
« colporter » (qui  évoque  le  transport  de  marchandises  pour  les  vendre)  et  le  mot 
« artisanat » (qui pour Brassens définit sa production poétique). Ces termes donnent 
une image modeste du statut de chanteur (c’est-à-dire un brave voyageur qui 
vend ses chansons) et renforce par opposition le statut du voleur (c’est le hors-la loi, 
l’homme  qui  prend  des  risques :  nous  avons  3  mots  qui  les  signalent : 
« gendarmes », « prison », « flics »). 
Enfin,  on  se  rend  compte  que  Brassens  se  souvient  certainement  des  histoires 
policières  de  la  littérature  populaire  (type  Arsène  Lupin)  qui  met,  avec  panache  et 
légèreté, la sympathie du côté du hors-la-loi. 
 
DEUXIEME AXE : UNE COMPLICITE PARADOXALE 
 
Tout  d’abord,  la  chanson  prend  la  forme  d’une  lettre.  En  témoigne  le  « Post-
scriptum »  de  la fin.  Ce  texte a  donc  un  destinataire concret  et  privilégié.  On 
note  par  exemple  au  vers  21,  l’expression  « moi  qui  te  parle »  qui  installe  un  lien 
direct et unique. Le lecteur semble absent des préoccupations du poète. Le registre 
est lyrique : Brassens confie ses sentiments à la première personne. On peut noter 
deux phases dans ses réactions : un implicite ressentiment traduit par une réflexion 
sur l’acte comme l’indique l’expression « mûr examen » (vers 18), puis la générosité 
du pardon que nous avons déjà évoqué et qui va jusqu’à l’imploration à Mercure (le 
dieu des voleurs, au vers ). 
La  familiarité  avec  le  voleur  est  exprimé  par  les  possessifs  « mon »  et  la 
gradation ascendante vers la complicité que nous voyons tout au long du poème : 
« mon  salaud »  (qui  peut  être  considéré  comme  un  hypocoristique,  au  vers  12), 
« mon  vieux »  (vers  19),  « mon  ami »  (vers  33).  Cette  familiarité  s’installe  aussi 
grâce à une série de conseils. Le paradoxe ici consiste à imaginer l’homme volé qui 
souhaite  à  son  voleur  de  faire  un  bon  usage  de  son  larcin  (« que  mon  bien  te 
profite », vers 33). Examinons les deux conseils les plus saillants : 
le premier évoque les difficultés du marchandage. Le voleur peut être la victime 
des receleurs. Il s’agit pour Brassens de mettre en garde son ami.  
Le  deuxième  conseil  prend  la  forme  d’une  provocation (« mets  toi  dans  les 
affaires » au vers 39) puisque Brassens fait un amalgame entre le voleur et l’homme 
d’affaire. L’homme d’affaire étant un voleur à grande échelle. Les amis de Brassens 
avaient d’ailleurs averti le chanteur que cette dernière strophe était trop  polémique 
ou trop satirique pour  être conservée. Brassens  a donc souhaité, en la conservant, 
mettre en valeur un message provocateur, une critique sociale. 
Mais  l’aspect  le  plus  paradoxal  de  ce  texte  tient  dans  une  fiction  à  forme 
hypothétique  (introduite  par  « si »)  au  vers  22.  La  complicité  des  deux  hommes 
n’est  pas  que  factuelle,  elle  délivre  un  message  moral.  Brassens  évoque  la  fragile 
frontière entre le bien et le mal, et il fait naître une seconde complicité : celle qui unit 
deux malfaiteurs virtuels dans l’exercice de leur art. Brassens montre avec brio, dans 
une question rhétorique frappante (« qui sait ? »), que chaque homme peut être 
amené par les circonstances (voir le verbe « rencontrer ») à côtoyer le mal. Le voleur 
est  peut-être  un  poète  qui  a  mal  tourné.  Le  message  moral met  donc  le  chanteur 
célèbre et le voleur inconnu à égalité. 
Enfin, cette chanson est une manière de faire payer à son voleur un tribut : ils sont 
quittes  parce  que  le  poète  a  fait  acte  de  création  (vers  36).  En  écrivant  une 
chanson, Brassens rétablit l’équilibre. C’est aussi un moyen simple de dépasser 
le malaise du vol, de ne plus se sentir lésé (une sorte de thérapie artistique)...