a) au niveau social : la question de l’Europe sociale. Objectif : discuter de l’existence d’une Europe sociale 1/ Le processus de construction de l’Union comporte une dimension sociale européenne Le projet européen tel qu’il fut mis en place en 1957 par le traité de Rome répond avant tout à une logique économique liée à une union douanière appelée à devenir une union économique puis monétaire. Les mesures initialement envisagées concernent donc deux volets principaux : En matière de protection sociale, la construction européenne a donc consisté dans un premier temps à mettre en œuvre et promouvoir des mesures visant à ne pas pénaliser le marché unique. Au fur et à mesure de l’intégration, le droit communautaire va consacrer des droits économiques et sociaux tel le droit de grève, des orientations générales comme la lutte contre la pauvreté et l’exclusion et des principes fondamentaux comme celui de l’égalité entre les sexes. L‘ensemble de ces régulations et de ses pratiques sont constitutives selon certains d’un « modèle social » où compétitivité économique et progrès social se conjuguent. Elles semblent cependant très timides. Quelques précisions sur les concepts : Europe sociale = principe selon lequel l’Europe devrait se construire à partir de critères pas uniquement économiques, mais aussi sociaux. Elle vise à construire des cadres généraux, des règles, des procédures visant à harmoniser l’action sociale au sein de l’UE. Document 1 : Où en est l’Europe sociale ? Il faut commencer par distinguer trois grandes catégories: le social¬redistributif, le social-régulateur, le socialprotecteur. Les rôles respectifs de l'Europe et des États-nations ne peuvent être les mêmes dans chaque cas. Le social-redistributif recouvre globalement les mécanismes de l'État-providence [...] [et] reste pour l'instant d'essence nationale. [ ... ] Le champ du social-régulateur est, quant à lui, celui de l'encadrement et de l'organisation des relations de travail. Il repose, dans des proportions variables selon les cas, sur des garanties législatives ou sur des accords contractuels: le droit du travail et les conventions collectives, pour faire vite. La reconnaissance du rôle des organisations syndicales est donc essentielle à son développement. Dans ce domaine encore, les modèles restent fortement marqués par des caractéristiques nationales. [ ... ] En revanche, en matière de protection de l'acteur syndical, une harmonisation est possible. C'est dans le troisième domaine du social-protecteur que le rôle de l'Europe s'est pour l'instant révélé le plus dynamique. Il s'agit là des formes de protection individuelle des personnes au travail. [ ... ] La logique première de la stricte défense des droits de l'homme, qui était celle de l'Europe, s'est en effet progressivement élargie à la formulation de droits sociaux lorsqu'elle était appliquée au champ du travail. Pierre ROSANVALLON, « L’Europe sociale ou sociétale ", Le Monde, 8 décembre 2004. Quels sont les trois domaines que recouvre l’Europe sociale selon P. Rosanvallon ? Selon P. Rosanvallon, pour mieux identifier ce qu’est aujourd’hui l’Europe Sociale, il convient de distinguer trois grandes catégories : - Le social-protecteur : concerne la protection individuelle des personnes au travail, est le domaine où l’intervention de l’UE est la plus développée. Exemple : textes européens sur l’égalité entre hommes et femmes, la lutte contre le harcèlement ou les discriminations ont été à l’origine de modifications profondes du droit français. - Le social-régulateur : concerne l’encadrement et l’organisation des relations de travail. Dans ce domaine, le rôle de l’Europe Sociale reste encore limité tant les règles nationales sont prégnantes. Exemple : la reconnaissance du rôle premier des partenaires sociaux dans la définition des normes sociales communautaires depuis le traité d’Amsterdam en est un autre. - Le social-redistributif : recouvre les mécanismes de l’Etat-Providence tel que nous l’avons défini. Comme le montre la typologie d’Esping Andersen, la diversité des modèles est forte à ce niveau en Europe => révèle des choix politiques et culturels trop éloignés pour que l’on puisse penser voir apparaître à moyen terme un Etat Providence Européen. Dans ce domaine, le principe de subsidiarité reste la règle. L’Europe sociale est soumise aujourd’hui au triple défi de la mondialisation + élargissement + vieillissement (=> dépenses de protection sociale avec le chômage) => modèle social euro semble aujourd'hui à bout de souffle. * modèle social euro = ensemble des droits sociaux et des systèmes de protection sociale de haut niveau hérités de l'après-guerre caractérisant, à des degrés divers cependant les pays d'Europe face aux systèmes sociaux des autres régions du monde (nb US), moins protecteurs. Remarque : L’idée d’un « modèle social européen » doit d’abord se comprendre dans une perspective comparative à l’échelle planétaire : existe-t-il des valeurs et des principes communs en matière sociale dans l’Union Européenne ? Réponse positive => rappel de la prégnance de valeurs comme la solidarité, l'égalité etc. Il a été modernisé lors du Conseil de Lisbonne (2000) qui a fixé 2 objectifs importants : - UE = éco de la connaissance - modernisation du modèle social euro = ensemble de régulation et de pratiques destinées à promouvoir une politique sociale volontariste dans les pays de l'UE. Objectif : réduire les inégalités engendrées par l’économie de marché. Quel est celui qui présente le plus d’enjeux aujourd’hui ? Le social-redistributif => quelle harmonisation des systèmes de protection sociale dans une UE à 27 ? Enjeux Il y a un très fort contraste entre le degré élevé d'intégration économique de la construction européenne (UEM) et le contenu en matière sociale qui est assez limité, puisque l'essentiel en matière de protection sociale, de droit du travail reste de compétence nationale. Pourtant, la nécessité de trouver des moyens adaptés pour mieux coordonner les politiques nationales face à des problèmes communs s’est petit à petit imposé. Document 2 : Les compétences et les instruments de l’action sociale dans l’Union La « méthode ouverte de coordination » répond à cette volonté en permettant la définition par les Etats membres d’objectifs communs qu’ils mettent ensuite en application dans leur cadre national spécifique. Cette méthode est notamment employée dans les domaines de la lutte contre l’exclusion ou de la gestion des systèmes de retraite. 2/ L’harmonisation des modèles de protection sociale se heurte à de nombreux obstacles. L’article 117 du traité de Rome stipule que « l’évolution de la communauté favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux ». Près de cinquante ans plus tard, les avancées en matière de coordination sociale sont somme toutes assez réduites. Il n’existe pas en effet de définition légale de la protection sociale en droit communautaire tout comme dans les droits nationaux. Face à la diversité des modèles sociaux européens, l’harmonisation semble particulièrement difficile à mettre en œuvre. L’espace européen au niveau social se caractérise par une grande diversité tant au niveau des dépenses que des systèmes. Manuel p 309 document 2 : La protection sociale en Europe Question 2, p. 309 : Peut-on distinguer plusieurs groupes de pays européens en fonction de l’effort financier qu’ils consacrent à la protection sociale ? Observe-t-on une certaine convergence de cet effort au cours des dix dernières années ? On peut constater une opposition entre plusieurs modèles et plusieurs groupes de pays. Le modèle dit anglo-saxon (Irlande, Royaume-Uni) se caractérise par une part plus faible de dépenses de protection sociale dans le PIB que le modèle continental (France, Allemagne). En Europe, on pourrait également distinguer le modèle « scandinave » de celui des pays de l’Europe du Sud. La France occupe une place légèrement plus élevée que la moyenne des quinze pays. Elle se situe assez près des pays du Nord (Danemark, Suède, Allemagne). On constate une érosion de la part des dépenses dans le PIB de nombreux pays à partir du milieu des années 1990, en particulier dans ceux où elle était forte. On observe en revanche quelques cas de remontée, y compris dans les pays où elle est faible (Irlande, Grèce, Luxembourg). Ce qui permet de parler d’une certaine convergence. Concernant les systèmes, assistance, assurance et universalité de la couverture se combinent différemment. Article de Sciences Humaines : « Une Europe sociale dans les limbes… », n°215, mai 2010 Trois modèles principaux peuvent être distingués selon la typologie proposée par G. Esping Andersen (Les Trois mondes de l’Etat providence). Un modèle scandinave, inspiré des recommandations de Lord Beveridge. : financé pour l’essentiel par l’impôt ce système public décentralisé a pour objectif d’étendre la protection sociale à tous les citoyens.(Logique d’universalité). Le second modèle qualifié de libéral va moins loin : l’accès à la protection sociale n’est pas lié à l’emploi, mais le financement de celle-ci par l’impôt couvre la santé et une partie, assez faible des prestations en espèces (chômage, maladie, retraite) ; les assurances privées prenant en charge le complément de manière différentielle. Le troisième modèle « continental » est inspiré du système bismarckien : les prestations sont contributives et proportionnelles, l’Etat assurant comme en France un complément pour ceux qui ne sont pas couverts par l’assurance sociale. A ces trois modèles viennent s’ajouter au sein de l’union deux autres systèmes dans les pays d’Europe du sud et de l’Est. Retenons : La diversité de systèmes de protection sociale pose le problème de l’harmonisation des politiques de protection sociale en Europe, certains craignant des risques de réduction des prestations. Le niveau de protection sociale et son organisation restent de la compétence des Etats. Cependant la concurrence sociale et fiscale résultant de l’unification des marchés risque selon certains d’induire une réduction du niveau de protection. Cependant de telles différences constituent également des ressources pour certains Etats qui n’ont pas intérêt à souscrire aux efforts d’harmonisation sociale risquant d’y perdre des avantages comparatifs. 3/ La protection sociale peut devenir une arme dans la concurrence que se livrent les Etats au sein même de l’Union. Invoqué par certains, le modèle social européen semble donc bien tenu mais les contradictions institutionnelles existantes sont lourdes. D’un côté certaines institutions sont chargées de réaliser le marché (l’Union européenne), de l’autre les Etats sont tenus de corriger les imperfections qui en résultent notamment en matière d’allocation de ressources (les Etats). Un tel système, à différents niveaux conduit à une dynamique qualifiée par certains auteurs de « construction étatique compétitive ». Document 3 : Un risque de dumping ? Coût horaire moyen de la main d’œuvre en 2003 Entreprises de 10 salariés et plus (industries et services UE à 15 Estonie Lettonie Lituanie Hongrie Slovénie Slovaquie 24,34 € 4,01€ 2,37€ 3,1€ 5,1€ 10,54€ 4,02€ Sans réglementation européenne suffisante, cette situation présente toutes les conditions favorables au développement du dumping social. En particulier, parce qu’elle elle accroît, pour les grandes entreprises européennes, l'opportunité des IDE de délocalisation (logique de rationalisation de la production visant à organiser une division internationale des processus productifs à travers la création de « filiales ateliers ») par rapport aux IDE de pénétration (conquête ou préservation de marchés, dans une logique de satisfaction des demandes locales à travers la création de« filiales relais »). Ceci présente le risque de tourner le dos à un principe fondateur de l'intégration européenne, à savoir le rattrapage économique et social des pays moins développés. Dans les faits, cette tendance ne se manifeste encore que modestement de la part des grandes firmes européennes. Il est cependant significatif de noter que, d'ores et déjà, le premier motif des IDE des firmes nord-américaines vers les PECQ est la délocalisation. © Nathan, 2007. 1/ Quelle information pouvez-vous extraire du tableau ? Risque de dumping socio-fiscal (ex : l’Irlande a longtemps proposé une fiscalité avantageuse pour les entreprises) défini comme « un large ensemble de politiques réglementaires et institutionnelles, contractuelles et/ou financières, ayant trait aux conditions de mise en œuvre de rémunération ou d’imposition des facteurs de production, conduites par un pays ou une entreprise dans le but de se créer un avantage comparatif sans rapport avec le niveau de productivité de l’ensemble considéré. » 2/ Le coût du travail est-il le seul déterminant de la compétitivité d’un pays ? Le coût du travail ne suffit pas à déterminer la compétitivité : celle-ci dépend aussi de la productivité des travailleurs, de la qualité des infrastructures de ce pays, de la fiscalité… 3/ En quoi une meilleure coordination des politiques sociales européennes et de régulation du marché permettraientelles de réduire les risques évoqués dans le texte ? Elle permettrait des rattrapages sociaux et d’éviter le creusement des inégalités salariales entre pays membres dont le risque principal est le développement de pratiques de dumping social et fiscal. Retenons : La concurrence entre les Etats peut être illustrée à deux niveaux. 1/ En matière de coût salarial d’abord, la concurrence qui prévaut dans l’Union Européenne s’exerçant à l’intérieur de mêmes branches comme le secteur automobile, augmente le risque de concurrence par les coûts. Afin d’améliorer leur compétitivité (notamment leur compétitivité prix), les entreprises sont conduites à réduire leurs coûts salariaux parmi lesquels figurent les cotisations sociales. Face à cette concurrence, les pressions sur les politiques publiques en faveur d’une fiscalisation voire d’une privatisation partielle des systèmes s’accroissent. Les réformes menées risquent de conduire à un alignement vers le bas des normes sociales ; la concurrence accrue au niveau européen conduisant les salariés à limiter leurs revendications face aux risques accrus de délocalisations. 2/ En matière de fiscalité ensuite, les différents Etats sont confrontés aux risques de dumping sociofiscal. De ce point de vue toute mesure liée au coût du travail peut produire des effets en matière de localisation des firmes. Les coûts salariaux ne sont cependant pas les seuls déterminants de la compétitivité. S’ils sont plus faibles dans certains pays, notamment à l’Est et au Sud, la productivité du travail y est également moindre ce qui atténue fortement le différentiel en termes de coût salarial unitaire. Dans cette logique de concurrence, les Etats peuvent par ailleurs se prévaloir directement d’encouragements financiers. Si les aides publiques sont conditionnées dans certains cas par l’aval de la commission, le régime fiscal appliqué aux entreprises reste de la compétence des Etats. Les dépenses sociales mises en œuvre et les taux d’imposition varient fortement au sein de l’Europe des 25. Les dépenses publiques de protection sociale (prestations sociales et dépenses de fonctionnement) varient considérablement au sein même de l’Union. En matière fiscale, tout se passe comme si les systèmes fiscaux des Etats étaient plus ou moins directement mis en concurrence par les acteurs qui cherchent à minimiser leur impôt. Si le phénomène reste somme toute marginal concernant les salariés, il est plus important pour les détenteurs de capitaux et les entreprises. L’examen des taux d’imposition sur le bénéfice des sociétés varie considérablement au sein de l’Union. Conclusion sur l’Europe sociale : L’expression « d’Europe sociale » est ambiguë. Elle peut signifier un certain « modèle social » commun à l’ensemble des pays, caractérisé par un niveau de protection plus élevé que d’autres régions du monde. Mais on a vu que ce « modèle » n’était pas aussi unifié qu’on le dit parfois et on a constaté que les politiques sociales restaient pour l’essentiel nationales. On peut aussi entendre dans cette expression l’idée d’une unification progressive des systèmes de protection sociale, en particulier quant au financement ou à la structure des dépenses. Sur ce point, certains processus montrent des convergences (par exemple, fiscalisation du financement). L’expression peut désigner finalement un objectif à poursuivre.