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CRITIQUE DE QUELQUES EVIDENCES QUALIFIANT LA RELATION ENTRE
LE PCF ET LA CGTU ENTRE 1926 ET LE DEBUT DES ANNEES 1930
En juin 1926, lors du Ve congrès du PCF, secrétaire général, Pierre Sémard
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, critique,
non sur le fond, mais quant à la manière dont elle a été effectuée, la réorganisation du PCF en
cellules d’entreprises. Il affirme que les communistes doivent demeurer à la direction de la
CGTU par leur travail et se refuse à subordonner mécaniquement le mouvement syndical. La
résolution adoptée par ce congrès indique, pour sa part : « une certaine mécanisation a
présidé à l’établissement des rapports du parti et des syndicats. Des décisions ont été prises
sans qu’il soit tenu suffisamment compte des particularités et des traditions du mouvement
syndical français, d’où quelques malentendus ». C’est à ce moment que Monmousseau adhère
au PCF et est élu, directement, au bureau politique. Comment ne pas voir son empreinte dans
cette résolution ?
En fait, selon nous, tout se passe comme si, après quatre ans de réflexion,
Monmousseau donnait son accord à Lénine dans la proposition faite par celui-ci que les
syndicalistes révolutionnaires partisans de la révolution bolchevique soient ceux qui entrent
au PCF pour le changer. Son élection à la direction du PCF peut alors être interprétée comme
une victoire des syndicalistes communistes révolutionnaires. Pour Monmousseau, Sémard,
Reynaud, Racamond et d’autres, s’impliquer dans le PCF afin de le faire changer, notamment
dans son rapport au syndicalisme, est, en définitive, le meilleur moyen de préserver leur
conception, hier défendue face à l’IC et à Lénine, d’un syndicalisme qui conserve son
autonomie. Ainsi, lorsque, dans cette période, Reynaud, s’exprimant, pour la CGTU, dans un
meeting commun
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avec le PCF, déclare : « S’il se trouve que dans la lutte pour les
revendications immédiates, la CGTU est d’accord avec le PC, nous saluons ici cet accord qui
est la preuve que l’une et l’autre organisation sont dans la bonne voie », comment ne pas y
voir une volonté clairement exprimée de rapports entre les deux organisations sur un pied
d’égalité ?
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Voir notice biographique plus loin. C’est avec Pierre Sémard que Monmousseau avait rencontré Lénine à
Moscou fin 1922.
2
A l’Hippodrome de Lille, le 20 juin 1926.
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Des observateurs notent que dans cette période la CGTU va pourtant progressivement
perdre son autonomie vis-à-vis du PCF.
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Si l’on veut bien distinguer entre l’apparence des choses et leur complexité, ces
observations nous paraissent discutables dans les faits mêmes. Nous tenterons, ici, de le
montrer à partir d’une étude réalisée avec pour documentation la collection des Cahiers du
Bolchevisme, organe théorique du PCF, sur la période 1926-1932. Plus, il nous apparaît que
c’est dans cette période que prend naissance entre la CGTU et le PCF un type de relation que
nous qualifierons de modus vivendi qui va marquer durablement les rapports entre les deux
organisations. Ce type de relation non statutairement réglé peut, pour le moins, être interprété
autant en terme d’ « autonomie » que de « dépendance ».
Au début de l’année 1926, Pierre Sémard
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, alors secrétaire général du PCF, publie un
article évoquant l’activité des communistes dans les syndicats : « La ‘Lettre ouverte aux
membres du Partirappelle et précise le travail que les communistes doivent faire dans les
syndicats en indiquant notamment que c’est de l’activité inlassable de tous les membres du
Parti sur ce terrain que dépend le développement de son influence sur les larges masses (…)
Chaque communiste doit comprendre que, pour gagner et conserver la confiance des
travailleurs, il ne suffit pas ‘d’en imposer’, mais qu’il faut savoir s’imposer par son travail et
ses connaissances et en faisant preuve d’activité et de dévouement dans les fonctions qu’on
occupe (…) Lorsque à l’usine, au syndicat, dans la localité, les communistes seront les
premiers à formuler et à défendre les revendications immédiates des travailleurs, non
seulement les syndicats grossiront leurs effectifs, et le Parti gagnera en influence, mais la
direction unique du mouvement ouvrier sera vraiment réalisée (souligné par PS). () la
tâche principale reste celle de la réalisation de l’unité syndicale qui doit être poursuivie avec
ténacité malgré tous les obstacles rencontrés. (…) Cette unité est possible (souligné par PS)
par le front unique à l’usine, au sein des ‘comités d’unité prolétarienne’… (…) Certains
camarades ont attaqué les CUP (…) Répétons qu’avec le ‘comité mixte’ qui localement
3
C’est le cas notamment de P. KARILA-COHEN et B. WILFERT, op. cit., p. 189-190.
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Pierre Sémard est en 1887 dans une famille de cheminots de Saône-et-Loire. A l’âge de quinze ans, il
devient lui-même cheminot et, quatre ans plus tard, militant de la CGT. En 1916, il est à la tête du syndicat des
cheminots de Valence. Il adhère alors à la SFIO et, en 1917, est élu membre de la commission exécutive des
Syndicats de Cheminots du Paris-Lyon-Marseille (PLM). Dirigeant en vue dans les grèves de 1919-1920, en
1921, il est élu secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots, une des plus importantes en nombre de la
confédération. Dès 1917, il soutient la révolution bolchevique et, on l’a vu, en 1922, avec Gaston Monmousseau,
il rencontre nine. En 1923, lors de l’occupation française de la Ruhr, il est l’un des signataires du manifeste
des dirigeants français et allemands appelant à l’action contre les bourgeoisies des deux pays. En janvier 1924, à
37 ans, il est élu au comité central du PCF et en devient, en juin de la même année, le secrétaire général. Il le
demeurera jusqu’en 1931. Il est alors réélu à la tête de la fédération CGTU des Cheminots, puis en 1936 à la
commission administrative de la CGT réunifiée. En 1940, il sera condamné à trois années de prison pour son
appartenance au PCF ; puis, suite à une lutte à la prison de Bourges, où il était emprisonné, il est fusillé.
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réunit le syndicat unitaire et confédéré d’une même industrie, le ‘comité d’unité
prolétarienne’ qui groupe à l’usine la totalité des ouvriers et le ‘comité d’entente ou d’action’
qui, sur la base locale, rassemble tous les comités pour coordonner leurs efforts, il est
possible de développer avec une très grande rapidité la ‘gauche unitaire’ au sein des
syndicats réformistes, ‘gauche unitaire’ sans laquelle il n’y a pas d’unité possible (souligné
par PS). (…) J’ai résumé ce que nous devons faire au point de vue organisation et le rôle que
doivent jouer nos fractions syndicales ».
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On le voit, le PCF, dont l’objectif est de développer dans la CGT la volonté d’unité à
gauche, fait dépendre son influence sur les masses de l’activides communistes dans les
syndicats. Cette activité, il la veut effective et non comme résultat d’une acceptation admise
parce que commanditée. Il s’ensuit sa préconisation de plusieurs comités, qui concevables
théoriquement, peuvent sembler compliqués à manier pour les communistes syndicalistes,
d’autant que le CUP va au-delà des forces syndicales.
De son côté, dans la même période, Albert Treint
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, alors dirigeant du PCF, évoque
ainsi les rapports du PCF avec la CGTU : « Le malaise du parti, résultat d’une politique à
traits gauchistes vis-à-vis des masses, s’est traduit par une certaine confusion des rapports
entre le parti et les syndicats de la CGTU, qui sont la fraction d’avant-garde syndicalement
organisée de la masse prolétarienne. Lors du congrès de Bourges
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, l’immense majorité de la
CGTU venait alors avec un grand élan vers le parti communiste. Certains traits gauchistes de
notre politique qu’une pratique trop rigide a parfois prétendu imposer mécaniquement aux
syndicats ont déterminés dans les rangs de la CGTU un courant de mécontentement et de
désaffection vis-à-vis du parti. (…) Il ne faut pas confondre avec notre droite opportuniste les
mécontents de la CGTU dont la plupart sont d’excellents révolutionnaires que nous devrons
gagner (souligné par AT). Mais nous devons rectifier à plein notre politique générale et notre
politique syndicale… (…) Avant que l’ensemble de la CGTU ne soit gagné à l’influence
communiste, l’ISR et l’IC ont souvent passé des compromis avec les représentants
sympathisants du mouvement syndical, comme Monmousseau et Dudilleux, qui sont
aujourd’hui membres dirigeants de notre parti.
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(…) il faut savoir faire les compromis
provisoires nécessaires. (…) Celui qui sur certains points pense comme Monatte, mais vient
5
P. SEMARD, « Les tâches du Parti », Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 36, janvier 1926, p. 164-167.
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Albert Treint est né en 1889. Instituteur, puis capitaine durant la guerre de 1914, il devient membre du Comité
pour la III e Internationale à la fin de la guerre. Fidèle de Zinoviev allié de Trotski contre Staline, après la mort
de Lénine - il est secrétaire général du PCF à la démission de Frossard en , jusqu’en . Après avoir
appartenu brièvement à l’opposition trotskyste, il adhère à la SFIO, puis devient gaulliste. Il meurt en 1971.
7
Ier congrès de la CGTU, en novembre 1923.
8
Gaston Monmousseau adhère au PCF en 1925 ; il entre directement au bureau politique.
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vers nous, ne doit pas être traité comme Monatte qui se pose en adversaire du parti et de
l’Internationale et marche de plus en plus vers le camp ennemi… Il évoque encore les rôles
respectifs du parti et des syndicats : « le parti doit se borner à formuler les revendications
immédiates générales de la classe ouvrière. C’est aux organisations syndicales de traduire
ces revendications générales en un langage précis pour chaque industrie, pour chaque
entreprise. (…) La majorité du syndicat nomme la direction du syndicat et dirige l’action
syndicale. Les communistes seront toujours absolument disciplinés Les communistes
dirigent le syndicat quand ils ont gagné la confiance de la majorité en vertu de
l’autonomie organique du syndicat qui choisit librement sa direction ». Enfin, il indique :
« nos principes représentent l’expérience coagulée (souligné par AT) de plus d’un siècle de
mouvement ouvrier Il faut que chaque ouvrier (souligné par AT) comprenne bien notre
large conception du syndicalisme de masse au moment la réalisation de l’unité syndicale
devient de plus en plus un facteur de la victoire dans les luttes… »
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Soulignons que, c’est à cette période, que Les Cahiers du bolchevisme, alors
hebdomadaires, ouvrent une nouvelle rubrique sur la vie syndicale. Henry Reynaud, qui
l’inaugure en qualité de secrétaire de l’Union des syndicats de la région parisienne, écrit : « A
la demande de plusieurs camarades, communistes éprouvés et militants responsables des
syndicats, les Cahiers ouvrent une nouvelle rubrique pour la Vie syndicale ».
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Un an plus tard, un article des Cahiers, signé de Alfred Bernard
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, dresse un bilan de
l’activité des fractions communistes syndicales du PCF : « la constitution de nos fractions
communistes dans les syndicats est encore loin d’être achevée. Le fonctionnement et le
travail de celles qui existent laissent beaucoup de lacunes. Les premiers pas que nous avons
faits ont révélé un grand nombre de difficultés. De premières ont surgi en ce qui touche la
question de la direction des fractions (…) D’une manière générale, à la formation des
fractions, les dirigeants syndicaux appartenant à la Fraction ne furent pas choisis pour la
diriger les inconvénients d’une telle méthode …ont surgi dans le travail pratique. La
faiblesse de nos cadres fait bien souvent qu’en dehors des militants auxquels ont été confiés
les postes du responsable du syndicat, il en reste peu qui sont qualifiés pour exercer des
fonctions dirigeantes. Ainsi, la direction des fractions est confiée à des camarades peu
expérimentés qui ne savent pas comment orienter leur activité pendant que les camarades
9
A. TREINT, « Plus près des syndicats », Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 37, 28 janvier 1926, p. 242-246.
10
Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 37, 28 janvier 1926, p. 288-290. Dans le numéro 38, du 4 février 1926,
Henry Reynaud y signe un article sur « les salaires ». Le numéro 39, du 11 février 1926, contient un nouvel
article de Henry Reynaud sur « les assurances sociales » et un de Th. Doucet, en qualité de membre du PCF, sur
« la grève des cuisiniers-pâtissiers ».
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dirigeants le syndicat continuent leur besogne habituelle s’en s’occuper de la fraction dont ils
n’ont pas la responsabilité. Ces derniers considèrent la tâche de la fraction comme une
besogne indépendante de la leur. Le résultat est que la fraction ne travaille pas et ne
fonctionne pas. C’est un des premiers inconvénients. (…) Il y a en fait une direction double.
Au lieu de jouer dans la fraction, le rôle que ses fonctions syndicales devrait lui attribuer, le
militant syndical est bien souvent considéré comme réactionnaire par le camarade dirigeant
de la fraction qui généralement a une moins grande expérience syndicale. Le militant
syndical … est conduit à voir la fraction comme un organisme dirigé contre lui. (…) Qui doit
diriger la fraction ? Si des communistes dirigent le syndicat, il est évident que ce sont
ceux-qui sont le plus qualifiés. (…) C’est dans ce sens que doit être résolu le problème de
la direction de nos fractions syndicales ».
Lui aussi insiste sur la qualité des rapports entre les communistes et le mouvement
syndical : « [La] tendance de nos fractions à l’accaparement des organismes dirigeants
subsiste encore. (…) C’est une des politiques les plus fausses… (…) La politique de nos
fractions doit tendre au contraire à obtenir une large participation au travail syndical des
syndiqués non communistes et, à établir de bons rapports entre eux et les communistes (…)
C’est dire que nos fractions doivent avoir suffisamment de souplesse pour s’adapter aux
contours du mouvement syndical. (…) C’est ainsi que notre Parti se liera au mouvement
syndical, non par des mesures organiques, mais par la compréhension, la confiance de
l’ensemble des syndiqués ».
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Au printemps 1927, le bureau politique du PCF insiste sur l’importance de la question
de l’unité syndicale à réaliser qu’il présente plus que jamais « comme moyen de réaliser
l’action commune des ouvriers… ».
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La perspective politique passe alors par la perspective
syndicale de l’unité. Dans une déclaration, le comité central des 6 et 7 avril 1927 « décide
d’entraîner tout le Parti » notamment « dans le travail pour l’unité syndicale sur les bases de
la dernière proposition d’unité du CCN de la CGTU ».
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Dans les mois qui suivent, Jean Brécot
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précise la position actuelle du PCF sur
l’indépendance syndicale par rapport aux conceptions antérieures qu’il avait pu développer :
« Le Parti communiste est pour l’indépendance du syndicalisme ; si quelques anciens chefs
du Parti Communiste, tels que les amis de Monatte, c’est-à-dire Souvarine, Loriot, Rosmer
12
A. BERNARD, « Les tâches syndicales du Parti », Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 67, 28 février 1927,
p. 251-255.
13
Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 69, 1er avril 1927.
14
Les Cahiers du Bolchevisme, numéro 71, 30 avril 1927.
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Nom de plume de G. Monmousseau.
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