Revue Commerce – Avril 2004 UNE VISION GLOBALE DE L’IMPACT DE LA CHINE SUR L’ÉCONOMIE MONDIALE MAURICE N. MARCHON Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée HEC Montréal 19 février 2004 Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur Une vision dynamique de l’économie L’une des premières réactions à l’émergence d’une nouvelle puissance économique est l’inquiétude pour la survie des entreprises et des emplois. La Chine est devenue, au cours des dernières années, la plateforme de production la plus avantageuse pour les entreprises manufacturières des pays industrialisés. Il est donc impératif pour la survie de ces dernières de transférer vers cette nouvelle frontière de la globalisation, la production et l’assemblage d’une gamme de plus en plus étendue de composantes et de produits manufacturiers. Les pays ou les régions qui résisteraient à cette division internationale du travail de plus en plus poussée verront leur niveau de vie se dégrader. C’est en innovant et en préservant les activités de création, de distribution et de services à la clientèle qui les entreprises d’ici seront les plus profitables et capable malgré tout de créer des emplois. C’est en partie grâce à la concurrence internationale et à la délégation des tâches vers des pays à coût de main-d’œuvre meilleur marché qu’aux ÉtatsUnis, les prix des biens durables diminuaient au taux annuel de 3,9 % en décembre 2003 malgré l’impact potentiellement inflationniste de la dépréciation du dollar américain. C’est aussi parce que le taux d’inflation est très faible que les taux d’intérêt à court et à long terme sont si bas. Lorsque l’inflation est maîtrisée et que l’économie d’un pays ne crée pas suffisamment d’emplois, la banque centrale peut se permettre de diminuer le taux d’intérêt à court terme pour stimuler la demande finale. Aux États-Unis, les dernières statistiques de l’emploi viennent confirmer que l’économie américaine est capable de créer des emplois malgré les pertes d’emplois massives dans les entreprises manufacturières. En effet, depuis le début de la dernière récession en mars 2001 jusqu’en janvier 2004, pas moins de 2,6 millions d’emplois ont disparu dans les entreprises manufacturières américaines Récemment, Alan Greenspan1 mentionnait qu’un million de travailleurs quittaient leur emploi chaque semaine, dont 40 % involontairement, souvent à cause de fermeture d’entreprises ou de relocalisation ailleurs. Chaque semaine tout près d’un million de personnes trouvent de nouveaux emplois ou retournent à leur travail après une période de mise à pied. De septembre 2003 à janvier 2004, l’enquête auprès des entreprises révèle que l’emploi total a commencé à augmenter au rythme mensuel moyen de 58 000 emplois. C’est encore trop peu, mais on s’attend à une accélération de la création mensuelle d’emplois au cours de 2004. 1 Economic flexibility, Alan Greenspan, The Federal Reserve Board, le 26 janvier 2004. Page - 2 - Une évolution normale des choses Saviez-vous qu’en 1810, 83 % de la population active des États-Unis se trouvait en agriculture comparativement à seulement 1,8 % en 2003. Au cours des années, l’augmentation de productivité en agriculture a permis le transfert des emplois du secteur primaire vers le secteur secondaire (comprenant le secteur manufacturier) et le secteur tertiaire (services). Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, un processus similaire s’est engagé dans le secteur manufacturier. En janvier 1947, 32,9 % des personnes employées travaillaient dans le secteur manufacturier aux États-Unis alors qu’en janvier 2004, ce pourcentage est tombé à 11 % (graphique 1). Au cours de la même période le pourcentage des emplois du secteur des services est passé de 60,5 % à 83.3 %. Cette perspective à long terme illustre à quel point, le transfert des emplois manufacturiers qui se fait aujourd’hui en faveur de la Chine se faisait, il y a quelques années, vers le Mexique, l’Asie du sud-est, etc. Il est important de réaliser que ce phénomène n’est pas nouveau, qu’il est nécessaire à l’augmentation du niveau de vie des populations et que le processus est loin d’être terminé. Le secteur manufacturier canadien a échappé pendant quelques années à la diminution du pourcentage des emplois dans ce secteur (graphique 1) grâce à la dépréciation du dollar canadien qui avait diminué le coût relatif de la main-d’œuvre canadienne. L’appréciation récente du dollar canadien va certainement se faire sentir au cours des prochaines années et nous prévoyons que le pourcentage des emplois dans ce secteur suivra à nouveau le parcours observé aux États-Unis (graphique 1). Graphique 1 Pourcentage des emplois dans le secteur manufacturier au Canada et aux États-Unis 32.5 30.5 28.5 26.5 24.5 22.5 20.5 18.5 16.5 14.5 12.5 10.5 janv-47 janv-55 janv-63 janv-71 janv-79 États-Unis janv-87 janv-95 janv-03 Canada Page - 3 - Ne pas regarder que le mauvais côté de la médaille Il ne fait aucun doute que la pénétration des importations chinoises aux États-Unis a récemment fait des pas de géant. En janvier 2000, le pourcentage des importations en provenance de la Chine s’élevait à 7,9 % des importations totales de marchandises et le déficit annuel de la balance commerciale avec la Chine s’élevait à 70 milliards de dollars américains. En décembre 2003, ce même déficit avec la Chine s’élevait à 124 milliards de dollars et le pourcentage des importations de marchandises en provenance de ce pays s’élevait à 12 % des importations américaines de marchandises (graphique 2). À une moindre échelle, en valeur absolue, le déficit commercial annuel du Canada avec la Chine a atteint 13,9 milliards de dollars canadiens en 2003 et le pourcentage des importations de marchandises en provenance de la Chine a atteint 5,6 % en 2003 (graphique 3). Les entreprises canadiennes ont donc également compris qu’il était dans leur propre intérêt de rechercher à minimiser leur coût de production en utilisant des composantes ou des produits directement importés de Chine pour préserver leur compétitivité. C’est en innovant et non pas en basculant vers le protectionnisme que nos entreprises prospéreront et que notre niveau de vie progressera. Et cela, même si ceux qui perdent leur emploi et doivent acquérir de nouvelles compétences ont à assumer seul des coûts pour assurer une amélioration du bien être futur de l’ensemble de la société. Graphique 2 Déficit commercial annuel des États-Unis avec la Chine et pourcentage des importations de marchandises en provenance de la Chine -10 12.5 (milliards de $US) 10.5 -50 9.5 -70 8.5 7.5 -90 6.5 -110 % des import. de Chine 11.5 -30 5.5 -130 janv-93 4.5 juil-94 janv-96 juil-97 janv-99 Déficit des États-Unis avec la Chine juil-00 janv-02 juil-03 % des importations de Chine Page - 4 - Graphique 3 Déficit commercial annuel du Canada avec la Chine et pourcentage des importations de marchandises en provenance de la Chine 6.0 5.5 -3 5.0 -5 4.5 -7 4.0 3.5 -9 3.0 -11 2.5 -13 2.0 -15 janv-93 1.5 juil-94 janv-96 juil-97 janv-99 Déficit commercial du Canada avec la Chine juil-00 janv-02 % des importations de Chine Bal. com. (milliards de $) -1 juil-03 Pourcentage des importatons de Chine Par ailleurs, il est faux de croire que la Chine est capable de produire seulement en utilisant sa main-d’œuvre abondante. Elle est également devenue un grand importateur d’équipements et de matières premières de toutes sortes. En 2003, son surplus de la balance courante n’était que d’une quinzaine de milliards de dollars américains. En janvier 2004, l’Administration des douanes de Chine évaluait les exportations mensuelles de marchandises à 35,71 milliards de dollars américains comparativement aux importations de 35,74 milliards de dollars. La Chine est devenue une source d’exportation importante pour les pays d’Asie incluant le Japon. En novembre 2003, les exportations de ce dernier vers la Chine étaient 21 % plus élevées qu’en novembre 2002. La croissance rapide des importations chinoises de matières premières est devenue un facteur très important dans la détermination du prix de ces dernières. C’est notamment le cas du cuivre, du nickel, du pétrole et des graines de soya dont les prix ont bondi respectivement de 59 %, 121 %, 31 % et 60 % au cours de la dernière année se terminant en janvier 2004. Le Canada, étant un pays exportateur net de ressources naturelles se retrouve donc dans une bonne position pour bénéficier de la hausse du prix relatif des matières premières. Ce dernier est mesuré par le rapport de l’indice CRB (Commodity Research Bureau) au comptant composé du prix de 22 matières premières à l’indice des prix industriels américains (graphique 4). De 1980 à 2001, le prix relatif des matières premières a connu une baisse tendancielle malgré quelques périodes de rebondissement cycliques ou temporaires. Depuis deux ans, nous assistons à un revirement de tendance qui Page - 5 - devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Premièrement, parce que la Chine deviendra un importateur de plus en plus important de ressources naturelles pour satisfaire les besoins de sa plateforme de production manufacturière ainsi que pour soutenir le développement de sa demande intérieure qui s’accroîtra avec l’augmentation de leur niveau de vie. Deuxièmement, nous prévoyons que le dollar américain continuera de se déprécier par rapport à l’ensemble de ses partenaires commerciaux afin de diminuer le déficit de la balance courante des États-Unis s’élevant à près de 5 % du PIB. Un déficit aussi imposant ne pourra pas être indéfiniment financé par une importation aussi massive de capitaux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le dollar américain se déprécie depuis février 2002. Le graphique 4 montre que lorsque le dollar américain s’apprécie (ce qu’il a fait de 1980 à 2001) le prix relatif des matières premières diminue. Par contre, lorsque le dollar américain se déprécie par rapport à un ensemble élargi de devises, le prix relatif des matières premières se raffermit comme c’est le cas depuis deux ans. Graphique 4 Prix relatif des matières premières et indice pondéré du dollar américain par rapport à un ensemble élargi de partenaires commerciaux (prix relatif = indice CRB (Commodity Research Bureau) au comptant/indice des prix industriels américains) 1.7 25 1.6 45 1.4 1.3 65 1.2 1.1 85 1.0 0.9 Indice élargi du $US CRB au comptant/PPI 1.5 105 0.8 0.7 125 0.6 janv-76 janv-79 janv-82 janv-85 janv-88 janv-91 janv-94 janv-97 janv-00 janv-03 Prix relatif des matières premières Indice élargi du $US (inversé) Nous prévoyons donc une amélioration du prix relatif des matières premières qui se poursuivra au cours des prochaines années, mais non sans périodes de revirement temporaire des prix. Nous assisterons alors à une certaine redistribution sectorielle et régionale de l’activité économique au Canada. Les provinces riches en ressources naturelles seront gagnantes à coup sûr mais les provinces où l’activité manufacturière est la plus développée devront se Page - 6 - diversifier, s’adapter et innover pour créer des emplois et pour améliorer leur niveau de vie. Page - 7 -