/1 Combattre le mal à la racine : l’endodontie moderne Y.HAIKEL Introduction La thérapeutique pulpaire est l’ultime recours pour pouvoir conserver une dent sur l’arcade. L’étiologie la plus commune est la carie dentaire. L’alternative au traitement est l’implant dentaire mais cette solution n’est pas satisfaisante, n’est pas toujours possible, ne remplacera jamais l’organe dentaire dans toutes ses fonctions, n’aura jamais la même pérennité qu’une dent naturelle et restera un recours lorsque la dent est absente ! Dans un premier temps, la réalisation d’un diagnostic s’impose pour envisager le traitement le plus conservateur, autrement dit, on s’inscrit dans un gradient thérapeutique du moins invasif et plus conservateur vers des traitement plus complexes Diagnostic des pulpopathies Les pulpopathies répondent d’une inflammation ou d’une nécrose des tissus pulpaires (Figure 2). La démarche diagnostic repose sur l’anamnèse médicale et dentaire complétée par l’analyse des symptômes puis des signes cliniques par différents moyens : l’examen visuel des surfaces dentaires, gingivales et muqueuses, la palpation, les tests de vitalité pulpaire, le sondage parodontal, les tests de percussion, l’évaluation de la mobilité dentaire et l’examen radiologique (Tableau 1, Figure 3). De nouveaux outils de diagnostic sont développés tels que des tests de la vitalité pulpaire reposant sur l’échographie doppler. Le diagnostic de certaines complications de nécrose pulpaire peut être difficile de part le hiatus pouvant exister entre les symptômes locaux et les signes généraux. Ainsi certaines nécroses pulpaires asymptomatiques localement peuvent être la cause de signes généraux d’infection inquiétants (augmentation de la vitesse de sédimentation, de la NFS des leucocytes, fièvre) et de risques d’accidents coronovasculaires sans que le diagnostic de pulpopathie n’ait été envisagé. Une meilleure connaissance de la biologie et de la pathologie pulpaire permet actuellement d’adopter des thérapeutiques plus conservatrices. En effet, la pulpe est un tissu capable de se défendre et de cicatriser lorsqu’elle est placée dans des conditions favorables. Le coiffage pulpaire direct constitue une des attitudes thérapeutiques de choix des dents pulpées dénudées 1 /2 accidentellement ou suite à une lésion carieuse ayant induit une inflammation pulpaire réversible. L’intérêt de la conservation de la pulpe vivante, en plus de l’aspect résistance mécanique et qualités esthétiques, c est la possibilité de maintenir une vascularisation normale qui permet aux odontoblastes d’assurer le rôle de dentinogénèse réparatrice et primaire d’édification apicale des dents immatures. Le principe du traitement découle des potentiels de cicatrisation de la dentine qui conduit à la formation d’un pont tissulaire calcifié par néoformation dentinaire. L’indication des coiffages pulpaires directs doit être basée sur un diagnostic aussi précis que possible de l’état pulpaire. Cette thérapeutique ne s’applique qu’à une pulpe atteinte de façon réversible et de préférence en présence d’une dent monoradiculée jeune. Le succès clinique va dépendre essentiellement de l’indication appropriée, de la technique opératoire exigeant une aseptie stricte avec un scellement coronaire hermétique et du choix du produit de coiffage pulpaire. Le choix du produit de coiffage pulpaire est fonction de sa biocompatibilité et de ses capacités d’induire ou de favoriser la formation du pont dentinaire ou de permettre d’assurer l’étanchéité. Infection endodontique et assainissement canalaire L’objectif du traitement endodontique est de rendre la dent affectée au niveau pulpaire, biologiquement acceptable par l’organisme. Il constitue donc l’ultime recours pour le maintien de la dent sur l’arcade. Ces dernières années, le progrès technologique a fait beaucoup évoluer l’endodontie en termes de mise en forme, de matériaux endodontiques, de techniques d’obturation mais il ne faut pas oublier que la désinfection et l’assainissement canalaires sont toujours les points cruciaux de toute thérapeutique endodontique. Plusieurs voies de contamination bactérienne peuvent être à l’origine des pulpopathies : les lésions carieuses ou d’usures, les poches parodontales qui exposent les canaux latéraux et accessoires le long de la racine ou au niveau de la furcation, les microfissures, les fêlures, les traumatismes exposant la pulpe, les matériaux non étanches ou non biocompatibles. C’est pourquoi les flores endodontiques et parodontales sont très proches. Les trois bactéries suivantes sont présentes dans 90 % des infections endodontiques: Bacteroides forsythus, Campylobacter showae et Fusobacterium nucleatum vicentii. A partir de ces voies, c’est tout le réseau endodontique qui va être rapidement colonisé de part sa complexité et de part la 2 /3 perméabilité de la dentine. En effet, les canalicules dentinaires d’environ 2µm de diamètre constituent de nombreuses voies pour la diffusion de l’infection endodontique : 45 000 / mm2 de dentine. Ainsi, lors de l’infection endodontique, les microorganismes se trouvent aussi bien dans le canal principal que dans les canaux latéraux, secondaires et dans tous les canalicules dentinaires (Figure 1). Les particularités de la région apicale rendent l’infection apicale encore plus complexe : isthme, déviation du cône cémentaire, paquet vasculonerveux, stimulation des immunoglobulines E, interfaces avec les tissus parodontaux. Lors du traitement endodontique, l’action mécanique conjuguée à l’action chimique de désinfection de part cette complexité anatomique, reste toujours limitée aux zones mécaniquement accessibles. Il est donc plus juste de parler d’assainissement canalaire que de désinfection. L’agent d’irrigation de référence pour cette action chimique est l’hypochlorite de sodium (NaOCl) à 2,5 à 5 % dont l’efficacité est majorée par l’agitation (vibrations mécaniques ou US) et par l’augmentation de la température (37°- 40°C) : actions anti-bactérienne, anti-fongique et solvante de la substance organique. Son optimisation se fait également par l’augmentation du temps de contact, du flux, du diamètre canalaire, par l’utilisation d’irrigants complémentaires comme l’EDTA ayant une action sur la phase minérale et d’aiguilles adaptées. L’action de la solution a une action limitée à environ 2 mm au-delà de l’extrémité de l’aiguille de la seringue d’irrigation. L’action mécanique est réalisée par les instruments endodontiques. Il a été démontré que la rotation continue n’apporte pas d’avantage en termes de désinfection comparativement à l’instrumentation manuelle. En effet, 35% de la surface endodontique n’est pas en contact de l’instrument endodontique qu’il soit manuel ou rotatif. De même, les études microbiologiques montrent qu’il n’y a pas de différences entre les techniques manuelles et la rotation continue NiTi dans leur habilité à réduire les bactéries intracanalaires]. De plus, l’incidence des ruptures instrumentales est plus importante en utilisant l’instrumentation rotative que l’instrumentation manuelle, ce qui peut compromettre considérablement la qualité de l’assainissement canalaire final. Parallèlement à la rotation continue, s’est développée toute une instrumentation ultrasonique endodontique. Cependant, il n’existe pas aujourd’hui de preuves appuyant l’intérêt de l’utilisation des ultrasons seuls ou associés à l’instrumentation 3 /4 manuelle, pour améliorer le nettoyage et la mise en forme canalaires. Par contre, ces instruments sont très utiles lors de l’irrigation de pré-obturation. En effet, un rinçage final avec une solution d’hypochlorite de sodium agitée par les US va permettre d’augmenter son action et donc l’assainissement final sur l’ensemble de l’endodonte préparé et prêt à être scellé. Décisions thérapeutiques endodontiques Le traitement de l’urgence des pulpopathies a pour but de soulager le patient par la suppression de la douleur. Ainsi face à une pulpite aigue, le traitement consistera en la décongestion vasculaire grâce à l’ouverture de chambre pulpaire et face à une complication de nécrose pulpaire (AAA et AR) (Figure 4 et 5) en la réalisation d’une voie de drainage transcanalaire ou/et transmuqueuse (abcès localisé et circonscrit). La prescription médicamenteuse en endodontie est facultative. L’antibiothérapie est sans avantage par rapport au drainage. Cependant, des antibiotiques et des antiinflammatoires non stéroïdiens sont à prescrire dans ces trois situations précises : quand le drainage est impossible (infection diffuse), en présence de complications systémiques ou d’un patient à haut risque médical. Il n’y a pas de donnée probante concernant l’utilisation d’un type d’antibiotique par rapport à l’autre. Quelques soient le diagnostic et la prescription effectués, la dent ne doit jamais être laissée ouverte, au risque notamment de rendre l’infection endodontique plus complexe et virulente. Si l’obturation canalaire ne peut pas se faire dans la même séance, l’obturation à l’hydroxyde de calcium est indiquée en inter-séance. Cette médication canalaire au pH basique possède de nombreuses propriétés notamment antibactériennes mais s’avère inefficace contre les germes suivants : Actinobacillus actinomycetem comitans, Capnocytophaga sputigena, Eikenella corrodens. Dans tous les cas, il permet de ne pas laisser le canal vide entre deux séances. Le traitement étiologique des pulpopathies a pour objectifs l’élimination de tout le contenu du système canalaire et le scellement tridimensionnel et hermétique de celui-ci, l’isolant du reste de l’organisme. Il doit être réalisé le plus rapidement et si possible dans la même séance quelle que soit la symptomatologie, à condition que le canal soit cliniquement propre, inodore et sec (Figure 5). Si ces conditions locales sont 4 /5 présentes, il n’est pas indispensable d’attendre la disparition des symptômes et des signes locaux et/ou généraux. Pronostic endodontique Les critères retenus pour évaluer le résultat des traitements endodontiques sont cliniques et radiologiques : absence de douleur et de tuméfaction, disparition de la fistule, fonctionnalité de la dent, absence de signes radiologiques de destruction tissulaire, arrêt ou disparition totale radiologique de la raréfaction osseuse (Figure 5b). Si bien que le résultat du traitement endodontique peut être qualifié après une période d’observation de 6 à 24 mois. Selon des études menées en France, 23 % des racines sont traitées endodontiquement et seulement 21% des ces traitements sont acceptables radiologiquement (longueur et densité); la prévalence des lésions apicales sur les dents traitées endodontiquement est de 33% (Figure 5a).Le pourcentage de dents présentant une parodontite apicale augmente avec l’âge et proportionnellement au pourcentage de dent traitées endodontiquement. Le fait que le premier facteur associé à la présence de ces lésions soit l’existence de traitements endodontiques montre que ceux-ci sont encore trop iatrogènes. Certains facteurs sont absolument non significatifs pour le succès du traitement endodontique : l’âge, le sexe, l’état général du patient, le choix de la technique ou du matériau d’obturation. De même, le traitement endodontique est non opérateur-dépendant. D’autres facteurs sont significatifs et soulignent l’importance du facteur microbiologique : présence d’une pathologie péri-apicale préopératoire, bactériologie canalaire initiale, anatomie et configuration canalaires, sur-instrumentation et niveau d’obturation canalaire, étanchéité de la restauration coronaire per ou post-opératoire. Dans 14,5 % des échecs endodontiques, les causes suivantes sont retrouvées : une perforation, une défaillance de l’obturation canalaire, une surinstrumentation ou une fracture instrumentale. L’oubli d’un canal est absolument déterminant et explique 49% des échecs (POOR PAST]. Conclusions Bien que l’endodontie ait intégré de nombreux progrès technologiques, les traitements endodontiques sont encore trop iatrogènes. Des perspectives d’avenir apparaissent avec les cellules souches et la régénération pulpaire. Lors de la présentation, seront abordés les différents progrès réalisés ces 5 /6 dernières années où notre laboratoire de recherche est leader dans le monde ! Références 1. Haikel Y, Allemann C. Effectiveness of four methods for preparing root canals: a scanning electron microscopic evaluation. J Endod. 1988 Jul;14(7):340-5. 2. Haïkel Y, Allemann C. Die Endodontolgie im Zeitalter der Ultraschallgeräte. Technologie und Anwendung von Endoschallfeilen. Wissenschaft Praxis. Phillip Journal 1992., 9: 393-404, 3. Haïkel Y, Serfaty R, Wilson P, Speisser JM, Allemann C. Mechanical properties of nickel-titanium endodontic instruments and the effect of sodium hypochlorite treatment. J Endod. 1998 Nov;24(11):731-5. 4. HAÏKEL Y., WITTENMEYER W., BATEMAN G., BENTALEB A., ALLEMANN C. A new method for the quantitative analysis of endodontic microleakage. Journal of Endodontics, 25 : 172-177, 1999. 5. HAÏKEL Y., SERFATY R., BATEMAN G., ALLEMANN C. Dynamic and cyclic fatigue of NiTi endodontic instruments used on rotary motion. Journal of Endodontics, 25: 434-440, 1999. 6. Haïkel Y, Freymann M, Fanti V, Claisse A, Poumier F, Watson M. Apical microleakage of radiolabeled lysozyme over time in three techniques of root canal obturation. J Endod. 2000 Mar;26(3):148-52. 7. Haïkel Y, Braun JJ, Zana H, Boukari A, de Blay F, Pauli G. Anaphylactic shock during endodontic treatment due to allergy to formaldehyde in a root canal sealant. J Endod. 2000 Sep;26(9):529-31. 8. BRAUN JJ, ZANA H., PUROHIT A., VALFREY J., SCHERER Ph., HAIKEL Y., de BLAY F., PAULI G. Anaphylactic reactions to formaldehyde in root canal sealant after endodontic treatment: four cases of anaphylactic shok and three of generalized urticaria. Allergy 58: 1210-1215, 2003. 9. Nait Lechguer A., Kuchler-Bopp S., Hu B., Haikel Y., Lesot L. Vascularization of engineered teeth. J Dent Res 87(12): 1138-1143, 2008 10. Fiorettii F, Mendoza-Palomares C., Helms M., Haikel Y., Benkirane-Jessel N. Nanostructured assemblies for dental application. ACS Nano. 4(6): 3277-87, 2010. 11. Fioretti F, Mendoza-Palomares C, Avoaka-Boni MC, Ramaroson J, Bahi S, Richert L, Granier F, Benkirane-Jessel N, Haikel Y. Nano-odontology: nanostructured assemblies for endodontic regeneration. J Biomed Nanotechnol. 2011 ;7(3):471-5 6 éfinition ologie agnostic mptômes st vitalité rcussion dème èvre, denopath ellulite ent obile gnes diologiqu /7 12. Tableau 1: Tableau récapitulatif du diagnostic des pulpopathies Inflammation Pulpite Aigue PA Pulpite Chronique PC Inflammation pulpaire Inflammation pulpaire - Infection Traumatisme - Infection Traumatisme +++ ─ Complications de la nécrose Parodontite Apicale Aigue PAA Abcès Apical Aigu AAA Parodontite Apicale Chronique PAC Nécrose des tissus pulpaires Desmodontit e sur une dent non vitale Infection apicale purulente Infection apicale d’origine endodontiqu e - Septique - Aseptique Complicatio n de la nécrose ou - Iatrogène : médication ou instrument Nécrose ─ Urgence Douleur spontanée Bactéries virulentes audelà de l’apex + +++ Douleur provoquée et spontanée Urgence Douleur spontanée Si dent traitée : Iatrogène ─ Abcès Récurrent AR Complicatio n de la PAC Complicatio n de la PAC ou - Iatrogène +++ Urgence Douleur spontanée + + ─ +/─ ─ ─ ─ ─ ─ ─ + ─ ─ ++ +++ ─ ─ ─ ─ ++ ++ ─ ─ ─ ─ +++ ─ + ─ ─ ─ ─ +++ ─ + ─ ─ ─ +/─ +/─ + + Epaississeme nt desmodonta l Epaississeme nt desmodonta l Lésion osseuse apicale Lésion osseuse apicale Douleur à la mastication Fistule Manifestatio n focale possibles Manifestatio n focale possible Rémanence à la douleur provoquée utres Manifestatio n focale possible Douleur à la mastication Tableau 1 7 /8 Figure 1 (a) Vue au MEB d’un canal latéral à partir de la chambre pulpaire, débarrassée de son contenu organique. A noter les calcosphèrites et les canalicules dentinaires (b) Vue au MET d’une coupe de dentine radiculaire provenant d’une dent nécrosée. A noter la densité élevée de canalicules et (c) l’envahissement des canalicules par les bactéries au dépend de la dentine pericanaliculaire ; DI (Dentine Intercanaliculaire). Figure 2: (a) Pulpe radiculaire saine : Présence de la couche régulière odontoblastique et au niveau du tissu conjonctif lâche des vaisseaux et des fibroblastes ; D (Dentine), PD (Predentine), P (Pulpe) (b) Inflammation pulpaire chronique : Présence d’un « granulome interne » ; D (Dentine) (c) Inflammation pulpaire aigue : Présence d’infiltrats de cellules inflammatoires, de dilatations des vaisseaux et de disparition de la couche odontoblastique ; D (Dentine), DR (Dentine réactionnelle) Figure 3 Parodontite apicale chronique (PAC) : Présence d’une fistule cutanée sous mentonnière non purulente, de polycaries dans le secteur incisivo-canin mandibulaire et de lésions apicales en rapport avec les dents nécrosées. Aucune symptomatologie clinique décrite. . 8 /9 Figure 4 Abcès apical aigu (AAA) : Patiente présentant un œdème jugal gauche et souffrant de douleurs et d’un état fébrile. Abcès circonscrit en vestibulaire de 22 présentant une dyschromie en rapport avec une nécrose pulpaire. La radiographie ne montre pas de modification de la région apicale. Figure 5 : Abcès récurrent (AR), complication d’une parodontite apicale chronique (PAC) : Le patient présente des douleurs, un œdème importants et (a) une lésion périapicale en rapport d’un traitement endodontique défaillant. Quatre mois après le retraitement endodontique de la 15, (b) la réparation osseuse apicale est visible radiologiquement. (Préparation canalaire avec les CMA, dernier instrument A2. Scellement canalaire dans la même séance. Détermination longueur par localisateur NSK. Obturation système B. Aucune médication). 9