Augustin Le Roy de la Potherie de Neuville

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Monsieur de Neuville
Monsieur le Comte Augustin le Roy de la Potherie de Neuville appartient à une famille
de vieille noblesse citée dans l’histoire de l’Anjou dès le 14e siècle. Mais ne remontons
pas à cette époque si lointaine. Augustin de Neuville est né à Angers le 28 février
1779, seul enfant survivant de la famille...
Très jeune, il est envoyé au Collège des Jésuites à Liège, en Belgique. Il y demeure
jusqu'à ce que la Révolution ferme cette maison en 1794. Augustin de Neuville, avec
onze de ses condisciples, suit ses maîtres en Angleterre où un de leurs anciens élèves,
Sir Thomas Weld1, met généreusement à la disposition des religieux et des jeunes
nobles français sa belle résidence de Stonyhurst. En même temps, il reçoit, dans son
château de Lulworth, soixante émigrés français et une "colonie" de Trappistes dans un
domaine voisin de son habitation.
Augustin de Neuville est donc un des élèves de Stonyhurst en 1794. Dès l’année
suivante, il devient secrétaire de la Congrégation de la Sainte-Vierge, une association
d’ordre spirituel. Il parlera toute sa vie avec une grande vénération des Pères Jésuites,
ses maîtres, de leur science, de leur doctrine. Sa bibliothèque est riche d'ouvrages de
la Compagnie de Jésus, non seulement en français, mais en grec, en latin, en
allemand, en italien et en anglais. "L'anglais, disait-il, est ma langue préférée". Plus
tard il écrira souvent en anglais aux premières religieuses de langue anglaise du BonPasteur et quelquefois il ajoute au bas de sa lettre une petite poésie. Ce qui frappe
surtout le jeune étudiant, c’est l’attention que les Jésuites portent à leurs élèves qui
n'ont rien pour subvenir à leurs dépenses comme pensionnaires de Stonyhurst,
Augustin l’est resté jusqu'en 1797. C'était alors la Révolution en France. Rose-Virginie
Pelletier avait un an !
Les noms de Pierre Le Roy de la Potherie de Neuville et d’Augustin, son fils figurent sur
une liste des ‘émigrés’ rentrés en Maine-et-Loire entre 1802 et 18042. La famille de
Neuville, dépouillée de tout pendant l'exil, a manqué même du nécessaire. Un jour,
parlant avec la Mère Pelletier, Augustin de Neuville a raconté un incident qui l’a
beaucoup marqué.
Un jour, à Stonyhurst, ayant eu la maladresse de casser le verre dont il se
sert à table, un des surveillants lui dit avec vivacité :
"Monsieur, qui casse les verres les paie !”
Augustin réalise qu'il ne possède pas les quatre sous nécessaires pour payer
le verre et qu’il ne sait pas non plus si, à cette époque, sa famille aurait pu les
lui procurer.
La réflexion du domestique l'avait blessé au vif. Augustin garda toujours un souvenir
reconnaissant envers le prêtre qui, ce jour-là, avait compris sa gêne et exprimé un mot
de réconfort.
Mes chers maîtres me consolèrent avec une délicatesse dont je garde un
reconnaissant souvenir. Ce jour-là même, j'ai promis à Dieu de ne jamais
refuser de faire l'aumône.
1
Grand père de deux religieuses du Bon-Pasteur : Mary of St Ignatius Weld et Sr Mary of the Good
Shepherd Weld
2
Le 20 octobre 1800 un arrêté du gouvernement autorisait les nobles émigrés à revenir en France à
condition de signer une promesse de fidélité à la Constitution.
1
De fait, trente ou quarante ans plus tard, il encouragera Marie Euphrasie à ne jamais
refuser une femme en détresse ou une postulante pauvre pour une question d’argent.
A plusieurs reprises et très discrètement, il prendra à sa charge les frais encourus.
Après l'émigration, la famille de Neuville revient se fixer en Anjou. Elle rentre dans la
majeure partie de ses biens à l’exception des propriétés qu’elle possédait à SaintDomingue. Devenue veuve peu de temps après le retour de l'exil, Madame de Neuville3
poursuit sans relâche le désir de fonder à Angers une maison susceptible d'accueillir "la
femme déchue". Depuis le XVIIe siècle et jusqu'à la Révolution Française, Angers
possèdait deux maisons d'accueil pour femmes et filles en difficulté : la Maison des
Pénitentes et le Bon-Pasteur.
Madame de Neuville regrette vivement la disparition de ces deux établissements que la
Révolution avait supprimés et qui étaient plus nécessaires que jamais après dix ans de
bouleversement social, de guerres, d'impiété publique, d'éducation sans foi ni principes
religieux et d'un nouvel ordre social, économique, industriel, sans parler de l'attraction
des centres urbains avec la désertion des campagnes.
Madame de Neuville mourut le 6 novembre 1827 avant de pouvoir réaliser son désir de
faire revivre le ‘Bon-Pasteur’.
En février 1828, Augustin de Neuville, pour accomplir les dernières volontés de sa
mère, met à la disposition de Mgr Montault des Isles, évêque d'Angers, les trente mille
francs de sa mère augmentés de ses économies personnelles, soit huit mille francs
pour l'ouverture d'une "Maison du Bon-Pasteur". Pour apprécier ce don, il suffit de
savoir qu'une journée de travail d'un ouvrier à l'époque valait quatre francs.
Mgr Montault décide d'attendre, jugeant la situation sociale et politique du pays trop
incertaine. Cependant il est conscient des préoccupations de son clergé devant le
nombre croissant de femmes et adolescentes à la dérive. Finalement l'affaire du BonPasteur est conclue : une ancienne manufacture est achetée par cinq curés d’Angers,
M. Augustin de Neuville assurera les frais de remise en état, Me d’Andigné orientera le
choix des religieuses qui animeront la Maison.
Quand la Première Messe est célébrée au 3, rue Brault à six heures du matin, jour de
la Fête-Dieu, le 18 juin 1829, M. de Neuville est là. Il offre plusieurs dons pour la
nouvelle petite chapelle et la sacristie.
Après l'arrivée de la Mère Pelletier le 21 mai 1831, un des premiers, et des plus grands
services qu'il rend à la Maison, est de lui procurer dès le 28 mai, un aumônier : M.
l'abbé Perché, il en assure le traitement.
Quelques jours plus tard, la Mère Pelletier accepte de continuer l'oeuvre de "La
Providence"4, à la demande instante de Mgr Montault. Le 10 juin 1831, la Supérieure
du Bon-Pasteur reçoit vingt fillettes et Monsieur de Neuville leur fait bâtir une maison
et achète un terrain voisin du Bon-Pasteur. De même, il participe à l’ouverture d’une
petite communauté de’ Sœurs Madeleines’, ceci durant l’été 1831. S’il assure les frais
d’installation, il insiste pour qu’une communauté de ‘priantes’ vive dans la maison.
3
Madame Marie Innocente de Lantivy de la Potherie de Neuville
Orphelinat fondé en 1816 dans une maison de la rue St Jacques, à la suite d’une ‘Mission’. Il était géré
par une association de dames dont la présidente était Mme de Villebois, parente de M.de Neuville.
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2
La chapelle devient vite insuffisante pour abriter une communauté qui grandit très vite.
M. de Neuville décide de bâtir une église, à la grande joie de la Mère Pelletier. Elle
prépare donc un plan modeste pour un choeur capable de contenir une quarantaine de
personnes de l'Institut. Mais M. de Neuville qui entrevoyait le développement
extraordinaire de l'oeuvre lui dit : "Sachez, Madame, que vous compterez ici plus de
trois cents religieuses... Brisez ce plan !” Et l’on prépare donc un nouveau plan
Augustin de Neuville donne graduellement toute sa fortune au Bon-Pasteur. Il vit en
pauvre et jusqu'à sa mort, en décembre 1843, il demeurera l'ami fidèle et le soutien de
la Maison-Mère d'Angers. Comme Madame d'Andigné, il fait partie de la famille du BonPasteur, s'intéressant à tout et s'occupant de tous les problèmes de la maison :
réparations, approvisionnement régulier en nourriture, en bois de chauffage mais aussi
en ouvrages de bibliothèque… Nous savons, et toute la ville d'Angers le savait à
l'époque, qu'Augustin de Neuville était le pourvoyeur constant, universel, quotidien de
l'Oeuvre de la Congrégation qu'il a totalement adoptée. Et c'est pour cette oeuvre que
ce grand ami finira par vendre le château principal qu'il tenait de ses ancêtres
maternels.
C'est ce château de la Fresnaye qu'habitait Augustin de Neuville avant la mort de sa
mère en 1827. Après la mort de Madame de Neuville, il s’installa dans une maison dans
la rue Saint-Gilles (aujourd’hui rue Toussaint) derrière la cathédrale.
Un jour, un prêtre confia à la Mère Pelletier :
Quand je me rappelle le grand train de maison de Madame la Comtesse de la
Potherie de Neuville... et puis quand j'ai vu son digne fils se dépouiller de tout
cela pour l'amour de Dieu, je m’interroge sur son secret...
Ce grand bienfaiteur de la Congrégation ne veut aucune marque de distinction au BonPasteur. Un jour il écrit une lettre attristée à la Mère Pelletier qui a voulu mettre
l'écusson des Neuville sur les murs du couvent :
Madame, Au nom de l'amitié qui nous unit, renoncez au projet dont vous me
faites l'honneur de me parler. Autrement vous me forceriez à rompre avec vous.
Ce qui serait bien malheureux pour moi.
Un écusson dans la maison de l'humble fille de David ! Ah ! Grand Dieu, quelle
horreur!... Seigneur Jésus, ayez pitié de ce malheureux dont vous voudriez
oublier les péchés en considération du Bon-Pasteur!...
Madame, s'il y avait déjà quelques dépenses de faites pour ces armoiries, ma
bourse est là pour les payer. Mais je n'aurai plus la satisfaction de vous voir ou
de vous écrire que vous ayez donné contre ordre...
Outre cette aide financière – et elle fut considérable- Monsieur de Neuville apporta une
forte caution morale à la Congrégation naissante : il signe la demande du généralat, il
intervient auprès de ses relations et de ses proches, il ira jusqu’à représenter le BonPasteur devant le tribunal en 1842 lors d’une fausse accusation. Il informe Marie
Euphrasie d’une nouvelle réglementation, de mouvements d’opinion…
Dans un document important des Archives du Vatican, le Père Kohlmann, Consulteur
de la Congrégation des Évêques et Réguliers, cite M. de Neuville comme le grand
3
bienfaiteur du Bon-Pasteur.
Cette maison d'Angers... a été érigée par la très noble et riche dame MarieChantal de Jésus, veuve Cesbron de la Roche, à qui, pour entreprendre cette
oeuvre magnifique, le Seigneur de toute miséricorde a donné pour aide,
l'insigne bienfaiteur, le Comte de la Potherie de Neuville...
A plusieurs reprises, il exprimera des conseils… qui ne seront pas suivis ! Par exemple,
il déconseillera à Marie Euphrasie Pelletier la fondation d’Alger (réalisée en 1843) ou
celle de Londres (1841), jugées prématurées du fait de la situation du pays et donc
présentant trop de risques pour les communautés fondatrices. Les deux fondations
seront réalisées, ce qui montre qu’une grande amitié n’entrave pas la liberté de
chacun.
M. de Neuville est presque toujours présent aux cérémonies de Prise d'Habit et de
Profession. Le 19 mars 1839, attentif à la richesse de l'événement, il adresse ce mot
d'humour à l'heureuse Supérieure Générale dans la forme et le contexte historique du
temps :
Vous avez eu encore des têtes couronnées; je vous en félicite, car il en faut
pour occuper tant de trônes ! Si, comme je l'espère, vous êtes destinée à
remplir une longue carrière, vous finirez par établir autant de comptoirs pour le
trafic céleste que les Anglais en ont établis pour le commerce de ce bas monde.
Il est généreux mais il veut, avant tout, que les Religieuses du Bon-Pasteur soient
fidèles au charisme du fondateur, le Père Eudes. Il voudrait voir en elles ce qu'il admire
le plus dans leur fondatrice : elle n'a qu'une préoccupation : les jeunes à l’abandon,
que la vie a blessées. Il conseille à la Mère Pelletier de commencer par mettre chaque
postulante au courant du genre de vie qu'elle aurait à mener, des fatigues, des labeurs
incessants qui l'attendent.
Ce bon père, raconte-t-elle, me dit souvent que je ne dois rien laisser ignorer
de ce qu'il y a de pénible dans notre vocation, dans nos obligations. Si après
cela, ajoute-t-il, quelqu'une vous avoue que son but n'est point de se livrer à
tant de travaux, parce qu'elle aime mieux la méditation et le repos en Dieu,
dites-lui bien vite: "Ma fille, soyez bénie. Allez, demandez d'être reçue chez les
Mères du Carmel ou de la Visitation : ce n'est point ici que le Bon Dieu vous
veut.
Le cœur de la relation entre Marie Euohrasie et Augustin de Neuville est d’ordre
spirituel. Tous deux, ils ont engagé leur existence dans le service de Dieu auprès des
femmes et des jeunes en souffrance. Ils partageaient une grande confiance et
s’encourageaient dans les difficultés. Marie Euphrasie fut une ‘accompagnatrice
spirituelle’ attentive et forte que M de Neuville appelait ‘son Père’.
M. de Neuville fut toute sa vie d'une santé fragile. Il meurt le 3 décembre 1843. La
Mère Pelletier aurait bien voulu que le corps de ce bienfaiteur soit inhumé dans l'église
extérieure du couvent. Mais elle ne put obtenir l'autorisation du Garde des Sceaux,
quoiqu'elle ait mis en jeu l'influence d'un Conseiller d'État, ami de la maison, M. Léon
Cornudet.
4
Comment parler de M. de Neuville comme d'un associé du Bon-Pasteur ?

Il a partagé toute sa fortune pour que l'oeuvre ne soit pas freinée par des
questions d'argent. C'est le premier aspect que l'on évoque en parlant de M. de
Neuville. C'est un grand bienfaiteur.

Il a mis au service du Bon Pasteur tous ses "talents” :
-
Ayant fait ses études en Angleterre, il possède parfaitement cette langue et
sert de secrétaire... bilingue à Marie Euphrasie, même quand il est d’une
opinion différente de celle de la fondatrice.;
-
il met en route tout son réseau de relations pour soutenir d'une façon ou
d'une autre le Bon Pasteur;
-
il sera attentif à tout fait de société susceptible d’influer sur la mission du
Bon-Pasteur.

Il est d'une grande proximité avec M. Euphrasie : les archives de la Maison
Mère à Angers renferment plus de 700 "petits mots" de lui, émaillés de détails
quotidiens, nouvelles du quartier, petits ennuis de santé, incident de la vie de
telle ou telle soeur. Quelques exemples parmi bien d’autres : M de Neuville se
préoccupe du menu lors de la visite de tel ou tel évêque… Il envoie une
bouteille de vin pour éclaircir la voix des choristes à la veille des grandes fêtes,
une charretée de bois quand le temps fraîchit… On peut vraiment parler
d'amitié fraternelle entre eux.

Il apporte des suggestions quant au gouvernement de la Congrégation,
suggestions mûries dans la réflexion et la prière. Dès 1842, avec la
multiplication des fondations hors de France, il disait à Marie Euphrasie : ‘Il
vous faudrait comme des ‘provinciales’ dans les autres pays, qui soient comme
d’autres vous-mêmes…’ Il faudra attendre 1è ans pour que cela se réalise…

Enfin et surtout, ils partageaient la même vision de "l'oeuvre de Dieu", du
projet de Dieu sur les jeunes et moins jeunes en détresse.
Ainsi n'écrivait-il pas à M. Euphrasie le 17 février 1842 :
"Vous êtes vouées à sauver les malheureux naufragés et non pas à instruire les
jeunes marins à terre..."
Odile Laugier, RBP
Conférence aux Associés Laïques de France
2002
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