Afin de répondre aux critiques formulées dans La Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac,
Corneille composa en 1660 une série de discours théoriques sur l’art dramatique. Ces discours
contribuèrent beaucoup à assouplir autant qu’à approfondir les cadres de la doctrine classique.
DISCOURS
DE L’UTILITE ET DES PARTIES
DU POEME DRAMATIQUE
Corneille, s’appuyant sur Aristote, affirme que le but de la poésie dramatique est de plaire aux
spectateurs, mais ce plaisir ne peut être suscité que si le poème dramatique suit les préceptes et règles
de l’art que sont les unités « d’action, de lieu et de jour », et le traitement du sujet « selon la
vraisemblance et le nécessaire ».
D’Aubignac, Pratique du théâtre, II,2 : « C’est une maxime générale, que le vrai n’est pas le sujet
du théâtre […]Synésius a fort bien dit que la poésie et les autres arts qui ne sont fondés qu’en
imitation, ne suivent pas la vérité, mais l’opinion et le sentiment ordinaire des hommes […]Il n’y a
donc que le Vraisemblable qui puisse raisonnablement soutenir et terminer un poème dramatique. »
Corneille énumère et analyse les utilités du poème dramatique. Elles sont au nombre de quatre :
- la première utilité est que le poème dramatique permet d’insérer dans le discours des sentences et
des instructions morales (encore faut-il savoir être sobre et ne pas transformer le poème en un étalage
de moralités). Il faut savoir appliquer les maximes au particulier et ainsi préférer : l’amour vos donne
beaucoup d’inquiétudes à l’amour donne beaucoup d’inquiétudes aux esprits qu’il possède .
- la seconde utilité se rencontre « en la naïve peinture des vices et des vertus » avec la punition des
mauvaises actions et la récompense des bonnes : ce qui n’était pas un précepte initial de l’art mais qui
a eu tendance à le devenir suite à l’intérêt du public pris pour les actions vertueuses.
- la troisième utilité du poème dramatique est de confronter le spectateur au crime et à l’injustice
et d’en augmenter son horreur naturelle par l’appréhension d’un pareil malheur.
- la quatrième consiste en la purgation des passions par le moyen de la pitié et de la crainte.
Il examine ensuite les différentes parties qu’un poème dramatique doit comporter, selon le
découpage opéré par Aristote. Il y a deux sortes de parties dans un poème :
- les parties de quantité (ou d’extension) :
- le prologue
- l’épisode
- l’exode
- le chœur
- les parties intégrantes qui se rencontrent dans les précédentes afin de former tout le corps avec
elles : - le sujet (qui relève de l’art poétique)
- les mœurs ( de la morale)
- les sentiments (de la rhétorique)
- la diction (de la grammaire)
- la musique
- la décoration du théâtre
Et le poète se doit en principe de maîtriser les arts des quatre premières parties intégrantes (les
deux dernières parties qui constituent leur propre art, peuvent dépendre d’une autre personne que le
poète).
Puis Corneille se consacre à l’examen de la comédie (la tragédie faisant l’objet d’un autre
discours).En désaccord avec la définition aristotélicienne selon laquelle « la comédie […] est
l’imitation d’hommes de qualité morale inférieure, non en toute espèce de vive, mais dans le domaine
du risible, lequel est une partie du laid. » (Poétique,1449 a), Corneille tente de définir un théâtre
« moyen ». Il pense en effet, que ce qui était valable du temps d’Aristote ne peut plus l’être tout à fait
à l’époque classique. Ainsi, il est possible que les personnages d’une comédie soient des personnes de
noble condition : « lorsqu’on met sur scène une simple intrigue d’amour entre les rois, et qu’ils ne
courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur Etat, je ne crois pas que, bien que les personnes soient
illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie ». Pour qu’une action soit digne, elle
demande quelque grand intérêt d’Etat , quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour
(ambition, vengeance). C’est pour cela que Corneille crée le terme de « comédie héroïque » afin de les
différencier des comédies ordinaires. Une comédie héroïque qualifie donc une comédie dont les
personnages n’ont pas une action d’une dignité au moins égale à celle de leur condition. Et Corneille
justifie son innovation « quand cela ne renverse point les règles de l’art » par une citation de Tacite
« Ce qui nous sert maintenant d’exemple, a été autrefois sans exemple, et ce que nous faisons sans
exemple en pourra servir un jour. »(Annales, XI, XXIV).
Le sujet
La comédie ne veut pour son sujet qu’une action commune et enjouée, et elle se contente de
l’inquiétude et des déplaisirs de ses personnages. Tandis que la tragédie veut pour son sujet une action
illustre, extraordinaire, sérieuse et de grands périls pour ses héros. Mais toutes deux ont en commun
que cette action doit être complète et achevée : c’est-à-dire que le spectateur sorte l’esprit dégagé de
tous doute. Une tragédie est achevée lorsque le héros est sorti du péril qui constitue l’action. Et le
terme d’une bonne comédie arrive, si l’on en croit Corneille se référant à Aristote, lorsque on a rendu
amis ceux qui étaient ennemis.
Les mœurs
Il faut qu’elles soient bonnes, convenables, semblables et égales (cf. Aristote : « les caractères
doivent être bons, conformes, ressemblants, constants ». Poétique, 1454a.)
La bonté a trop souvent été associée à la vertu or il est évident que dans les poèmes dramatiques
les urs ne sont pas toutes exclusivement vertueuses. Corneille précise qu’il faut alors comprendre
une certaine « élévation de caractère », une certaine « grandeur d’âme » qui fait que, aussi misérables
soient les actions, on ne peut s’empêcher d’admirer la source dont elles proviennent.
Elles doivent être « convenables » c’est-à-dire que « le poète doit considérer l’âge, la dignité, la
naissance, l’emploi et le pays de ceux qu’il introduit ».
Il faut aussi que les mœurs soient « semblables » : les personnes que l’Histoire nous fait connaître
doivent avoir les mêmes traits de caractère d’un poème dramatique à l’autre.
Enfin en ce qui concerne « l’égalité » des mœurs, la pensée d’Aristote rapportée par Corneille est
la suivante : si on ne peut empêcher un personnage d’avoir parfois des comportements inégaux, alors il
faut qu’il soit au moins également inégal (!). Exemple : Chimène aime Rodrigue, mais cet amour se
présente différemment suivant qu’elle se trouve en présence du Roi, de l’Infante ou de Rodrigue.
Les sentiments
L’art de la rhétorique est nécessaire pour peindre les passions et les troubles de l’esprit, les
exagérer ou les atténuer. Mais contrairement à l’orateur, le poète doit dissimuler avec soin son art car
ce n’est jamais lui qui parle et ceux qu’il fait parler ne sont pas des orateurs.
La diction
Selon Corneille, la diction s’appuyant sur la grammaire, doit être nette, les figures diversifiées et
placées à propos, et la versification aisée (mais non pas enflée car les personnages ne sont pas des
poètes).
La musique
Selon J.Sherer dans La dramaturgie classique, La Silvanire (1627) de Mairet fut la dernière œuvre
importante comprenant des chœurs. Et Corneille précise que les chœurs ayant été abandonnés, il en a
été de même pour la musique, excepté quelques rares chansons ou dans les pièces à machines et les
comédies ballets en vogue à l’époque.
La décoration
Elle repose sur la peinture, l’architecture et la perspective.
Corneille entame en dernière partie de son discours, l’analyse des parties de quantité d’un poème
dramatique : le prologue est ce qui se récite avant le premier chant du chœur, l’épisode est ce qui se
récite entre les chants du chœur, l’exode est ce qui se récite après le dernier chant du chœur. Il adapte
cette définition aristotélicienne à la dramaturgie classique ainsi le prologue devient le premier acte,
l’épisode les trois suivants et l’exode le dernier acte.
Le prologue
C’est l’acte d’exposition qui « doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver ». Cet acte a
en outre une fonction informative : il doit instruire le spectateur de tout ce qui s’est passé avant le
commencement de l’action que l’on se propose de représenter. Corneille évoque aussi les nouveaux
prologues nés avec le siècle et qui ne sont que des dédicaces et louanges faites aux princes devant
lesquels sont joués las poèmes dramatiques.
L’épisode
Ce sont les trois actes centraux. L’action principale est représentée ainsi que les actions
particulières des personnages principaux, et les interventions de personnages dits épisodiques
(comprenons secondaires).
L’exode
C’est l’acte final qui doit achever complètement l’action dramatique. Corneille préconise de réserver
pour l’exode toute la catastrophe et si possible le plus tard. C’est ce qui permet de maintenir la
curiosité et l’attention de l’auditeur.
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