La logique du social

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La logique du social
Raymond Boudon – 1979
Principes généraux de l’analyse sociologique : individualisme méthodologique,
caractère complexe de la représentation de l’action, hypothèse selon laquelle les
acteurs cherchent à pousser leur avantage dans les limites que leur imposent les
contraintes du système d’interaction auquel ils appartiennent.
La sociologie est fondamentalement, à l’instar de l’histoire, une science du singulier
et , plus explicitement, une discipline dont la vocation latente est de retrouver des
structures générales à partir de l’analyse de phénomènes singuliers.
Qu’est ce que la sociologie ?
Il est impossible de définir la sociologie par la liste des phénomènes sociaux
auxquels elle s’intéresse.
Deux intuitions fondamentales :
Pareto : notion d’actions « non logiques » : elles sont selon lui le terrain
d’intervention de la sociologie. Cette notion recouvre l’ensemble des actions qui
échappent à la logique expérimentale (ex : comportement des électeurs sous la
Iième République qui s’en remettent à l’autorité d’Anatole France). Pour Pareto,
l’économie est la science des actions logiques ; la sociologie est la science des
actions non logiques.
Cette définition exprime une des intentions fondamentales des sociologues :
analyser et expliquer les actions, et plus généralement les comportements donnant à
l’observateur le sentiment de l’irrationalité.
Entrent dans la catégorie paretienne des actions non logiques les actions rituelles,
traditionnelles (au sens de Max Weber) et les comportements émotionnels.
Pour Pareto, le sociologue s’intéresse aux actions. Le sujet est actif.
La sociologie est souvent présentée et perçue comme la science des déterminismes
sociaux.
Ex : Durkheim : recherche des causes sociales du suicide.
Pour Durkheim, le sujet de la sociologie est passif : c’est une sorte d’automate dont
le comportement serait l’effet de causes sociales.
Durkheim est un relationniste réaliste : pour Durkheim, la réalité sociale serait
constituée par les systèmes de relations, ou par les systèmes concrets d’interaction
que les institutions sociales définissent entre les agents sociaux.
Dans cette otique, une des ambitions fondamentales de la sociologie est d’analyser
les relations complexes entre la structure des systèmes d’interaction définis par les
institutions sociales et les attentes, sentiments et actions de ces agents.
Intentions des sociologues et objet de la sociologie :
Une des intuitions fondamentales de Pareto a été que le sociologue avait pour
vocation d’élaborer une théorie de l’action plus générale que celle qu’utilise
l’économiste.
Une dimension fondamentale de la sociologie est la recherche d’une théorie de
l’action généralisée par rapport aux schémas permettant de rendre compte des
seules actions de type logique.
Nature et principes de la sociologie : trois postulats fondamentaux :
Les phénomènes auxquels le sociologue s’intéresse sont conçus comme
explicables par la structure du système d’interaction à l’intérieur duquel ces
phénomènes émergent.
L’atome logique de l’analyse sociologique est l’acteur individuel. Celui ci agit
dans un contexte de contraintes. Les comportements sont conçus comme des
actions dotées de finalité.
La sociologie doit, dans de nombreux cas, utiliser des schémas d’analyse de
l’action individuelle plus complexes que ceux qu’utilisent par exemple les
économistes.
Sociologie et histoire :
Souvent, le point de départ est constitué par un fait singulier, un événement ou une
donnée. Les questions du sociologue sont bien souvent comparables à celles de
l’historien.
Ex : Tocqueville : « Pourquoi l’agriculture capitaliste s’est elle développée au
XVIIIème siècle avec beaucoup plus de lenteur en France qu’en Angleterre ».
Les analyses du sociologue et de l’historien sont complémentaires. A travers le
singulier, la sociologie vise le général.
Sociologue : états de choses singuliers, datés et situés.
Dans les analyses de Tocqueville, on relève la présence implicite du postulat de
l’individualisme méthodologique. Ce postulat signifie que le sociologue doit se faire
une règle de méthode de considérer les individus ou acteurs individuels inclus dans
un système d’interaction comme les atomes logiques de son analyse.
La spécificité de l’analyse sociologique réside dans le fait qu’elle tente d’expliquer les
états de chose singuliers non à partir du paradigme de l’induction du singulier au
singulier, mais à partir d’un modèle ou d’un quasi modèle représentant la structure du
système d’interaction au sein duquel se développe l’état de choses à expliquer.
C’est pourquoi le sociologue est souvent conduit à découvrir ou à retrouver des
structures générales sous-jacentes aux phénomènes singuliers qu’il étudie.
Sociologie et systèmes fonctionnels :
Bien souvent, le sociologue se donne pour objet non un fait mais un système
d’interaction particulier.
Importance de la notion de rôle : elle caractérise l’ensemble de normes auxquelles le
tenant d’un rôle est sensé souscrire.
L’absence de précision stricte (variance) des rôles et l’ambiguïté des normes
définissant les rôles sont une source de l’autonomie de l’acteur social. Le système
des rôles définit un champ d’interaction stratégique.
Les rôles sont des ensembles complexes. Par ailleurs, les individus jouent des rôles
multiples, composites, qui peuvent avoir des interférences entre eux. Le caractère
ouvert des rôles assure une autonomie au sujet social.
Sociologie et systèmes d’interdépendance :
Les systèmes d’interdépendance sont des systèmes d’interaction où les actions
individuelles peuvent être analysées sans référence à la catégorie des rôles
Dans le cas des systèmes fonctionnels, on parle d’acteur individuel. Dans le cas des
systèmes d’interdépendance, on parle d’agent individuel.
Les systèmes d’interdépendance sont souvent caractérisés par le fait que les actions
émises par les agents du système engendrent des phénomènes collectifs en tant
que tels non voulus par ces agents.
Sociologie et changement social :
Plutôt que de prédire le changement des sociétés à long terme, l’analyse
sociologique moderne vise à repérer la logique du changement dans des systèmes
d’interaction de dimension suffisamment restreinte pour être abordables, eu égard
aux possibilités des outils dont dispose le sociologue.
Le sociologue moderne considère par ailleurs que le changement social, même au
niveau macrosociologique, n’est intelligible que si l’analyse descend jusqu’aux
agents ou acteurs sociaux les plus élémentaires composant les systèmes
d’interdépendance auxquels il s’intéresse.
La connaissance sociologique : problèmes épistémologiques de la sociologie :
La théorie de l’action est limitée par le fait que certaines situations rendent
impossible la définition même de la notion d’action rationnelle ou logique. Elle ne
rend pas non plus compte des préférences des agents sociaux. On ne peut déduire
les préférences des individus d’une anthropologie générale.
Durkheim est probablement l’auteur qui a le plus directement contribué à développer
cette dimension essentielle de la sociologie qu’est l’analyse des déterminants
sociaux des valeurs des objectifs que l’agent social est susceptible de se donner. La
valeur est un résultat non voulu de la juxtaposition d’une multitude d’actions
individuelles.
Durkheim a voulu monter que l’action de l’individu n’a de signification que par rapport
à un environnement.
L’homo sociologicus doit être considéré comme un dépassement de l’homo
oeconomicus. Les objectifs et préférences des acteurs sont traités comme des
variables en partie dépendantes de l’environnement et de la position des acteurs
dans l’environnement.
Comme Weber l’a montré, l’analyse sociologique comporte toujours un moment de
compréhension. Le sociologue atteint la phase ultime de l’explication d’un
phénomène social lorsque, ayant déterminé les caractéristiques des champs d’action
dans lesquels sont insérés les agents qu’il observe, il peut émettre mentalement un
jugement empathique.
La notion de compréhension n’implique pas par principe celle de subjectivisme.
Les actions constituent une catégorie particulière de faits : elles contiennent une
dimension empathique ; elles doivent être interprétées. Mais cette spécificité ne
dispense pas l’observateur de prendre les précautions dont tout scientifique
s’entoure lorsqu’il cherche à explique un fait quelconque.
La sociologie est une discipline ouverte. Le sociologue doit accorder une attention
constante à la complexité du jeu entre l’autonomie des agents et les contraintes des
structures.
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