ont dit qu'il est la suprême injure faite à Dieu. Nous avons peine à la comprendre ; mais le
regard pénétrant du Sauveur la voit dans toute sa laideur.
Il voit la malice et la honte du péché. Il le voit enténébrant l'âme du pécheur, appau-
vrissant sa nature, flétrissant sa beauté, déformant l'image de Dieu qui ne nous a communi-
qué sa perfection que pour nous tenir fermes dans le vrai, le beau, le saint, il le voit dépouil-
lant l'âme de la grâce et la réduisant à n'être plus qu'une ruine d'elle-même. Il voit le pécheur
dépossédé de sa royauté sur les créatures, aveuglé sur ses devoirs, courbé sous l'empire du
démon, esclave des plus viles habitudes. Le psalmiste, chantre de notre gloire et aussi de
nos misères, a eu raison de dire : « L'homme était à l'honneur, il ne l'a pas compris ; il s'est
rendu digne d'être comparé aux bêtes sans raison et est devenu leur semblable «. Encore la
bête fait-elle ce qu'elle peut et ce qu'elle doit ; le pécheur marche sans sagesse et sans pré-
voyance vers l'avenir.
Jésus-Christ voit le pécheur privé de la grâce et frappé de stérilité ; par ses œuvres na-
turelles, il peut encore rendre quelques services en ce monde ; mais, pour le ciel, tout est
perdu. Il n'y a plus rien dans le passé dont le péché annule les mérites, plus rien dans le pré-
sent qu'il remplit d’œuvres inutiles pour l'éternité. Innocence et candeur des jeunes années,
luttes généreuses de l'adolescence, mâles vertus de l'âge viril, prières, travail, souffrances,
sacrifices, tout cela est mort, tout cela ne sert pas plus pour le ciel que le néant.
Encore, si ce n'était là qu'un désordre rare, clairsemé à travers les siècles ! Mais non ;
Jésus-Christ en vit l'effrayante multiplication : blasphèmes, impiétés, superstitions, profana-
tions, sacrilèges, haines, violences, impureté, débauches, orgueil, ambition, injustice, men-
songes ; tous les crimes de l'esprit, du cœur et des sens passent devant ses yeux. Ah ! qui
ne comprend la souveraine horreur qui s'empare de l'âme du Sauveur !
Mais, épouvantable vision ! Jésus voit se dresser devant lui l'ingrate persistance du
péché ! Le pécheur, par ses ingratitudes, rendra inutiles, funestes même les douleurs expia-
trices de son Dieu. Jésus voit cela dans un avenir aussi clair pour lui que l'est pour nous le
présent. Non seulement il y aura des profanateurs de la grâce dans l'Eglise, mais des
peuples entiers seront arrachés violemment par l'erreur des lieux où coule le flot de la ré-
demption. Les hérésies, les schismes, la fausse science désoleront le monde chrétien ;
même un siècle viendra où des hommes s'engageront à ne jamais être touchés par le sang
du Sauveur, et s'efforceront de chasser Dieu du monde.
Jésus voit tout cela, et il est pris d'un mortel dégoût. Pressé entre la vie et la mort,
entre la volonté de Dieu et l'ingratitude des hommes, triste, épouvanté, il s'affaisse, se
couche à terre et le sang coule avec la sueur de son corps ! Jésus, au jardin de Gethsémani,
est vraiment victime de sa profonde horreur du péché.
En présence de ce drame demandons-nous quels sont les sentiments de notre âme à
l'égard du péché. Si nous les analysons consciencieusement, nous verrons qu'ils sont loin de
l'horreur souveraine dont a souffert l'âme sainte du Sauveur. Ce qui nous fait horreur dans le
péché, n'est-ce pas moins l'injure qu'il fait à Dieu que le mal qu'il nous fait ou dont il nous
menace? Dans le débordement d'impiétés et d'iniquités dont nous sommes présentement les
témoins, ce qui émeut beaucoup d'hommes, même des catholiques, c'est la crainte d'en su-
bir', au détriment de leurs intérêts, de leur sécurité, de la paix du monde, les fâcheuses con-
séquences.
Le grand Dominicain dont le souci de la vérité est universellement reconnu, ainsi que
sa modération a pu dire : « Nous avons l'horreur des pécheurs plus que l'horreur de leurs
péchés ; et s'ils pouvaient offenser Dieu et perdre leur âme sans que nous ayons à en souf-
frir, nous les laisserions ourdir tranquille-ment leur trame d'iniquité. »
Et il ajoute : N'en avons-nous pas la preuve dans la manière dont nous traitons le pé-
ché quand nous l'avons commis. Qui donc songe à sa profonde ma-lice? Qui donc s'inquiète
sérieusement des ravages qu'il produit dans l'âme, des grands biens dont il nous prive, de
l'ingratitude par laquelle il répond à l'effusion du sang du Rédempteur? Combien vivent en
paix avec lui pendant de longs jours, des mois et parfois des années? Combien, lorsqu'ils
pensent à recouvrer l'état de grâce, ne sont émus que par la crainte servile du châtiment? Il
ne nous est pas dé-fendu de craindre le feu éternel ; mais prenons garde que ce sentiment