Safari et lune de miel en Afrique
FRANÇOIS HAUTER.
Publié le 16 août 2007
Vingt-deuxième étape. Suite de notre reportage autour du monde à la rencontre des
Chinois et des exilés de l'empire du Milieu. La Chine fait main basse sur Maputo, au
Mozambique, comme sur tout le continent.
Aveugles au pillage de leur forêt, les Africains rêvent d'émancipation vis-à-vis des
anciens colons.
Revenant de brousse, j'atterrissais à Maputo, où j'étais replongé instantanément dans
notre siècle. Avec ses avenues bordées de grands jacarandas, ses trottoirs joliment
pavés, ses boulevards encombrés d'une circulation intense, ses clubs, ses cafés, ses
palais et ses palaces, la capitale du Mozambique semblait une Lisbonne tropicale, une
cité de la Vieille Europe plantée au milieu de savanes en friche. Elle incarnait le rêve
élégant de la colonisation portugaise en Afrique. Les bailleurs de fonds occidentaux s'y
battaient à coup de milliards contre les Chinois pour lui rendre son lustre. La Chine
tenait la corde. Pékin avait offert un ministère des Affaires étrangères flambant neuf,
celui des Finances, un Palais des congrès, un grand stade allait être édifié. L'Assemblée
nationale avait été réhabilitée par des ouvriers venus de Canton, et le dernier centre
commercial de la ville venait d'être construit par un « fils du Ciel ».
Pour compléter le tableau, les villas des dirigeants au pouvoir, en bord de mer, étaient
elles aussi « made in China ». Cela se voyait de loin : les finitions étaient bâclées.
Les « experts » occidentaux, eux, étaient abasourdis : une débauche de capitaux chinois
s'abattait sur le continent. En Angola, c'étaient dix milliards de dollars. Au Nigeria, le
même montant. Au Soudan, huit milliards. Au Gabon, cinq milliards. Plus autant en
prêts, crédits, bourses, stages saupoudrés partout d'ici à 2009. Un safari toujours plus
spectaculaire, annoncé bruyamment en mai à Shanghaï. Les Chinois avaient repris
quelques projets en Angola et au Nigeria, refait leurs additions et trompeté le
financement de 20 milliards de dollars de projets d'ici à trois ans.
Oubliés les 200 milliards de dollars accordés par les Occidentaux aux Africains depuis
trente-cinq ans ; escamoté, l'effacement de 50 milliards de dettes du continent par les
mêmes, voici peu. La Chine en 2006 était devenue le troisième partenaire de l'Afrique,
après l'Europe et les États-Unis. Le commerce bilatéral, parti de 10 milliards en 2000,
devait être multiplié par dix avant 2010. Grâce à ces échanges rendus plus suaves
encore par l'augmentation du prix des matières premières, la croissance globale
africaine frôlait depuis deux ans les 6 %. Les Africains, naturellement, étaient grisés. Ils
vivaient leur lune de miel avec l'empire du Milieu.
La nouvelle diplomatie chinoise bousculait toutes les habitudes. L'Afrique découvrait
soudain, grâce aux Chinois, qu'elle pouvait s'affranchir des règles posées par les Blancs.
Longtemps, elle était demeurée la « chasse gardée » des Européens. Sans résultats. Car
l'idéologie de la Banque mondiale avait fait long feu : l'exportation de matières
premières ou agricoles sur des bases inégales n'avait nulle part sur le continent jeté les
bases d'une croissance solide. Comme le disait Ndubisi Obiorah, universitaire nigérian
et chercheur à Harvard : « Pour de nombreuses élites africaines éreintées par deux
décennies de réformes économiques soi-disant adoptées par les gouvernements africains
eux-mêmes, mais pilotées par les gouvernements occidentaux, les donateurs et les
organisations internationales, la Chine représente l'espoir qu'un monde nouveau est
possible, dans lequel le pain serait plus important que la démocratie. »
En bref, les « valeurs » chinoises - la stabilité assurée par un gouvernement patriotique
et éclairé - apparaissaient soudain mieux adaptées au développement de l'Afrique que
celles de l'Occident, basées sur la démocratie.