présent (...) il ne serait pas du temps, il serait l'éternité. (...) Si bien que ce qui nous
autorise à affirmer que le temps est, c'est qu'il tend à n'être plus.» (ibid.). Dès que l’on
pense le temps celui-ci nous échappe. Saint Augustin va comprendre le premier que la
réalité du temps n’est pas extérieure à l’esprit, mais qu’elle n’est autre que la conscience
du temps. L'être du temps est la vie même de mon âme tendue d'une part vers un passé
qu'elle conserve et de l'autre vers un avenir qu'elle projette. «La conscience est un trait
d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir» (Bergson).
f. L'histoire chez Saint Augustin
Le temps est donc bien réel et il est un : il n'y a pas plusieurs temps (passé, présent,
futur), mais l'unique tension de mon âme. Et cette tension de l’âme —le temps— assure
l'unité de me vie. Ma vie a une unité et un sens parce que gardant mon passé présent en
mémoire, je peux orienter mon aujourd'hui vers un futur que j'attends et dont l'image est
déjà présente en moi. Alors que les grecs s'évertuaient à chasser le désir (ataraxie), le
christianisme comprend la vie humaine comme désir, désir d'un terme de ma vie qui lui
donne sens. Mais si le temps unifie les différents moments de ma vie, il peut aussi être
conçu comme unifiant les différentes générations humaines au cours de l'histoire. Comme
ma conscience unifie l'air que je chante, en s'étirant, «ainsi pour la vie humaine tout
entière, que composent en ses parties toutes les actions ; ainsi pour la race humaine tout
entière, que composent en ses parties au long des siècles toutes les vies humaines.» (ibid.)
La vie humaine —individuelle ou collective— a un sens, puisque orientée dans une
direction (le temps est linéaire et à sens unique, contrairement au temps circulaire des
grecs : l'éternel retour). Mais elle a aussi un sens parce qu’elle évolue vers un état
privilégié qui lui donne intelligibilité : de la création du monde, en passant par le péché et
par la chute, l'humanité, grâce à la rédemption du Christ, s'oriente vers l'achèvement des
temps, l'accomplissement du monde en Dieu. "La Providence divine, qui conduit
admirablement toutes choses, gouverne la suite des générations humaines depuis Adam
jusqu'à la fin des siècles comme un seul homme, qui de l'enfance à la vieillesse, poursuit
sa carrière dans le temps en passant par tous les âges." (Saint Augustin)
g. Révolution française : les hommes font leur histoire
Si le XVIII° siècle, avec les lumières, se livre à une critique de la religion, il ne va pas
moins reprendre au judéo-christianisme sa philosophie de l'histoire en laïcisant l'idée de
Providence sous la forme de l'idée de progrès. La notion de progrès suppose à la fois,
comme celle de Providence, une marche orientée à travers l'histoire, et une intelligibilité
globale de cette traversée.
Depuis le XVI˚ les hommes avaient pris conscience que le pouvoir au sein des sociétés
appartenait souverainement aux hommes, et que ceux-ci pouvaient faire ou défaire les
sociétés ; mais avec la Révolution française, pour la première fois, une société change
radicalement du fait de son propre dynamisme, elle se change. Et l'homme découvre sa
capacité à « faire sa propre histoire » en découvrant la force du « Nous » : l'idée
rousseauiste de volonté générale se trouve réalisée. Plus encore que le citoyen grec qui
enquêtait sur le passé, le citoyen européen du XIX˚ aura besoin de la connaissance
historique car ce n'est pas seulement le présent qu'il veut maîtriser mais encore le devenir
des sociétés.
h. L’histoire sur le modèle des sciences de la nature
On va alors voir se développer en France et en Allemagne "la connaissance
scientifiquement élaborée du passé" (la formule est de M. Marrou). L'histoire se
développe d'une part en France avec A.Thierry (1795-1856) et avec Michelet (1798-1874)
dans le prolongement de la révolution française, et d'autre part en Allemagne avec Ranke
(1795-1886) et Niebuhr (1776 1831) dans la perspective et l'espérance de la constitution
d'un Etat allemand unifié. L'histoire a bien trois "racines" : l'idée d'une temporalité
orientée qui rend possible le progrès, l'Etat et la citoyenneté, le développement des
sciences de la nature.