Le malaise économique wallon

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Communiqué de presse
Regards économiques n°31
Le malaise économique wallon
par Jean Hindriks1
Ce numéro de Regards économiques se penche sur la situation économique et sociale en Wallonie. Il
en dresse un large portrait, en souligne les points positifs et négatifs, et ébauche quelques pistes de
réflexion sur les mesures propices à donner à l’économie wallonne un nouvel élan.
Dans ce numéro, nous avons pris l’initiative de nous exprimer sur un sujet qui nous préoccupe : "le
malaise économique wallon". Nous avons pour ce faire regroupé l’avis de spécialistes de la question
dont la renommée est établie. Ces experts sont issus de différentes universités francophones. Nous leur
avons demandé d’offrir aux citoyens un portrait nuancé mais sans concession de la situation wallonne.
En "officialisant" la situation économique et sociale de la Wallonie, nous espérons obliger les acteurs
sociaux et les partis politiques à "reconnaître" les points faibles de l’économie wallonne. Nous
refusons cette stratégie qui consiste à dissimuler la situation réelle pour ne pas saper le moral des
troupes. "Cachez ce sein que je ne saurais voir" disait déjà Tartuffe, avant d’ajouter quelques scènes
plus loin : "le scandale du monde est ce qui fait l’offense et ce n’est pas pécher que pécher en silence".
Ce "nominalisme" - on veut bien de la chose mais à condition qu’on ne la nomme pas - et ce double
langage constituent l’une des manifestations les plus préoccupantes de la difficulté de nos politiciens à
assumer la vérité et à sortir de la représentation complaisante qu’ils ont d’eux-mêmes. Fin mai 2005, le
gouvernement wallon a enfin explicitement reconnu ce qu’il a appelé "le malaise économique wallon".
L’étape suivante est de dresser un constat précis de la nature du malaise, de manière à pouvoir
concevoir une stratégie de politique économique adaptée au problème. C’est dans cette perspective
que se situe ce numéro de Regards économiques.
Notre objectif est donc d’apprécier la situation économique et sociale en Wallonie sur base d’éléments
objectifs, et de la comparer à la situation en Flandre et en Europe. Nous comprenons le risque qu’une
comparaison avec la Flandre peut présenter. Cependant, sans vouloir alimenter les tensions
communautaires, nous avons la conviction que cette comparaison entre les deux régions est vraiment
utile étant donné que celles-ci partagent un environnement économique et un contexte institutionnel et
culturel fort semblables. Cela s’inscrit aussi dans l’esprit de la "Méthode Ouverte de Coordination" de
l’Union européenne, visant à créer une émulation entre régions au travers d’une concurrence par
comparaison. Cette comparaison est surtout utile pour comprendre les sources éventuelles des
dysfonctionnements et les pistes d’amélioration possibles.
Ce numéro de Regards économiques comporte quatre contributions, sur les thèmes suivants :
1. Bruxelles et Wallonie : une lecture en termes de géographie économique (Jacques-François
Thisse2)
2. PIB et PRB de la Wallonie : des diagnostics contrastés (Michel Mignolet3 et Marie Eve Mulquin4)
3. Le portrait social de la Wallonie : responsabilités et gouvernance (Pierre Pestieau5)
4. Le marché du travail en Wallonie : un tableau en clair-obscur (Béatrice Van Haeperen6).
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J. Hindriks est professeur d'économie à l'UCL.
J-F. Thisse est professeur d'économie à l'UCL.
M. Mignolet est professeur d'économie aux FUNDP.
M-E. Mulquin est chercheur au CREW des FUNDP.
P. Pestieau est professeur d'économique à l'Ulg.
B. Van Haeperen est attachée scientifique à l'IWEPS.
Institut de Recherches Economiques, IRES - Place Montesquieu 3, 1348 LOUVAIN-LA-NEUVE
Tél. 010/47.34.26 Fax : 010/47.39.45 Email : [email protected], [email protected]
Dans la suite de ce communiqué, nous résumons brièvement les éléments principaux de chaque
contribution, en regroupant les points positifs et les points négatifs que chacune d’elles donne de la
situation économique et sociale en Wallonie.
1.
Les points positifs
1. Les dynamiques de croissance entre régions se rapprochent progressivement. L’écart interrégional de croissance annuelle moyenne diminue entre la Flandre et la Wallonie : celui-ci ne
s’élevait plus qu’à 0,80 % de 1975 à 1995, pour se replier encore plus à 0,54 % de 1995 à 2003.
Le différentiel se réduit davantage si on ne considère que les dernières années, où il se chiffre à
0,37 % de 1999 à 2003.
2. Si l’on mesure la croissance régionale sur base du lieu de résidence et non du lieu de production
(pour prendre en compte l’activité croissante des wallons à Bruxelles), depuis 1999, la part de la
Wallonie dans la production totale belge s’est légèrement redressée.
3. Une analyse par branche de la structure de production ne permet pas de conclure à un manque de
dynamisme généralisé de l’industrie en Wallonie. Le retard de croissance en Wallonie est
imputable à une sous-représentation des secteurs les plus dynamiques et une moindre performance
des secteurs les plus importants.
4. Le Brabant wallon est la province belge qui a connu la croissance la plus forte de 1995 à 2002,
avec une évolution de la production sur la période de 8 % au-dessus de la moyenne de l’UE 15 et
de presque 10 % au-dessus de la moyenne belge. Le Brabant wallon est aussi la seule province
wallonne dont le revenu par habitant est supérieur à la moyenne de l’UE 15.
5. L’emploi salarié en Wallonie a augmenté de 9 % entre 1992 et 2002. Les croissances les plus
fortes sont dans le Brabant wallon (28 %), les provinces de Luxembourg (16 %) et de Namur
(13 %), à comparer à une croissance moyenne de l’emploi salarié en Flandre de 13 %.
6. Depuis 1997, le rythme de progression de l’emploi privé est comparable dans les deux régions. A
partir de 2000, le nombre d’emplois des secteurs à haute et moyenne technologies et des services à
haute technologie et à haut niveau de savoir progresse en Wallonie mais régresse en Flandre.
7. La proportion de personnes très qualifiées dans la population wallonne augmente et la proportion
de peu qualifiés diminue. Le profil de qualification par catégorie d’âge en Wallonie en 2003 est
très proche de la moyenne belge.
8. Les dépenses intra-muros des entreprises en R&D progressent plus rapidement en Wallonie. Entre
2001 et 2002, le taux de croissance était de 11,9 % en Wallonie contre 3,6 % en Flandre.
2.
Les points négatifs
1. Un rapprochement des taux de croissance est insuffisant pour assurer un rattrapage des économies
régionales. Etant donné son retard de développement, la Wallonie devrait enregistrer des taux de
croissance supérieurs à la Flandre, ce qui est loin d’être le cas. La part de la Wallonie dans la
production totale belge continue donc à diminuer, passant de plus de 30 % en 1995 à moins de
25 % en 2003.
2. La productivité marginale du capital est plus faible en Wallonie qu’en Flandre, ce qui donne lieu à
un taux d’investissement moindre en Wallonie. Sur la période 1995-2001, le rendement brut du
capital est de 14,6 % en Wallonie contre 17,5 % en Flandre. Cela pose problème pour l’attractivité
relative de la Wallonie pour l’investissement.
3. Le revenu moyen par habitant en Wallonie est 25 % inférieur à celui de la Flandre en 2002
(équivalent à la moyenne de l’UE 15).
4. Les disparités entre provinces wallonnes s’accentuent. Sur la période 1995-2002, le Brabant
wallon enregistre une augmentation de 8 % de sa production par rapport à la moyenne de l’UE15
alors que les provinces de Liège, du Hainaut et du Luxembourg enregistrent chacune une baisse
supérieure à 6 %.
5. En 2003, le taux d’emploi en Wallonie de 55,4 % reste significativement inférieur à celui de la
Flandre (62,9 %) et celui de l’UE15 (64,2 %). La Wallonie est donc encore loin de l’objectif de
taux d’emploi de 70 %. La structure de l’emploi est aussi fort différente entre régions avec en
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2002, 2/3 des emplois dans le secteur privé en Wallonie pour 3/4 des emplois dans le secteur privé
en Flandre.
6. Le taux de chômage est resté stable autour de 10 % en Wallonie entre 1995 et 2002 du fait d’une
augmentation de la population active égale à l’augmentation de l’emploi. En 2002, le taux de
chômage en Flandre est passé en dessous de 5 %.
7. Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) en Wallonie est le plus élevé d’Europe avec un taux de
26,5 % en 2002 contre 11,6 % en Flandre. Plus alarmant encore, plus de 40 % des chômeurs en
Wallonie sont des chômeurs de longue durée (>2 ans) contre moins de 20 % en Flandre.
8. Le pourcentage de la population de 18-24 ans sans diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne
suit ni enseignement, ni formation est de 16 % en Wallonie contre 11,7 % en Flandre. En outre,
selon la dernière enquête PISA, l’enseignement secondaire en Communauté française figure en 31e
position sur 41 pays contre une 3e position pour la Flandre pour un budget équivalent sinon
moindre.
3.
Que faire ?
Face à ce constat que pouvons-nous faire ? Quelques pistes de réflexion sont présentées dans ce
numéro de Regards économiques. Parmi celles-ci, nous relevons la nécessité de cesser la politique de
saupoudrage et de concentrer les efforts autour d’une grande métropole urbaine comme Bruxelles en
reconnaissant que les échanges se développent de plus en plus entre régions urbaines. La Wallonie se
doit de travailler en partenariat stratégique avec Bruxelles dans une perspective économique moderne.
La zone d’influence de Bruxelles doit dépasser le Brabant wallon. Il faut aussi chercher à améliorer
l’efficacité dans l’utilisation des fonds publics en évitant les doublons et en recourant
systématiquement à des études d’efficacité rigoureuses et impartiales. Par exemple, on pourrait
explorer ce que coûte l’existence des provinces, des multiples réseaux d’enseignement et des cabinets
ministériels. On peut aussi s’interroger sur le grand nombre d’intercommunales et le manque de
transparence de leur gestion. Il faut aussi s’attaquer de toute urgence au scandale du chômage des
jeunes par une politique de remédiation volontariste. On doit investir massivement dans le système
éducatif pour élever le niveau de qualification des jeunes et faciliter la transition enseignement et
emploi. Il faut élargir la mission du FOREM au-delà de la diffusion des offres d’emploi pour lui
confier la fonction critique de placement et d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Il faut aussi
mettre en place des outils d’évaluation des politiques de l’emploi. C’est inadmissible que depuis
l’année 2004, la Wallonie est incapable de publier des statistiques sur les offres d’emploi satisfaites et
insatisfaites (alors que Bruxelles et la Flandre continuent à publier ces chiffres).
Nous poursuivrons notre analyse de la situation wallonne dans un prochain numéro de Regards
économiques. Nous attendons aussi des hommes politiques qu’ils reconnaissent cette situation et le
traduisent dans leurs actes en poursuivant une politique économique adaptée, cohérente et stable. Il n’y
a pas de fatalité. Nous en voulons pour preuve l’expérience danoise qui en 10 ans a réduit son
chômage de moitié par un système novateur de "flexicurité" (en partenariat avec les syndicats). Son
marché du travail s’est fluidifié avec plus d’un danois sur trois changeant de travail au cours d’une
année et un effort substantiel du gouvernement sur la formation, l’orientation et l’accompagnement
des chômeurs. Un sondage récent montre que les travailleurs danois ne sont pas plus mécontents avec
ce système que les travailleurs belges. L’Angleterre, avec un taux de syndicalisme plus élevé que chez
nous, a aussi réussi par son "New Deal" à réduire de moitié le chômage des jeunes. Ces deux pays
connaissent aujourd’hui un taux de chômage de 5 %, bien inférieur à la moyenne européenne.
Comprendre pourquoi pourrait être fortement utile à la Wallonie.
Contact : pour des informations complémentaires, vous pouvez contacter :
 Jean Hindriks, e-mail : [email protected], tél. : 010/47.81.63
 Secrétariat : Regards économiques, Université catholique de Louvain, Département des
Sciences économiques, Place Montesquieu 3, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél : 010/ 47.34.26.
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