Des observateurs notent que dans cette période la CGTU va pourtant progressivement
perdre son autonomie vis-à-vis du PCF.
Si l’on veut bien distinguer entre l’apparence des choses et leur complexité, ces
observations nous paraissent discutables dans les faits mêmes. Nous tenterons, ici, de le
montrer à partir d’une étude réalisée avec pour documentation la collection des Cahiers du
Bolchevisme, organe théorique du PCF, sur la période 1926-1932. Plus, il nous apparaît que
c’est dans cette période que prend naissance entre la CGTU et le PCF un type de relation que
nous qualifierons de modus vivendi qui va marquer durablement les rapports entre les deux
organisations. Ce type de relation non statutairement réglé peut, pour le moins, être interprété
autant en terme d’ « autonomie » que de « dépendance ».
Au début de l’année 1926, Pierre Sémard
, alors secrétaire général du PCF, publie un
article évoquant l’activité des communistes dans les syndicats : « La ‘Lettre ouverte aux
membres du Parti’ rappelle et précise le travail que les communistes doivent faire dans les
syndicats en indiquant notamment que c’est de l’activité inlassable de tous les membres du
Parti sur ce terrain que dépend le développement de son influence sur les larges masses (…)
Chaque communiste doit comprendre que, pour gagner et conserver la confiance des
travailleurs, il ne suffit pas ‘d’en imposer’, mais qu’il faut savoir s’imposer par son travail et
ses connaissances et en faisant preuve d’activité et de dévouement dans les fonctions qu’on
occupe (…) Lorsque à l’usine, au syndicat, dans la localité, les communistes seront les
premiers à formuler et à défendre les revendications immédiates des travailleurs, non
seulement les syndicats grossiront leurs effectifs, et le Parti gagnera en influence, mais la
direction unique du mouvement ouvrier sera vraiment réalisée (souligné par PS). (…) la
tâche principale reste celle de la réalisation de l’unité syndicale qui doit être poursuivie avec
ténacité malgré tous les obstacles rencontrés. (…) Cette unité est possible (souligné par PS)
par le front unique à l’usine, au sein des ‘comités d’unité prolétarienne’… (…) Certains
camarades ont attaqué les CUP … (…) Répétons qu’avec le ‘comité mixte’ qui localement
C’est le cas notamment de P. KARILA-COHEN et B. WILFERT, op. cit., p. 189-190.
Pierre Sémard est né en 1887 dans une famille de cheminots de Saône-et-Loire. A l’âge de quinze ans, il
devient lui-même cheminot et, quatre ans plus tard, militant de la CGT. En 1916, il est à la tête du syndicat des
cheminots de Valence. Il adhère alors à la SFIO et, en 1917, est élu membre de la commission exécutive des
Syndicats de Cheminots du Paris-Lyon-Marseille (PLM). Dirigeant en vue dans les grèves de 1919-1920, en
1921, il est élu secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots, une des plus importantes en nombre de la
confédération. Dès 1917, il soutient la révolution bolchevique et, on l’a vu, en 1922, avec Gaston Monmousseau,
il rencontre Lénine. En 1923, lors de l’occupation française de la Ruhr, il est l’un des signataires du manifeste
des dirigeants français et allemands appelant à l’action contre les bourgeoisies des deux pays. En janvier 1924, à
37 ans, il est élu au comité central du PCF et en devient, en juin de la même année, le secrétaire général. Il le
demeurera jusqu’en 1931. Il est alors réélu à la tête de la fédération CGTU des Cheminots, puis en 1936 à la
commission administrative de la CGT réunifiée. En 1940, il sera condamné à trois années de prison pour son
appartenance au PCF ; puis, suite à une lutte à la prison de Bourges, où il était emprisonné, il est fusillé.