sécurisée (2001a). Autant d’éléments dont on a pu retrouver des traces nuancées sur notre second
terrain.
L’himalayisme : Valeurs et paradoxes d’une aventure banalisée
En contrepoint de cette recherche sur une discipline proche, abordable et ludique, j’ai voulu
déplacer le regard vers un sport lointain, difficile et aventureux. Entre 2000 et 2004, j’ai ainsi
mené une thèse sur l’univers singulier de l’alpinisme français en Himalaya (terrain : France et
Népal). Si, jusqu’aux années 1960, seulement une poignée élitiste d’alpinistes français avait eu
l’occasion de fureter sur ces montagnes culminant à 6 000, 7 000 ou 8 000 mètres, c’est
aujourd’hui par millier qu’ils partent chaque année dans des expéditions devenues notamment un
marché touristique. Comment fonctionne et se structure aujourd’hui cette activité sportive
aventureuse sans compétition officielle ni réglementation formelle ? Que cherchent à vivre et
confectionner les himalayistes à l’occasion de ces voyages longs et coûteux vers les cimes les plus
hautes du monde ?
Après avoir dressé un large panorama informé (histoire sociale, territorialisation, sociographie)
sur une pratique méconnue, l’ordonnancement et l’analyse des sous-cultures du champ
himalayiste a montré combien cette activité s’inscrit majoritairement dans deux tendances lourdes
qui la dépasse largement :
- la sportisation (individualisation de la performance, obsession de l’exploit mesurable et
critérié, standardisation),
- la touristification (cf. supra).
L’expédition proprement-dite a été analysée comme un espace-temps liminaire où l’ordre
quotidien (statuts, sociabilité, normes…) peut être tempéré, voire renversé, au profit d’une forme
temporaire et enchantée de contre-société. Au terme de cette suspension des tensions et routines
de la civilisation (au sens de N. Elias), les himalayistes réintègrent leur société. Loin d’être des
conquérants des l’inutile, par un jeu subtil de distinctions et de célébrations, ils vont y recueillir un
certain nombre de profits sociaux et symboliques. Cette quête apparaît alors comme un
observatoire des valeurs contradictoires de l’individualisme contemporain : injonction à
l’accomplissement autant qu’au dépassement de soi, banalisation de l’héroïsation, incertitude des
destinées, renouvellement des formes de sociabilité et d’inscription collective.
Pour une approche comparative des pratiques sportives
Actuellement, je souhaiterais prolonger ces recherches dans une double direction comparatiste.
D’une part, j’ai commencé à étudier à partir du cas des sherpas les conditions de réinterprétations
et d’acclimatation de la pratique alpinistique par les populations locales des régions
montagneuses. D’autre part, il s’agirait d’étudier – à partir d’une comparaison entre les cas
contrastés des himalayismes français, anglais, indien et japonais – comment les traditions
nationales recomposent et réinterprètent différemment la pratique expéditionnaire (stylisation,
spécialisation…).
Outre ces recherches et projets, je poursuis en parallèle deux collaborations scientifiques dans le
cadre d’un réseau de chercheurs (sportsnature.org). D’une part a été entreprise, avec P. Bourdeau, J.
Corneloup et P. Mao, une étude interdisciplinaire (ethnologie, géographie, sociologie) sur les
transformations récentes des activités sportives estivales (implantation spatiale, propriétés,
cultures sportives) dans les territoires de moyenne et haute montagne dans les Alpes françaises.
Un travail de terrain a été initié depuis 2000 dans la vallée de Vallouise (05) et sera poursuivi dans
les année à venir. En dehors de premières valorisations (2001b, 2003a), ce travail devrait aboutir à
une publication collective en 2005. D’autre part, un travail comparatiste avec l’univers des
expéditions polaires a été débuté avec P. Lièvre et s’oriente vers une recherche plus ouverte sur
les pratiques sportives en milieu extrême.