« Participation démocratique et ancrage territorial » Contribution à la phase « on propose » de l’étape régionale des Pactes locaux en Ile de France Dans le cadre de la préparation des 4èmes rencontres internationales de la globalisation des solidarités au Luxembourg du 22 au 25 avril 2009, j’accompagne au nom de l’Adels1, les Pactes locaux, réseau français faisant partie du comité de pilotage de ces rencontres. Je fais partie de la plateforme mise en place pour préparer l’atelier n° 7 portant sur « la participation démocratique et l’ancrage territorial » dans la perspective d’un « changement d’échelle du local à l’Europe ». Cette préparation s’effectue grâce à cinq étapes régionales où sont rencontrées des initiatives témoignant de la mise en œuvre d’une « autre économie ». Au moment où nous nous retrouvons en Ile de France (quatrième étape), je vous propose une analyse des formes de « participation démocratique » rencontrées à travers les trois premières étapes régionales et de leurs liens avec les territoires dans lesquels elles s’exercent. Lorsqu’on parle de « participation démocratique », on fait généralement référence à une offre de participation proposée par les institutions publiques pour la définition et la gestion de politiques publiques ou d’initiatives publiques de proximité aux citoyens intéressés 2. La participation démocratique rencontrée lors des trois premières étapes régionales ne correspond pas à cette approche. Nous avons découvert des initiatives qui se situent dans le champ de l’entreprise ou de l’économie. Il s’agit de « l’emploi partagé » en Poitou Charente, du « tourisme responsable » en Auvergne et de « l’économie solidaire locale » au Luxembourg. Après une présentation succincte de chaque initiative, je vous propose de mettre en évidence quelques caractéristiques de ces formes de « participation démocratique ». Les trois premières étapes régionales En Poitou Charentes, nous avons découvert parmi d’autres initiatives, une initiative portée par des syndicalistes et des chefs d’entreprises d’activités agricole, artisanale ou de services : les groupements d’employeurs (GE). Un GE a le statut d’une « association loi 1901 » ; il recrute du personnel pour le mettre à disposition de ses membres. La création d’un GE introduit, sur un territoire, une sorte « d’employeur de synthèse » qui mutualise les besoins de main d’œuvre dispersés dans diverses entreprises. Le Groupement devient alors l’employeur unique du salarié quelles que soient les missions confiées au GE. Le contrat de travail lie le Groupement au salarié. Le contrat de mise à disposition lie le Groupement aux entreprises utilisatrices et fixe la nature du poste occupé, la durée, le rythme de la mission et le niveau de facturation. Pour promouvoir et accompagner leur développement, les groupements d’employeurs ont créé un centre de ressources régional. Il existe actuellement des GE dans l’ensemble des régions françaises, réunis dans une Union des groupements d’employeurs de France ; on en trouve également dans plusieurs pays européens. Un centre de ressources européen des GE a vu le jour lors d’une convention européenne qui s’est tenue à Bruxelles en février 2008. France Joubert qui était le référent de cette première étape en a été élu président. En Auvergne, nous avons participé à une rencontre inhabituelle d’acteurs de la filière touristique invités par la Région Auvergne, de ses partenaires touristiques à l’intérieur et à l’extérieur de la région (notamment les partenaires de coopération décentralisée : Mali, Bosnie, Madagascar) et d’universitaires. L’objectif de la rencontre était de réfléchir aux conditions de mise en œuvre d’un tourisme responsable et notamment de l’ancrage territorial à assurer pour cela. Les participants ont été invités à produire avant la rencontre, des témoignages rassemblés dans un ouvrage à paraître à l’automne 2008 (Chronique sociale) sous la direction d’Alain Laurent, référent pour les Pactes locaux de cette étape auvergnate. 1 2 Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale www.adels.org Comme les conseils de quartier, les conseils de développement, les budgets participatifs... De plus, les actes de cette rencontre ont nourri un document d’orientation stratégique élaboré par le Ministère français des affaires étrangères en matière de tourisme solidaire présenté lors du forum international du tourisme solidaire à Bamako récemment. Au Luxembourg, nous avons découvert une organisation créée en 1997, qui permet de réinsérer des travailleurs marginalisés : Objectif Plein Emploi (OPE). Des activités d’intérêt social et local, reconnues prioritaires localement et correspondant à des gisements d’emplois potentiels sont identifiées par des Centres d’initiative de gestion (CIG), associations sans but lucratif créées le plus souvent au niveau communal, mais aussi régional et sectoriel. Les communes décident du niveau de financement qu’elles souhaitent apporter à la mise en œuvre de ces activités. Leur engagement financier déclenche de la part de l’Etat luxembourgeois un financement trois fois supérieur3. Chaque CIG est responsable des activités qu’il a définies et des moyens mobilisés à cet effet. Les CIG doivent en rendre compte à leurs partenaires. Un centre de ressources commun à l’ensemble des CIG permet d’accompagner la gestion et l’organisation des activités des CIG, leur promotion et la diversification de leurs activités. Les salariés qui mettent en œuvre ces activités4 bénéficient d’un contrat de travail de droit commun de deux ans au plus, d’un accompagnement social, professionnel et de formations qui permettent à une proportion importante d’entre eux de retrouver un emploi sur le marché du travail. L’expérience a fait ses preuves. Le centre de ressources dont l’un des responsables est Ben Goerens, référent de l’étape régionale luxembourgeoise des Pactes locaux, s’efforce avec les élus et les organisations syndicales qui soutiennent OPE de promouvoir un projet de loi « contribuant au rétablissement du plein emploi ». Dans ce projet de loi verrait le jour une « entreprise de l’économie solidaire » au Luxembourg : « l’association d’intérêt collectif » (AIC). C’est une « association » de partenaires responsables5 et « sans but lucratif » qui se livrent à la « production ou la fourniture de biens et de services d'intérêt collectif qui présentent un caractère d'utilité générale sans permettre l'enrichissement de ses associés ». L’AIC sera « cogérée » par des associés élus parmi des personnes de droit privé ou public cooptées et des salariés qui bénéficieront de privilèges et de protections spéciales. Pour sa définition, valeurs sociétales, économiques et environnementales se mêlent à des principes de développement local et durable, de cohésion sociale, de gouvernance, de bienêtre au travail, de formation tout au long de la vie et d'égalité des chances... Le droit du travail, les financements mixtes, la fiscalité, le mode d’agrément et le droit d'établissement doivent être examinés dans le contexte de ce nouveau statut juridique. OPE permet le maintien ou le retour à l’emploi, mais vise aussi la mise en place d’une autre économie centrée sur la solidarité. Elle n’est pas isolée. Le 4ème Forum Internationalglobalisation de la solidarité (LUX ’09) organisée au Luxembourg en avril 2009, en Pour l’ensemble des CIG, les ministères apportent 55% des ressources, les communes 22%, les marchés publics 13%, le bénévolat 4%, les recettes propres 4%, et les projets européens 2%. La volonté est de poursuivre la diversification des financements. 3 4 Il existe une trentaine de CIG locaux, régionaux ou sectoriels qui avec le centre de ressources emploient au total 750 salariés pour un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros. Parmi les 116 communes du Luxembourg, 52 sont actuellement partenaires d’OPE. Les activités portées par ces CIG sont variées : prêt de vélos, crèches et halte-garderies, initiation ou perfectionnement en informatique et en langues, services aux personnes, service d’environnement, travaux d’entretiens, entretien autoroutier, activité artistique, communication. Certaines de ces activités sont obtenues après appel d’offre. D’autres s’autolimitent pour ne pas empiéter sur l’activité des entreprises artisanales... 5 Le multi partenariat garantit une participation active de toutes les parties prenantes et contribue à une cohésion sociale renforcée. Il s'agit de s'associer pour entreprendre autrement, de transformer l'économie à partir d'engagements citoyens. (Jean-Louis Laville, " Du XIXème au XXIème siècle: permanence et transformations de l'économie solidaire », p.16) permettant la mise en réseau des expériences qui existent au Luxembourg et en Europe, va constituer un pas important vers une reconnaissance officielle de l’Economie solidaire et la définition d’un cadre légal au Luxembourg et ailleurs pour le développement d’une économie plus solidaire. Que nous apprennent ces trois étapes du point de vue de la participation démocratique et de l’ancrage territorial ? Les initiatives rencontrées se situent toutes les trois dans le champ de l’économie, mais à la marge de ce champ. Une marge où s’articulent des activités économiques, une organisation sociale reconnue officiellement, mais en même temps l’affirmation de valeurs qui s’opposent aux tendances actuelles dominantes du marché. Comment ont-elles pu émerger ? sur quels territoires ? avec quels atouts ? quelles limites comportent-elles ? de quels changements sont-elles annonciatrices ? L’émergence de ces initiatives s’effectue sous l’influence d’une posture assez inédite de l’un au moins des partenaires et son acceptation par les autres. - Dans le premier cas, une organisation syndicale sort de la relation binaire patronsalarié, caractéristique de ce qui se passe dans l’entreprise pour s’intéresser aux « gisements d’emplois » pouvant exister au sein d’entreprises implantées sur un même territoire et rechercher avec les employeurs potentiels une solution acceptable pour eux et pour les salariés. - Dans le second cas, un professionnel du tourisme prend l’initiative de convaincre une collectivité locale d’inviter un large échantillon des principaux partenaires du tourisme pour réfléchir aux conditions d’un « tourisme responsable » : la juxtaposition de ces professionnels, pouvoirs publics locaux et consommateurs amorce une méthode pour aller plus loin. - Enfin l’initiative d’un syndicat de salariés visant à promouvoir des activités d’utilité sociale locale en en confiant la mise en œuvre et la gestion à des associations sans but lucratif avec le soutien financier et coordonné de l’Etat et des communes met en évidence l’efficacité d’une solidarité active impliquant d’autres valeurs que le profit. Dans un monde marqué par la globalisation (y compris des solidarités), ces initiatives concrètes qui sont « parties prenantes du marché », s’inscrivent dans des territoires pertinents et mobilisent des ressources humaines disponibles pour « agir » localement : - Le « territoire de vie » (pays ou agglomération) pour l’identification d’emplois à pourvoir (emplois saisonniers, surcharge temporaire de carnet de commande) et l’organisation de groupements d’employeurs, « la région » pour créer le dispositif d’appui et de promotion que constitue le « centre de ressource ». - Le « territoire d’accueil » où maîtrise d’ouvrage publique, initiatives privées d’accueil et de produits, portées collectivement pour l’exercice d’un tourisme responsable (hébergement, approvisionnements, découverte). Un « territoire partenaire » impliqué dans une coopération durable (collectivité territoriale dont les parties prenantes sont engagées dans le partenariat). L’articulation de ces territoires avec les professionnels dont les vocations sont de promouvoir un tourisme responsable là où vivent les touristes, de les transporter, de garantir les conditions matérielles du déroulement des voyages mais aussi d’organiser les relations de découverte mutuelle et d’échange entre les touristes et leurs hôtes. Le tourisme fait donc apparaître, au-delà du besoin d’exotisme, un élément nouveau, la « solidarité inter territoriale », composante essentielle du co-développement. - La commune luxembourgeoise, également « territoire de vie » est le cadre de l’organisation d’activités adaptées aux besoins des habitants ; mais certaines activités peuvent aussi s’affranchir de ce cadre dès lors que le volume d’activité se répartit sur un territoire plus large ou que la technologie n’a que faire des limites administratives (vide-grenier permanent par internet pour des objets encombrants) Ces expériences peuvent aussi être interrogées sur leur capacité à « changer d’échelle » donc à peser davantage dans l’évolution de l’organisation de la société. - Le GE est un outil adapté à des situations existant dans toutes les régions françaises et plusieurs pays européens. On trouve dans ce contexte luxembourgeois un bon exemple de solution maîtrisée localement et pouvant en se fédérant à d’autres échelles (région, national, européen, international) peser de façon concrète sur les conditions du traitement économique ou social du chômage en combinant initiatives locales et politiques publiques. - Le tourisme est par nature une façon de changer d’échelle, puisqu’il conduit à sortir d’un territoire habité pour découvrir un autre territoire et ses habitants. A cet égard, il est lui-même une composante de la mondialisation, dans la mesure où il permet la mise en relation de personnes qui ne se rencontreraient pas autrement, et contribue modestement à une répartition de la richesse au niveau planétaire. Mais les acteurs et les ingrédients à rassembler pour l’organisation d’un tourisme responsable sont nombreux et leur articulation complexe. Si les initiatives locales ont besoin d’un contexte organisé dans lequel s’insérer donc de politiques publiques adaptées, elles restent le fer de lance du tourisme responsable. - Les services à la personne, organisés localement, dans l’intérêt combiné des usagers et des personnes rendant ces services, peuvent-ils à la fois entrer en concurrence avec la marchandisation de ces services par des initiatives industrielles et montrer la voie pour un fonctionnement plus solidaire des sociétés locales et nationales ? C’est à mon sens le pari tenté par OPE au Luxembourg. La mise en réseau d’expériences comparables à l’occasion de LUX09 devrait dégager une perspective d’action commune pour les années à venir au niveau européen et mondial. Enfin, quels enseignements nous apportent ces expériences régionales sur le « fonctionnement de la société et sur le rôle que chaque citoyen peut y jouer » ? Tout d’abord, on observe un constat partagé localement d’une situation inacceptable : - un chômage qui augmente, alors que des opportunités d’emploi ne sont pas exploitées, le sentiment que les relations traditionnelles dans l’entreprise doivent évoluer, un territoire qui ne met pas en valeur toutes ses ressources - indifférence, voyeurisme, folklore, inégalité dans le traitement des touristes et des migrants, occupation temporaire de territoires sans les faire profiter des retombées ni contribuer significativement à organiser les services dont ont besoin leurs habitants permanents - une société considérée comme riche au niveau européen (Luxembourg) génère aussi une exclusion sociale : accès au travail, mais aussi à la culture, aux soins, aux conditions de vie décente On constate ensuite que le refus de la résignation (« on y peut rien ») repose sur des personnes ou des organisations regroupées en collectifs et visant des objectifs précis6 : 6 C’est en cela que réside l’originalité des Pactes locaux - recenser les emplois potentiels et organiser les ressources disponibles pour pouvoir les satisfaire - mettre en relation les acteurs de la filière du tourisme pour examiner avec eux les conditions et la recevabilité d’une manière responsable de l’organiser du point de vue de toutes les parties prenantes (touristes, accueillants, opérateurs, transporteurs, hébergeurs) - imaginer les actions d’intérêt local et organiser leur solvabilité de manière à mobiliser des moyens financiers au service d’une démarche d’économie solidaire. Comment ces étapes régionales accréditent-elles un « fonctionnement de la société basé sur l’articulation de trois pouvoirs, politique, économique et culturel », qui tour à tour s’opposent, s’allient deux à deux ou reconnaissent leur rôle respectif dans une relation équilibrée7 ? Les initiatives rencontrées nous ont donné à voir des réponses locales qui allient « technique et sens », dans l’intérêt des partenaires impliqués. Elles n’ont certes pas la prétention d’apporter une réponse globale aux questions soulevées, mais elles montrent des alternatives respectueuses de valeurs pour remplacer les mécanismes actuels de gestion sociale du chômage, d’organisation d’un tourisme prédateur et la marchandisation de services à la personne. Elles ne prétendent pas non plus que les actions locales peuvent seules transformer le fonctionnement de la société : elles montrent seulement qu’en tenant compte de l’expérience acquise, des règles peuvent être trouvées pour orienter des politiques publiques et les rendre plus respectueuses des valeurs portées par l’humanité en permettant au marché de jouer le rôle qui est le sien : satisfaire les besoins de l’humanité. L’exercice d’une participation démocratique ancrée sur un territoire et davantage encore le changement d’échelle pour passer du local (proximité) au global (économie monde et avenir de l’humanité) ne nécessite-il pas l’articulation des pouvoirs économique politique et culturel dans le respect de valeurs universellement reconnues ? La mise en réseau opérationnelle des initiatives8 contribuant à l’économie sociale et solidaire sur un territoire étendu comme la région Ile de France, peut renforcer chaque action locale et l’impact de l’ensemble de ces actions dans la région. C’est un moyen pour que la Société civile en tant que Pouvoir culturel soit reconnue par les Pouvoirs Economique et Politique. Ces derniers doivent s’appuyer sur la Société civile et ce qu’elle met en œuvre pour parvenir à réduire le fossé qui sépare les exclus des besoins fondamentaux et les nantis dans une dynamique de solidarité active. Gérard Logié, le 9-11-2008 7 cf. Nicanor Perlas, « La société civile : le Troisième pouvoir, Changer la face de la mondialisation » chez Yves Michel Septembre 2003. 8 - Le pouvoir économique s’exprime par le marché et son rôle est de produire des biens et services pour satisfaire les besoins de l’humanité, - Le pouvoir politique est représenté par l’Etat et ses démembrements : son rôle est de faire naître et respecter des droits, de prévenir les dérapages (appropriation des biens publics...) au regard de l’intérêt général. - Le pouvoir culturel repose dans la société civile : il est constitué par l’ensemble des initiatives portées par elle (écologiques, spirituelles, sociales, culturelles, humaines) qui conditionnent un mieux être pour les humains dans le milieu où ils vivent aujourd’hui et là où ils vivront demain. Le pouvoir culturel a pour rôle de faire prévaloir ces valeurs auprès des autres pouvoirs. Cf. « la démocratie en réseau » le 17 novembre : http://www.democratie-en-reseaux.net/ et la journée de réflexion organisée par le collectif Travail & Démocratie le 22 novembre. Cf. aussi l’Idelif : initiative de dévelopemen local en Ile de France et les 11èmes rencontres de la démocratie locale de l’Adels à Ivry les 28 et 29 novembre