autres systèmes, il ne lui vient pas à l’esprit, de vouloir étendre le penser commun, qui est le seul penser réel ; mais il veut
uniquement l’embrasser et l’exposer exhaustivement »
.
Venons-en maintenant à la manière dont la science spéculative se rapporte aux sciences empiriques dans la
philosophie de la nature. Hegel l’explique en des termes assez clair dans les additifs introductif de la philosophie de la nature,
textes auxquels nous nous sommes déjà référés. La Naturphilosophie y est présentée comme une tentative de fondation
spéculative, ou conceptuelle, des différents universels produits par les sciences de la nature. En quoi consistent ces
universels. Ils consistent d’une part, en ce que l’on peut appeler des principes définitionnels, formulés dans la définition de
concepts tels le concept d’espace, ou le concept d’électricité, ou de substance chimique. Ils consistent d’autre part en ce que
l’on peut appeler des principes explicatifs, principes explicatifs qui font intervenir des concepts comme le concept de force
d’attraction, ou le concept d’affinité chimique. Et enfin, ils consistent en des lois.
Je voudrai insister sur le fait que Hegel prend également en compte dans sa philosophie de la nature un autre type
d’énoncé scientifique. Il prend également en compte ce qu’il appelle la métaphysique des sciences. Dans les textes
introductifs de la philosophie de la nature, Hegel soutient que toute science à sa métaphysique
. Le manuscrit des Leçons de
1822/1823 contient l’affirmation selon laquelle : « La physique a une métaphysique consciente ou inconsciente »
. Quand à
l’additif du § 248 de l’Encyclopédie, il conclu un développement consacré aux sciences en remarquant que « toute
conscience cultivée a sa métaphysique »
. Que signifie métaphysique ici ? Hegel l’explique dans les passages que nous
venons de citer. La notion désigne les déterminations de pensée les plus générales, les catégories fondamentales qui
structurent le savoir et qui ont déjà été étudiées dans la Logique
. Hegel écrit à ce propos : « métaphysique ne signifie rien
d'autre que l'étendue des déterminations de pensée universelles, en quelque sorte un filet de diamant dans lequel nous mettons
toutes choses et par lequel seulement nous rendons intelligible »
. D’après Hegel, les concepts ne sont pas des formes vides
pouvant être appliqués librement à tel ou tel contenu. Il s’agit au contraire de formes actives qui structurent le savoir, qui lui
donnent sa forme et sa vérité. Les concepts les plus généraux, ceux qu’étudie la Logique, sont des concepts qui structurent les
savoirs particuliers, des concepts qui sont à l’œuvre dans toute conscience, y compris dans la conscience scientifique. Si ces
concepts sont ici identifiés à une métaphysique, c’est parce qu’ils définissent également différentes ontologies. Le concept
d’atome, définit une ontologie atomiste, le concept de force, une ontologie dynamiste, etc. Quant Hegel soutient que toute
conscience a sa métaphysique, c’est en se référant à ses ontologies. Il soutient en effet que le savoir scientifique ne peut pas
se développer sans se référer, consciemment ou inconsciemment, à de telles ontologies.
Certains commentateurs ont soutenu que l’objectif de Hegel était d’extirper la métaphysique des sciences
. Une
telle interprétation me semble démentie par les textes. Hegel soutien en effet, que les scientifiques se trompent quand ils
croient pouvoir se passer de métaphysique. Dans le manuscrit des Leçons de 1822/1823, Hegel trouve l’occasion de
comparer à ce propos Newton à Mr Jourdain : « Newton refusait la métaphysique, il me fait penser à ce paysan à qui l’on a
dit qu’il parlait en prose et qui était fier de le raconter chez lui à sa femme »
. Dans les Leçons sur l’histoire de la
philosophie, il considère comme un défaut général de l’empirisme le fait que l’on croit se passer de métaphysique dans la
description de l’expérience
. En outre, Hegel ne se contente pas d’insister sur la nécessité d’un élément métaphysique dans
les sciences, il soutient également que c’est de cet élément métaphysique que dépend la rationalité du savoir de ces
sciences
.
Hegel ne conteste donc pas la présence d’un élément métaphysique dans le savoir scientifique. Il soutient néanmoins
que la métaphysique des sciences doit toujours faire l’objet d’une critique. Sur ce point les différents textes introductif sont
clairs et concordants. Ils soutiennent que ce qui dans les sciences est non satisfaisant, c’est avant tout la métaphysique des
sciences, et plus précisément, la forme ou la manière (« die Weise der Metaphysik ») qui est donnée à cette métaphysique,
forme dont Hegel dit qu’elle a déjà été critiquée dans la Logique
. Tout se passe donc ici comme la critique de la
métaphysique se projetait dans la rapport de la Naturphilosophie aux sciences et qu’elle conduisait à une critique des
sciences.
En quoi la métaphysique des sciences est-elle inadéquate ? Pour répondre à cette question, on peut se reporter aux
critiques que la Philosophie de la nature adresse aux différentes sciences de la nature à propos de ces principes
métaphysiques. On constate alors que l’objet des critiques hégéliennes est toujours l’inadéquation des principes
J. G. Fichte, « Rappels, réponses, questions », op.cit, p. 138. Fichte donne parfois d’autres significations à la notion de métaphysique, voir par exemple le
début du § 6 de la Grundlage et la préface de Sur le concept.
Le sens du concept de principe métaphysique a été peu étudié et le commentaire tend à minimiser l’originalité de la position hégélienne sur cette question,
soit en, réduisant les principes métaphysiques hégéliens aux principes métaphysiques au sens de Kant (c'est l'hypothèse qui commande l'ouvrage de B.
Falkenburg, Die Form der Materie), soit en soutenant que contrairement à Kant, qui n’attribue à ces principes qu’un rôle heuristique, Hegel conçoit la
métaphysique comme génératrice de la vérité physique (G. Buchdahl, "Hegel's Philosophy of Nature and the Structure of Science", op. cit., p. 6).
V.G., 37.
Enc., § 246, add., W. 9, p. 20.
V.G., p. 37-38.
Enc., § 246, add., W. 9, p. 20, voir aussi W. 18, p. 77 et V.G., p. 37.
Voir par exemple K. N. Ihmig, "Hegel's Treatment of Universal Gravitation", in M. J. Petry, Hegel and Newtonianism, Kluwer Academic Publishers,
1993, p. 367-381, ici p. 373.
VG, p. 37.
Hist. Phi., t. 6, p. 1280-1281, W. 20, p. 84 : « L’autre défaut formel commun à tous les empiriques est qu’ils croient s’en tenir à l’expérience ; que dans
l’accueil des perceptions ils fasse de la métaphysique, ils en demeurent inconscients ».
V.G., p. 37 : « Metaphÿsik ist in jedem Bewußtsein, es ist das Verständige darin, diese allgemeine Bestimmung der Metaphÿsik ist es, worauf wir alles
zurückführen und erst wenn ein Stoff diese Form erhalten hat ist er uns verständlich. Gründe, Ursach[e] [,] Wirkung pp alles dieß ist die Metaphÿsik in uns,
denkender
Instinkt oder instinktartiges Denken ; absolute Macht in uns, deren Meister wir nur sind, wenn wir sie kennen und sie uns zum Gegenstande
machen ».
V.G., p. 19, 37, 38. ; Enc., § 246, add., W. 9, p. 20.