Algérie / Ben Bella / Entretien
Hervé Bourges : Ahmed Ben Bella «a donné sa vie à son pays»
(MFI / 17.04.12) Ahmed Ben Bella s’est éteint ce 11 avril à Alger. Hervé Bourges,
l'ancien directeur général de RFI, l'a bien connu. Entre 1962 et 1965, il a été son
conseiller technique à la présidence algérienne. Interview.
RFI : Quel souvenir vous laisse Ahmed ben Bella ?
Hervé Bourges : C’est une figure historique de l’Algérie, bien sûr controversée par
certains. (…) C’était toujours lui qui était mis en avant. Mais pour le peuple algérien,
c’est le premier président de la République algérienne, quelqu’un qui a donné sa vie à
son pays et qui a passé une bonne partie de sa vie en prison - d’abord dans les prisons
françaises et, après le coup d’Etat du 19 juin 1965, dans les prisons du président
Houari Boumediene. Puis, il était devenu un personnage très calme qui vivait entre
Paris et Alger. J’ai fait une interview de lui à la fin de l’année dernière.
RFI : La première fois que vous l’avez rencontré, c’était en 1960, quand il était
prisonnier des Français.
H.B. : Absolument. Avec Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et
Rabah Bitat, les cinq chefs de la révolution algérienne dont l’avion, premier acte de
piraterie internationale d’ailleurs, avait été détourné le 20 octobre 1956. Je les voyais à
la demande d’Edmond Michelet, le ministre de la Justice du général de Gaulle, qui me
demandait d’entretenir des relations avec eux, ce que j’ai fait. Je leur disais ce que, du
côté français, on souhaitait que je leur dise et eux me disaient ce qu’ils souhaitaient
que je dise au gouvernement français.
RFI : Pendant ses six ans, Ahmed Ben Bella et ses compagnons de cellule ont été
soumis à des pressions politiques de la France. Savaient-ils résister ?
H.B. : Tout à fait. D’une certaine manière, la France a essayé de négocier en se
passant d’eux, mais ces personnages historiques étaient incontournables et en aucun
cas le gouvernement français n’aurait pu négocier avec le FNL (Front de libération
nationale, ndlr) si l’annonce de la libération des cinq n’avait pas fait pas partie du
contrat.
RFI : En 1962, à l’indépendance, Ahmed Ben Bella était l’homme le plus
populaire d’Algérie. Comment expliquez-vous sa chute trois ans plus tard ?
H.B. : Il était le plus populaire car il a fait l’unité du pays même si elle s’est faite dans
des conditions très difficiles. Ben Bella était un vrai personnage. Il incarnait la lutte du
peuple algérien, mais en même temps, c’était un homme qui avait ses limites. Il était à
la tête d’un pays éclaté : le départ des Pieds-noirs, le massacre des Harkis, les luttes
intestines, une administration qui n’existait plus. Il fallait s’occuper des moissons : il
n’y avait plus de tracteurs, ils avaient été brûlés par les colons avant de partir. Josip
Broz, dit Tito [président de la République fédérative populaire de Yougoslavie, ndlr]
d’un côté, Gamal Abdul Nasser [président d'Égypte, ndlr] de l’autre, ont aidé
l’Algérie. Un certain populisme s’est établi avec la création de comités de gestion. On
peut peut-être faire le reproche à Ben Bella de ne pas avoir été à la hauteur, mais qui