
vie ne serait que platitude et mécanique. Alors, dans le coté sapiens-demens, dans la copulation des
deux, vous avez sans doute la créativité, l'invention, l'imagination etc.. Mais il y a aussi la possibilité
des crimes, du mal et de la méchanceté. Nous voyons très bien que ce que nous appelons génie se
situe au dessus, au delà, ou en deçà de l'alternative raison-folie ; nous voyons très bien que les grands
esprits ont parfois sombré Nietzsche, Hölderlin, Van Gogh, et cela étant dit on peut se demander ;
qu'est-ce que c'est qu'une vie raisonnable ? Il n'y aucun critère raisonnable d'une vie raisonnable. A la
limite on peut se demander si manger sainement, vivre sainement, ne pas prendre de risques, ne
jamais dépasser la dose prescrite, si cette vie raisonnable n'est pas une vie démente. La vie comporte
un minimum de dépense, de gratuité, de déraison. Quelqu'un a dit : " l'homme est cet animal fou
dont la folie a inventé la raison ".
²Mais soyons un peu ambivalents dans ce domaine. Je distinguerais entre rationalité et
rationalisation. Il s'agit de la même source dans le fond, c'est-à-dire le besoin d'avoir une conception
cohérente, sur laquelle on puisse avoir une argumentation fondée sur l'induction, la déduction,
l'adéquation entre le discours et les choses dont nous parlons, toute chose qui correspond au besoin
de rationalité. Mais la rationalisation, c'est autre chose.. et du reste Freud appelait " rationalisation "
cette forme de délire, qui à partir d'un point de départ limité tire les conséquences logiques absolues
mais en perdant en cours de route le support empirique. On voit bien que les théories rationalistes
ou plutôt les dogmes "rationalisateurs" sont ceux qui se vérifient non pas par rapport à l'expérience
ou au événements du monde réel mais par rapport à la parole de leur fondateur ; comme lorsqu'on
dit "comme il écrit dans les textes sacrés (Coran, Bible, Évangiles), comme Marx l'a dit, comme
Freud, Lacan l'ont dit, etc....
Par conséquent on pourrait dire que la rationalisation, c'est la référence à la parole sacrée qui
porte la vérité. La rationalité par contre est ouverte, elle accepte l'idée que ses propres théories soient
" dégradables ", qu'elle puisse être, à un moment donné, renversée par des arguments ou bien au
contraire par des événements qui la contredisent. Il y a également un autre aspect, par exemple dans
le phénomènes des Lumières qui là aussi se présente sous une forme ambivalente extraordinaire :
d'un coté, nous avons l'esprit critique, sceptique, autocritique (Voltaire, Diderot), mais de l'autre nous
avons la rationalisation qui aboutit à la déesse Raison à qui Robespierre a voué un culte. La raison est
devenue autosuffisante et providentialiste : " La Raison guide nos pas " ! On a mis sur la raison
exactement les contenus " providentialistes " du christianisme. Lorsque la rationalité se clôt, elle
prend la forme de la religion de salut.
Marx reste un esprit d'une puissance extraordinaire mais sans s'en rendre compte, il a apporté
une promesse au nom de science, dans l'idée d'une société sans classe, il a apporté un messie qui était
le prolétariat et le marxisme sous une forme dégradée est devenue une religion terrestre capable de
susciter comme l'autre, la céleste, des martyrs innombrables, et des bourreaux innombrables. Alors,
évidemment nous pouvons parler d'un délire de la raison.
Toutefois l'héritage de la rationalité est ce qu'il y a de plus riche dans la pensée
contemporaine et qui doit être conservé, rationalité pas seulement critique mais autocritique qui a
permis de douter fortement (comme chez Montaigne) du degré de vérité de notre civilisation par
rapport à celle, par exemple, des indiens d'Amérique, et qui permettait à Pascal de dire : " vérité en
deçà des Pyrénées, erreur au delà ", et qui a permis, enfin, aux anthropologue occidentaux de se
rendre compte que ces cultures qu'ils méprisaient totalement, dites primitives, n'étaient pas seulement
des tissus de superstitions mais pouvaient comporter également, étroitement mêlées, des sagesses et
des vérités profondes, et de considérer que ce qui venait d'Asie et de ses civilisations multilinéaires,
n'étaient pas seulement de l'arriération mais comportaient justement des trésors culturels qu'on avait