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La création d'entreprises, l’entrepreneuriat, le travail indépendant et les marchés de capitaux :
Document de réflexion en vue du Séminaire sur les intersections de la diversité
Meyer Burstein
N.D.T. : Afin de faciliter la lecture du présent texte, nous avons employé le masculin
comme genre neutre pour désigner aussi bien les femmes que les hommes.
Le contexte
À la lumière de la domination de plus en plus marquée des forces du marché et de la mondialisation
économique, les décideurs, le milieu universitaire et les ONG se sont mis à voir d'un œil nouveau le
secteur privé, l’exploitation commerciale et l’entrepreneuriat. Ils s’intéressent, d'une part, à la compétitivité
et, d’autre part, à l'évolution des possibilités et des obstacles qu'engendre, pour divers groupes, la
mondialisation. Quelle que soit la façon dont on perçoit cette transformation, il reste que les Canadiens
sont plus en plus touchés par cette évolution de l’organisation des activités économiques.
Au cours des vingt dernières années, le nombre de Canadiens ayant déclaré exploiter leur propre
entreprise a doublé, nombre qui a augmenté à un taux annuel de plus de quatre p. cent au cours des
années 90. Cette situation est tout à fait à l'opposé de celle du secteur de l'emploi rémunéré, qui a connu
une lente progression. En 1997, le nombre de travailleurs indépendants avait atteint quelque deux millions
et demi, ce qui signifie qu'un Canadien sur six s'adonnait à l'entrepreneuriat (voir Statistique Canada).
Le travail indépendant a connu une croissance démesurée chez les nouveaux immigrants (auprès des
minorités aussi bien visibles que non visibles), les groupes autochtones et les femmes, tout
particulièrement auprès des jeunes travailleurs. L’écart croissant entre les gains des travailleurs nés à
l’étranger et ceux des Canadiens de naissance – manifeste du début des années 80 au milieu des
années 90 ne s’est pas matérialisé parmi les travailleurs indépendants.
La croissance du secteur du travail indépendant est-elle attribuable à un effet d'impulsion ou plutôt à un
manque de débouchés dans le secteur de l'emploi rémunéré? Ou indique-t-elle un nouvel engouement
pour l'entrepreneuriat? Probablement un peu des deux. Chose certaine, le secteur du travail indépendant
semble offrir des possibilités intéressantes aux nouveaux immigrants et aux individus victimes de diverses
formes d'exclusion sociale et économique.
Le présent document découle en partie d'une table ronde organisée dans le cadre du projet Metropolis à
Ottawa, le 25 octobre 2002. Il s'agit d'un document de réflexion en vue du Séminaire sur les intersections
de la diversité qui cerne les principales problématiques liées aux domaines de l’entrepreneuriat et au travail
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indépendant. Ce document propose par ailleurs des interventions adaptées aux secteurs privé et public et
visant à promouvoir et à favoriser le travail indépendant au sein des groupes représentatifs de la diversité
canadienne.
Grandes problématiques
Une des principales hypothèses qui sous-tendent le séminaire et ce document de travail est que certains
groupes, dont les caractéristiques liées à la diversité s'entrecroisent, éprouvent des difficultés particulières
et sont mal desservis par les politiques publiques actuelles. Deux solutions sont envisagées pour rectifier le
tir. La première consiste à élaborer de nouvelles politiques publiques. Celles-ci sont jugées nécessaires en
raison des effets cumulatifs des intersections qui caractérisent les groupes aux marqueurs d'identité
multiples. C'est dire que le problème est plus grand que la somme de ses parties; c'est encore dire que la
somme des problèmes individuels associés aux divers marqueurs d’identité est plus importante que
lorsque ces problèmes sont pris un à un. Des politiques publiques isolées visant à traiter les problèmes
séparément plutôt que de façon concertée ne suffisent donc pas. La seconde solution tient à une
coordination horizontale des politiques publiques, de telle sorte qu'il incombe au gouvernement plutôt
qu'aux individus de conjuguer les politiques publiques relevant de différentes sphères d’activités. Ici, la
question clé est de savoir à quel niveau devrait s’opérer l’intégration des politiques publiques et s’il est
raisonnable, voire même possible, d'attendre de personnes défavorisées qu'elles tirent efficacement parti
de programmes disparates. Un certain nombre d'enjeux politiques « globaux » sont ainsi abordés dans le
cadre de ce document de réflexion.
Comment pourrions-nous mieux tirer parti du potentiel d'entrepreneuriat et ainsi procurer des
avantages commerciaux au Canada?
Les décideurs ont commencé à se demander si le programme d'immigration du Canada et la croissance
des communautés ethniques ne pourraient pas mis au service de la promotion du commerce international
et des relations commerciales. Par exemple, les décideurs se demandent : « Est-ce que le fait d'accueillir
des immigrants en provenance de Hong Kong a augmenté la capacité du Canada de promouvoir le
commerce avec la Chine? Le cas échéant, l’expérience est-elle renouvelable? » En général, les décideurs
souhaitent savoir quelles combinaisons de politiques publiques nationales et étrangères permettraient au
Canada de tirer profit des compétences, des connaissances conjoncturelles et des réseaux transnationaux
de ses immigrants et de ses groupes ethniques, raciaux et religieux pour accroître sa pénétration des
marchés étrangers et promouvoir ses objectifs en matière de politique étrangère.
Un sujet connexe touche le potentiel d’exportation de biens culturels associés aux groupes d’origines
diverses. Les biens culturels figurent parmi les exportations les plus rentables de l’économie américaine et
la musique en est sans doute le meilleur exemple. La question qui se pose aux décideurs est de savoir si
les « produits culturels hybrides » qui plaisent aux Canadiens feraient également le bonheur des
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consommateurs à l’étranger et, si oui, comment favoriser leur exportation. Il semble bien qu’il existe un
marché international pour les livres et les films aux accents des immigrants et des groupes d’origines
diverses.
L'économie de plus en plus fondée sur le savoir offre-t-elle suffisamment de possibilités de travail
indépendant aux membres d'une société diversifiée?
La mondialisation de l'économie et les progrès technologiques transforment actuellement le marché de
l'emploi. Dans cette nouvelle économie fondée sur le savoir, les compétences et l'instruction revêtent une
très grande importance. Cette économie est axée sur les mathématiques, la programmation et les
technologies et il semblerait que cela offre des possibilités aux groupes d’origines diverses dont les
qualifications ne sont pas reconnues par les employeurs, notamment ceux issus de sources d’immigration
non traditionnelles (l’Asie en particulier) ou qui pourraient se heurter à des obstacles linguistiques et
culturels dans des emplois traditionnels. La composition ethnique, religieuse et raciale des programmes en
ingénierie, en sciences et en technologie dans les universités et collèges communautaires semble étayer
cet argument, ainsi que le démarrage d’entreprises de haute technologie et la tendance croissante de ce
genre d'entreprises à exporter des emplois. Pour les décideurs, il importe de déterminer s'il existe un
potentiel important, non exploité et sous-utilisé parmi les groupes d’origines diverses au Canada et, le cas
échéant, comment il pourrait être mis à profit.
Quels sont les principaux obstacles au travail indépendant et à la création d'entreprises, et
comment ces obstacles peuvent-ils être supprimés?
Plusieurs des obstacles au travail indépendant et à la création d'entreprises sont les mêmes que ceux
qu'identifient les recherches sur l'emploi rémunéré : nommons, entre autres obstacles, la reconnaissance
des titres de compétences, les obstacles linguistiques et la discrimination évidente. D’autres obstacles sont
liés à l’accès au capital, aux connaissances professionnelles spécialisées et aux réseaux d’entreprises.
Compte tenu la croissance soutenue du travail indépendant, il est essentiel que les obstacles à
l'entrepreneuriat, particulièrement ceux qui sont associés à différents marqueurs d'identité, soient éliminés.
Cet état de fait est le corollaire du dossier de la reconnaissance des titres de compétences. Le défi, pour
les décideurs, est encore de trouver le moyen d'intervenir efficacement dans un domaine qui relève
fondamentalement du secteur privé.
Intersections les plus pertinentes
Même si presque tous les marqueurs d'identité s'avèrent importants pour cet aspect des politiques
publiques, certaines intersections s'avèrent plus pertinentes que d'autres du fait de lacunes dans les
politiques ou de l’absence de coordination entre celles-ci. Il importe d’établir des distinctions entre les
intersections de marqueurs qui se transforment avec le temps (l’origine nationale, par exemple, qui peut
être initialement très marquée puis s'estomper graduellement) et de marqueurs qui ne changent pas,
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comme la race et le sexe. En outre, il est utile de faire la distinction entre les marqueurs externes comme le
statut socio-économique et les marqueurs internes, comme la religion.
Au cours de la table ronde et dans la documentation afférente, les intersections suivantes ont été
désignées comme revêtant une importance particulière, étant donné que les populations en cause sont
relativement importantes, que ces marqueurs touchent des questions clés en matière de politiques
publiques et qu'elles ont déjà suscité l'intérêt des décideurs. La recherche et l'élaboration des politiques
publiques devraient accorder une attention particulière aux effets de ces intersections et, plus
spécialement, aux enjeux relatifs au travail indépendant et à la création d'entreprises.
(i) Sexe, religion, ethnicité et statut de minorité visible
(ii) Sexe et déficience
(iii) Statut d’autochtone et sexe
(iv) Déficience, ethnicité et race
(v) Statut d’immigrant et ethnicité
(vi) Immigration et région
(vii) Langue officielle, race et ethnicité
(viii) Jeunesse et ethnici
(ix) Âge, ethnicité et déficience
(x) Éducation et autres marqueurs d’identité
Perspectives de recherche
Un examen des discussions et des publications de la table ronde révèle qu'il existe des lacunes dans la
documentation portant sur l’entrepreneuriat et le travail indépendant au Canada. Notamment, la création
d'entreprises, le contexte d'évolution du travail indépendant et les facteurs qui favorisent ou qui retardent la
création d'entreprises ont été identifiés comme des questions qui exigent des recherches supplémentaires.
Le manque de données et l'absence d'une définition adéquate du vocable travail indépendant compliquent
la recherche. Les problèmes statistiques sont particulièrement saillants en ce qui a trait aux femmes, de
sorte que celles-ci sont généralement exclues des recherches en dépit du fait que le travail indépendant fait
une montée beaucoup plus rapide chez les femmes que chez les hommes. Des données plus complètes
sont nécessaires.
Une question de taille, qui mérite plus de recherche à tous les niveaux, consiste à déterminer si la
croissance du travail indépendant est due à des entraves dans le marché du travail salarié et à une
capacité d'accès réduite aux autres types de travail, ou si elle résulte plutôt de nouvelles occasions liées à
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la restructuration économique. Peu d'études ont été consacrées à ce phénomène, et encore moins ont
porté sur les groupes aux identités multiples.
Finalement, il importe de déterminer s’il y a lieu d'élaborer de nouvelles politiques publiques pour tenir
compte des interactions des marqueurs d'identité, ou si une meilleure coordination et une meilleure
application des politiques par les organismes gouvernementaux ne permettrait pas de mieux traiter l'effet
cumulatif d’identités croisées. Il faudrait encourager les chercheurs à publier sur l’existence mais aussi sur
la non-existence et des intersections. Un certain nombre de sujets connexes qui méritent qu'on s'y attarde
davantage sont énumérés ci-après.
Recherches pour mieux comprendre le contexte institutionnel dans lequel l'entrepreneuriat et le
travail indépendant se développent, et pour mieux préciser comment ce contexte influe sur la
création d'entreprises.
Bon nombre de documents d'information sur l'entrepreneuriat chez les immigrants et les personnes
d’origines diverses voient cette activité à travers un prisme d'intégration sociale et économique, en
« expliquant » l'entrepreneuriat sous l'angle de la spécialisation économique, d'obstacles discriminatoires et
de capital social (du groupe en question). Récemment, ce domaine de recherche, fort d'études
comparatives internationales, s'est ouvert à l'examen des caractéristiques structurelles nationales ainsi que
du contexte institutionnel permettant l'entrepreneuriat. Le rôle des entreprises ethniques dans les enclaves
de groupes minoritaires et la manière dont les facteurs institutionnels nationaux et locaux interviennent sont
des questions particulièrement intéressantes. Une meilleure compréhension du contexte institutionnel y
compris de ses effets sur la formation du capital social et des obstacles d'ordre social et économique
permettrait aux décideurs d'être mieux outillés de manière à pouvoir intervenir à un niveau plus
fondamental. Les réseaux d’entreprises, aussi bien ceux du courant dominant que ceux des groupes
d’origines diverses, ainsi que les façons dont interagissent ces réseaux, méritent de faire l'objet de
recherches plus poussées.
Recherches portant sur les obstacles au travail indépendant auxquels se butent les individus aux
marqueurs d'identité multiples.
Très peu de recherches ont été menées sur les effets des marqueurs d’identité simples comme la race, la
religion ou le sexe sur des questions telles l’accès au financement, l'expertise en affaires ou les réseaux
d’entreprises. Dans le cadre des recherches sur les marqueurs d’identité simples, on devrait porter une
attention particulière aux intersections identitaires et aux groupes présentant de multiples marqueurs
d’identité. Les effets cumulatifs des marqueurs d'identité multiples qui caractérisent les groupes qui se
butent à des obstacles tout aussi multiples s'avèrent donc un sujet de recherche dont les données seraient
fort utiles.
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