
Sources : Datastream, FMI et Natixis, Patrick Artus, Jacques Mistral et Valérie Plagnol, « L'émergence de la Chine : impact
économique et implications de politique économique », rapport du CAF, juin 2011.
Document 4 : Dans la formidable partie de Monopoly industriel qui se joue, les multinationales
excellent dans l'art de jongler avec les écarts de salaires pour s'approvisionner au meilleur prix. Elles
passent d'une délocalisation à une autre, à la faveur d'une main-d’œuvre en apparence inépuisable,
cette fameuse "armée industrielle de réserve" du capital chère à Karl Marx.
(…) La Chine n'est plus un pays low cost. Il y a dix ans, le coût d'un ouvrier était de 150 à 200 euros
par mois. Aujourd'hui, il faut dépenser le double", raconte Margaux Fildier, responsable des achats de
Delta Plus, qui fabrique à Suzhou (80 kilomètres de Shanghai) des vêtements de sécurité. Dix ans
qu'elle parcourt la Chine !
Partout, c'est le même scénario. Sur les bords du Yangzi Jiang, dans le delta de la rivière des Perles,
dans la province du Guangdong, le ras-le-bol des ouvriers chinois se traduit par une inflation salariale
galopante. Après une vague de suicides, Foxconn, le sous-traitant d'Apple, a dû doubler les salaires
dans son usine de Shenzhen. A Foshan, les ouvriers d'un sous-traitant de Honda ont campé devant les
grilles de l'usine jusqu'à ce qu'ils obtiennent une revalorisation de leurs rémunérations de 30 %.
Parfait, mais les voilà trop chers par rapport même à leurs compatriotes.
Adidas a renoncé cet été à avoir ses propres usines en Chine pour aller coudre ses chaussures aux trois
bandes au Vietnam. Le salaire moyen d'un ouvrier à Hô Chi Minh-Ville faisait jeu égal en 2011 avec
celui pratiqué dans le delta de la rivière des Perles (Chine) il y a dix ans. (…) Qui dit mieux ? Les
Philippines, où le salaire minimal n'a progressé que de 5 % en dix ans ; la Birmanie, après des années
d'isolement ; la Bulgarie, avec un salaire moyen de 350 euros par mois, soit deux fois moins qu'en
Hongrie et trois fois moins qu'en Croatie. Le Bangladesh a vu débouler, ces dernières années, les
grandes enseignes du type H&M, Zara ou Uniqlo. (…)
Cruelle ironie de l'histoire. A l'heure où les multinationales quittent la Chine pour aller puiser en Asie
du Sud-Est une main-d’œuvre encore moins chère, les géants asiatiques, eux, viennent produire des
réfrigérateurs, des lave-vaisselle et des téléviseurs... dans la vieille Europe.
Après Samsung, LG a ouvert une usine d'électroménager en Pologne. Le groupe sud-coréen, qui
entend ainsi profiter d'une main-d’œuvre bon marché et formée autrefois par Philips, Bosch et
Siemens, espère devenir le n° 1 de l'électroménager d'ici à 2015.
Les Chinois, qui nourrissent de grandes ambitions sur le marché des téléviseurs, ne sont pas en reste.
TCL assemble déjà des télés en Pologne... dans une ancienne usine Thomson, tandis que le chinois
Changhong a choisi la République tchèque comme tête de pont pour lancer ses téléviseurs en Europe.
Enfin, Haier étudierait une implantation en Europe de l'Est pour y produire une partie de ses produits
électroménagers.
Objectif des marques asiatiques : la conquête du marché européen. De six semaines, les délais
d'approvisionnement passent ainsi à trois jours. De quoi satisfaire aux exigences de la grande
distribution occidentale.