incarnées: ici, la mise en scène est sans espoir: sur l'île, restent seulement Prospero et sa fille. À la fin, Caliban, Sté phano et Trinculo sont «bloqués» dans une vitrine, ce ne sont plus que des objets en exposition dans une maison. Comme des poupées de cire, des automates.. . Une qualité très importante des personnages de Shakespeare est qu'ils ne sont jamais à échelle humaine. Ils ne sont jamais à «taille réelle», ils sont toujours un peu plus petits que les hommes, ils voient leur taille se réduire, deviennent comme des insectes dans un présentoir. Je crois que c'est une grande particularité du théâtre épique ou tout au moins d'un théâtre «concret», par rapport au naturalisme ou à un certain genre de réalisme psychologique: l'humain change d'échelle dans la boite de la repr ésentation. Nous sommes un peu plus grands et eux un peu plus petits... Cela signifie-t-il que le metteur en scène observe, à la manière d'un scientifique, les possibles réactions entre des éléments placés dans un même milieu? Le metteur en scène est un démiurge. Le théâtre n'est pas une science exacte, c'est une étude de l'humain dans ses dynamiques irrationnelles. Dans la médecine, dans la philosophie, il y a une recherche d'objectivité pour caractériser l'être humain. Le théâtre, en revanche, est un l ieu d'observation de l'homme qui échappe à des définitions précises, mais qui pourra peut -être un jour être défini par la chimie. C'est ce qui m'intéresse dans le théâtre, la possibilité de mettre en présence des données sociales, affectives, organiques comme si elles étaient des composants chimiques: fioles dont j'expérimente tes réactions chimiques. C'est pour moi un geste politi que : en observant ces réactions, je trouve matière à « corriger» mon quotidien et mon rapport aux autres. 19 Qu'est-ce qui fait qu'un individu, prédéterminé par des conditionnements sociologiques, biologiques et culturels, réagit d'une certaine manière et produit un certain type de situations? Qu'est-ce qui définit nos espaces de liberté non conscients? Qu'est-ce que le libre arbitre? Comment la conscience travaille t-elle pour nous faire passer de la réaction impulsive à la décision politique, éthique, déontologique? Pour moi, ce sont des questions très complexes. Ce qui m'intéresse c'est l'étude comportementale dans des situations données. Par exemple une rupture sentimentale, la perte d'un emploi, une situation qui génère la violence, une naissance non désirée, de petites contrariétés, la faillite d'un système idéologique ou économique... En somme, quand et comment l'homme se retrouve-t-il à la merci de La Tempête? Nous pensons pouvoir décider de notre vie, être maîtres de notre cœur et de nos actes. Nous le sommes souvent, mais il est toujours bon de nous interroger sur cela. J'aime le théâtre parce que c'est le seul lieu où l'on a la possibilité de partager, en direct, une expérience qui met en jeu de l'humain, les balbutiements de l'être humain. Ainsi, ce que j'adore dans l'opéra, ce n'est pas la machinerie baroque et spectaculaire, mais le cri primitif: une grosse dame, qui avance vers la rampe et chante un «aria», provoque un tel étourdissement en moi que je peux me poser des questions sur l'existence. Notre travail, c'est la préparation de ces «instants lyriques ». Ainsi votre Tempête est une métaphore de tout cela : en réalité Prospero avec ses marionnettes, métaphoriquement et en l'espace de deux heures, fait ce que vous faites, vous, dans votre parcours de metteur en scène. Il crée et cherche cette alchimie, cette réaction chimique... Si vous deviez faire un bilan, tirer les comptes de ce voyage avec Shakespeare, qu'est-ce qui resterait des textes abordés et des pays traversés? Pour moi, le théâtre est une activité liée à l'adolescence. Je ne veux pas dire par là que c'est une pratique infantile, mais que si le théâtre est trop adulte il devient ennuyeux... Le théâtre a besoin de mentir, de feindre, mais il est, en même temps, un art extrêmement sincère. Le théâtre n'est jamais un objet fini, il est toujours en mouvement, en devenir. S'il perd cette vertu, il se défait de cette force brute qui le caractérise... En Italie, en ce moment, le gouvernement Berlusconi met en danger l'intelligence humaine en la privant des moyens d'expression qui lui sont propres, et cela prive toute la communauté humaine d'importantes perspectives. Réfléchir sur le rôle de l'artiste et de l'art dans la société aide à donner un nouveau souffle à l'humanité. Nous sommes revenus au temps des tribus, un temps qui, je le souhaite, précède un renouveau du débat et une réévaluation de ce qui forme une communauté, une communauté de valeurs partagées. Et L'acte théâtral est un moyen, même s'il est complètement éphémère, pour continuer à nous poser l'éternelle. question: qui sommes-nous? D'après un entretien d' Andrea Porcheddu avec Dominique Pito iset (avec la collaboration de Patrizia Bologna, traduction Olivier Favier) . Décembre 2005 20 Le court-circuitage des langues Entretien avec Francesca Covatta Assistante de Dominique Pitoiset. Francesca est italienne. Elle a fait ses études dans une école américaine avant de commencer à travailler en France. Vous êtes assistante à la mise en scène. Comment vous situez-vous dans le travail ? Je suis la traduction faite personne ! J'ai vécu toute ma vie en traduction. J'ai toujours travaillé avec des metteurs en scène étrangers. Soit je passais par l'anglais, soit je passais par le français. Je pense que cette traduction permanente que je fais dans la vie a beaucoup stimulé Dominique Pitoiset. L'italien est pour lui une langue qui n'a aucun pouvoir d'évocation, parce que ce n'est pas sa propre langue. C'est quelqu'un qui ne fonctionne pas du tout dans la traduction, il n'y arrive pas. Il est très ancré dans le français, il a un rapport aux mots, â la parole française, très fort... Avec l'italien, il est intéressé par la musique de la langue, qui est tout â fait différente du français. Pouvez-vous me parler de la genèse du spectacle ? On a commencé avec une première version de La Tempête qui n'était qu'en italien et exclusivement avec des acteurs. Puis on a fait une deuxième version en trois langues avec des marionnettes, et là nous sommes partis sur la troisième version en quatre langues avec des marionnettes... Ça a beaucoup évolué. Ce spectacle est né en 2001 au Théâtre Farnèse. On a fait une traduction exprès, en italien, par Alessandro Serpieri, qui est un traducteur littéraire. Ce qui est italien sur ce plateau vient de cette traduction-là. En Italie on n'a pas du tout l'habitude de faire des traductions pour le théâtre, pour des mises en scène. Soit le metteur en scène prend différentes traductions, en fait un mélange - ce qui pose de vrais problèmes de continuité de langue -soit il se lance lui-même dans une traduction. La traduction de Serpieri est une traduction assez littéraire mais quand même très concrète. Je peux en parler parce que je suis italienne : elle a une force de truculence, elle donne beaucoup de chances de jeu à l'acteur. Le texte que l'on voit en surtitres, c'est celui de Jean-Michel Déprats. Sa traduction est beaucoup plus poétique, beaucoup plus liée à la métaphore, à l'image, que la traduction italienne qui est beaucoup plus ancrée dans l'action. Vous avez fait le détour par l'anglais... Vous utilisez quatre langues différentes, mais pas le texte anglais. C'est surprenant. On a toujours le texte anglais sous les yeux quand on travaille. J'ai travaillé sur Shakespeare avec Dominique trois fois déjà. Il a sa traduction française, moi j'ai 21 l'anglais sous les yeux. L'acteur a sa traduction à lui : l'italien souvent. On avait aussi fait Peines d'amour perdues, en italien, avec une traduction exprès pour Dominique. On avait à nouveau utilisé cette formation en trois langues. Le spectacle n'était qu'en italien mais nous travaillions sans arrêt en trois langues (Dominique toujours en français). Pour l'allemand, nous avons utilisé une traduction littéraire de Schlegel-Tieck. Mais elle a été épurée par les comédiennes, les manipulatrices, notamment de ce qui est métaphore et image poétique. En effet c'est très difficile pour une poupée de jouer ça. Dans cette école-là, dans cette technique, la poupée ne supporte pas l'image fleurie, la métaphore. Elle est toujours dans l'action, elle a besoin de tracer, d'aller en avant. Ce n'est pas possible de s'installer dans un moment de poésie. L'adaptation est de Dominique Pitoiset : il a sélectionné les enjeux principaux, puis Patricia Christmann a fait un travail d'épuration avec lui, pour retrouver des souffles de phrase qui pouvaient coller avec la technique des marionnettes. L'arabe est une langue double : orale et littéraire. La traduction est une traduction en arabe littéraire. Mais nous avons choisi une langue qui colle vraiment aux actions. Comme personne d'entre nous ne parle arabe, on a essayé de travailler avec Houda Ben Kamla sur la traduction anglaise. On a repéré le texte anglais dans sa traduction à elle. Qu'est-ce qu'il se passe avec ce court-circuitage de langues ? C'est vrai que la traduction est une trahison. Mais quand tu mets les langues en court-circuit, ce n'est que le noyau qui ressort. Tout ce qui est anodin dans le mot tombe à l'eau par le court-circuitage : tout ce qui fait partie de la racine du mot qu'on utilise, mais qui n'est pas vraiment signifiant dans la phrase. Mais qui est très signifiant pour la personne qui écoute. Tout ce qui est lié culturellement au mot. Une pub, par exemple, qui a fait s'accoupler ce mot-là à un autre mot. Même inconsciemment, pour le public, ça passe par ça. Les gens qui viennent au théâtre sont sans arrêt stimulés par ça. Les mots et même la musique des phrases prend une importance différente par rapport à ce qui se passe dans la pub ; il suffit que la phrase soit dans la même rythmique, avec un mot qui est à la bonne place, et paf, tu es dans le slogan d'une pub ! Dans un entretien réalisé pour le TNBA 4, Dominique Pitoiset dit : « J'essaie de créer un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre dans ces trois pays », à savoir la France, l'Italie et l'Allemagne. Pour la France et pour l'Italie, il a vraiment pris des morceaux de l'histoire du théâtre : la Comédie Française et la commedia dell'arte. Il les a pris en bloc : la langue, les formes, les acteurs... II a pris la Comédie Française avec ses défauts et ses vertus , de même avec la commedia dell'arte, qui peut être parfois un peu vulgaire, lourde, mais qui est aussi vivante, colorée. En Allemagne c'est un peu différent. S'il s'agit d'une tradition, c'est la nouvelle tradition, celle qui découle du théâtre concret brechtien, et transportée dans la marionnette. Elle utilise la technique bunraku mais elle ne l'est pas vraiment. Elle en est une évolution. Les patins (les manipulatrices glissent leurs pieds dans les 4 Dominique PITOISET, « Fragments d'une autobiographie théâtrale », entretien avec Andrea PORCHEDDU, Carnet n° 1, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, janvier 2006. 22 patins que portent les marionnettes), c'est une technique que nous avons inventée, parce que nous avions besoin que les cinq marionnettistes puissent être autonomes. Nous n'avions pas la possibilité d'en avoir quinze - chaque personnage devrait être travaillé à trois, comme Ferdinand. Ce n'est donc pas vraiment la tradition japonaise, ce n'est pas non plus la tradition allemande, c'est un peu une fusion des deux dans la technique. Par contre, les cinq marionnettistes viennent de la même école et leur démarche est vraiment très liée à l'école brechtienne. Là aussi avec ses défauts et ses vertus ; par exemple c'est très froid, très cadré. Dans la recherche des interprètes, il y a aussi un jeu sur la nationalité et les types. Je pense aux deux ivrognes, Stephano et Trinculo. On sait que Shakespeare avait tiré ces deux personnages de certains canovaccios de la commedia dell'arte. Shakespeare les traite de diables sans arrêt dans le texte. Les Italiens étaient vus comme les cochons, les décadents de l'Europe par Shakespeare et ses contemporains. La Renaissance anglaise est tirée de la Renaissance italienne, mais elle a été épurée (par Elisabeth) de toute sensualité. Il y a un dicton magnifique en anglais qui dit que l'anglais italianisé est un diable incarné. Les trois comiques sont des Italiens. Les nobles sont des Allemands, non seulement parce que ce sont les méchants, mais aussi par rapport au fait que ce sont des hommes d'Etat bornés. Les Français, c'est la langue, et le cliché du philosophe du siècle des Lumières. Prospero (quand il décrit Milan) est présenté comme un ancêtre du philosophe des Lumières. L'écriture de Shakespeare est une écriture de groupe. On sent que ce n'est pas l'écriture d'un seul auteur. Chaque personnage est tellement riche ! On pourrait jouer chaque scène et chaque pièce du point de vue de chaque personnage, ça resterait cohérent. Il y avait un canevas sur lequel les acteurs improvisaient. Shakespeare retenait â la fin les bonnes propositions. C'était cela qu'on éditait. C'est parce qu'il y avait tout ce matériau qui arrivait sur le plateau que tout était nourri. Il y a tellement de fils à tirer que chacun peut donner son interprétation sans être infidèle. Seuls six personnages sont incarnés en tant que tels. Comment s'est fait ce choix ? Pourquoi choisir de ne pas incarner Ferdinand et de mettre sur scène, en chair et en os, Trinculo et Stephano, qui ne sont pas centraux ? Dans cette mise en scène, les seuls vrais vivants, êtres humains, ce sont Prospero et Miranda. Ariel est un esprit, et peut-être l'esprit de Prospero : dans le sens où c'est sa raison, sa capacité de création, son intelligence. Ariel n'existe peut-être pas, elle est dans sa tête et Prospero est le seul à la voir. Les trois Italiens finissent dans une boîte. Pourquoi ? Ce sont peut-être des marionnettes... Des marionnettes d'une matière différente, faites de chair et d'os. C'était un peu l'idée. Tous sont des marionnettes, sauf Ariel qui est l'esprit, et Prospero et Miranda. Prospero fait une mise scène dans sa chambre, ou dans la chambre de Miranda, pour initier Miranda. On peut penser que ce n'est pas une île, mais une maison, une chambre : c'est un huis clos. « C'est pour toi que je fais tout ça ma chérie, pour toi ma fille, etc. Tu ne sais pas qui tu es, d'où tu viens, d'où nous venons, nous deux. ». C'est un moment de crise sur l'île, puisque Miranda a atteint l'âge de la puberté, elle 23 commence à être adolescente et elle a envie de découvrir ce qu'il y a d'autre. Pour faire ça, il faut déjà savoir d'où on vient, et puis il fait faire le premier pas. Prospero met en scène le récit des origines non seulement pour faire comprendre mais pour faire sentir à Miranda ce qu'est la trahison, et ce qu'est la civilisation, la société de cour. Il lui fait aussi découvrir les premiers émois de l'amour, mais avec sécurité. Miranda découvre l'érotisme avec une poupée de chiffon. Nous tous, nous tomberions dans le piège. Elle n'a jamais rien vu d'autre. C'est le seul moyen qu'a Prospero de lui dire combien c'est terrible et beau en même temps. Quelque chose la protège "quand même", comme un condom... Cela accélère aussi son initiation. En fait le vrai protagoniste de ce spectacle n'est pas Prospero : c'est Miranda. Elle est la seule à avoir une vraie évolution. Elle commence gamine, elle devient femme. Au début elle pleurniche dans son coin en disant « Papa, t'es méchant, etc. », et à la fin elle accepte la "folie" de Prospero, et même, elle le soutient. Dans la pièce originale, elle voit un garçon qui pourrait être moche comme un pou, c'est juste parce qu'il a des habits brillants et que c'est un garçon qu'elle tombe follement amoureuse. Nous avons ajouté une couche de cruauté, puisque là le public sait que c'est un leurre. Et il aurait envie de dire « Mais non, ne l'embrasse pas ! »... On a parlé des quatre langues. Il y a au moins deux autres niveaux de langage qui sont présents dans cette mise en scène, à commencer par le braille. Or il s'agit d'une langue invisible, non orale, faite de trous et de points. C'est une langue mais ce n'est qu'un support pour relayer l'information. Le braille, c'est vraiment l'incarnation moderne de la magie. Il n'y a rien de plus magique que de savoir que des petits trous peuvent déchaîner les mots. On avait pensé à Prospero aveugle, on a fait tout un parcours sur ça, et on est tombé sur le braille. Ça a généré un sens incroyable : le fait que Prospero soit magicien, qu'Ariel puisse lire ça, qu'il y ait ce lien entre les quatre personnages. Caliban et Miranda étaient des copains d'école avant le viol, comme des frère et soeur. C'est la langue de l'enchantement. Quand Prospero dit à Ariel « Va, libère-les », elle ne va pas ouvrir une cage, elle va chanter la formule magique. Il faut être magicien pour pouvoir lire le livre. Les surtitres forment la sixième langue du spectacle, qui se superpose encore aux autres. C'est le texte de Jean-Michel Déprats. On a beaucoup coupé, mais il n'y a pas un mot qui ne soit pas de lui. Pour nous, ils sont vraiment intégrés au spectacle. Ce n'est pas seulement une façon de faire comprendre aux gens. Parfois je laisse traîner un surtitre pendant beaucoup de temps. Il est alors comme le titre de la situation. J'ai parfois beaucoup coupé pour laisser cette langue, ce langage, cette structure écrite dans une continuité, et dans une homogénéité sans contradiction. Il y 24 avait des choses que les acteurs disaient sur scène qui auraient coupé cette homogénéité. J'ai choisi de ne pas le mettre dans l'écriture. On essaie de travailler sur l'idée que cela fasse partie de la mise en scène de Prospero. D'une manière un peu grossière, c'est comme si c'était des titres d'improvisation que Prospero lançait, ou bien des sollicitations. Les acteurs de Prospero metteur en scène doivent y répondre. Ils sont comme connectés sans arrêt avec lui. L'autre image possible c'est que les titres sont les souffleurs des personnages. Après les personnages rajoutent, mais les surtitres sont leur canevas. Il faut le respecter car Prospero le veut. D'ailleurs Miranda est la seule à ne pas être surtitrée, jamais. Parce qu'elle n'est jamais manipulée directement. Est-ce que Shakespeare, ce sont juste des idées ? Est-ce qu'il ne se tient que par sa langue ? Ici la langue de Shakespeare n'existe pas. Sans elle, que restet-il de Shakespeare ? C'est une très belle question. C'est vrai que la langue de Shakespeare n'existe plus dans cette mise en scène. Dominique et moi avons la conviction que la langue ne génère pas seulement du sens, mais aussi du corps et des actions. Je crois que ce qui reste de Shakespeare dans cette mise en scène, c'est justement ça. Parce que nous travaillons toujours avec l'anglais à côté et parce qu'on essaye de trouver des traductions qui collent le plus possible à ce noyau d'action qui est dans Shakespeare. C'est ce qui reste. L'émanation de cette langue, en corps et en action. Cela passe par d'autres langues, d'autres mots, donc ça se modifie un peu, c'est évident. Pourtant la parole de Shakespeare, quand elle n'est pas en anglais, est dénaturée, bouleversée du moins. Ne pas jouer en anglais mais avec des surtitres, est-ce seulement lié au choix d'acteurs ? Oui, c'est sans doute la réponse. Que ce ne soit pas la même forme de parole, pas les mêmes syllabes, pas le son anglais, c'est tout à fait vrai. On ne pourrait jamais imaginer monter Verdi en anglais par exemple. Par contre je ne crois pas pouvoir utiliser le mot "dénaturer" ni dire que ce soit une fidélité de jouer Shakespeare en anglais. Dans le travail, on essaie de faire sortir plus que la musique des mots, plus que tout ce que j'appelle l'anodin, la pléthore de significations qui sont autour du noyau d'action qu'il y a dans la parole. Je pense que c'est ça la vraie fidélité. C'est d'essayer de faire sortir ce qui est l'essence (comme le parfum) de ce que Shakespeare a écrit, et de retrouver la même essence dans une autre musique, qui est une autre langue. C'est pour cela qu'on ne travaille pas beaucoup à la table. Parce que le travail à la table, dans la tradition, c'est un travail musical : où prend-on son souffle, où appuie-ton le sens, où fait-on la variation d'intonation, où fait-on une petite pause, où est le rapido, le crescendo, etc. ? Ce travail-là, on ne peut le faire que dans sa propre langue. Et dans la langue de l'écriture, en allant chercher ce que l'auteur a voulu faire avec la forme de parole. C'est donc très bien, et souhaitable, quand on joue Molière en français ou Goldoni en italien - ou Shakespeare en anglais. Après on peut choisir de ne pas le suivre, mais c'est très important de savoir ce que Shakespeare a voulu 25 faire, dans la musique. Nous, comme nous travaillons toujours en traduction, nous cherchons à comprendre en anglais puis à le mettre en français. On ne cherche sûrement pas à reproduire la même musique en français. Ce n'est pas possible d'ailleurs : il n'y a pas le même nombre de syllabes, les mots n'ont pas les mêmes "mots anodins" autour. On cherche dans quelle action et dans quel corps Shakespeare a inséré sa phrase. Je veux retrouver le même corps, avec les acteurs, et les mêmes actions dans les mots : et surtout le même mouvement dynamique. Où une séquence commence, où elle finit, où une phrase commence-t-elle, où finit-elle ? Où sont les interruptions de sens ? Dominique aime beaucoup dire que la table est le premier plateau. On cherche tout de suite à mettre en mouvement le verbe. Ça bouge tout de suite, et très naturellement. On ne fait pas de la mise en place. Ça veut dire aussi qu'on retourne à la table parfois. On cherche une partition physique plus que musicale. La parole et l'action deviennent une seule chose, une seule partition. Dominique Pitoiset citait Louis Jouvet : « Comprendre c'est commencer par dire »... Dire. Comprendre. Etre. C'est ça le chemin. C'est le chemin pour l'acteur. Le traducteur de théâtre doit aussi être un tout petit peu acteur, pour réussir à apprécier la musique, le découpage, la partition que Shakespeare a mis en place. Les mots qu'on dit ont une résonance, une ampleur. C'est elle qui nous donne la possibilité de comprendre, et donc d'être. Mais pour choisir les bons mots, qui vont être générateurs de cette résonance, il faut avoir déjà fait le chemin. Entretien recueilli à Quimper, le 8 ,février 2006. Francesca COVATTA, "Le Court-circuitage des langues", entretien avec Ronan MANCEC, revue Théâtre S, n° 23, le semestre 2006, pp. 121-126 26 Extraits d'articles de presse: A Bordeaux, "Tempête" sous un crâne Un petit bateau avance dans la tempête, son ombre, bien plus grande que lui, voyageant dansante et floue sur le mur du théâtre. Fracas, éclats, éclairs. Cris, naufrage. Un vieil homme en pyjama et lunettes d'aveugle abrité sous un grand parapluie noir, un petit être à face et couleur de lune. C'est par cette image magnifique, et dans ce climat étrange, que commence La Tempête, de Shakespeare, créée par Dominique Pitoiset dans son Théâtre du Port de la Lune, à Bordeaux. Une étrangeté dont ne se départira pas cette mise en scène, qui situe La Tempête entre Fin de partie, de Samuel Beckett et L'Ile du docteur Moreau, de H. G. Wells. II faut dire qu'elle est bien mystérieuse et ensorcelante, cette pièce, la dernière de Shakespeare, écrite en 1611, cinq ans avant sa mort. Pièce testamentaire et vertigineuse, qui semble receler en elle tous les sortilèges du théâtre, elle est l'une de celles qui, dans le répertoire, permettent le plus au metteur en scène de déployer l'étendue de son talent et de sa vision. Car l'île du vieux mage Prospero, sur laquelle il a échoué avec sa fille Miranda après avoir été dépossédé de son titre de duc de Milan, est surtout habitée par les ombres, les esprits, les elfes, les gnomes et autres créatures immatérielles et surnaturelles : qui sont-elles, et qu'en faire, dans l'art concret du théâtre ? L'île du docteur Pitoiset est un antre de savant fou, avec des caisses de bois posées sur le sable. Prospero, aveugle, lit ses livres en braille, son manteau magique est une robe de chambre avachie, et sa baguette le bâton sur lequel il s'appuie. De ses caisses vont sortir les accessoires et les personnages de son théâtre intime, qui va se déployer sous nos yeux dans le climat fantastique du songe ou du cauchemar : les nobles usurpateurs, échoués sur l'île, sont ainsi de grandes poupées actionnées par des manipulateurs en noir, qui parlent en allemand. Caliban est un comédien de petite taille noir, et les truculents Trinculo et Stephano, des personnages directement issus de la commedia dell'arte : tous trois parlent en italien. Ce jeu fascinant avec divers niveaux de théâtre n'est pas seulement séduisant pour le spectateur : il éclaire La Tempête sous une lumière particulière, qui fait des créatures de l'île, qu'il s'agisse du génial Ariel, l'esprit de l'air (joué par la fantastique Houda Ben Kamla, une comédienne tunisienne et lilliputienne), ou des nobles, des créatures n'existant que dans le cerveau de Prospero : fantômes du passé, ombres de l'inconscient. "Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits, et notre petite vie est entourée par un sommeil", dira le vieux mage. » 27 Très noir, très plastique C'est comme si le metteur en scène examinait sous sa loupe de savant naturaliste la fin de toutes nos utopies. Et pourtant, il les recrée sur scène, ces utopies, en jouant sa Tempête en quatre langues, en mêlant les genres, en faisant se côtoyer théâtre d'art et spectacle populaire. La partie n'est peut-être pas totalement finie. Ce n'est pas le moindre des beaux paradoxes de cette Tempête très cosa mentale. Tempête sous un crâne. Fabienne Darge (Le Monde, extrait de l'article A Bordeaux, Tempête sous un crâne, 14/01/2006) Une esthétique remarquable « Une mention spéciale revient à Kattrin Michel, créatrice des poupées manipulées par six artistes allemandes très talentueuses. Ces poupées, figurant le roi de Naples et sa cour, sont tellement naturalistes que l'on doute un moment que ce ne soient de vrais hommes « un peu petits », puisque ce parti a lui aussi été pris. Quant à la manipulation, elle est d'une finesse, d'une précision et d'une justesse remarquables. Les deux amis italiens Trinculo et Stefano, véritables bouffons, offrent eux aussi de savoureux moments de jeu, tout à fait sur un autre code - celui de la farce, explicitement inclus dans l'écriture de Shakespeare. La bande-son elle-même devient un personnage à part entière au fur et à mesure de la représentation. La musique de Vivaldi résonne à plusieurs reprises jusqu'à s'identifier aux spectateurs, qui se retrouvent eux aussi en pleine lumière. Les idées ne manquaient donc pas à Dominique Pitoiset qui s'est donné les moyens de les réaliser. » A.E (Le Petit Bleu, extrait de l'article Prospero perdu dans la Tempête, 08/02/2006) 28 La Tempête de Shakespeare 29 « La Tempête » ou la mise en scène de la magie Contexte historique La Tempête est précisément ancrée dans son époque. Le titre fait référence à un véritable ouragan qui, le 3-4 juillet 1609, a dispersé les vaisseaux d'émigrants britanniques partis de Plymouth vers la Virginie sous le commandement de Geoge Somers, et a tait s'échouer le navire amiral dans les parages des mudes. Pendant neuf mois, les naufragés sont restés prisonniers d'une île, totalement coupés du monde extérieur. C'est seulement en mai 1610 qu'ils réussisirent à gagner les côtes américaines, puis à retourner en Angleterre où leur aventure allait enfiévrer les imaginations. Shakespeare put lire entre autres à ce sujet le récit de Silvester Jourdan, A Discovery of the Bermudes, otherwise called the isles of Devils (Découverte des Bermudes, autrement nommées Îles des Diables), titre laissant clairement supposer l'existence d'îles enchantées. Une telle évocation devait être spécialement appréciée à un moment où l'occultisme était en faveur Angleterre et notamment dans les milieux proches de Shakespeare. Ainsi, un certain John Dee, alchimiste et astrologue renommé, a peut-être inspiré le personnage de Prospéro, héros de la Tempête Le roi Jacques Ier lui-même s'intéressait aux études occultes, et c'est devant lui qu'a eu lieu la première représentation connue de la pièce, le 1er novembre 1611 au Banqueting House à Whitehall. Un contexte favorisait donc bien le fait que la magie constitue l'un des sujets essentiels de la tempête à la fois dans ses pouvoirs et ses limites. Les pouvoirs de la magie Le héros de la Tempête exerce effectivement des pouvoirs surnaturels et dès le début, en provoquant cette tempête qui donne son titre à la pièce et nous transporte d'emblée dans le monde de l'illusion : les passagers du vaisseau resteront en vie et garderont des vêtements immaculés, mais ils seront transportés sur le rivage en dépit des lois de la nature. Tout au long de la pièce, Prospéro commande aux esprits de l'air, représentés par Ariel et plusieurs elfes . Avec leur complicité, il produit dan, la nature ou sur les êtres humains des effets qui dépassent l'entendement. Plus précisément, à l'image (les astrologues en vogue dans l'Angleterre de l'époque, Prospéro exerce la magie blanche et s'oppose ainsi à la magie noire des puissances néfastes. Cette dernière est incarnée par la sorcière Sycorax, mère de l'esclave sauvage et difforme qu'est Caliban, et qui avait tenté en vain d'asservir les esprits de l'air, car, en arrivant dans l'île, Prospéro avait délivré Ariel pour en faire son auxiliaire. La magie blanche qu'exerce Prospéro consiste à instaurer le " bettering of [the] mind », c'est-à-dire le perfectionnement de l'esprit. Certes, a priori, en tant qu'ex-duc légitime de Milan, Prospéro semble animé d'intentions plus intéressées, puisque par ses actions tragiques il veut démasquer son frère l'usurpateur et ainsi recouvrer son duché. Mais ces projets peuvent n'apparaître que comme des voies d'accès à un plus noble dessein, d'ordre spirituel : rétablir dans son harmonie une société souffrant d'être aux 30 mains d'un traître. La preuve en est due, dès le début de la pièce, Prospéro, en promettant à Ariel (le lui rendre sa liberté une fois l'ordre rétabli, annonce en quelque sorte qu'il renoncera alors à ses charmes. Le héros de la Tempête semble donc glorifier les pouvoirs de la magie, d'autant plus qu'il avoue être au sommet de son art au montent précis où il doit le pratiquer : " La Fortune, prodigue maintenant de ses faveurs, Jette mes ennemis sur ce rivage ; Et [...] cela, c'est au moment même Où ma science prévoit que mon zénith Est visité d'une certaine étoile, très propice, Dont il faut que j'accueille le bon influx." On a pu dès lors estimer qu'en écrivant la Tempête Shakespeare avait voulu manifester sa propre adhésion à l'occultisme. C'est notamment l'opinion de Frances Yates, pour qui « Prospéro est à l'apogée du long combat spirituel qu'ont mené Shakespeare et ses contemporains. Il [...)établit la légitimité de la Kabbale blanche ". Cependant, dans la mesure où il écrit non pas un traité occultiste mais une couvre littéraire, et certes fort complexe, Shakespeare se serait-il borné à glorifier l'art de la magie sans en montrer ses limites? Les limites de la magie Prospéro n'incarnerait-il pas tout autant une critique qu'un éloge de la magie ? C'est la thèse que soutient l'un des derniers traducteurs de la Tempête le poète Yves Bonnefoy, dans sa longue et riche préface à la récente édition de la pièce dans la collection « Folio Théâtre ». Son premier argument est le désintérêt que Prospéro manifeste envers les êtres humains, à l'exception de sa fille Miranda. Il est bleu sûr normal que ce duc dépossédé n'éprouve qu'aversion et mépris pour son frère Antonio et ses complices et ne soit guère attiré par le roi de Naples Alonso et ses courtisans. S'il semble en revanche montrer de l'estime, voire de l'affection au vieux conseiller Gonzalo et une certaine bienveillance à son futur gendre Ferdinand, fils du roi de Naples, n'est-ce pas parce que le premier l'a aidé au moment où il a été exilé et parce que le second représente un des moyens qu'il a choisis pour mener à bien sa présente entreprise? Car c'est la société dans son harmonie et non les individus qui importent pour Prospéro, personnage qui se complaît dans une certaine réclusion sur soi. En outre, ce représentant de la magie blanche n'est pas exempt de zones d'ombre. Elles se révèlent en particulier à travers l'hostilité qu'il manifeste à l'égard de son frère et de Caliban. Pour se venger du premier, il imite ses méfaits, puisque l'attirant à sa manière dans ses filets, il reproduit l'action dont Antonio fut coupable ; ainsi «A voir maintenant Prospéro calquer le comportement de son frère [...] on se dit qu'Antonio est une part de lui -même ", 31 une part mauvaise qu'il a voulu écarter pour devenir mage, mais qui subsiste néanmoins en lui. Pareillement, son acharnement contre Caliban ne refléterait-il pas un autre aspect nocturne de Prospéro, qu'il n'a pas su sublimer? Plus généralement, le sage qu'il prétend être trahit à plusieurs reprises un mauvais caractère, des sautes d'humeur, de l'agressivité à la mélancolie. Dès lors, la pièce se termine-t-elle vraiment par une victoire de Prospéro ? Certes, il a su piéger ses rivaux et, mieux encore, il va dominer son instinct de vengeance à leur égard en leur accordant son pardon, mais le désordre du monde n'en sera pas pour autant anéanti : Antonio le traître et Sébastien son complice ne se repentent pas ; même le mariage de Miranda et de Ferdinand ne rétablira peut-être pas l'harmonie, car la future épouse s'apprête à subir les lois de son mari, sachant qu'elle comptera moins pour lui que ses ambitions d'homme de pouvoir. De toute façon, en choisissant de pardonner, Prospéro décide simultanément de renoncer à ses pouvoirs de mage, qui ne pourraient désormais que le détourner de la vertu : au début de l'acte V, il abjure solennellement " Cette magie primaire" qui ne conduit pas au salut de l'âme. Plus nettement encore, dans l'épilogue, élément inhabituel dans les pièces de l'époque, Prospéro, s'avançant vers le public, le dos tourné à l'île des illusions, avoue : "J'ai renoncé tous mes channes Et n'ai donc plus d'autres armes Que ma pauvre humanité." . Le mage qu'il était, cet « être arrogant, brutal même, q u i ne doutait ni du bienfondé de son droit ni de la valeur de sa science, voici qu'il se consent désormais et s'avoue l'homme le plus ordinaire : duc de Milan peut -être, mais sans vrai bien que saconscience de soi, d'ailleurs précaire ; et en risque de désespoir s'il ne reçoit pas d'autres êtres la sympathie q u e tout au long de cejour il n' a guère su accorder lui-même ». Jamais peut-être Shakespeare n'a aussi directement et intimement parlé à son spectateur que dans cet épilogue émouvant qui suggère finalement que le surnaturel n'était qu'illusion et que la vérité est humaine, mais aussi que les limites sont floues entre le réel et le rêve et que, comme le dit le passage le plus célèbre de la pièce, « Nous sommes de l'étoffe dont les songes sont faits ». Dès lors, le vrai magicien, celui qui fait (le ses songes une vérité, ce n'est pas Prospéro, c'est Shakespeare, c'est le théâtre, qui met en scène cette magie. C'est peut-être pourquoi la Tempête a été si souvent représentée. 32 Fortune scénique de la pièce En Angleterre Après les premières représentations de 1611 à 1613, des adaptations de la Tempête furent écrites à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe. En 1667, William et John Dryden ajoutent trois personnages : une soeur de Caliban, une mère de Miranda et un beau jeune homme, Hippolito. Cette nouvelle Tempête est adaptée en un opéra auquel Purcell apporte sa musique en 1695, et, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, cette adaptation est jouée de préférence à l'oeuvre originale. Celle-ci reprend ses droits en 1757 avec le grand David Garrick ; puis en 1767, Charles Kean inaugure une tendance à renforcer par des effets scéniques les aspects illusionnistes de la pièce. A la fin du XIXe siècle, les représentations deviennent de plus en plus conformes à celles du théâtre du Globe ou de la cour du roi Jacques Ier. Parmi les mises en scène récentes, signalons celle de Jonathan Miller à Londres, qui transposa l'œuvre en dénonciation du colonialisme, et surtout celles de Peter Brook, d'abord à Stratford-on-Avon en 1963, puis à Londres en 1968 dans une version délibérément outrée. Le grand acteur John Gielguld a interprété Prospéro à quatre reprises, et la Tempête a aussi inspiré plusieurs films, dont le récent Prospero's Books de Peter Greenaway (1991). En France Alors que la Tempête n'a presque jamais cessé d'occuper les scènes anglaises, on n'en trouve pas trace dans nos théâtres avant 1955. La complexité et la polysémie de la dernière pièce de Shakespeare ont-elles jusque-là fait peur a nos metteurs en scène ? Encore ne sont-ce, dans les années 1950-1960, que les artisans de la décentraliisation et quelques bons amateurs qui osent s'y affronter. La première mise en scène recensée date de juillet 1955, où John Blatchley monte à Saint-Étienne l'adaptation de Jacques Copeau sous une tente de cirque dotée de voiles par [...] Bazaine : Jean Dasté est Prospéro, Delphine Seyrig, Ariel. En 1958, Jean Deschamps monte la pièce dans une adaptation d'Yves Florenne, et, en 1963, Jacques Mauclair la fait tenir sur la petite scène de l'Alliance française. Puis les événements de 1968 suscitent une vogue de mises en scène engagées de la Tempête. Une vision anticolonialiste apparaît dans l'adaptation du poète martiniquais Aimé Césaire ou dans l'espèce de tournage de western réalisé par Jean-Marie Serreau dans le contexte du Black Power en 1969, où Michael Lonsdale joue un Prospéro capitaliste esclavagiste. En 1974, la lecture brech tienne de Bernard Sobel au TEP vent voir dans la pièce une prise de conscience politique de Shakespeare, qui dénoncerait son idéalisme antérieur. 33 A ces visions un peu trop réductrices succèdent des spectacles drôles et poétiques. En 1981, la Tempête est montée par François Marthouret sur une scène en pente surplombant une plate-forme ovale et avec des costumes insolites : Ariel porte salopette grise et baskets argentées. En 1986, à Avignon, Alfredo Arias voit la pièce en conte philosophique drôle et amer présentant un monde désacralisé merveilleux et cruel ; Pierre Dux y campe un Prospéro des pote éclairé, lucide et bonhomme. Dans ces années quatre-vingt, deux magnifiques Tempête viennent d'Italie. En 1983, au théâtre de l'Europe, le grand Giorgio Strehler crée, sous une étince lante simplicité, une merveille de précision et de légèreté dans une douce lumière : les personnages évoluent sur une plage de sable blanc encadrée de signes astrologiques sur u n rectangle de lattes entre deux mers de toile. En 1987, c'est le Teatro de Bologne qui présente une admirable mise en scène dans un climat magique mêlant la portée initiatique et la vigueur comique de la pièce. Toutefois, ces brillantes réussites vont se trouver surpassées par l'extraordi naire mise en scène de Peter Brook en 1990 puis en 1992 aux Bouffes du Nord. Le grand homme de théâtre donne au texte adapté par Jean-Claude Carrière une clarté lumineuse, magnifiée par une constante invention scénique avec des comédiens de tous les continents. Peter Brook estime que la Tempête est plus due jamais d'actualité en cette fin de XXe siècle, « parce qu'elle affirme d'une manière exceptionnelle des valeurs dont nous manquons le plus : la tolérance, la compassion, la miséricorde». Après cette splendeur, deux mises en scène sont cependant parvenues à être remarquées. En 1992, pour le cinq centième anniversaire du voyage de Christophe Colomb, le Guatémaltèque Mario Gonzalez replace à nouveau la pièce dans un contexte colonial : l'île est symbolisée par une tournette double où les courtisans tournent comme des mannequins. Surtout, en 1993, au théâtre d'Hérouville, Michel Dubois, faisant revêtir aux acteurs des costumes d'époques disparates, cherche à mettre en valeur l'universalité de la pièce[...]. Extrait de L'Ecole des Lettres II "La Tempête" de Shakespeare, De la magie au théâtre à la magie du théâtre n°11, 1997-1998 34 Shakespeare notre contemporain La baguette de Prospero [...] Le récit de Prospero est une histoire de lutte pour le pouvoir, de contrainte et de complot. Mais ce n'est pas seulement l'histoire du duché de Milan. Le destin d'Ariel et de Coriolan sera une répétition de ce même thème. Le théâtre de Shakespeare est le Theatrum Mundi. La violence et la terreur en tant que principes du monde seront montrées en catégories cosmiques. La préhistoire d'Ariel et de Caliban est la répétition des tribulations de Prospero, une illustration supplémentaire du même thème. Les drames de Shakespeare sont construits non pas conformément au principe de l'unité d'action, mais au principe de l'analogie, d'une double, triple ou même quadruple intrigue qui répète le même thème essentiel ; ce sont des systèmes de miroirs convexes et concaves qui reflètent, grossissent et parodient une même situation. [...] Qui est Prospero et que signifie sa baguette ? Pourquoi chez lui la science est elle associée à la magie et quel est le sens dernier de sa confrontation avec Caliban ? Car en définitive, ce sont Prospero et Caliban les héros de La Tempête. Pourquoi retourne-t-il désarmé dans le monde des hommes ? Dans aucun des chefs d'oeuvre de Shakespeare, à l'exception du seul Hamlet, n'ont été montrées aussi brutalement que dans La Tempête l'antinomie entre la grandeur de l'esprit humain et la cruauté de l'histoire, la fragilité de l'ordre des valeurs. C'est là une antinomie profondément ressentie par les hommes de la Renaissance et qui, pour eux, était tragique. Les neuf sphères célestes immuables qui, conformément à l'enseignement médiéval, se disposaient concentriquement autour de la terre, étaient la garantie de l'ordre naturel. A la hiérarchie céleste correspondait la hiérarchie sociale. Or les neuf cieux n'existent plus. La terre est devenue l'une des poussières de l'espace étoilé, tandis que simultanément l'univers se rapproche ; les corps célestes se meuvent selon les lois que la raison humaine vient de découvrir. La terre est devenue à la fois très petite et très grande. L'ordre naturel a perdu son sacre, l'histoire n'est plus que l'histoire de l'homme. On aurait pu rêver qu'elle allait changer. Mais elle n'a pas changé. Jamais encore on n'a si douloureusement ressenti le déchirement entre le rêve et la réalité, entre les possibilités qui résident en l'homme et la misère de son sort. Tout aurait pu changer et rien.n'a changé. [...] Le grand monologue de Prospero au cinquième acte de La Tempête, où les romantiques déchiffraient l'adieu de Shakespeare au théâtre est une profession de foi dans la puissance démiurgique de la poésie, et est en réalité très proche de l'enthousiasme de Léonard* pour la puissance de l'esprit humain qui a arraché à la nature ses forces élémentaires. Ce monologue est un lointain écho d'un passage célèbre des Métamorphoses d'Ovide. Le monde est vu dans son mouvement et sa transformation, les quatre éléments, la terre, l'eau, le feu et l'air, sont libérés mais ils n'obéissent plus aux dieux, ils sont au pouvoir de l'homme qui bouleverse pour la première fois l'ordre de la nature. 35 [...] L'homme est un animal comme les autres, plus cruel seulement, peut-être, mais au contraire de tous les autres, il a conscience de son destin et veut le chan ger. II naît et meurt dans un temps qui lui échappe et jamais il ne pourra s'y résigner. La baguette de Prospero contraint l'histoire du monde à se répéter sur une île déserte. Les acteurs peuvent la jouer en l'espace de quatre heures. Mais la baguette de Prospero ne peut changer le cours du monde. La moralité une fois achevée, le pouvoir de magicien de Prospero doit également prendre fin. II ne lui reste plus qu'une amère sagesse. *Léonard de Vinci Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, 1962 36 William Shakespeare (Stratford on Avon 1564-1616). Le plus illustre poète dramatique de tous les temps, dont l'œuvre reste unique par sa diversité, sa richesse, sa profondeur et sa beauté poétique. Une vie d'homme de théâtre Sa vie est aussi bien connue que celle de beaucoup d'auteurs de son temps. II fréquente probablement la très bonne école de Stratford, mais ne va pas à l'université. En 1582 il épouse Ann Hathaway, de huit ans son aînée, qui donne le jour six mois plus tard à une fille, puis, en 1585, à des jumeaux. On le perd de vue pendant sept ans. Il n'est pas impossible (l'hypothèse est a été reprise récemment) que pendant ces « années perdues » il ait servi, comme précepteur ou maître d'école, une grande famille catholique du Lancashire. Il est possible aussi qu'il se soit joint à une compagnie en tournée. On le retrouve à Londres en 1592, acteur et auteur suffisamment envié pour être attaqué par Greene*. Et 1593 et 1594 (années où les épidémies de peste paralysent la vie théâtrale) il publie deux volumes de poèmes : Vénus et Adonis et le Viol de Lucrèce (ses Sonnets, qui datent de la même époque ou des années immédiatement postérieures, ne verront le jour qu'a 1609). En 1595 il est, avec R. Burbage et W. Kempe, l'un des trois signataires d'un reçu pour des représentations données à la cour pendant les fêtes de Noël 1594 par les Chamberlain's Men, ce qui semble indiquer qu'il occupe déjà une place importante dans cette compagnie. En 1597 il achète l'une des plus belles maisons de Stratford. Il connaît don c très tôt le succès et la prospérité. Actionnaire de sa compagnie et du théâtre du Globe puis de celui de Black-friars, acteur et auteur attitré de la première troupe d'Angleterre, il vécut sans doute la vie d'un homme de théâtre professionnel jusque vers 1610. Il regagne ensuite sa ville natale, mais sans rompre complètement avec ses camarades. Son testament mentionne des dons à Burbage, et à deux autres de ses associés, John Heminge et Henry Condell. Ceux qui le connurent n'eurent pas seulement pour lui de l'admiration, mais de l'affection et de l'estime. Les accusations dont il est victime en 1592 sont démenties aussitôt par l'imprimeur de Greene, et son honnêteté est hautement confirmée plus tard par Jonson. Aucun de ses contemporains (et ils furent très nombreux à le connnaître) ne contesta jamais qu'il ait bien été l'auteur de ses pièces. Les thèses « antistratfordiennes » datent essentiellement du XXe siècle. Aucun spécialiste n'y croit, mais des ont eu du succès auprès d'un public avide de scandales, amateur de cryptographie, ou simplement ignorant. Curieusement, c'est en France qu'elles trouvent encore le plus d'audience. La raison en est peut-être la qualité d'un ouvrage d'Abel Lefranc, le plus sérieux dans ce domaine (A la découverte de Shakespeare, 1945-1950). Shakespeare a été aussi victime des assauts des « désintégrateurs » qui ont cru reconnaître dans ses oeuvres la manière de plusieurs de ses contemporains. A l'inverse, sa noto - 37 riété lui a souvent valu l'attribution de pièces auxquelles il était étranger. Tout récemment encore, une nouvelle tentative a été faite pour lui attribuer un Edouard III anonyme de 1596. Le « canon » shakespearien Le « canon shakespearien fait néanmoins l'objet d'un large consensus. On le divise traditionnellement en trois ou quatre catégories : aux trois divisions de l'in-folio de 1623 (pièces historiques, comédies et tragédies) on ajoute souvent la catégorie des tragi-comédies romanesques (romances) où l'on regroupe les dernières pièces. Cette classification est commode, mais elle néglige la diversité des oeuvres. Elle réunit des pièces parfois très différentes les unes des autres (il n'y a pas de modèle unique correspondant à un genre), estompe des traits communs (les drames historiques sont souvent tragiques, les tragédies souvent historiques), et néglige les aspects très particuliers de certaines pièces (ainsi les problem plays telles que Tout est bien qui finit bien, Troïlus et Cressida, Mesure pour mesure ou Timon d'Athènes). On place dans la catégorie des pièces historiques (à l'intérieur de laquelle la division en deux tétralogies est peu utile, de même que la distinction entre "chroniques" et "histoires ") les trois parties de Henry VI (vers 1590-1592), Richard III (vers 1593), Richard II (1595), le Roi Jean (vers 1596), les deux parties de Henry IV (vers 1597 et vers 1598), et Henry V (vers 1599). Parmi les comédies on range la Comédie des erreurs (The Comedy of Errors, vers 1,590, ou 1594), les Deux Gentilshommes de Vérone (The Two Gentlemen of Verona, vers 1590), la Mégère apprivoisée (Tire Taming of the Shrew, avant 1594), Peines d'amour perdues (Love's Labour's Lost, vers 1594), le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream, vers 1595), le Marchand de Venise (The Merchant of Venice, vers 1596), Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing, vers 1599), les Joyeuses Commères de Windsor (The Merry Wives of Windsor, vers 1600, ou dès 1597), Comme il vous plaira (As You Like it, vers 1600), la Nuit des Rois (Twelfth Night, vers 1600), Tout est bien qui finit bien (All's Well That Ends Well, vers 1603) et Mesure pour mesure ( Measure for Measure, 1604). Les tragédies comprennent Titus Audronicus (vers 1592), Roméo et Juliette (vers 1595), Jules César, avec laquelle le Globe a peut-être été inauguré en 1599, Hamlet (vers 1601), Troïlus et Cressida (vers 1602), Othello (vers 1603), le Roi Lear (vers 1605), Macbeth (vers 1606), Antoine et Cléopâtre (vers 1607), Turion d'Athènes (vers 1608, ou dès 1604 '?) et Coriolan (vers 1608). Les tragi-comédies finales sont Cymbeline (vers 1610), le Conte d'hiver (The Winter's Tale, vers 1611) et la Tempête (1611) ainsi que Périclès (vers 1608), probablement due en partie à Thomas Middleton. Cardenio (1613), qui a disparu, les Deux Nobles Cousins (The Two Noble Kinsmen 1613-1614), et Henry VIII (vers 1613, d'abord connu sous le titre de All is True avant d'être publié comme The Famous History of the Life ol King Henry the Eighth ont sans doute été écrits en collaboration avec Fletcher. 38 Les éditions Shakespeare ne s'est pas intéressé à la publication de ses oeuvres dramatiques, qui étaient d'ailleurs la propriété de sa compagnie. Dix-neuf d'entre elles ont d'abord paru dans des éditions in-quarto, publiées souvent très peu de temps après les représentations et parfois sans autorisation. En 1623 Heminge et Condell réunissent 36 pièces (ils excluent Périclès) dans un très bel in-folio qui constitue le principal document de référence. Depuis le XVIIIe siècle un énorme travail d'établissement et d'analyse des textes s'est poursuivi, et de grands progrès sont encore accomplis de nos jours. Les meilleures éditions doivent se renouveler périodiquement : ainsi une nouvelle édition de l'Arden Shakespeare (Methuen) a commencé en 1951, un New Penguin Shakespeare en 1967, le nouvel Oxford Shakespeare en 1982 et le New Cambridge Shakespeare en 1984. A Oxford même, la dernière édition des oeuvres complètes (1986) propose des changements parfois radicaux. Quant aux études critiques, elles sont innombrables. Des bibliothèques entières (la Folger Shakespeare Library de Washington, par exemple) leur sont consacrées. L'art du dramaturge Une meilleure compréhension des textes et de leurs conditions de représentation a permis de mieux apprécier la dramaturgie shakespearienne. Il est bien évident, tout d'abord, que Shakespeare a su tirer le meilleur parti des ressources que lui offraient les lieux théâtraux dont il disposait. Au début de sa carrière - avant la construction du Globe - il a dû sans doute s'accommoder de conditions précaires. Mais devant la nécessité de faire appel à l'imagination du spectateur (le prologue et les choeurs de Henry V sont très révélateurs à cet égard), c'est par le langage poétique qu'il supplée aux déficiences des moyens scéniques. II utilise toutes les possibilités de la très vaste scène qui s'avance jusqu'au milieu de l'auditoire, et qui permet tout aussi facilement dans un même spectacle, de faire évoluer des groupes (foules, armées, cortèges) que de ménager des apartés ou d'isoler un personnage au premier plan. Shakespeare use de cet outil pour décrire les mouvements qui agitent les partis ou les sociétés, et même temps que les relations entre les individus et les sentiments personnels, en donnant à entendre toutes les formes de dialogue et de monologue, du débat politique à la conversation privée, du discours public à la réflexion la plus confidentielle, et en jouant sur un rapport entre la salle et la scène qui donne au spectateur le privilège de vivre à la fois l'illusion et la conscience de l'illusion. Avec le même art, il a intégré dans ses oeuvres des éléments conventionnels qui, chez d'autres, restent souvent extérieurs au propos : non seulement le chant et la musique, mais la danse (la danse aristocratique dans Roméo et Juliette comme la danse populaire dans le Conte d'hiver par exemple) et le masque de cour (plaisant dans Peintes d'amour perdues ou sérieux dans la Tempête). C'est en les renouvelant qu'il utilise des personnages popularisés par de vieux usages ou par des modèles récents, comme le clown ou le fantôme : le Touchstone de Comme il vous plaira et le Feste de la Nuit des rois ne sont pas des 39 bouffons traditionnels, de simples faiseurs de bons mots étrangers à l'intrigue, mais des créations originales qui participent à l'action, et c'est d'eux, en partie, que proviennent des personnages satiriques aussi fortement individualisés et aussi importants que le Thersite de Troïlus et Cressida et l'Apemantus de Timon d'Athènes. Le fantôme, de Richard II à Macbeth, en passant par Jules César et Hamlet, cesse d'être une simple force stéréotypée : il hante la conscience des protagonistes, et son intervention se justifie, non plus par le désir de suivre un exemple classique ou par celui de flatter le goût du public pour le sensationnel, mais par une fonction remplie dans le déroulement du drame. Du bon usage des sources La même originalité se retrouve dans l'utilisation des sources. Un exemple significatif nous en est donné très tôt avec la Comédie des erreurs. Shakespeare y part des Menechmes de Plaute, mais il incorpore des données provenant de l'Amphitryon (de Plaute également) et de l'histoire d'Apollonius de Tyr, telle que l'a racontée John Gower, poète anglais du XIVe siècle. Sur ces bases, il construit une intrigue extraordinairement serrée, incluse dans un seul lieu et un seul temps, où le comique fondé sur les confusions entre des jumeaux se double fun plaisir plus intellectuel, issu d'un dédoublement des situations (par l'addition fun second couple de jumeaux) et de la subtilité avec laquelle l'action est agencée. Parmi les sources les plus importantes du point de vue de la dramaturgie, il faut citer les œuvres des historiens, dont l'influence ne se manifeste pas seulement dans les pièces historiques. Chez les chroniqueurs anglais, et chez Plutarque aussi, Shakespeare a trouvé de longues séquences d'événements qui se déroulent dans des lieux multiples, et mettent en jeu des sociétés en même temps que des individus. II leur a emprunté des situations qui lui permettent de superposer des plans métaphysiques ou mythiques aux plans politiques, sociaux et psychologiques, et de donner un dynamisme poétique au vieux principe des correspondances entre le macrocosme et le microcosme. C'est pourquoi les dimensions du récit déconcertent parfois le spectateur habitué aux normes de la tragédie classique française : Jules César n'est pas le récit de l'assassinat de César, mais décrit ses conséquences aussi bien que ses causes, Hamlet ne prend fin qu'avec le triomphe de Fortinbras, Antoine et Cléopâtre ne se termine pas avec la mort d'Antoine. Temps et espace La durée de l'action n'étant pas soumise à une contrainte formelle, le temps peut se manipuler à toutes sortes de fins poétiques et dramatiques, être subi et vécu, imaginé et remémoré. C'est d'ailleurs ce qui explique que dans certaines pièces la chronologie soit objectivement incertaine ou contradictoire : on peut parler, à propos d'Othello par exemple, d'un « double temps » du déroulement de l'action, mais c'est un temps dramatiquement juste. 40 La pluralité des lieux est mise à profit de la même manière. Ils peuvent marquer les étapes de l'itinéraire tragique ou romanesque que suit un héros, comme dans Richard II, le Roi Lear, Timon d'Athènes ou Périclès mais peuvent aussi s'opposer les uns aux autres de différentes façons : le camp grec et le camp troyen dans Troïlus et Cressida, Venise et Chypre dans Othello, Venise et Belmont dans le Marchand de Venise. Lieux d'affrontements ou de réunions, de rencontres ou de séparations, lieux d'emprisonnement ou d'exil, de retraite ou d'errance, lieux de méditations privées ou d'engagements publics, ils contribuent toujours à une vision d'ensemble, et prennent souvent une valeur symbolique ou métaphorique : la fameuse " lande » du Roi Lear est le décor d'une détresse qui sombre dans la folie au milieu d'une nuit de tempête où se déchaînent les éléments hostiles. Techniques d'écriture dramatique A la souplesse du cadre spatio-temporel s'ajoute une grande liberté dans l'utilisation des techniques de conduite du récit. La structure narrative essentielle est la scène, qui correspond à une unité de lieu et de temps, et à la fin de laquelle tous les personnages sortent. La division en actes est beaucoup moins significative, et elle est due le plus souvent aux éditeurs du XVII Ie siècle. II y a cependant des exceptions : au début de la carrière de Shakespeare on la trouve dans la Cornédie des erreurs, Titus Andronicus, et Henry V, où toutefois il ne semble pas qu'elle ait pu correspondre à des interruptions du spectacle à la fin de chaque acte. On l'aperçoit aussi plus tard, dans Mesure pour mesure et Macbeth. Elle existe enfin dans les toutes dernières pièces, jouées au Blackfriars, où, suivant la pratique des théâtres privés, le spectacle était interrompu par des interventions musicales à la fin des actes, et où le découpage en cinq actes reflète l'influence grandissante du goût néoclassique. Ailleurs, la division en scènes est la seule qui importe, et elle n'entraîne d'autre contrainte que le respect d'une règle implicite, très généralement observée : deux scènes successives ne doivent pas faire intervenir les mêmes personnages dans le même lieu. Cette liberté permet d'éviter le recours au discours narratif ou descriptif pour l'exposition, et pour la relation d'actions qui se passent dans des lieux différents : sauf quand Shakespeare choisit délibérément d'introduire un narrateur, l'exposition se fait progressivement au cours des premières scènes, et les événements qui se déroulent dans des lieux éloignés sont montrés au lieu d'être rapportés. Cela ne veut pas dire pour autant que l'histoire soit racontée de façon rudimen taire, que le récit apporte une simple succession d'épisodes. Au contraire, Shakespeare utilise fréquemment des procédés de présentation et d'enchâssement qui créent une distance et provoquent la réflexion. II fait ainsi intervenir des chœurs : dans Henry V pour annoncer l'action, puis la ponctuer et la commenter, en soulignant les limites de la représentation théâtrale, dans Roméo et Juliette, pour apporter un élément à la fois lyrique et tragique. Une fonction narrative est parfois donnée à une figure qui tend à devenir un véritable personnage : le Temps dans le Conte d'hiver ; le poète Gower, à la fois prologue et épilogue, narrateur et commentateur dans Périclès. Le procédé de l'induction 41 (sorte d'introduction dramatisée) est repris dans la seconde partie de Henry IV avec la figure de la Rumeur et surtout dans la Mégère apprivoisée où l'histoire de Katharina et de Petrucchio est représentée comme une pièce jouée devant l'ivrogne Christopher Sly par une troupe d'acteurs. Ces procédés ne sont pas sans rapports avec celui de la « double intrigue » qui accorde à certains personnages, ou groupes de personnages de second plan, un statut privilégié, en leur faisant vivre une aventure distincte de l'intrigue principale. L'intrigue secondaire, d'une manière ou d'une autre, est complémentaire de l'intrigue principale, même dans des pièces comme la Nuit des rois où la relation peut sembler assez ténue. Elle peut s'unir étroitement à l'intrigue principale, comme dans Lear où le destin de Gloucester, analogue à celui du roi, vient amplifier les thèmes de la douleur, de l'ingratitude, de la cruauté et de la déraison. La similitude entre les destins tragiques de Lear et de Gloucester n'est qu'un exemple des situations parallèles que Shakespeare a souvent mises en scène, et dont la plus frappante est offerte par Hamlet : Hamlet, Laerte et Fortinbras sont placés tous trois dans la situation du fils qui doit venger son père, et si Laerte et Fortinbras restent au deuxième ou au troisième plan, c'est à Laerte que Hamlet doit sa mort, et c'est Fortinbras qui demeure seul pour triompher. De tels parallélismes relèvent de structures dramatiques et de systèmes de personnages plus homogènes, plus complexes et plus significatifs qu'on ne le soupçonne de prime abord. La théâtralité en miroir Shakespeare ne cède que rarement au vertige baroque de la mise en abyme. Des Masques sont représentés dans Peines d'amour perdues et dans la Tempête ; Falstaff joue explicitement le rôle du roi dans Henry V; dans le Songe d'une nuit d'été puis dans Hamlet, le théâtre se donne en spectacle, "farce tragique" dans la comédie, tragédie dans la tragédie. La fable d'amour et de mort de Pyrame et Thisbé est un "spectacle des gueux » parodiant grotesquement Roméo et Juliette. Un spectacle illusoire, mais semblable en cela à tout théâtre : le théâtre dans le théâtre n'est que l'ombre dans l'ombre, sollicitant également l'action supplétive de l'imagination du spectateur, mise en avant par Thésée comme par le prologue de Henry V ; dans Hamlet le théâtre devient piège, arme, instrument de révélation de la vérité dans les mains d'un prince appelé, quant à lui, à diriger de vrais comédiens. Le théâtre selon Shakespeare se situe tour à tour du côté de la fête et de la participation du côté de la vérité et de sa quête, dans le monde, pourri par les apparences, de Hamlet, du côté de l'éphémère et de l'insubstantiel dans la Tempête. En quelques endroits, Shakespeare offre une autre modalité à la présence du théâtre dans le théâtre : celle de la réflexion, au sens non plus optique mais théorique. Le théâtre envahit le discours, dans le célèbre prologue de Henry V et dans les non moins fameux conseils de Hamlet aux comédiens ; le théâtre est 42 très souvent invoqué, pour définir la vie et son absurdité dans Macbeth, dans les tétralogies pour constater la théâtralité de l'Histoire. Le plateau du théâtre se prolonge au coeur même de la vie, et c'est cette contamination que creuse inlassablement Shakespeare. C'est parce que l'homme n'est qu'une ombre qui passe dans le monde que le théâtre peut prétendre au statut de miroir de la nature, reflétant fidèlement dans sa pratique même, éphémère et dépouillée, la position de l'homme sous le regard de Dieu. La présence du théâtre dans le théâtre se nourrit de la conception du theatrum mundi prégnante en Europe au tournant des XVIe et XVIIe siècles, et qui bascule alors de la théologie dans l'art, envahissant notamment le théâtre espagnol, anglais et français : sur la scène du monde, comme sur celle du théâtre, l'homme est un pantin manipulé par la Providence, élevé au sommet de la gloire pour être précipité dans la chute. L'acteur ne joue d'autre rôle sur la scène des théâtres que celui de l'humaine condition. Reflet et réflexion : ces deux formes de redoublement explicite ne sont pas, loin de les seuls moyens dont dispose Shakespeare pour tendre au théâtre un miroir intérieur. Le plus souvent; c'est par le biais de ce que l'on pourrait nommer des "dispositifs" de théâtre qu'affleure, au coeur même de ses pièces, une présence d'autant plus forte qu'elle est devenue consciente d'elle-même. Théâtralité minimale : celle du spectacle involontaire. C'est la manipulation d'un fait donné à voir par un personnage à un autre, selon une perspective qui le fausse entièrement, l'envers maléfique de l'illusion. L'exemple canonique est celui d'Othello : le spectacle trompeur du contentement amoureux de Cassio, montré par lago comme preuve visuelle de l'infidélité de Desdémone, précipite Othello dans la folie furieuse. Pouvoir de l'image au théâtre. Ce que les yeux croient voir a ici une puissance de suggestion plus forte que ce que les oreilles peuvent entendre : c'est par les yeux qu'Othello, qui exigeait de voir avant de consentir à douter, est convaincu de la trahison de sa bien-aimée. Dans Hamlet, cependant, la pantomime ne révèle pas à Claudius le sens de la représentation théâtrale que seule la parole achève : le théâtre se donne alors à entendre autant qu'à voir. L'image offerte au regard ou à l'esprit, par le jeu des mots, est ambivalente, interprétable à volonté. Les pouvoirs du théâtre le rendent apte à révéler le faux aussi puissamment que le vrai. Ce scepticisme dramaturgique est un élément clé de la durable modernité de Shakespeare. Une autre forme de théâtralité est engagée avec la pratique du déguisement et du travestissement sexuel, récurrente dans les comédies : Hélène des Peines d'amour perdues conserve sa féminité sous le couvert d'une pèlerine, mais Rosalinde dans Comme il vous plaira, Viola dans la Nuit des rois, Julia dans les Deux Gentilslsoinmes de Vérone, Portia dans le Marchand de Venise empruntent l'habit, le langage et le comportement attribués à l'au tre sexe. Ces personnages « acteurs » exercent alors leur pouvoir d'illusion sur des personnages « spectateurs », avec la complicité du public de la pièce placé en position de supériorité. Le succès du jeu et l'issue favorable de la situation périlleuse qui rendaient nécessaire le recours au travestissement n'occultent en rien le fait que l'arme « 43 théâtrale » est utilisée pour des enjeux vitaux : obtenir, ou mettre à l'épreuve, l'amour de qui l'on aime, soustraire un homme à un grave péril. Le dispositif théâtral est si étroitement imbriqué dans la fable que le dévoilement précipite le dénouement, mais le travestissement aura permis au personnage -acteur de s'affirmer et d'atteindre son but, dans la jubilation du jeu. Cette arme est parfois utilisée dans des contextes tragiques : c'est, dans le Roi Lear, Edgar, le fils renié contraint à revêtir le masque de « poor Tom » ou, dans Macbeth, l'énigmatique faux autoautoportait que donne de lui-même le prince Malcolm pour mettre à l'épreuve Macduff. Le jeu théâtral n'est autre que la distance (le jeu au sens mécanique) créée entre un être et un paraître, signe de désenchantement, lorsqu'il est la seule arme de l'homme vertueux dans u n temps disjoint, ou au contraire signe de l'invention festive et carnavalesque présente au cœur même de la fable théâtrale comme de la vie humaine. Cependant, Shakespeare pousse plus loin encore l'exploration de la théâtralité dans le théâtre même, en inventant des personnages qui, par les procédés de mise en scène d'événements ou de discours, ou de manipulation de l'identité d'autres personnages qu'ils mettent en oeuvre, s'apparentent à des démiurges de la scène. Maria dans la Nuit des rois, Paulina dans Le Conte d' hiver, le duc de Vienne de Mesure pour mesure, Hamlet présentent à un double public, intérieur et extérieur à la pièce, les fruits de leur invention : un puritain trouble-fête métamorphosé en soupirant ridicule, une statue qui s'anime, un faux ange démasqué et ses victimes sauvées non sans maints déguisements, substitutions, voire résurrections. Outre leur fonction divertissante, ces fictions internes creusent de manière allégorique des questions essentielles : la fracture entre l'être et l'apparence, l'aveuglement humain, le doute frappant toute quête de vérité absolue, la similitude de Pacte théâtral avec l'évocation des morts. Hamlet seul adopte tour à tour l'ensemble des rôles ou des fonctions mises en ouvre par le processus théâtral : lecteur et dramaturge (il récrit en partie le « Meurtre de Gonzague " acteur (de sa folie), metteur en scène des comédiens, et pour finir spectateur (de Claudius). Si une vérité se dégage du théâtre de Shakespeare, en dépit d'un scepticisme dramaturgique constant, elle est à rechercher dans cette affirmation des pouvoirs démiurgiques de l'homme de théâtre et du théâtre lui-même. Le théâtre du monde, avec Shakespeare, devient le théâtre comme monde, métaphore signifiante de celui-ci, capable, grâce au concours de l'imagination du spectateur, d'évoquer la bataille d'Azincourt dans le cercle de bois (wooden O) du théâtre, de ranimer les morts, d'extraire quelques vérités de la gangue des apparences. On peut penser qu'une telle célébration du théâtre par et dans le théâtre constitue l'aiguillon principal des metteurs en scène de notre époque. Si monter Shakespeare aujourd'hui ne peut plus être ou n'est plus seulement reconstituer le sénat romain, les remparts d'Elseneur, donner des ailes à Ariel, f aire évoluer de jeunes garçons troublants interprétant des filles déguisées en garçons, motiver l'inaction d'Hamlet, éclairer la jalousie de Léontès (le Conte d'Hiver) ou celle d'Othello, cela reste la rencontre concrète de toutes les grandes questions que pose la pratique du théâtre. 44 Shakespeare en France Traduire Shakespeare et mettre en scène des pièces conçues pour l'espace à la fois multiple et non décoratif du théâtre élisabéthain : longtemps ces deux démarches se sont révélées problématiques en France. Une histoire (les traductions françaises de Shakespeare dégagerait deux époques. Durant la première, s'étendant jusqu'au début du XXe siècle, les traductions pour la lecture, généralement en prose, de l'entreprise de Letourneur à celle de François-Victor Hugo pour les oeuvres complètes, affirment, à défaut de toujours les respecter, les principes d'intégralité et de fidélité ; elles n'ont que peu de chose à voir avec les adaptations pour la scène, presque toujours en alexandrins expurgés de tout élément grotesque ou obscène, qui s'autorisent d'importants aménagements dramaturgiques afin de rendre possible la succession de décors illustrant les différents lieux de la pièce. La seconde époque, inaugurée par des metteurs en scène d'esthétiques différentes mais également soucieux de porter sur la scène un Shakespeare plus véritable, Copeau et Antoine, voit se combler le fossé entre ces deux types de transposition textuelle, au profit de nouvelles oppositions : les adaptations utilisant les textes shakespeariens comme matériau pour une réécriture littéraire ou scénique, depuis Brecht, revendiquent leur légitimité, tandis que les traductions, s'offrant comme textes à jouet et à lire, se fondent sur la précision da enjeux linguistique, poétique et théâtral. L'historicité de la langue de traduction renouvelle régulièrement l'actualité de la translation du vocabulaire, des structures syntaxiques, des images, des jeux de mots; la poéticité de la langue shakespearienne demeure une pierre d'achoppement, l'enjeu théâtral enfin, à savoir la manière propre à la langue shakespearienne de solliciter l'engagement corporel du comédien, a été surtout mis en évidence, depuis une quinzaine d'années, par le traducteur J.-M. Déprats, selon lequel la traduction doit s'efforcer de prendre en compte cette « musculature » de la langue afin de favoriser la relation des comédiens français au texte shakespearien. Dans le même sens, les traductions de Jean-Claude Carrière pour Peter Brook, depuis Timon d'Athènes en 1974, dans une langue simple et contemporaine mettant en valeur les « mots rayonnants » du texte shakespearien, s'articulent à une pratique de jeu. Jamais le paysage de la traduction de Shakespeare en français ne s'est trouvé aussi varié qu'aujourd'hui : c'est surtout sur le plan des images qu'Y. Bonnefoy traduit et retraduit Shakespeare en poète, de Hamlet à la Tempête, tandis qu'A. Markowicz ou Malaplate se prononcent pour un texte français versifié de manière à donner l'idée du vers shakespearien. La contrainte métrique du décasyllabe pour l'un, de l'alexandrin pour l'autre, même exemptée de la rime, entraîne inévitablement de multiples écarts avec la lettre du texte. J. -M. Déprats, quant à lui, se refusant à privilégier l'un des trois enjeux, linguistiqu e, poétique et théâtral, tente leur conciliation dans une prose de théâtre de laquelle ne sont absents ni le rythme ni les jeux de sonorités. 45 Le répertoire d'élection des Français à l'intérieur du corpus shakespearien se révèle en constante évolution, notamment du fait que Shakespeare a été longtemps beaucoup plus traduit et commenté que joué. Jusqu'à la fin du XIX e siècle, la scène française n'a montré régulièrement, sous des cormes très altérées, que les tragédies légendaires les plus célèbres, Hamlet, Macbeth, Othello, le Roi Lear, Roméo et Juliette, auxquelles venaient s'ajouter Richard III et quelques rares comédies adaptées de la Mégère apprivoisée, du Marchand de Venise, et des pièces dans lesquelles paraît Falstaff. Les tragédies n'ont jamais quitté les scènes françaises. En revanche, c'est la Nuit des rois montée par Copeau en 1914 au théâtre du Vieux- Colombier, qui révèle au public français l'univers contrasté, poétique et farcesque, bouffon et mélancolique, d'une partie des comédies de Shakespeare. L'attrait de cette dramaturgie, dans laquelle l'imaginaire et le féerique tiennent une bonne place, n'a pas fléchi : le Songe d'une nuit d'été et la Tempête demeurent aujourd'hui les comédies les plus souvent montées en France, cette dernière pièce, marquée par la mise en scène de Strehler en 1978, symbolisant l'art du théâtre et sa magie de l'inutile. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour voir explorer en France le théâtre historique : la création de Richard Il au premier festival d'Avignon, en 1947, est à l'origine d'une fascination durable qui, à la suite de Vilar, jouera sur une nouvelle génération (Chéreau, Mnouchkine). Plus récemment, des metteurs en scène ont choisi d'aborder le théâtre historique sous la forme de cycles : les Kings de Denis Llorca en 1978 parcouraient les trois parties de Henry VI et Richard III ; « Les Shakespeare » de Mnouchkine, de 1981 à 1984, évoquaient l'histoire avec Richard II, et une adaptation des deux parties de Henry IV, avec le contrepoint d'une comédie, la Nuit des Rois) , Stuart Seide donnait à Avignon les trois parties de henry VI en 1994. Ces « Shakespeare au long cours » favorisent l'immersion du public dans le temps à la fois déterminé et archétypal des événements historiques (couronnements, guerres fratricides, dépositions, assassinats) représentés par Shakespeare. Par ailleurs, tout un courant de mise en scène, illustré par B. Besson, B. Sobel, M. Langhoff, tend à bousculer les habituelles distinctions de genre en traitant selon une interprétation de type historique et politique un certain nombre de tragédies, tels Hamlet Macbeth le Roi Lear, Richard III. Enfin, à la faveur de nouvelles traductions à la fois précises et conçues pour la scène, l'intérêt de quelques metteurs en scène s'est tourné vers une partie du répertoire shakespearien longtemps considérée comme inaccessible au public français : celui des comédies dans lesquelles les jeux de langage et les mots d'esprit jouent un rôle déterminant, Peines d'amour perdues, interprété par les jeunes comédiens du TNS sous la direction de J.-P. Vincent, puis dans une mise en scène de Laurent Pelly (1995), ou Tout est bien qui finit bien (J.-P Vincent, 1996).Cette dernière pièce relève, par son atmosphère grave, des comédies problématiques - problem plays - génératrices d'un « rire faussement libérateur » (Henri Suhamy), dont la plus sombre, Mesure pour mesure, fascine 46 régulièrement les metteurs en scène, de Lugné-Poe à Brook, Zadek et Braunschweig. Il semble que tous les metteurs en scène français, à un moment donné, désirent s'affronter à Shakespeare, comme pour mettre à l'épreuve, au contact de ses pièces, leur propre démarche artistique. Autrefois, ce désir intervenait souvent dans la maturité (Baty, Barrault, Vitez), et se portait plus volontiers sur les grandes tragédies. Chez les jeunes metteurs en scène d'aujourd'hui (Braunschweig, Pitoiset, Pelly), Shakespeare est présent dès l'origine de la pratique théâtrale, dont il exalte la nature festive. Il y a ceux qui révèlent à chaque spectacle une facette différente de l'univers shakespearien, d'autres pour qui il existe une pièce élue, périodiquement reprise : Mesguich et Hamlet Lavaudant et le Roi Lear. A cette universalité de l'intérêt des metteurs en scène et des comédiens pour Shakespeare correspond une extrême diversité des démarches scéniques et de jeu : du naturalisme à la convention la plus poussée, du décor figuratif à l'espace neutre voué au jeu et à la mise en lumière de la théâtralité ; de l'incarnation à la mise à distance épique ou ritualisante des personnages ; jusqu'à la recherche expérimentale, avec le Qui est là de Peter Brook, par exemple, d'une dimension cérémonielle dont le théâtre a besoin et dont Shakespeare demeure une source vive. Extrait de l'Article Shakespeare William Dictionnaire encyclopédique du Théâtre Michel Corvin Larousse1995 47 Biographies 48 Dominique Pitoiset - Parcours Né à Dijon, il suit des études en architecture, puis en arts plastiques aux BeauxArts. II rejoint ensuite l'École supérieure d'art dramatique du Théâtre National de Strasbourg (TNS). Dès sa sortie, en 1981, il est assistant auprès de Jean -Pierre Vincent, Manfred Karge et Matthias Langhoff. A partir de 1983, il crée en parallèle sa propre compagnie et monte Comédienne d'un certain âge pour jouer la femme de Dostoievski d'Edward Radzjinski, Le Pélican d'August Strindberg, Le Misanthrope de Molière, Timon d'Athènes de Shakespeare, Faust, version UrFaust de Goethe, Oblomov de Gontcharov, La dispute de Marivaux et Les Noces de Figaro de Mozart pour l'opéra. En 1996, il est nommé directeur du Théâtre national Dijon Bourgogne (fusion du Centre dramatique national de Bourgogne et du festival Théâtre en Mai qui donne à voir la nouvelle génération de la scène internationale). La même année, il crée Le Procès d'après Kafka, présenté au Festival d'Avignon et au Théâtre de la Ville à Paris, puis La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, Les brigands de Schiller, Le réformateur de Thomas Bernhard, Don Giovanni de Mozart à l'Opéra National de Paris Bastille. En 2000, il est nommé directeur du Théâtre national de Chaillot avant qu'un chan gement ministériel n'invalide cette nomination. II monte alors une Trilogie autour de Shakespeare : Othello au Théâtre national de Bretagne et au Théâtre national de Chaillot, La Tempesta, au Teatro Farnese di Parma pour le Teatro Due (et à Nantes et à Sceaux pour la version française), Macbeth opéra de Verdi au Teatro Regio di Parma - Festival Verdi. Ces deux créations marquent le début des années italiennes de Dominique Pitoiset. II devient metteur en scène associé au Teatro Due de Parme et au Teatro Stabile de Turin. Depuis janvier 2004, il dirige le CDN de Bordeaux (TnBA- Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine). II a signé deux mises en scène en 2004/2005 : La peau de chagrin (du 18 au 29 janvier 2005 et à Sceaux du 3 au 20 février 2005) et Albert et la bombe (du ler au 11 juin 2005 - reprise en octobre 2005 et tournée), son premier spectacle pour enfants. En 2005/2006 il termine son parcours shakespearien et crée La Tempête de William Shakespeare. Pour la saison 2006/2007, il s'est intéressé plus particulièrement aux écritures contemporaines, notamment en créant en septembre 2006 le spectacle Sauterelles de Bilijana Srbljanovic. Actuellement, il travaille avec l'auteur québécois Wajdi Mouawad sur sa prochaine création qui aura lieu en juin 2008 et qui aura pour thématique principale la Thébaïde. Parallèlement, il poursuit son travail jeune public avec son adaptation en portugais d'Alberto e a bomba, recréé à Porto en février 2007. 49 La Suite d'un parcours Shakespeare Avec cette reprise de La Tempête, dernière oeuvre de Shakespeare, Dominique Pitoiset poursuit son parcours autour du grand auteur anglais, dont il a monté Timon d'Athènes en 1991 (Maison de la Culture de Chambéry et au Théâtre Athénée Louis Jouvet à Paris). II faudra attendre dix ans pour qu'il choisisse de remonter Shakespeare. Ainsi 2002 est -elle l'année d'une trilogie qui comprend Othello (Théâtre National de Bretagne et Théâtre National de Chaillot), La Tempête dans une version italienne (Teatro Farnese di Parma pour le Teatro Due) et Macbeth, opéra de Verdi au Teatro Regio di Parma - Festival Verdi. En 2003, il crée Peines amour perdues en Italie ainsi que sa première version française de La Tempête (Les Gémeaux Sceaux Scène Nationale, TNP Villeurbanne et Maison de la Culture de Loire Atlantique). Fasciné par ce texte qu'il qualifie de « sonate des spectres » et de « machinerie théâtrale », Dominique Pitoiset souhaite lui redonner toute sa couleur fantastique et utopique qui n'est pas sans rappeler L'invention de Morel de l'auteur argentin Bioy Caserès ou L'île du Docteur Moreau de Georges Wells. 50 Les comédiens et manipulateurs Houda Ben Kamla – Ariel Actrice et comédienne tunisienne, elle a notamment joué sous la direction de Anouar El Ayachi, Sadok Ammar et Habib Zrafi, Kamel El Ajimi, Anis Joumaa. Do minique Pitoiset qui l'a rencontrée et « découverte » à l'Institut Supérieur d'Art Dramatique de Tunis, l'a fait venir en France pour lui confier le rôle d'Ariel. Après cette première collaboration réussie, il réitère ce choix en lui confiant le rôle de d'Alegra dans sa dernière création Sauterelles. Sylviane Rôôsli – Miranda Formations : 2000 - 2002 : Conservatoire d'art dramatique, ESAD, classes préparatoires Genève. 2003 - 2005 : Ecole du Théâtre des Teintureries, Lausanne. Elle a, sous la direction de Dominique Pitoiset, interprété le rôle de Flipote dans Le Tartuffe (Molière), Théâtre de Carouge, Genève (2002), Théâtre KleberMéleau, Lausanne (2003), tournée franco-suisse (2003 / TnBA Bordeaux, Jean Vilar Suresnes, Stadtgarten Wintertur, Théâtre de Carouge). Elle a également joué dans Supermarché (Bijana Srbjanovic) mise en scène d'Eric Devanthery (Théâtre du Galpon, Genève, rôle de Diana), effectué un stage de tauromachie, Arles (2004), travaillé à l'école du Théâtre des Teintureries avec, entre autres, Pierre Maillet, Claude Degliame, Christian Collin, Pip Simons, Pasquier-Rossier (2005), tourné dans Le roi pognon, long métrage du Chantier Collectif, dans le rôle de Mère Maquerelle et Split, court métrage de Prune Jaillet (rôle de Marilène) et interprété le rôle de Maria dans Les 4 jumelles (Copi) mise en scène de Pierre Maillet pour la Compagnie Ammoniac, Théâtre de la Guinguette, Cinéma oblo, Lausanne. Ruggero Cara – Trinculo 1968/70, II fréquente l'école d'art dramatique du Piccolo Teatro. En 1971, il est l'un des fondateurs du Teatro del Sole, où pendant 5 ans il monte et interprète de nombreux spectacles parmi lesquels Città degli animali, La vera Vita di Jakob Geherda, un inédit de Bertolt Brecht, Gli orazi e curiazi, Rata...ta'..ta...Sinfonia in Nero de G. Cabella. 1987, il signe la mise en scène de La stanza dei fiori di China, spectacle de G. Cabella interprété par Angela Finocchiaro. 1992, il est choisi par Jérôme Savary pour interpréter le rôle de Sir Toby dans La Douzième Nuit de Shakespeare, qui donnera lieu à une tournée pendant toute la saison. Toujours fidèle à l'auteur anglais, il monte Comme il vous plaira (1997) pour un cours à l'école Paolo Grassi de Milan, La Mégère apprivoisée (1998), aux cotés de Michèle Placido et Elisabetta Pozzi, dans une production du Teatro romano de Vérone, mise en scène par Gigi dell'Aglio. 2000, il met en scène la comédie française André le Magnifique (4 récompenses aux Molières 1998). II joue dans Comme il vous plaira de Shakespeare, mise en scène de G. dall'Aglio pour le Teatro Stabile de Parme. 2003, tournée du monologue Le Fétichiste de Michel Tournier. 2004, Vocazione/Set de Goethe, mise en scène Gabriele Vacis pour le Teatro Stabile de Turin. 51 Andrea Nolfo – Caliban Né à Sanremo en 1970. II interprère Caractère dans 2 versions différentes de Rigoletto, mise en scène Hennig Brochaus, Teatro Verdi di Parma. 2001 : personnage du nain du Duc de Mantoue dans Rigoletto, mis en scène de M. Annunziata, Teatro Rendano de Cosenza - Les Carmen 2, mise en scène de Jérôme Savary, rôle de toréador. 2002 L'esclave de Freccia dans L'Avare de Molière de Jérôme Savary - Les géants de la montagne de Pirandello, mise en scène de Maurizio Panici. Le nain Quaqueo, acteur principal : Mariano Rigillo, reprise des Géants de la montagne... 2006 : Caliban dans La Tempête de Shakespeare, mise en scène de Dominique Pitoiset. Mario Pirrello – Stefano En 1997, il obtient son diplôme à l'école du Teatro Stabile de Turin (TST), dirigée par Luca Ronconi (spectacle de fin d'études : I soldati de R. Lenz, mis en scène par M. Avogadro). Au théâtre, il joue notamment sous la direction de M. Di Mauro dans Antigone non abita più qui (m.e.s.), de Dominique Pitoiset dans La comédie humaine (H. de Balzac) et Pene d'amore perdute (Shakespeare), de M. Avogadro dans Il benessere (F. Brusati), de Jean-Christophe Saïs dans Roméo et Juliette, de Mamadu Dioume dans II sogno d'una notte di mezza estate, de M. Avogadro dans Le pareti della solitudine (T. Ben Jelloun) et Guerre et paix (Tolstoï). Au cinéma, il a joué dans Il vestito dell'Imperatore, réal. A. Taylor - Frank Kafka nella colonia penale, réal. D. Buzzolan - Il mio regno per un sollazzo, courtmétrage réalisé par F. Lagi, Prix de la meilleure interprétation masculine au festival international Sentiero corto de Malesco... et à la télévision dans Cuore, réal. M. Zaccaro, Mediaset - Camera Café, Magnolia - La storia a puntate, RAISAT - L'albero azzurro, RAI. Patricia Christmann - manipulatrice Elle est née en 1972 à Eupen, dans la communauté germanophone de Belgique. Après des études de peinture à l'Académie Royale des Beaux Arts de L iège, elle s'installe à Bochum (Allemagne) et prend des cours d'art dramatique, danse, masques, clown, travaillant comme comédienne dans différentes compagnies indépendantes. Elle pratique le théâtre de la rue, le théâtre de marionnettes et suit une formation de manipulation à la Ernst Busch Hochschule de Berlin, puis travaille en Allemagne, en Suisse et en France, intervenant comme marionnettiste et actrice, indifféremment associée à des grands théâtres ou de petites compagnies, seule ou dans une troupe. En 2005-2006, elle a été « artiste associée » au TnBA. Elle joue également dans le spectacle Albert et la bombe de Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio et fait partie de l'aventure portugaise d Alberto e a bomba à Porto. 52 Kathrin Bluechert - manipulatrice Née à Berlin (1972), elle suit une formation artistique pluridisciplinaire (peinture, danse, théâtre), puis rejoint le théâtre de rue « Los Dillettantos », qui se produit dans toute l'Allemagne puis elle étudie le théâtre de marionnettes à l'école d'art dramatique Ernst Busch à Berlin. Son diplôme d'actrice en poche, elle travaille au « Théâtre du rire » (Theater des Lachens) à Frankfurt-Oder. Depuis 2003, elle a rejoint le théâtre Waidspeicher à Erfurt. Mélanie R. Ancic - manipulatrice Née à Böblingen (1974), elle a suivi dans un premier temps des études théoriques sur le théâtre et la politique culturelle puis s'est spécialisée dans la manipulation de marionnettes de 1998 à 2002, à l'université scénique et dramatique Ernst Busch de Berlin. Depuis 2002, elle travaille sur différentes productions théâtrales entre l'Allemagne et la Suisse, notamment au Carroussel théâtre à Berlin, au Theater an der Sihl à Zürich, au Bayerisches Staatsschauspiel Residenztheater à Munich, au Deutsches Theater de Berlin et dernièrement au Theater Junge Generation à Dresde où elle est membre régulière de la troupe depuis 2003. Ulrike Monecke- manipulatrice Née à Gera (1996), en ex RDA, elle suit la formation de marionnettiste à la " Ernst Busch-Hochschule für Schauspielkunst " (Berlin est) et ses années d'études (19881992) seront marquées par de grands changements : la chute du mur de Berlin et la fin de la RDA. Lorsqu'elle rejoint la compagnie "Theater o.N." à Berlin, en tant qu'actrice et marionnettiste (théâtre d'ombres, marionnettes à doigts), elle y crée son solo Jumping mouse, d'après un conte indien. Aujourd'hui elle travaille comme artiste indépendante et vit à Berlin. Inka Arlt - manipulatrice Née en Allemagne à Cologne (1973), elle a également appris à manipuler les marionnettes l'université scénique et dramatique Ernst Busch de Berlin entre 1997 et 2001. De 2001 à 2004, elle intègre l'équipe du Puppentheater de la ville de Dresde. Depuis 2004, elle est une artiste indépendante et travaille pour des festivals de théâtre de rue et de marionnettes. Elle est régulièrement invitée à venir travailler sur des productions du Puppentheater de la ville d'Halle. 53 Les collaborateurs de Dominique Pitoiset Francesca Covatta - Assistance à la mise en scène Née à Rome, Italie. Diplômée en mise en scène du Conservatoire de Rome, Francesca Covatta a été l'assistante de nombreux metteurs en scène italiens : Michèle Placido, Marco Bellochio, Nanni Garella...Elle a également été responsable du casting et assistante à la mise en scène auprès de plusieurs metteurs en scène étrangers, notamment Silviu Purcarete au CDN de Limoges et Bob Wilson au Watermill Center de New York. Elle collabore avec Dominique Pitoiset depuis quatre ans et l'a assisté à la mise en scène sur La Peau de chagrin et son dernier spectacle Sauterelles. Kattrin Michel - Costumes et poupées Née à Leipzig en 1967, et vivant aujourd'hui entre Berlin et Bordeaux, Kattrin Mi chel étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Berlin-Weissensee, de 1989 à 1996. Dès 1993, elle entame sa carrière de décoratrice et costumière. Elle collabore avec Dominique Pitoiset pour Faust, Oblomov, La dispute, Les noces de Figaro, Le procès, La nuit juste avant les forêts, Les brigands, Othello, MacBeth (Opéra), La tempête, La Peau de chagrin, Albert et la bombe et sa dernière création Sauterelles. Elle travaille aussi avec Dieter Dom au Münchenes Kammers-piele et avec Alexander Lang au Bayerisches Staatstheater ainsi qu'au Schauspiel Frankurt/Main. Avec Jarg Pataki, elle collabore trois fois au Luzerner Theater et une fois au Bayerisches Staatsschauspiel. Elle travaille à plusieurs films d'animation avec Heinrich Sabl, à Berlin. Elle expose à plusieurs reprises ses marionnettes. Elle a été artiste associée au TnBA pour la saison 2004/2005. Christophe Pitoiset – Lumières Diplômé de l'ENSATT (EcoIe Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) en 1987, Christophe Pitoiset devient très rapidement, dès Timon d'Athènes, l'éclairagiste attitré de son frère, dont il signe presque toutes les lumières, tant pour le théâtre que pour l'opéra. Par ailleurs, il signe la création lumière de deux spectacles de Rézo Gabriadzé et collabore avec le chorégraphe Jose Montalvo (six spectacles), Jean-Louis Thamin et Nicolas Rossier. Jean-Christophe Chiron – Son Formé au chant aux Studios de Variétés à Paris, Jean-Christophe Chiron est aussi compositeur et musicien. II a d'abord travaillé auprès de Jean -Luc Borg au Théâtre par le Bas à Nanterre, avant d'intégrer des Maisons de disque (Sony France) et divers labels indépendants. Après quelques années à la Maison de la Culture à Amiens, il s'installe à Bordeaux et devient régisseur son permanent au TnBA, sous la direction de Jean-Louis Thamin, puis auprès de Dominique Pitoiset. Il a notamment travaillé sur la création de La peau de chagrin (janvier 2004) et sur Albert et la bombe (juin 2004). 54