Le Japon Introduction Seconde puissance économique mondiale, pays industrialisé influent au sein du G8 et premier bailleur de fonds de l’aide internationale, le Japon s’est forgé la stature d’une puissance civile de premier plan. Si les observateurs ont longtemps opposé à cette puissance économique incontestable, bien qu’aujourd’hui en crise, l’image d’un « nain politique », le pays tend cependant à mener une action plus autonome dans le nouveau cadre international et revendique notamment la détention d’un siège permanent au Conseil de Sécurité. I] La puissance économique du Japon est réelle, mais souffre cependant d’une crise de son modèle A] Le Japon s’est imposé comme une puissance commerciale et financière de premier rang Le Japon est la troisième puissance commerciale du monde Par ailleurs, il est toujours au premier ou au second rang des pays qui assument des programmes d'assistance (financière, technique....) envers les pays pauvres et par l'ampleur de ses investissements à l'étranger. 1] Puissance commerciale Le Japon possède le premier excédent commercial mondial. Il exporte des produits manufacturés à hauteur de 9% des exportations mondiales. Les Etats-Unis sont le premier fournisseur et le premier client du Japon. Leurs relations sont dominées par le problème du déséquilibre de la balance des paiements : accords Oba-Sprinkel en 1984 (libéralisation interne et externe des marchés financiers japonais), accords du Plaza en septembre 1985 (visaient à obtenir une baisse du dollar par rapport à l’ensemble des monnaies européennes et surtout par rapport au yen), élimination des tarifs douaniers dans le cadre du Kennedy Round, ou encore négociations sur les obstacles structurels aux échanges (Structural Impediments Initiatives, SII), qui se déroulèrent, de 1990 à 1993 dans un climat de « japonophobie » aux Etats-Unis lié aux acquisitions japonaises très médiatisées comme ceux de Columbia Pictures par Sony et de 51% du Rockfeller Center par Mitsubishi Estate. 2] Puissance financière Compte tenu du gonflement régulier de l'excédent commercial depuis 1965 (sauf lors du premier choc pétrolier), le Japon dispose d'une considérable puissance financière, que la hausse du yen au milieu des années 1980 n'a fait qu'amplifier: les investissements japonais à l'étranger, cumulés de 1951 à 1990, atteignaient 310.8 milliards de dollars, dont 42 % aux États-Unis, 19 % en Europe et 15 % en Asie. Au seuil des années 1990, le Japon était le premier investisseur mondial en termes de flux annuels d'investissement. B] La « décennie perdue » (1990-2000) de l’économie japonaise a révélé les limites du modèle Au cours des années 1990, la croissance de l’économie japonaise a été la plus faible parmi les pays avancés, en dépit d'un effort considérable visant à soutenir la conjoncture à travers des plans de relance budgétaire. 1] Les excès liés à la bulle Le commencement de la dérégulation nécessaire des marchés financiers, joint à l’absence de vigilance de la Banque du Japon, a laissé se développer des spéculations qui portèrent, le 31 décembre 1989, la capitalisation totale des marchés boursiers à 42% du total mondial. Pendant la bulle, presque 50% des profits des banques provenaient des gains à la Bourse et non pas de leurs activités bancaires. Les imprudences de l’ensemble des acteurs économiques japonais ont révélé les dysfonctionnements du modèle de développement à travers de multiples excès : surinvestissements industriel et immobilier, folie boursière, consommation effrénée, qui débouchèrent sur un gigantesque surendettement auprès d’établissements financiers qui virent s’accroître leurs créances douteuses. L’éclatement de la bulle en janvier 1990 fragilisa les banques. Les faillites commencèrent en 1994 avec celle de la Tokyo Kyowa Credit Cooperation, suivie de celle de Cosmo Credit, la plus grande coopérative de crédit de Tokyo. 2] L’inadaptation du modèle japonais au nouvel environnement international Le choc de la mondialisation a révélé les limites du développement de l’économie japonaise : - Epuisement de « l’économie de marché à la japonaise », fortement liée à l’administration japonaise à travers les relations Etat–Entreprises et combinant réflexe du « convoi » (aucun acteur économique, salarié ou entreprise, ne doit être laissé de côté), modèle de concurrence oligopolistique et stratégies imitatives. - Epuisement du « modèle de gestion des entreprises à la japonaise », qui remet en cause le système des participations croisées ainsi que le système d’emploi et même le système éducatif en vigueur au Japon. II] Longtemps qualifié de nain politique, le Japon veut aujourd’hui redéfinir sa place dans le nouveau cadre international A] La politique extérieure japonaise d’après-guerre s’inscrit dans un cadre spécifique 1] Les conséquences de la défaite La capitulation sans condition est signée sur le Missouri en rade de Tokyo le 2 septembre 1945. La déclaration de Potsdam annonce que le Japon sera privé de toute force militaire et dépouillé de son Empire. La Constitution de 1947 intègre la renonciation à la guerre du pays (article 9). 4 principes : - une posture exclusivement défensive - le refus de s'affirmer comme puissance militaire - l'adoption des 3 principes non nucléaires - le maintien d'un contrôle civil sur l'outil militaire. 2] La relation avec les Etats-Unis L'ancrage dans l'alliance américaine est le fondement même de l'ère de l'après-guerre: traité de sécurité de 1959, parapluie nucléaire américain qui s'accompagne d'une politique de maintien des bases américaines dans l'Archipel, soutien réciproque sans participation militaire japonaise, mais avec un engagement industriel ou financier de plus en plus important dans tous les combats menés par les Etats-Unis en Asie et même au Proche-Orient. Avec près de 14 milliards de dollars, le Japon a été le principal financier de l'engagement allié contre l'Irak en 1990-91. En 1997, l'adoption des nouvelles orientations de sécurité (Guidelines) revitalise cette alliance en permettant au japon de renforcer le volet militaire de sa politique de sécurité. B] Le Japon s’est progressivement engagé dans une politique de sécurité plus autonome Avec la mise en avant du concept de « sécurité globale » (du fait de la mondialisation, la sécurité du Japon dépend désormais de la stabilité mondiale), le budget de la défense connaît une augmentation résolue à partir de 1981 (en 1995, le budget militaire japonais passait au 3ème rang mondial et atteignait le cinquième du budget américain). 1] l’Asie Demande de publication de livres blancs sur la défense aux pays de la région, multiplication des conférences sur la sécurité réunissant experts et responsables politiques, échanges d'officiers, ... Le Japon participe par ailleurs activement au Forum régional de l'ASEAN (les FRA, depuis 1994) qui réunit chaque années presque tous les pays d'Asie Pacifique pour discuter des questions de sécurité régionale. Principaux enjeux : - Menace militaire nord-coréenne perçue comme réelle dans la mesure où Pyongyang s'est doté de capacités balistiques à portée intermédiaire pouvant être couplée avec des armes de destruction massive, chimiques ou nucléaire. - Chine, qui inquiète non pas tant par son potentiel militaire actuel, très vétuste selon les critères des pays en développement, mais plutôt en raison de la puissance qui lui permettra son développement économique. La revendication chinoise de souveraineté sur la plus grande partie de la mer de Chine méridionale et son effort soutenu pour disposer d'une capacité de projection de puissance aéronavale pourrait faire peser une menace réelle sur les voies de communication maritimes de l'archipel. Cf. : conflit territorial avec la Chine au sujet des îles Senkaku. - Russie: débat sur les îles Kouriles 2] Participation à des opérations de maintien de la paix sous l’égide des Nations unies Conscient de l'effet désastreux qu'avait produit sa participation uniquement financière à la guerre du Golfe, le Japon a par la suite adopté une loi sur les opérations de maintien de la paix, la loi PKO - Peace Keeping Operations du 15 juin 1992, qui dispose que des éléments des Forces d'autodéfense pourront participer à des opérations de maintien de la paix dans le cadre des dispositions constitutionnelles japonaises. La participation japonaise est limitée aux activités logistiques, administratives ou humanitaires, à l'exclusion de toute opération militaire. Dans un premier temps, ceci a permis l'envoi de Forces d'autodéfense au Cambodge, au Mozambique et à la frontière du Rwanda dans le cadre d'opérations de soutien logistique et humanitaire. La révision de cette loi était prévue en juin 1995 mais le premier ministre Murayama Tomiichi a obtenu que le débat ne soit pas ouvert, acceptant en échange que les Forces d'autodéfense participent pour la première fois à une mission "militaire" de maintien de la paix, sur le plateau du Golan à partir de février 1996. Cette politique volontariste défendue par le ministère des Affaires extérieures a visé à permettre au Japon de justifier de façon plus convaincante sa capacité à assumer ses responsabilités en matière de sécurité internationale correspondant à la détention d'un siège permanent au Conseil de Sécurité. Actuellement, le Japon est membre de la coalition présente en Irak. Conclusion Il a fallu attendre les années 1990 pour que le Japon s'engage dans un débat de fond substantiel et public sur les questions stratégiques, alors qu'il possédait déjà toutes les caractéristiques d'une puissance militaire régionale et internationale. Le réalisme l'emportant sur le quasi-neutralisme des années d'après-guerre, et étant soutenu par un allié américain désireux d'obtenir un "partage du fardeau sécuritaire", le Japon s'est construit un outil de défense significatif. Accédant au statut de première force conventionnelle asiatique - son budget militaire lui octroierait désormais le second rang mondial -, l'archipel possède une industrie de défense très performante qui lui permet de maintenir une avancée technologique dissuasive sur les autres pays de la zone.