Concept « d'arrivée du Qi » en acupuncture selon le Nei Jing Zhen Jiu, l'acupuncture, technique subtile Dans l'acupuncture moderne, on accorde une très grande importance à la sensation de Qi ( 针感). L'acupuncteur doit ressentir une sorte d'appel de l'aiguille, comme si elle s'enfonçait, se raidissait, vibrait, un peu comme lorsqu'un poisson mord à l'hamecon; le patient, quant à lui, peut ressentir une douleur, une lourdeur, un gonflement, un engourdissement, une courbature, etc. Cette sensation de Qi a été entièrement identifiée avec le phénomène de saisie du Qi (得气) et est donc considérée comme le critère absolu, la condition sine qua non de l'efficacité de l'acupuncture; pas de sensation de Qi , pas de résultats ! Pourtant, dans la réalité clinique, deux phénomènes fréquemment observables semblent venir contredire cette sacro-sainte vérité : 1. 2. tous les patients n'éprouvent pas de sensation de Qi on peut très bien avoir la sensation de Qi et pas de résultats Par ailleurs, dans certains systèmes d'acupuncture comme l'acupuncture abdominale (腹针) ou l'acupuncture poignets/chevilles (腕踝针), il n'y a aucune recherche de sensation de Qi et pourtant, les résultats cliniques sont excellents. L'acharnement systématique à obtenir une forte sensation de Qi peut au contraire donner lieu à certains effets secondaires, notamment la syncope de l'aiguille; il peut conduire à infliger au patient une douleur qui n'est pas du tout nécessaire pour obtenir des résultats. Pour éclaircir tout cela, il est intéressant d'aller chercher des éléments de réponse dans le texte fondateur de l'acupuncture par excellence, le Huang Di Nei Jing (surtout le Ling Shu) et, en particulier, de revoir de plus près le concept d'arrivée du Qi (气至). Dans le passage « Jiu Zhen Shi Er Yuan » du Ling Shu, il est clairement écrit : « ...Point crucial, que le Qi arrive et les résultats sont là » (刺之要,气至而有效). Dans le passage « Zong Shi », il est écrit : " Que la volonté passe par l'aiguille, ...mobilise le Shen, que le Qi arrive et c'est la guérison... » (气至乃休. Dans ces deux passages du Ling Shu, le phénomène d'arrivée du Qi (气至) est la clef de l'obtention des résultats et il n'est nullement question de sensation de Qi (气感). Selon d'autres passages du Ling Shu, l'arrivée du Qi s'obtient de deux façons : 1. en utilisant des techniques appropriées de tonification ou dispersion et en harmonisant son propre Shen 2. en laissant l'aiguille agir sans la travailler, pour que le Qi ait le temps de se transmettre le long du méridien et de produire ainsi son effet jusqu'à ce que le flux de Qi retrouve son harmonie. Ensuite, selon d'autres textes encore, pour savoir si cette « arrivée du Qi » s'est produite ou pas, il est indispensable de prendre les pouls avant et après; c'est ainsi qu'on peut vraiment mesurer la modification du Qi chez le patient produite par la puncture. Comme il est aussi écrit dans le passage « Jiu Zhen Shi Er Yuan »: « Le signe annonciateur du résultat est semblable à une brise qui chasse les nuages » (效之信,若风之吹云). Tian Qing Qi He Le Ciel est clair, le Qi est en harmonie On ne doit pas confondre la sensation de Qi avec l'arrivée du Qi. La sensation de Qi est une sensation que ressentent le thérapeute et le patient lors de la puncture alors que l'arrivée du Qi est un processus d'harmonisation du Qi, grâce auquel les pervers peuvent être chassés et la maladie guérie. D'ailleurs, le caractère Zhi dans l'expression Qi Zhi (气至) qui est traduite ici par "arrivée du Qi" ne signifie pas seulement "arrivée"; il exprime l'idée d'atteindre son but, sa destination". Ainsi, par "arrivée du Qi", il ne faut comprendre que le Qi arrive à l'endroit que l'on puncture, mais que grâce à la stimulation effectuée par la puncture, le Qi se propage dans le corps le long du méridien pour produire son effet harmonisant, c'est à dire toucher son but! C'est cela, arriver, c'est atteindre son but! Les résultats ne sont pas proportionnels à l'intensité de la sensation de Qi; ce n'est pas parce que la sensation de Qi est forte que les résultats seront au rendez-vous. En fait, la sensation de Qi, celle du thérapeute comme celle du patient, dépend étroitement du type de tissu touché (tissu conjonctif, fibre nerveuse, vaisseau sanguin, muscle, ...) lors de la puncture; on ne peut donc pas la prendre comme critère d'efficacité. Certains rapports cliniques relatent des cas où, suite à une forte sensation de Qi, suivie d'un travail « acharné » de l'aiguille, non seulement la douleur infligée au patient était insupportable, mais de plus - et c'est là le plus grave -, le problème s'est trouvé au contraire aggravé ! A l'inverse, par des stimulations très douces comme avec les aiguilles enterrées ( 埋针疗法), on peut obtenir d'excellents résultats, sans douleur, ni effets secondaires. On ne peut que malheureusement constater que dans le domaine de l'acupuncture, aujourd'hui, on fait bien top peu de cas du diagnostic différentiel et des principes de traitement qui en découlent. Or, c'est pourtant en fonction de cela qu'on devrait choisir et puncturer les points d'acupuncture. Si ceux-là sont bien choisis, alors il devrait être possible de mesurer les effets grâce à la prise de pouls, avant et après la séance; on devrait pouvoir connaître l'état du Biao et du Li, la présence de chaleur ou de froid, le niveau de Qi et de Sang et voir si on s'est rapproché de l'harmonie énergétique recherchée. Par ailleurs, il est noté dans le Ling Shu, que lorsque le pouls est petit, ce qui traduit un vide de Qi et/ou de Sang, l'acupuncture est contre-indiquée; il faut d'abord remplir ce vide à l'aide de pharmacopées adaptées. Enfin, comme la sensation de Qi est considérée comme la clef de l'efficacité, il est aussi couramment recommandé aujourd'hui de stimuler l'aiguille toutes les 5 ou 10mn afin de relancer la sensation de Qi, dans le but de renforcer les résultats. Pourtant, dans le « Nei Jing », il existe bien la thèse selon laquelle « il vaut mieux laisser l'aiguille tranquille » (用 针益静). Cela permettrait en fait au processus d'harmonisation du Qi enclenché par la puncture de se dérouler plus efficacement. Cela permet aussi au patient de reposer dans le calme et de porter son attention au travail sur le Qi qui se produit en lui; or, cela aussi est un facteur favorable à l'obtention de meilleurs résultats. Le calme ne nourrit-il pas le Shen? C'est pour cela que l'environnement est important et l'éclairage, la température, la décoration de la pièce ne sont pas à négliger; ils peuvent jouer un rôle tout à fait appréciable dans l'harmonisation du Shen du patient. Bref, ce qu'on peut dire en synthèse, c'est qu'on a confondu à tort le phénomène de sensation de Qi (et saisie du Qi) avec celui d' »arrivée du Qi ». La sensation de Qi n'est pas du tout indispensable à l'obtention de bons résultats comme on l'a si longtemps cru. Il reste donc à revoir entièrement notre façon de mesurer l'efficacité de l'acupuncture et dans ce domaine, la prise des pouls avant et après est un premier pas important. Mais il reste surtout à revoir notre façon de pratiquer l'acupuncture afin d'atteindre l'objectif d'harmonisation du Qi de la manière la plus douce et confortable possible...et sans oublier qu'au delà du Qi, il y a le Shen! On peut d'ailleurs se demander si le véritable but de la mobilisation du Qi par acupuncture, ce n'est pas justement le Shen... Shen, l'Esprit, traversé d'une ligne verticale qui ressemble bien à une aiguille Article originel : 成都中医药大学学报, 弟35 卷, 第1期, 2012年3月 黄帝内经"气至"的阐释对现今针灸临床的启示 Journal de l'Université de MTC de Cheng Du, vol. 35, n° 1, Mars 2012, p. 68 Apport du concept « d'arrivée du Qi » dans le Huang Di Nei Jing à la pratique de l'acupuncture d'aujourd'hui Traduit et adapté par Jean-Christian Raoux