Le problème des définitions juridiques, politiques et philosophiques d’une « responsabilité de protéger » a fait l’objet au cours des
deux dernières décennies d’un regain d’attention parmi les questions de droit international et de respect des droits de l’homme. L’une
des sources de ce travail a été la promotion du thème de la « sécurité humaine ». Elle a proposé de déplacer les champs d’examen
et d’application des exceptions au principe d’interdiction du recours à la force, impliquées par la discussion des états de nécessité et
de sécurité collective, hors du cadre classique des relations de reconnaissance mutuelle entre États vers des actions centrées sur
des groupes ou des individus. Cette orientation a eu l’ambition de répondre à certaines transformations historiques des relations entre
États, ainsi qu’entre États, communauté internationale et divers acteurs transversaux, opérées dans les contextes de décolonisation
puis de dissolution des blocs formés par les pays socialistes. Instituant à la place de l’ancien différend au sujet de la liberté une
prédominance de litiges sur des situations d’urgence, l’idée de « sécurité humaine » a proposé de tracer de nouvelles frontières
juridiques et politiques entre tensions internes ou civiles relevant des souverainetés établies, et conflits armés justifiant d’une
protection internationale des droits humains. Elle a également opposé sur ce tracé les prérogatives des États territoriaux, les
équilibres en recomposition des puissances régionales et internationales, les volontés d’action des organisations humanitaires, le
projet global d’un ordre public international. La reprise en ce cadre, opérée par divers acteurs, du concept en réalité plus ancien de
« responsabilité de protéger », cherche pour sa part à corriger les limites inhérentes à l’idée d’urgence et à son caractère ultimement
indéterminable. Elle propose la discussion et la construction d’une objectivité du champ d’action du droit international humanitaire et
du respect des droits de l’homme, en l’examinant sur un triple plan d’action préventive, réactive et reconstructive. Cette orientation,
successivement défendue par la « Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États » (CIISE, décembre
2001), le « Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement » (Un monde plus sûr : notre affaire
à tous, décembre 2004), le secrétaire général de l’ONU (Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et droits de l’homme
pour tous, mars 2005), d’autres rapports et résolutions, puis précisée et limitée dans ses extensions par la résolution 1674 d’avril
2006 du Conseil de Sécurité, requiert un examen auquel invite particulièrement ce projet de dossier thématique de la revue Aspects
des réseaux de chercheurs du programme « Aspects de l’État de droit et démocratie » de l’Agence universitaire de la francophonie
(AUF).
La revue Aspects suggère de regrouper les contributions attendues à ce dossier thématique selon les trois modes d’interrogation
suivants du concept de « responsabilité de protéger » :
- Axe 1 : La « responsabilité de protéger » est-elle tributaire d’un concept de la vie ? Repose-t-elle sur une réinterprétation de
l’idée d’humanité opérée sous la détermination de normes vitales ? Si oui, comment ajuste-elle ces normes aux normes
juridiques ou politiques ? Avec l’aide de quels concepts, anciens ou inédits, la mise en avant des situations extrêmes et de leurs
victimes (génocides, catastrophes, épidémies, tortures, viols, enrôlement d’enfants soldats, etc.) peut-elle dégager une rationalité
capable de fonder de nouveaux acquis en matière de droit international et de définir le cadre et les critères d’une intervention
juste ? D’autre part, la définition de l’idée de vie impliquée à un titre ou à un autre par le concept de « responsabilité de
protéger » demeure-t-elle principalement sous la détermination d’une satisfaction des besoins requis pour la survie, ou est-elle
en mesure de rendre normatifs, et, si oui, à quelles conditions, certains impératifs plus étendus du vivant ? Enfin, les fonctions
juridiques, politiques et philosophiques confiées aujourd’hui aux droits de l’homme sont-elles appelées à évoluer sous l’effet des
promotions thématiques d’une vie à protéger saisie en deçà ou au-delà des droits individuels, ainsi que par l’éventuelle insertion
d’un droit à la vie au sein des normes impératives (jus cogens) ?
- Axe 2 : La « responsabilité de protéger » fait-elle émerger de nouveaux sujets de droit international ? Si oui, lesquels ? Dans
quelle mesure leur émergence procède-t-elle par modification des rôles traditionnellement reconnus aux États ? par
affaiblissement ou renforcement de la légitimité du Conseil de Sécurité à représenter la Communauté internationale ? par
implication d’organisations régionales ou d’acteurs transversaux ? Comment ces sujets se laissent-ils respectivement situer à
l’égard de la perception des risques d’atteinte à la paix et à la sécurité internationales, de l’invocation du principe de précaution,
de l’hypothèse du recours à la force, de l’évolution du droit positif ?
- Axe 3 : La « responsabilité de protéger » implique-t-elle de faire de la perspective de la paix et de la sécurité un vecteur privilégié
d’évolutions historiques au sein du monde contemporain ? Si oui, de quels impacts différents crédite-t-elle l’action d’urgence, les
décisions de plus longue portée, la construction d’une reconnaissance partagée de principes ultimes ? Plus fondamentalement,
comment tend-elle aujourd’hui à interférer avec la puissance d’histoire et d’actions historiques contenue dans le jeu des
violences, dans les conflits entre le droit et le fait, dans les tensions entre légalité et légitimité ? entre la légalité et la légitimité ?