La création d'entreprises, l’entrepreneuriat, le travail indépendant et les marchés de capitaux : Document de réflexion en vue du Séminaire sur les intersections de la diversité Meyer Burstein N.D.T. : Afin de faciliter la lecture du présent texte, nous avons employé le masculin comme genre neutre pour désigner aussi bien les femmes que les hommes. Le contexte À la lumière de la domination de plus en plus marquée des forces du marché et de la mondialisation économique, les décideurs, le milieu universitaire et les ONG se sont mis à voir d'un œil nouveau le secteur privé, l’exploitation commerciale et l’entrepreneuriat. Ils s’intéressent, d'une part, à la compétitivité et, d’autre part, à l'évolution des possibilités et des obstacles qu'engendre, pour divers groupes, la mondialisation. Quelle que soit la façon dont on perçoit cette transformation, il reste que les Canadiens sont plus en plus touchés par cette évolution de l’organisation des activités économiques. Au cours des vingt dernières années, le nombre de Canadiens ayant déclaré exploiter leur propre entreprise a doublé, nombre qui a augmenté à un taux annuel de plus de quatre p. cent au cours des années 90. Cette situation est tout à fait à l'opposé de celle du secteur de l'emploi rémunéré, qui a connu une lente progression. En 1997, le nombre de travailleurs indépendants avait atteint quelque deux millions et demi, ce qui signifie qu'un Canadien sur six s'adonnait à l'entrepreneuriat (voir Statistique Canada). Le travail indépendant a connu une croissance démesurée chez les nouveaux immigrants (auprès des minorités aussi bien visibles que non visibles), les groupes autochtones et les femmes, tout particulièrement auprès des jeunes travailleurs. L’écart croissant entre les gains des travailleurs nés à l’étranger et ceux des Canadiens de naissance – manifeste du début des années 80 au milieu des années 90 – ne s’est pas matérialisé parmi les travailleurs indépendants. La croissance du secteur du travail indépendant est-elle attribuable à un effet d'impulsion ou plutôt à un manque de débouchés dans le secteur de l'emploi rémunéré? Ou indique-t-elle un nouvel engouement pour l'entrepreneuriat? Probablement un peu des deux. Chose certaine, le secteur du travail indépendant semble offrir des possibilités intéressantes aux nouveaux immigrants et aux individus victimes de diverses formes d'exclusion sociale et économique. Le présent document découle en partie d'une table ronde organisée dans le cadre du projet Metropolis à Ottawa, le 25 octobre 2002. Il s'agit d'un document de réflexion en vue du Séminaire sur les intersections de la diversité qui cerne les principales problématiques liées aux domaines de l’entrepreneuriat et au travail 1 indépendant. Ce document propose par ailleurs des interventions adaptées aux secteurs privé et public et visant à promouvoir et à favoriser le travail indépendant au sein des groupes représentatifs de la diversité canadienne. Grandes problématiques Une des principales hypothèses qui sous-tendent le séminaire et ce document de travail est que certains groupes, dont les caractéristiques liées à la diversité s'entrecroisent, éprouvent des difficultés particulières et sont mal desservis par les politiques publiques actuelles. Deux solutions sont envisagées pour rectifier le tir. La première consiste à élaborer de nouvelles politiques publiques. Celles-ci sont jugées nécessaires en raison des effets cumulatifs des intersections qui caractérisent les groupes aux marqueurs d'identité multiples. C'est dire que le problème est plus grand que la somme de ses parties; c'est encore dire que la somme des problèmes individuels associés aux divers marqueurs d’identité est plus importante que lorsque ces problèmes sont pris un à un. Des politiques publiques isolées visant à traiter les problèmes séparément plutôt que de façon concertée ne suffisent donc pas. La seconde solution tient à une coordination horizontale des politiques publiques, de telle sorte qu'il incombe au gouvernement plutôt qu'aux individus de conjuguer les politiques publiques relevant de différentes sphères d’activités. Ici, la question clé est de savoir à quel niveau devrait s’opérer l’intégration des politiques publiques et s’il est raisonnable, voire même possible, d'attendre de personnes défavorisées qu'elles tirent efficacement parti de programmes disparates. Un certain nombre d'enjeux politiques « globaux » sont ainsi abordés dans le cadre de ce document de réflexion. Comment pourrions-nous mieux tirer parti du potentiel d'entrepreneuriat et ainsi procurer des avantages commerciaux au Canada? Les décideurs ont commencé à se demander si le programme d'immigration du Canada et la croissance des communautés ethniques ne pourraient pas mis au service de la promotion du commerce international et des relations commerciales. Par exemple, les décideurs se demandent : « Est-ce que le fait d'accueillir des immigrants en provenance de Hong Kong a augmenté la capacité du Canada de promouvoir le commerce avec la Chine? Le cas échéant, l’expérience est-elle renouvelable? » En général, les décideurs souhaitent savoir quelles combinaisons de politiques publiques nationales et étrangères permettraient au Canada de tirer profit des compétences, des connaissances conjoncturelles et des réseaux transnationaux de ses immigrants et de ses groupes ethniques, raciaux et religieux pour accroître sa pénétration des marchés étrangers et promouvoir ses objectifs en matière de politique étrangère. Un sujet connexe touche le potentiel d’exportation de biens culturels associés aux groupes d’origines diverses. Les biens culturels figurent parmi les exportations les plus rentables de l’économie américaine et la musique en est sans doute le meilleur exemple. La question qui se pose aux décideurs est de savoir si les « produits culturels hybrides » qui plaisent aux Canadiens feraient également le bonheur des 2 consommateurs à l’étranger et, si oui, comment favoriser leur exportation. Il semble bien qu’il existe un marché international pour les livres et les films aux accents des immigrants et des groupes d’origines diverses. L'économie de plus en plus fondée sur le savoir offre-t-elle suffisamment de possibilités de travail indépendant aux membres d'une société diversifiée? La mondialisation de l'économie et les progrès technologiques transforment actuellement le marché de l'emploi. Dans cette nouvelle économie fondée sur le savoir, les compétences et l'instruction revêtent une très grande importance. Cette économie est axée sur les mathématiques, la programmation et les technologies et il semblerait que cela offre des possibilités aux groupes d’origines diverses dont les qualifications ne sont pas reconnues par les employeurs, notamment ceux issus de sources d’immigration non traditionnelles (l’Asie en particulier) ou qui pourraient se heurter à des obstacles linguistiques et culturels dans des emplois traditionnels. La composition ethnique, religieuse et raciale des programmes en ingénierie, en sciences et en technologie dans les universités et collèges communautaires semble étayer cet argument, ainsi que le démarrage d’entreprises de haute technologie et la tendance croissante de ce genre d'entreprises à exporter des emplois. Pour les décideurs, il importe de déterminer s'il existe un potentiel important, non exploité et sous-utilisé parmi les groupes d’origines diverses au Canada et, le cas échéant, comment il pourrait être mis à profit. Quels sont les principaux obstacles au travail indépendant et à la création d'entreprises, et comment ces obstacles peuvent-ils être supprimés? Plusieurs des obstacles au travail indépendant et à la création d'entreprises sont les mêmes que ceux qu'identifient les recherches sur l'emploi rémunéré : nommons, entre autres obstacles, la reconnaissance des titres de compétences, les obstacles linguistiques et la discrimination évidente. D’autres obstacles sont liés à l’accès au capital, aux connaissances professionnelles spécialisées et aux réseaux d’entreprises. Compte tenu la croissance soutenue du travail indépendant, il est essentiel que les obstacles à l'entrepreneuriat, particulièrement ceux qui sont associés à différents marqueurs d'identité, soient éliminés. Cet état de fait est le corollaire du dossier de la reconnaissance des titres de compétences. Le défi, pour les décideurs, est encore de trouver le moyen d'intervenir efficacement dans un domaine qui relève fondamentalement du secteur privé. Intersections les plus pertinentes Même si presque tous les marqueurs d'identité s'avèrent importants pour cet aspect des politiques publiques, certaines intersections s'avèrent plus pertinentes que d'autres du fait de lacunes dans les politiques ou de l’absence de coordination entre celles-ci. Il importe d’établir des distinctions entre les intersections de marqueurs qui se transforment avec le temps (l’origine nationale, par exemple, qui peut être initialement très marquée puis s'estomper graduellement) et de marqueurs qui ne changent pas, 3 comme la race et le sexe. En outre, il est utile de faire la distinction entre les marqueurs externes comme le statut socio-économique et les marqueurs internes, comme la religion. Au cours de la table ronde et dans la documentation afférente, les intersections suivantes ont été désignées comme revêtant une importance particulière, étant donné que les populations en cause sont relativement importantes, que ces marqueurs touchent des questions clés en matière de politiques publiques et qu'elles ont déjà suscité l'intérêt des décideurs. La recherche et l'élaboration des politiques publiques devraient accorder une attention particulière aux effets de ces intersections et, plus spécialement, aux enjeux relatifs au travail indépendant et à la création d'entreprises. (i) Sexe, religion, ethnicité et statut de minorité visible (ii) Sexe et déficience (iii) Statut d’autochtone et sexe (iv) Déficience, ethnicité et race (v) Statut d’immigrant et ethnicité (vi) Immigration et région (vii) Langue officielle, race et ethnicité (viii) Jeunesse et ethnicité (ix) Âge, ethnicité et déficience (x) Éducation et autres marqueurs d’identité Perspectives de recherche Un examen des discussions et des publications de la table ronde révèle qu'il existe des lacunes dans la documentation portant sur l’entrepreneuriat et le travail indépendant au Canada. Notamment, la création d'entreprises, le contexte d'évolution du travail indépendant et les facteurs qui favorisent ou qui retardent la création d'entreprises ont été identifiés comme des questions qui exigent des recherches supplémentaires. Le manque de données et l'absence d'une définition adéquate du vocable travail indépendant compliquent la recherche. Les problèmes statistiques sont particulièrement saillants en ce qui a trait aux femmes, de sorte que celles-ci sont généralement exclues des recherches en dépit du fait que le travail indépendant fait une montée beaucoup plus rapide chez les femmes que chez les hommes. Des données plus complètes sont nécessaires. Une question de taille, qui mérite plus de recherche à tous les niveaux, consiste à déterminer si la croissance du travail indépendant est due à des entraves dans le marché du travail salarié et à une capacité d'accès réduite aux autres types de travail, ou si elle résulte plutôt de nouvelles occasions liées à 4 la restructuration économique. Peu d'études ont été consacrées à ce phénomène, et encore moins ont porté sur les groupes aux identités multiples. Finalement, il importe de déterminer s’il y a lieu d'élaborer de nouvelles politiques publiques pour tenir compte des interactions des marqueurs d'identité, ou si une meilleure coordination et une meilleure application des politiques par les organismes gouvernementaux ne permettrait pas de mieux traiter l'effet cumulatif d’identités croisées. Il faudrait encourager les chercheurs à publier sur l’existence mais aussi sur la non-existence et des intersections. Un certain nombre de sujets connexes qui méritent qu'on s'y attarde davantage sont énumérés ci-après. Recherches pour mieux comprendre le contexte institutionnel dans lequel l'entrepreneuriat et le travail indépendant se développent, et pour mieux préciser comment ce contexte influe sur la création d'entreprises. Bon nombre de documents d'information sur l'entrepreneuriat chez les immigrants et les personnes d’origines diverses voient cette activité à travers un prisme d'intégration sociale et économique, en « expliquant » l'entrepreneuriat sous l'angle de la spécialisation économique, d'obstacles discriminatoires et de capital social (du groupe en question). Récemment, ce domaine de recherche, fort d'études comparatives internationales, s'est ouvert à l'examen des caractéristiques structurelles nationales ainsi que du contexte institutionnel permettant l'entrepreneuriat. Le rôle des entreprises ethniques dans les enclaves de groupes minoritaires et la manière dont les facteurs institutionnels nationaux et locaux interviennent sont des questions particulièrement intéressantes. Une meilleure compréhension du contexte institutionnel – y compris de ses effets sur la formation du capital social et des obstacles d'ordre social et économique – permettrait aux décideurs d'être mieux outillés de manière à pouvoir intervenir à un niveau plus fondamental. Les réseaux d’entreprises, aussi bien ceux du courant dominant que ceux des groupes d’origines diverses, ainsi que les façons dont interagissent ces réseaux, méritent de faire l'objet de recherches plus poussées. Recherches portant sur les obstacles au travail indépendant auxquels se butent les individus aux marqueurs d'identité multiples. Très peu de recherches ont été menées sur les effets des marqueurs d’identité simples – comme la race, la religion ou le sexe – sur des questions telles l’accès au financement, l'expertise en affaires ou les réseaux d’entreprises. Dans le cadre des recherches sur les marqueurs d’identité simples, on devrait porter une attention particulière aux intersections identitaires et aux groupes présentant de multiples marqueurs d’identité. Les effets cumulatifs des marqueurs d'identité multiples qui caractérisent les groupes qui se butent à des obstacles tout aussi multiples s'avèrent donc un sujet de recherche dont les données seraient fort utiles. 5 Recherches visant à déterminer si les citoyens canadiens d'origines diverses possèdent les compétences et les connaissances leur permettant de pénétrer les marchés étrangers et d'élargir la zone d'influence du Canada. L'existence et le fonctionnement de réseaux transnationaux informels demeure un domaine sous-étudié. À ce jour, la plus grande partie du travail a été menée par les anthropologues, les géographes et les sociologues. Des recherches quantitatives et qualitatives approfondies, menées tout particulièrement par les historiens économiques, les économistes et les analystes financiers, s'avèrent nécessaires. De même, les écoles de commerce et les analystes de l’économie au Canada n'ont accordé pratiquement aucune attention à la recherche de marchés potentiels à l'étranger pour y lancer des produits culturels canadiens de type « hybride ». Pour que les politiques publiques uniques du Canada en matière de multiculturalisme et d'immigration soient mises à profit, il faut des recherches pour déterminer si la « voie canadienne » peut générer des dividendes économiques et sociaux, et comment le travail indépendant et l'esprit d'entreprise de personnes d'origines diverses pourraient aiguiller le développement du commerce international. Recherches sur les meilleures pratiques en matière de création d'entreprises par les membres de groupes minoritaires. Les analyses des interventions gouvernementales portent sur l'emploi rémunéré et sur l’efficacité des politiques publiques mises en place pour contrer les obstacles que rencontrent les chercheurs d'emploi. Très peu d'attention a été accordée aux mesures innovatrices des secteurs public et privé portant sur le travail indépendant et la création d'entreprises. Un grand nombre de ministères fédéraux et provinciaux ont des programmes qui, directement ou indirectement, ciblent le travail indépendant et l’entrepreneuriat; or, il reste beaucoup à faire pour cataloguer et évaluer les meilleures pratiques à ce niveau, tant à l'échelle nationale qu’internationale. Certaines mesures gouvernementales qui permettraient de stimuler le travail indépendant et l'entrepreneuriat Assurer un meilleur accès au financement. L'accès limité au financement est un problème pour toutes les petites entreprises, mais il est particulièrement gênant pour les membres de groupes d’origines diverses, surtout au moment de lancer leur entreprise. Des études réalisées au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis en font foi. Une étude importante réalisée récemment au Royaume-Uni conclut qu'il est plus difficile pour certaines personnes que pour d'autres d'obtenir du financement, selon le degré de leurs besoins du secteur bancaire pour obtenir le financement de leurs frais de lancement. Par exemple, les groupes issus des Indes orientales, qui dépendent moins des banques pour obtenir leurs frais de lancement, semblent moins touchés. On identifie une possible discrimination et des communications inadéquates entre le secteur bancaire et certains groupes particuliers comme quelques facteurs qui freinent l'entrepreneuriat. 6 L’étude recommande notamment que les banques mettent à profit « les meilleures pratiques des directeurs de succursales, qu'elles offrent à leur personnel des cours de sensibilisation aux différences culturelles et qu'elles prennent des mesures visant à accroître la diversité au sein de leur effectif à tous les niveaux » [traduction]. On propose en outre une plus grande transparence quant à l'évaluation des demandes de prêts, une amélioration des relations avec les intermédiaires (comme les comptables) et une plus grande sensibilisation des communautés aux diverses sources de financement. D’après les études américaines, une plus grande transparence dans les pratiques bancaires et de prêts permettrait l’obtention d’avantages significatifs. Elles font état de la croissance substantielle des prêts consentis à certains secteurs de la ville à faible revenu, suite aux comparaisons effectuées auprès de divers prêteurs. Certains des groupes d’origines diverses identifiés plus haut pourraient bénéficier d’une telle transparence – à condition que leur nombre soit assez élevé pour protéger la confidentialité des clients de la banque. Soutenir les organismes communautaires et les sociétés de développement communautaire. Les groupes et sociétés de développement communautaire venant en aide aux individus d’origines diverses qui lancent une entreprise devraient bénéficier d'un soutien public. Certains organismes du genre existent déjà en Amérique du Nord. Ils offrent aux groupes sous représentés des services de rayonnement et une assistance sur mesure au lancement d’une entreprise. Les Sociétés de financement des Autochtones et le programme de Sociétés d'aide au développement des collectivités d’Industrie Canada en sont deux parfaits exemples nationaux. Ils offrent tous deux de petits prêts et des services professionnels aux entreprises autochtones. D’autres stratégies communautaires pourraient mettre l'accent sur le développement de partenariats et de contacts avec les importants fournisseurs de service aux entreprises, ainsi que sur l’identification et l’exploitation des occasions d'affaires à l'échelle des groupes d’origines diverses. Le modèle communautaire pourrait aussi être élargi de manière à englober les « entreprises philanthropiques », modèle selon lequel les notions de capital de risque sont appliquées à des organismes sans but lucratif administrés par les groupes. De tels groupes pourraient même être formés « en ligne » et n’auraient pas besoin d’être installés au même endroit. Revoir le programme d’immigration pour mieux appuyer le développement des entreprises. Outre les programmes d’entrepreneuriat et de travail indépendant, les programmes de sélection et d’admission du Canada mettent l'accent sur le marché du travail et le travail salarié. Un examen systématique de la portée de la politique d’immigration canadienne et de la façon dont elle soutient des objectifs commerciaux et fonctionnels élargis, ainsi que les objectifs de développement régional et la création de petites entreprises, est également nécessaire. Une partie importante de cette étude examinerait comment les immigrants caractérisés par plusieurs marqueurs d’identité peuvent participer et contribuer à l’économie fondée sur le savoir et en faire bénéficier les diverses régions canadiennes. 7 Pour ce qui est des programmes d’immigration à l'intention des gens d’affaires, les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient s’allier afin de déterminer le meilleur moyen d’assurer le succès des gens d’affaires immigrants. Dans cette optique, les programmes d’établissement des immigrants au Canada, dont le rôle principal est de faciliter l’admission des travailleurs salariés, pourraient étendre leur portée au travail indépendant et à la création d'entreprises. Le soutien public est nécessaire pour créer et développer des réseaux d’entreprises au sein des groupes d’origines diverses, de la même façon que le font présentement les organismes publics qui offrent leur soutien aux individus d'origines diverses en vue d'obtenir des emplois profitables. Adapter, élargir et intégrer les programmes actuels de travail indépendant pour répondre aux besoins des groupes d’origines diverses et pour faciliter l’accès à ces programmes et la prestation de services par la création de portails. La plupart des programmes d’aide aux entreprises et des programmes d’aide technique ont une forte orientation régionale. Les programmes de développement d’entreprises autochtones constituent toutefois une exception notable à cette règle, en ce qu'ils mettent l'accent sur les caractéristiques individuelles des utilisateurs. Ces programmes constituent donc un modèle intéressant et éprouvé pour la promotion du travail indépendant et de l’entrepreneuriat au sein des groupes d’origines diverses. Une telle approche marquerait un changement significatif de « philosophie » dans les ministères fédéraux tels Industrie Canada et Développement des ressources humaines Canada (DRHC), qui adhèrent aux modèles universels de prestation de services plutôt qu’aux modèles fondés sur les caractéristiques individuelles des utilisateurs. Un certain nombre de programmes fédéraux actuels pourrait être adapté aux besoins des groupes d’origines diverses. Par exemple, le Programme d'aide au travail indépendant de Développement des ressources humaines Canada, tout comme, éventuellement, le Programme de partenariat local du marché du travail (qui comprend les organismes des employeurs et ceux de la communauté) et le Fonds canadien pour l'emploi (qui encourage le partenariat entre les gouvernements et les organismes professionnels et communautaires) pourraient cibler les groupes d’origines diverses aux prises avec un taux élevé de chômage. Des demandes comparables pourraient être faites auprès de la Banque de développement du Canada (BDC), d’Industrie Canada et du Groupe-conseil de la BDC, qui offrent une aide au perfectionnement en gestion et en acquisition de compétences, notamment un appui à l'expansion des exportations. En outre, les services aux entreprises offerts aux groupes d’origines diverses pourraient prendre comme modèle les programmes d'entreprises autochtones. Ces programmes fournissent une aide spécialisée : nommons, à titre d'exemples, les profils de communautés autochtones, les répertoires d’entreprises autochtones, les services de counseling, les services aux entreprises en ligne, les répertoires commerciaux 8 et d’exportation, l'accès aux réseaux d’information sur le travail et les jeunes, de même que les analyses de marché. L'importante structure interministérielle, qui assure la coordination de l'élaboration des politiques publiques et de la prestation des programmes, constitue une composante clé des programmes de développement d'entreprises autochtones. Cette structure englobe des partenariats avec les provinces, les villes, le secteur privé et les ONG. Plutôt que de créer de nouvelles structures horizontales pour chaque groupe d’origines diverses – une impossibilité au plan pratique –, il faudrait se concentrer sur la création de portails qui faciliteraient la navigation et qui permettraient aux groupes d’origines diverses d'accéder plus facilement à la gamme croissante de services gouvernementaux à l'appui du travail indépendant et de la création d'entreprises. En outre, il conviendrait de cibler la publicité sur les services gouvernementaux aux entreprises, et d'offrir certains de ces services en d’autres langues que l’anglais et le français. Cette dernière initiative pourrait se faire avec la participation de fédérations d'entreprises ethniques, étant donné que la recherche révèle que les membres des groupes d’origines diverses ne sont pas toujours au courant de l’existence des services offerts aux entreprises. Des intermédiaires tels les ONG pourraient jouer un rôle clé dans la transmission d’une telle information. Encourager le travail indépendant et la création d'entreprise par le biais d'incitatifs fiscaux et financiers. Une aide financière sous forme de subventions, de prêts ou d'avantages fiscaux pourrait être destinée à des groupes d'origines diverses ou offerte par l'entremise de sociétés de développement. Par ailleurs, des avantages fiscaux ou des subventions pourraient être accordés aux établissements d'enseignement qui cibleraient des groupes d’origines diverses. Rendre plus accessibles les cours de langues. Sans une connaissance adéquate de la langue, les travailleurs indépendants et les entrepreneurs – généralement des immigrants – se voient confinés à des enclaves ethniques, religieuses ou raciales. Une meilleure connaissance de la langue, surtout si elle est axée sur les besoins des gens d'affaires, permettrait à ces derniers d'avoir accès à une gamme plus vaste de fournisseurs et de possibilités, ainsi qu'à un marché plus large, pour vendre leurs compétences ou leurs produits. Comme bon nombre de petites entreprises emploient plusieurs membres d'une même famille – qui ne sont pas tous rémunérés – la formation ne devrait pas être offerte uniquement au principal salarié. Investir dans la formation sur les relations interraciales et sur l'antidiscrimination. Les travailleurs indépendants d'origine autochtone ou membres de minorités ethniques, raciales ou religieuses sont victimes de discrimination dirigée contre leurs entreprises et leurs activités 9 professionnelles, de la même manière que le sont les salariés. Des programmes de sensibilisation à la discrimination dans les affaires pourraient être offerts dans les écoles ainsi qu’aux associations de gens d'affaires, de prêteurs et de consommateurs, afin d’enrayer ce genre de discrimination. Créer des programmes d’impartition réservée et fournir une aide à la passation de contrats aux groupes d’origines diverses. Des programmes d'impartition réservée supposeraient l'attribution d'une proportion établie des marchés publics (dans certains domaines) à des groupes et personnes caractérisés par des marqueurs d'identité différents. Une formule moins contraignante obligerait les entrepreneurs qui font affaire avec le gouvernement à lancer des appels d'offres auprès de groupes particuliers pour une proportion des marchés fédéraux (et d'autres paliers de gouvernement). D'autres mesures plus souples pourraient inclure des avis et une aide aux entreprises et personnes de groupes d’origines diverses sur la façon de répondre à des appels d'offres du gouvernement, ainsi qu'une plus grande sensibilisation à la réalité des entreprises d'origines diverses chez les fournisseurs du gouvernement. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada pourrait jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Modifier la législation canadienne sur le travail. La législation canadienne sur le travail a pris du retard par rapport au développement important que connaît le secteur du travail indépendant. Selon une étude récente commandée par Condition féminine Canada et intitulée Les femmes et le travail à domicile : le cadre législatif canadien, « [c]ertaines lois, que ce soit explicitement, par omission ou par interprétation, excluent partiellement ou complètement de leur champ d’application le domicile comme lieu de travail ainsi que les travailleuses et travailleurs à domicile. » On ajoute que les décideurs doivent « se pencher sur les nouvelles réalités du travail à domicile en adoptant des normes claires qui protègent mieux les travailleuses et les travailleurs et qui leur permettent, ainsi qu’aux employeurs, de mieux comprendre leurs droits et leurs obligations ». Bien que cette étude traite du travail à domicile par opposition au travail indépendant, il est clair qu’une protection juridique plus musclée fournirait un avantage de taille aux groupes d’origines diverses (en vertu de leur surreprésentation) et les stimulerait à privilégier le travail indépendant. Conclusion La montée du travail indépendant qui survient dans le sillon de la mondialisation économique, ainsi que le fait que les groupes d’origines diverses semblent rapidement s’adapter à la vie au Canada et sont plus enclins à exploiter les possibilités de travail indépendant, suggèrent que les décideurs et les intervenants devront accorder une plus grande importance au phénomène de l’entrepreneuriat et à ses conséquences. La tâche est d’autant plus urgente que ce domaine de recherche doit faire l'objet d'études plus poussées. 10