La pensée catholique face aux problèmes liés à la mondialisation

LA PENSEE CATHOLIQUE FACE AUX PROBLEMES
LIES À LA MONDIALISATION
La mondialisation rend plus impérieuses pour la pensée
catholique des exigences déjà anciennes : celles liées à un double
dialogue : avec un monde diversement déchristianisé d’une part,
avec les autres religions d’autre part.
L’évangélisation d’un monde déchristianisé
Le monde déchristianisé d’aujourd’hui ne recouvre pas la
totalité du monde moderne. D’abord parce que tout le monde n’a
pas été christianisé comme l’Occident. Je pense à la Chine, à
l’Inde et au Japon. Ensuite parce qu’une partie du monde
autrefois chrétienne a été islamisée et que les traces de sa
christianisation, juste encore perceptibles, continuent de
s’effacer. Enfin parce que le monde christianisé, n’est pas
uniformément avancé dans la voie de sa déchristianisation et que
celle-ci est ambiguë, tantôt positive, tantôt négative.
La partie de ce monde déchristianisée ne se voit pas pour
autant redevenir un monde païen à la manière antique. Le monde
païen antique était très religieux, d’un polythéisme omniprésent
et même débordant, tenant souvent lieu de sciences et de morale.
Le monde moderne « déchristianisé » a puisé dans ses racines
chrétiennes la possibilité de n’être plus religieux il ne faut
pas l’être, d’une part en expliquant le monde par ses lois
immanentes et en étant d’autre part plus sensible aux exigences
morales véritables. Comment cela est-il possible ? Quels
enseignements tirer de cette situation pour une nouvelle
évangélisation ?
Bénéficiant de l’estime très grande que la pensée religieuse
juive et l’éthique de la Torah avaient su gagner dans le monde
méditerranéen antique, le christianisme se présenta avec une idée
de Dieu, un idéal éthique et surtout avec un message d’espérance
sur la destinée de l’homme qui firent « choc » et suscitèrent
l’adhésion.
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L’idée d’un Dieu unique, créateur de l’univers et de l’homme,
répondait mieux à la question de l’origine que les récits
mythologiques ou la théorie du Bien en soi et séparé de Platon
ou celle du moteur immobile et solitaire d’Aristote.
En plaçant l’origine des lois morales dans la volonté de ce
Dieu unique et créateur, les juifs et les chrétiens les rendaient
psychologiquement plus acceptables et plus dignes de respect
que si elles n’étaient que les lois de la cité et de ses législateurs.
Enfin la nouvelle de la résurrection de Jésus soulevait une telle
espérance de récompenses divines que des hommes et des
femmes adhérèrent en grand nombre à la nouvelle voie.
Les idéaux spirituels de la Torah et de l’Évangile faisaient
« choc » par leur noblesse et leur cohérence. Ensuite ces idéaux,
parce qu’ils correspondaient à une attente du cœur et de l’esprit
des hommes, devinrent progressivement des « biens de
l’homme », « des valeurs humaines ».
Une lente « humanisation » du message juif et chrétien,
s’opérant en même temps que la nouvelle religion imprégnait de
plus en plus la vie individuelle, familiale surtout, et sociale des
hommes, induisit une déchristianisation qui n’est nullement un
retour en force de la religion païenne ou de la négation païenne
du religieux.
Ce que nous appelons « déchristianisation positive » est un
phénomène inhérent au devenir de l’homme selon l’œuvre du
Christ, au sens elle consiste en une appropriation de valeurs
de vie manifestées par le judaïsme et le christianisme, valeurs
progressivement revendiquées par des hommes comme
« humaines » et non plus comme « révélées », comme imma-
nentes à leur expérience et non plus « importées d’en haut »,
comme autonomes et non plus hétéronomes. En effet, dans la
mesure Dieu manifeste en Jésus en Israël ce qu’est l’homme
en son être profond, l’homme a désormais la possibilité de
s’affirmer tel, comme homme, indépendamment de cette
révélation, précisément parce qu’il est ainsi « montré » à lui-
me. L’œuvre philosophique d’Emmanuel Kant en est un
aboutissement et un nouveau point de départ.
Considérant sous cet angle la révélation, mais sous cet angle
seulement, nous pouvons dire que la déchristianisation est un
fruit positif de la christianisation. Elle est la personnalisation
mûrissante de celui qui quitte ses parents pour construire sa
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propre vie grâce à ce qu’il a reçu d’eux. Ses parents peuvent-ils
encore lui apporter quelque chose ? Sans doute ! Le fondement
de son indépendance revendiquée. Vérité paradoxale de cette
citation : « Si le grain ne meurt, il ne porte pas de fruit... » Dé-
parentalisation pour qu’apparaissent chez les parents la paternité
et la maternité en leur plénitude accomplies.
Une bonne christianisation, ou plutôt une bonne évangéli-
sation doit donc produire, non une mauvaise et inhumaine, mais
une « bonne » déchristianisation, c’est-à-dire une déchristiani-
sation qui est une reconnaissance et une appropriation humaines
autonomes de certaines valeurs bibliques et évangéliques pour
qu’apparaisse le cœur de la révélation : le visage familial de
l’Éternel et son projet familial de libération de tout mal pour
l’humanité. Lorsque par étapes successives l’évangélisation aura
produit une « déchristianisation achevée » en laquelle l’homme
se sera découvert pleinement dans son authenticité humaine,
l’évangélisation aura atteint sa maturité : témoigner non plus que
ces valeurs, divinement créées en l’homme, ont leur source en
une volonté divine législatrice qui aurait pu, pense-t-on, sur le
plan de l’être concevoir d’autres lois ontologiques, dicter
d’autres lois morales et programmer d’autres récompenses ou
sanctions pour l’homme, mais proclamer que ces valeurs
constitutives de l’homme sont fondées en l’être même de Dieu,
en ce qui fait qu’il est Communion de vie de trois Vivants
Personnels et donc qu’il est en lui-même la volonté trinitaire de
nous élever tous en une semblable communion de vie entre nous
et avec lui.
Plus les hommes revendiquent comme leurs les valeurs de
rationalité, de dignité personnelle réciproquement reconnue, de
solidarité universelle, de responsabilité et, osons le dire, de
véritable amour généreux, plus ils reconnaissent en eux le socle
solide et vrai qui leur permettra d’avoir une plus juste conscience
de Dieu et une plus authentique capacité de comprendre alors la
révélation de son œuvre de salut divinisatrice.
De même qu’il y a des étapes dans la christianisation, il y a
des étapes dans la déchristianisation, et entre l’une et l’autre il y
a dialectique. La christianisation-déchristianisation commence
avec l’élaboration théologique du message biblico-évangélique
au moyen de la philosophie grecque.
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Ce que l’homme parvient à expliquer rationnellement, par les
sciences par exemple, il le détache par le fait même de l’objet
des croyances religieuses. Ce que la pensée philosophique, au
travers de la théologie, permet de clarifier dans le message révélé
est mûr en quelque sorte pour sa « déchristianisation » et son
« humanisation » par l’homme. La tradition sacrée devient
héritage profane. L’idéal éthique de la Torah repris par
l’Evangile se retrouve ainsi pour une part dans le sens humaniste
de la personne humaine et des « droits de l’homme ».
Par ailleurs ce que dans le message évangélique la théologie
n’est pas parvenue à clarifier par le moyen de la pensée
philosophique grecque, elle l’a déclaré « mystère inaccessible à
la raison » et par même elle l’a soustrait à toute
« humanisation », car s’il est révélé qu’il y a mystère, le mystère
lui ne révèle rien aussi longtemps qu’il ne dévoile pas son sens.
Cette partie du message évangélique est donc privée de son
efficacité christique. L’efficacité de l’Évangile est donc en
quelque sorte proportionnelle à sa capacité à être « déchris-
tianisé », c’est-à-dire à être dépouillé de ce qui en lui est
révélation de l’homme à lui-même, pour qu’apparaisse la
révélation de Dieu lui-même à l’homme. Pour cela il faut une
prise de conscience réflexive de l’homme par lui-même plus
puissante et plus vraie que la pensée grecque.
Dans sa mission pour une nouvelle évangélisation et en
quelque sorte pour conduire à sa pleine maturité notre
connaissance de Dieu révélé dans le Christ mort et ressuscité,
l’Église doit courir le risque d’offrir à une « déchristianisation
humanisante » le plus profond de ses « mystères », ou plutôt la
vérité centrale et lumineuse de la révélation reçue en Jésus, celle
de la vie divine de trois personnes vivantes : le Père paternel, le
Verbe maternel et l’Esprit Saint de filialité, comme il apparaît
dans le Prologue et les quatre discours de l’évangile johannique
et dans les paraboles des synoptiques.
La nouvelle évangélisation se doit de risquer, en une
rationalité plus complète que la rationalité grecque, qui
maintenant la paralyse, la proclamation d’un Dieu interpersonnel
en lui-même, afin que les hommes s’ouvrent à la Communion
trinitaire et la reconnaissent comme le fondement absolu des
valeurs les plus hautes qu’ils aspirent à pouvoir vivre dans
l’autonomie de leur conscience morale et de leur liberté : valeur
du choix définitif de l’amour humain conjugal et parental dans
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l’égalité de personnes témoins du Père et du Verbe ; valeur du
choix définitif de l’amour fraternel et filial dans le célibat témoin
de l’Esprit Saint à ne pas confondre avec une mentalité
idéologique de célibataire ; valeurs de justice quant à l’usage
des biens matériels, valeurs démocratiques dans l’organisation de
la vie sociale, politique et religieuse.
Il faut préciser que l’autonomie de la conscience morale et de
la liberté humaine n’est pas l’arbitraire, ni le caprice, ni l’intérêt
du choix selon les humeurs psychologiques, ni aucune forme de
relativisme radical, mais l’orientation de ses choix en vertu des
nécessités constitutives de son être relationnel. Ces nécessités
ontologiques normatives pour l’action de l’homme, il faut les
penser comme transcendant toutes formes de choix, transcendant
nos propres choix psychologiques, transcendant également le
choix opéré par une autorité sage, transcendant même un choix
pensé comme divin, car Dieu est tellement libre qu’il n’est pas
contraint de devoir choisir une « loi » pour l’homme qu’il crée. Il
le crée en effet selon le modèle de son être, selon les propres
nécessités de son être divin relationnel, desquelles toute loi
éthique découle, ainsi que le projet divin de leur accomplis-
sement en perfection.
Les valeurs de la personne humaine et les valeurs de solidarité
pour autant qu’on les reconnaît comme « autonomes » en l’être
de l’homme, et pas seulement comme « hétéronomes » en sa
condition de créature, demandent à être fondées en l’être même
de Dieu et pas seulement en des « décrets » de sa volonté,
d’ailleurs anthropologiquement conçus.
À l’idée d’un Dieu solitaire en sa puissance est attachée
dialectiquement une conception aliénante de la conscience
morale et de la liberté, moins aliénante sans doute que la
soumission à d’autres hommes. Les normes éthiques sont
perçues comme des contraintes, lorsqu’elles sont pensées comme
le résultat du « choix » d’un autre, fût-ce d’un choix divin. Elles
sont vécues au contraire comme formes les plus hautes de la
liberté, lorsqu’on les perçoit comme fondées en la structure
relationnelle absolue d’un Dieu pluripersonnel, archétype en lui-
même de l’homme qu’il crée selon sa nature familiale, étant par
là même garant absolu de notre autonomie.
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