La Souca et la fête de Soucot, un temps pour la joie partagée dans le judaïsme Daniel Benfredj Vous habiterez des Soucot (cabanes) durant sept jours ; tout citoyen d’Israël habitera les soucot afin que vos générations sachent que c’est dans des soucot que j’ai fait habiter les enfants d’Israël lorsque je les fis sortir d’Egypte. (Lévitique XXIII, 42). La fête s’inscrit dans le thème fondateur du judaïsme, la sortie d’Egypte et l’odyssée des Hébreux dans le désert pendant quarante ans. Durant cette période ils construisirent des cabanes pour se protéger du soleil. Ainsi est née la prescription biblique de construire chaque année des huttes, cinq jour après Kippour en souvenir des pérégrinations dans le désert. 1. Quelles sont les particularités de la fête qu’on ne retrouve pas dans les calendriers rituels d’autres religions ? 2. Plus que les autres fêtes, la solennité de Soucot est appelée « temps de notre joie ». Quel sens devons-nous donner à cette idée de joie que nous prescrit la fête ? 1. Quelles sont les particularités de cette fête à l’aspect bucolique et joyeux ? La fête à lieu le 15 du mois de Tichri, c’est la fête littéralement des cabanes, elle s’inscrit après les périodes des jours redoutables de Roch Hachana et de Yom Kippour, et vient comme conclusion de cette période d’examen de conscience avec un caractère joyeux et festif qui contraste avec les solennités précédentes. Soucot est une des trois fêtes de pèlerinage après Pessah et Chavouot qui offrait au peuple une occasion de monter à Jérusalem et de s’y réjouir. Cette fête est restée en vigueur malgré la destruction du Temple, revêtant ainsi de multiples facettes. Une fête aux multiples facettes La fête revêt plusieurs appellations qui en expliquent le sens. En effet la fête se nomme d’abord Hag ha Soucot, « La fête des cabanes ». Elle se distingue par l’obligation d’habiter la souca, sorte de petite cabane recouverte de branchages pour commémorer l’expérience des Hébreux dans le désert. A cela, s’ajoute l’obligation de prendre et d’agiter un bouquet composite et odorant, le Loulav, ainsi que d’autres rites et des sacrifices à l’époque du Temple. Comme pour Pessah, la fête se prolonge pendant huit jours : deux jours de Yom-Tov en diaspora suivis de cinq jours de Hol’Hamoed puis reprise des fêtes avec la solennité de Chémini-Atseret - Sim’hat Torah qui dure deux jours en diaspora. On doit donc vivre dans la souca durant sept jours y prendre ses repas voire y dormir selon la prescription du Lévitique. La construction de la souca obéit à des règles précises (cf. Talmud Traité Soucot. La fête est également nommée Hag Ha’ Assif, fête de l’engrangement de toutes les récoltes à la fin de l’été. Elle marquait ainsi le début de l’automne. Enfin, dernière appellation de la solennité celle de fête selon la prescription du Deutéronome (16 ; 14) « Tu seras joyeux pendant ta fête ». Soucot devenant ainsi la fête par excellence, car la plus riche en évènements spirituels, fut donc appelée simplement Hag par la tradition et le Talmud. Une fête à l’ombre du soleil et sous la protection du ciel Même si elle est une demeure provisoire et rudimentaire pour rappeler aux Israélites leur séjour dans le désert, la construction de la souca obéit à des règles précises. Nombreuses sont les discussions entre les Amoraim, ces grands maitres du Talmud du IIIe et IVe siècle (comme Rav, Rav-Houna, Abaye…) sur les dimensions de la souca. Une souca doit avoir entre dix paumes et vingt coudées de haut selon l’antique mesure soit entre 76cm et 10.5 m de haut mais pas plus. Sa superficie minimale est de 49 paumes carrées soit 14-15 m². On peut faire une souca ronde, carrée ou d'une autre forme, pourvu que les parois soient distinctes du toit, le sekhakh. La souca doit être constituée de deux parois entières, plus une troisième, d'au moins une paume (7.6cm). N'importe quel matériau convient pour les parois, mais celles-ci doivent être stables et capables de soutenir le sekhakh, constitué obligatoirement de produits végétaux détachés du sol. De plus on doit voir le ciel depuis le toit de la souca. L’obligation d’habiter et de manger dans la souca s’accompagne également de la mitsva sur les quatre espèces, le loulav (branche de palmier dattier), une branche de myrte dont la particularité est d’avoir trois feuilles attachées ensemble, des branches de saule et un cédrat, le fruit du bel arbre. Il faut tenir ensemble ces quatre espèces, les agiter en direction des 4 points cardinaux, vers le ciel et la terre. Ce rite exprime la gratitude du fidèle envers Dieu qui a donné une récolte abondante et le souhait que le Seigneur accorde l’eau bienfaisante qui féconde la terre. Mais ces espèces ont également une symbolique riche de sens quant aux qualités de l’individu. En outre, la fête de Soucot était embellie au Temple par les libations d’eau quotidiennes. On remplissait un flacon en or avec un litre et demi d’eau provenant de la source du Siloé près de Jérusalem et on l’apportait au Temple par la Porte de l’Eau au son du Chofar, de la flûte et d’autres instruments en signe de joie. Si bien que Soucot prenait aussi le nom de Simha Beit Ha-Shoeva, la joie de la Maison du Puits ou plutôt « l’allégresse du puisage de l’eau ». Ce puisage de l’eau est celui du puisage de la plus haute spiritualité, de la recherche de l’esprit de sainteté. Ainsi la fête de Soucot dans ces différents aspects manifeste le bonheur de vivre, le bonheur d’être après avoir engrangé sa récolte. Mais plus encore le plaisir partagé, celui d’être heureux ensemble dans la recherche collective et individuelle d’une spiritualité élevée. 2. Soucot une joie totale La recherche de la joie partagée et d’une spiritualité élevée se retrouvent dans deux importantes caractéristiques de la fête. Le dernier jour appelé Chemini Atseret ou Simhat Torah est celui où s’achève et recommence le cycle de lecture de la Torah et c’est là un moment fondamental de la spiritualité et de la réjouissance dans le judaïsme. Le second point c’est l’originalité de cette fête qui n’a pas d’équivalent dans d’autres religions et qui semble la plus juive des fêtes. Mais paradoxalement elle est également consacrée à l’humanité entière. En effet durant les sept jours de la fête on apportait soixante-dix sacrifices au Temple en l’honneur des soixante-dix peuples de la Terre. Ainsi à Soucot, le particularisme et l’universalisme se retrouvent dans les rites de la fête et d’ailleurs selon l’eschatologie1 juive c’est à Soucot que se produira la reconnaissance universelle du Dieu d’Israël comme l’annonce le prophète Zacharie (ch. XIV, v.16) « Ceux qui resteront parmi les peuples viendront à Jérusalem chaque année pour se prosterner devant l’Eternel et célébrer la fête de Soucot ». Et pour s’inscrire dans cette idée, on reste dans l’attente du temps ou le monde pourra entrer dans la souca, la souca de paix avec la venue du prophète Elie annonçant le Messie. Cette exigence de paix est renforcée par la coutume des Ouchpizin qui signifie invités et qui remonterait aux cabalistes du XVIe siècle. Cette coutume fait toujours partie de la célébration religieuse dans la souca et de la recherche de paix qu’elle doit nous apporter. La paix sous la protection des invités. Ces invités, sont déjà mentionnés par le prophète Michée : Alors régnera la paix ! Si Achour envahit notre pays, nous lui opposerons sept bergers et huit conducteurs d’hommes. Michée, V, 4. Qui sont ces 7 bergers et quels rôles jouent-ils pour la fête de Soucot ? Selon la tradition, chacun des sept jours de la fête est placé sous le signe d’un invité céleste dont on invoque ce jour-là la bénédiction et l’assistance. Ces sept personnages sont Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Joseph et David qui sont appelés bergers. Si l’image du berger gardien de troupeau et par analogie gardien des hommes à fait fortune dans la littérature historico religieuse, comment devons-nous comprendre ces bergers invités ? 1 Dogme d'une religion à propos du sort de l'homme et de l'Univers à la fin des temps. Ces sept bergers sont constitutifs de notre identité, ils représentent des personnages emblématiques d’Israël. Plus que des modèles on pourrait les considérer comme des médiateurs qui nous font passer des messages de haut en bas et de bas en haut. En fait chacun de ces bergers incarne une valeur suprême, Abraham l’amour, Isaac la crainte et la puissance, Jacob la beauté et la miséricorde... Les qualités, les vertus de ces invités, l’amour et la crainte de Dieu qu’ils inspirent doivent rejaillir sur Israël afin d’accroitre la révélation de la Lumière divine. Ces qualités nous devons par notre séjour dans la souca nous en imprégner pour devenir nous-même des porteurs, des passeurs, des témoins de la connaissance de Dieu. A ce titre là nous apparaissons un peu comme peuple théophore. L’enseignement et la conduite de ces bergers nous conduit à ressaisir les éléments constitutifs de notre être. D’ailleurs en cela la fête de Soucot nommée fête de la récolte littéralement Assif, nous conduit au rassemblement ; nous récoltons en nous-mêmes ce que les bergers y ont semé. C’est ce rassemblement qui se veut plénitude (chelémout en hébreu) et qui est alors recherche de la paix. Eléments bibliographiques EISENBERG Josy, STEINSALTZ Adin. Le chandelier d’or. Verdier, 2006, 378 p. LE TALMUD. Traités Souca 1, Souca 2. L’Edition Steinsaltz. T.5, T.6, Paris, 2000-2001, F.S.J.U. Bibliophane, Ramsay. 218 p. 240 p. ROUCHE Isaac, NATAF Georges. La vie quotidienne juive, les rites et les fêtes. Encyclopédie Juive, Paris, 1993, Berg International. pp. 52-55. STEINSALTZ Adin. Introduction à l’esprit des fêtes juives. Paris, 2011, Albin Michel. 342 p. WIGODER Geoffrey (dir). Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme. Paris, 1998, Robert Laffont, Editions Cerf. pp. 964-967. Bouquins.