
Ainsi la mélancolie était elle associée à la « bile noire » à côté des trois autres humeurs :
le sang, la bile jaune et le flegme.
« Le sang imite l’air, augmente au printemps, règne dans l’enfance.
La bile jaune imite le feu, augmente en été, règne dans l’adolescence.
La mélancolie ou bile noire imite la terre, augmente en automne, règne dans la maturité.
Le flegme imite l’eau, augmente en hiver, règne dans la vieillesse »
La bile noire, donc la mélancolie, serait une maladie de la maturité, de l’automne, de
la terre. Elle peut se diluer dans les autres humeurs et aller de pair avec la joie et le rire (le
sang), avec l’inertie (le flegme) et avec la fureur (la bile jaune). Par des mélanges, elle
affirmerait ainsi sa présence dans toutes les formes d’expression humaine.
De là, naîtra l’alternance cyclique entre un état et un autre : manie et dépression,
caractéristique de la nosographie psychiatrique moderne.
Cependant en tant qu’humeur noire, la mélancolie relevait du mal de SATURNE - Dieu
terrien des romains - morbide et désespéré, identique à CHRONOS de la mythologie grecque
qui avait châtré son père OUROS avant de dévoré ses enfants.
On appellera donc les mélancoliques, « les saturniens » ; mais, chaque époque a
construit sa propre représentation de la maladie…
On pensait aussi que certains climats favorisaient le mal car la maladie est plus
fréquente dans les pays nordiques que dans les contrées méridionales.
Le médecin anglais THOMASWILLIS (1621 – 1675) fut le premier à rapprocher la
manie de la mélancolie pour définir un cycle maniaco-dépressif.
Le philosophe Robert BURTON (1577 – 1640) avec « Anotomy of Melancoly »
donne la version d’une nouvelle conception de la mélancolie déjà entrée dans les mœurs.
Dès la fin de Moyen Age, le terme était en effet synonyme de tristesse sans cause, et à
l’ancienne doctrine des humeurs s’était progressivement substituée une causalité existentielle.
On parlait de tempérament, en songeant à HAMLET devenu la figure par excellence du drame
de la conscience européenne : « un sujet livré à lui-même avec l’avènement de la révolution
copernicienne » ; tout en conservant l’ancien vocabulaire humoral de BURTON qui assimile
donc la mélancolie à un désespoir du sujet abandonné par Dieu.
A la fin du 18ème siècle et notamment à la veille de la révolution française, la
mélancolie apparaît comme le symptôme majeur d’un ennui distillé par la vieille société.
Elle semblait toucher aussi bien les jeunes bourgeois exclus des privilèges de la naissance que
les éclatés ayant perdus tout repère et sévissait aussi chez les aristocrates désœuvrés, privés du
droit de faire fortune, « ennui du bonheur » ou « bonheur de l’ennui ».
Sentiment de dérision ou aspiration au bonheur pour dépasser l’ennui, la mélancolie
fonctionnait comme un miroir où se reflétait la défaillance générale de l’ordre monarchique et
l’aspiration à l’intimité de soi.
Au 19ème siècle, avec l’instauration de la psychiatrie, la mélancolie fut sujette à de
nombreuses variations terminologiques, destinées d’abord à transformer « cet étrange bonheur
d’être triste » - comme le dira Victor HUGO - en une véritable maladie mentale sans fioritures
littéraires ou philosophiques puis à l’inscrire dans une nouvelle nosographie dominée par la
division entre psychose et névrose.
Elle fut appelée « lypémanie » par Jean Etienne ESQUIROL en 1722 puis « folie circulaire »
par Jean-Pierre FALRET en 1772. A la fin de ce siècle, elle sera intégrée par Emile
KRAPELIN à « la folie maniaco-dépressive » pour se fondre ensuite dans la psychose
maniaco-dépressive.