CHAPITRE DEUX
Musées et Ecoles : Etude de la Relation
Traudel Weber
Deutsches Museum Munich, Germany
2.1 Introduction
La relation entre écoles et musées en Allemagne (comme dans d'autres pays) remonte à une
longue tradition. Les enfants étaient invités à participer à des cours du dimanche au Musée
Senckenberg de Francfort dès 1826 (Fingerle1992). A la fin du 19ème et au début du 20ème
siècles, les musées d'histoire naturelle et des sciences jouèrent un rôle prépondérant dans
l'ouverture des collections et des expositions au grand public et dans la formulation d'une
mission éducative. A Munich, Oskar Von Miller fonda le Musée Allemand des Chefs d'œuvre de
la Science et de la Technologie dans le but d'expliquer les progrès dans ces domaines à un large
public. Montrer les machines en action était censé aider à en faire mieux comprendre le
fonctionnement. On fabriquait des dioramas, avec un grand souci du détail, pour faire voir les
objets dans leur environnement d'origine, et on proposait des copies, des démonstrations et des
expériences pour encourager la curiosité des visiteurs, leur goût de l'effort et leur intérêt pour les
phénomènes scientifiques. Miller était soutenu par Georg Kerschensteiner, professeur réputé et
directeur d'un nouveau mouvement pédagogique, la "Arbeitsschule". Sous l'influence de John
Dewey, Kerschensteiner voulait introduire davantage de "Anschaulichkeit" (clarté) dans les
écoles souci qui de nos jours est revenu au premier rang. Il était convaincu que le musée peut
contribuer fortement à l'éducation en utilisant l"Anschaulichkeit" (parmi d'autres méthodes) à
une époque l'intention du musée nouveau était d'attirer le grand public ainsi que de
nombreuses écoles.
Pendant les années 1970, l'éducation devint le centre du débat entre les musées.
L'ouvrage “Museum: Place of learning contra temple of the Muse” (Spickernagel and
Walbe 1976) reflète dès le titre les deux approches dominantes. L'un des résultats de ce débat
qui était peut-être un défi plus grand pour les musées des arts que pour les musées des sciences
fut la mise en place des structures dites "services pédagogiques des musées" et un léger progrès
dans la conviction et l'empressement à employer des animateurs de musée. La majorité du
personnel de ces services, et des animateurs de musée, étaient (et sont toujours) formés au départ
comme enseignants ! Il en résulte une tendance à développer des liens forts entre les écoles et les
musées.
En 1976, le Deutsches Museum a fondé le Kerschensteiner Kolleg avec des
chambres pour des séjours d'une semaine dans le but d'inviter des groupes scolaires
(Gottmann 2001). Cependant à cette époque, environ 20 000 groupes d'élèves visitaient le
Deutsches Museum chaque année, et cela décida le Kerschensteiner Kolleg à s'adresser à des
groupes susceptibles d’agir comme transmetteurs, plutôt qu’aux enseignants et autres éducateurs.
Frank Jürgensen (1995) indique qu’environ 20% des visiteurs de musée sont des
groupes scolaires, qui en tant que tels, représentent le pourcentage le plus important de visiteurs
par groupes dans les musées. D'autre part, une étude de l'Institut für Museumskunde
(Hagedorn-Saupe 2001) montre que les écoles constituent la cible prioritaire pour les musées
suivies par les touristes et les enfants en général bien que les visites dans les musées prennent
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en général peu de temps par rapport au temps scolaire des élèves. Les musées sont soucieux de
leur relation avec les écoles et de la façon dont les deux institutions peuvent coopérer dans le but
de remplir leur tâche commune d'éducation. Quel rôle le musée devrait-il ou pourrait-il jouer
dans cette relation ? Les rôles varient, allant du musée "salle de classe spéciale", qui n'est autre
que le prolongement de l'école et emploie les mêmes méthodes, au musée en tant qu'outil
éducatif, qui soutient et complète les méthodes d'enseignement et d'apprentissage de l'école.
2.2 Apprendre au musée
Le développement des expositions au 19ème siècle était conçu dans le contexte de théories de la
communication et de l'apprentissage qui attribuaient un rôle plutôt passif au visiteur/apprenant.
La connaissance était censée être objective et fondée sur l'information, et la communication était
supposée linéaire, de haut en bas, le musée ayant rôle d'autorité en la matière (Hooper-Greenhill
2000). Depuis lors, de profonds changements sont intervenus dans les théories d'apprentissage et
des recherches systématiques ont été menées sur les démarches éducatives. Les institutions
officielles d'éducation, comme les écoles, les lycées et les universités, ont réfléchi à l'efficacité
des différentes méthodes d'enseignement, des différentes approches de l'apprentissage et sur
l'emploi et la pertinence de thèmes en rapport avec une discipline pour des groupes d'âge
spécifique. Comme l'affirme Hooper-Greenhill :
"Le concept d"éducation" a été approfondi et élargi, et il est admis qu’enseignement et
apprentissage ne sont pas réservés à des institutions officielles mais se font dans la vie de
tous les jours, dans d'innombrables endroits informels. Les processus éducatifs formels
ne sont qu'une part réduite, et pas toujours très efficace, de ces processus d'apprentissage
nécessaires toute la vie, et qui mettent en jeu à la fois l'acquisition de connaissances et
d'expérience, ainsi que l'utilisation de savoir-faire et de connaissances existants"(Hooper-
Greenhill 2000, 2).
Une caractéristique essentielle de cette nouvelle approche est qu'elle se fonde, non plus
sur l'idée que l'apprentissage est une absorption passive d'information, mais que l'apprenant est
impliqué activement dans le processus d'apprentissage. L'apprentissage n'est pas un processus
linéaire, il est influencé par de nombreux facteurs comme l'environnement, les attentes et les pré-
acquis de l'apprenant. En matière d'éducation, les expériences concrètes prennent le pas sur
l'abstraction, et les processus d'acquisition des connaissances sont devenus plus importants que
l'accumulation de savoirs. "Les savoir-faire qui permettent d'apprendre et de rechercher sont plus
importants que la répétition de faits" (Hooper-Greenhill 1987, 42).
Mais comment les visiteurs apprennent-ils dans un musée ? D'après Feber (1987) les
musées sont des lieux qui offrent des occasions d'apprendre, mais ce ne sont pas des écoles. Les
gens apprennent en regardant autour d'eux, en faisant leurs propres choix et évaluations de ce
qu'ils veulent examiner de façon plus ou moins approfondie, ils apprennent en observant, en
décrivant, en parlant de ce qu'ils voient, en lisant les étiquettes, et en établissant des liens entre
ce qui est exposé et leur propre vécu. Ce faisant, ils construisent leur propre compréhension des
objets. Le musée est un lieu d'apprentissage informel, d'apprentissage à son propre rythme,
d'apprentissage en fonction de pré-requis nombreux et différents.
En quoi un tel lieu peut-il aujourd'hui contribuer aux besoins d'institutions éducatives
officielles comme les écoles ? Kirk affirme que les changements dans la conception de
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l'enseignement et de l'apprentissage ont aussi une forte influence sur l'éducation dans les écoles.
Actuellement :
"L'apprenant est activement impliqué dans le développement de ses compétences et de sa
capacité à comprendre grâce à du travail de recherche. Le milieu qui convient le mieux à
l'apprentissage est donc celui dans lequel l'élève est encouragé à penser, déduire, émettre
des hypothèses, critiquer, se poser des questions, évaluer, imaginer, et créer ; et la
stratégie la plus pertinente pour le professeur est de proposer aux élèves des
investigations variées qui fassent appel à la palette complète des capacités de
recherche"(Kirk 1987, 19).
Cependant, d'après Kirk, la plupart des écoles ne disposent pas du matériel nécessaire
pour ces démarches éducatives. Les musées et leurs collections peuvent donc être de vraies
cavernes d'Ali Baba pour les écoles, offrant non seulement le matériel, mais également des
occasions d'apprentissage par l'expérience et la recherche. Hooper-Greenhill insiste sur un autre
aspect essentiel concernant la valeur des musées, à savoir la présence des objets, "les objets
vrais", dont l’observation permet de faire des interprétations nouvelles. Cette sorte d’expérience
est très féconde non seulement pour les enfants dans un monde encombré par la télévision, la
radio, les ordinateurs, les journaux, pourvoyeurs d’ interprétations prédigérées du monde
(Hooper-Greenhill 1987). A cet égard, le musée atteint un haut degré de "Anschaulichkeit" en
exposant les objets à leur taille réelle ou sous forme de copies à taille réduite. L'authenticité de
l'objet vrai provoque l'admiration, la curiosité, l'envie de toucher, et ces multiples réactions
encouragent l'apprentissage par la découverte, l'expérience personnelle étant alors le point de
départ du développement de la capacité à comprendre (Matthes 1998).
Les musées sont des lieux sont créées des expériences, cognitives, sociales, et
affectives. Les objets vrais sont tridimensionnels, et par la même susceptibles d'aider les enfants
à imaginer trois dimensions, ce dont ils sont de moins en moins capables (Zöpfel 2002). Les
musées offrent de nombreuses possibilités de réfléchir à un objet et à ce qu'il représente, en
groupe, et non de façon isolée. En formulant ses impressions, l'enfant se fait connaître et acquiert
une identité dans le groupe, ce qui, au final, fait progresser la compréhension et l'identité
(Larcher 1988).
2.3 L'éducation scientifique dans les écoles
En 1997, les études du TIMMS ont conclu que les connaissances et les capacités des élèves
allemands des écoles secondaires dans les disciplines scientifiques étaient d'un niveau moyen.
Depuis lors, le débat est centré sur les moyens de modifier ce résultat. L'une des solutions
suggérées est fondée sur les progrès escomptés lorsqu’on donne, à partir d'un âge très précoce,
des occasions d'expérimenter les phénomènes scientifiques et leur utilisation technologique.
A l'école primaire, les sciences sont souvent enseignées comme une partie de l'éducation
à "la vie de tous les jours" qui comprend aussi l'histoire locale, la géographie, la circulation, la
nutrition, les métiers, etc. Pour tenir compte du TIMMS, certains Länder ont révisé leurs
programmes pour les écoles primaires (ou ont inclus les résultats du TIMMS dans les révisions
en cours) dans le but d'accroître la proportion d'enseignement des sciences pendant les premières
années d'école. Cependant le fait que les enseignants du primaire soient des généralistes reste un
problème et les contenus des nouveaux programmes n'y changent pas grand-chose. Pendant leur
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formation professionnelle, les enseignants peuvent faire des choix dans un éventail d'options en
plus des disciplines de base obligatoires. Ce qui veut dire que leurs connaissances scientifiques
et technologiques sont très différentes, et que leur compétence à enseigner ces disciplines
correctement n'est pas certaine. Les institutions de formation professionnelle des enseignants
proposent des cours supplémentaires de sciences et technologie, mais leur capacité est limitée.
Outre le défaut de compétence, de nombreuses écoles n'ont pas les équipements nécessaires pour
enseigner les sujets scientifiques et technologiques d'une manière vivante qui pousserait les
élèves à la découverte et les rendrait plus curieux sur le sujet. Dans ces conditions, les musées
des sciences et d'histoire naturelle pourraient offrir à la fois la compétence et les outils pour
améliorer les connaissances et les savoir-faire des enseignants dans ce domaine, et pour proposer
des programmes (nouveaux) aux élèves qui utilisent le musée comme lieu d'expériences en
sciences et en technologie.
2.4 Comment les écoles utilisent les musées
La plupart des visites faites par des groupes scolaires dans les musées se divisent en deux
catégories : a) visites d'une journée de type excursion sans but spécifique ; b) visites à but
éducatif précis. Pour ces dernières, il y a matière à développer les liens entre le contenu de
l'enseignement et la visite du musée, notamment sur les trois points suivants :
a. Quand un nouveau sujet est présenté à la classe, la visite au musée peut inciter les élèves
à s'y intéresser. Dans ce cas, l'objectif principal de la visite peut être d'éveiller leur
curiosité et de leur donner l'occasion de se poser des questions en observant les objets
exposés ; questions auxquelles dans la plupart des cas on ne peut répondre
immédiatement, mais qui pourront être le point de départ de discussions et de travaux
ultérieurs à l'école.
b. Au cours de l'étude d'un sujet particulier, la visite au musée peut donner aux élèves
l'occasion d'utiliser leurs pré-acquis comme point de départ pour comprendre les objets.
Ils peuvent comparer ce qu'ils ont appris en classe avec les messages véhiculés par
l'exposition. Ils peuvent trouver des confirmations, mais peuvent en même temps
découvrir que différentes interprétations sont possibles, qu'il n'y a pas qu'une vérité. De
nouveaux points de vue peuvent être développés et influencer l'évolution du débat en
classe.
c. Si elle intervient à la fin d'une séquence pédagogique, la visite au musée permet de
rebrasser ce que les élèves ont appris en classe, et de leur donne une vision plus vivante
du sujet. Cette démarche semble particulièrement pertinente pour les sujets scientifiques,
par exemple les phénomènes physiques et leur utilisation pour les inventions
technologiques (Matthes 1998).
Travailler par groupes de deux ou trois s'avère souvent une méthode efficace pour
explorer l'exposition et apprendre dans un musée. Si l'on attend des élèves qu'ils découvrent,
décrivent et comprennent la fonction d'objets inconnus et peut-être étranges, il est important
qu'ils aient quelqu'un avec qui partager leurs impressions, parler de ce qu'ils observent, réfléchir
à leurs propres interprétations. Toutes les consignes d'activités au musée devraient être conçues
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avec souplesse, de façon à permettre aux élèves de se poser leurs propres questions, de faire
leurs propres observations, et de construire leurs propres interprétations. Répondre à des
questions ouvertes, du type "En quoi pensez-vous que c'est fait ?" "Que feriez-vous de cet objet
s’il était à vous ?" rend les enfants productifs et enthousiastes (Cole 1984). Cela les amène
également à construire des liens personnels avec les objets et ainsi à mémoriser mieux et à plus
long terme.
De nombreux enseignants cherchent des renseignements et un soutien quand ils prévoient
une visite de musée. Il ne s'agit pas seulement de conseils au sujet du contenu scientifique, mais
aussi d'aide concernant les détails pratiques, souvent aussi importants pour un apprentissage
réussi. Les points suivants sont souvent déterminants pour la réussite de la visite :
a. Un environnement inconnu peut n'être pas toujours intéressant et motivant, il est parfois
même perturbant pour les enfants, particulièrement les plus jeunes. Ils peuvent se sentir
mal à l'aise pour des raisons très "simples", comme le fait de ne pas savoir quand et où ils
pourront manger ou trouver les toilettes, ou bien parce qu'ils se demandent ce qu'ils sont
censés faire, quel comportement on attend d'eux, combien de temps ils peuvent passer sur
tel ou tel objet.
b. Les enfants entament une sortie scolaire avec deux projets. Celui de l’enfant, qui
privilégie ce qu'il va faire au musée voir des objets, s'amuser, acheter des cadeaux,
sortir de la routine de l'école. Le deuxième correspond aux attentes de l'école et du
musée : les enfants supposent qu'ils vont apprendre des choses et rencontrer des gens qui
travaillent au musée. L'interaction entre ces anticipations et la réalité de la sortie
influence le résultat de toute sortie scolaire (Falk and Dierking 1992).
c. Il arrive souvent que les enseignants ne soient pas conscients de leurs propres attentes.
Alors que, d’après eux, par exemple, la visite a pour but de changer de rythme et de faire
une sortie en groupe, ils distribuent aux élèves des fiches de travail destinées aux visites
d'étude. Bailey rapporte les résultats des recherches menées par Jeanette Griffin, qui
montrent que les objectifs de l'enseignant pour une visite de musée influencent les
objectifs des élèves et vice versa (Bailey 1999).
La préparation et l'identification d'un objectif bien défini sont très importantes pour la
réussite d'une visite de musée.
2.5 Ce que le Deutsches Museum de Munich met à la disposition des écoles et des
enseignants
Le service éducatif a la responsabilité de la plupart des activités éducatives, mais nombreux sont
les autres services dont le travail contribue au développement des programmes. Les principales
initiatives et activités proposées par le musée sont les suivantes :
2.5.1 Le Kerschensteiner Kolleg
Le Kerschensteiner Kolleg a été fondé par le Deutsches Museum en 1976 et dispose d'une salle
de réunion, d'un laboratoire et de chambres d'hôtel. La majorité des gens qui fréquentent les
cours du Kolleg sont des enseignants en activité ou en formation initiale, mais il y a aussi des
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