Les évaporites (roches salines) Les roches salines naissent de processus chimiques, qui se réalisent dans des conditions voisines de la normale. La condensation à l’air libre de gaz volcaniques en efflorescences, c’est-à-dire en transformation, constitue un mode de genèse des roches salines très particulier. Dans tous les autres cas, celle-ci, tout comme les dépôts réalisés artificiellement dans les salins, résultent d’une cristallisation aux dépens de solutions aqueuses. Les sels précipitent dans des nappes d’eau, pour sédimenter en séquences stratifiées. L’étude des séries naturelles permet d’affirmer l’importance du fait sédimentaire, mais les facteurs de la précipitation sont variés et la diagénèse (transformation progressive d’un sédiment en roche) des dépôts est précoce. C’est pourquoi, il est préférable pour désigner les roches salines, d’éviter le terme « évaporites », qui n’implique que le processus évaporatoire. La sédimentation des sels obéit à des lois simples, car les facteurs biologiques restent ici modestes. Les dépôts qu’elle a fournis sont des indices précieux dans les essais de reconstitution des paysages passés. Ils jouent aussi un rôle important en tectonique et en géologie pétrolière comme couverture de gisements, facteur de piégeage, indice d’un environnement favorable à la formation des hydrocarbures. Les sels correspondants présentent, en outre, un intérêt majeur pour l’industrie, avec la fabrication du plâtre, l’extraction de la halite (sel gemme : chlorure de sodium), et à la production des engrais potassiques. I/Conditions générales de formation 1. Précipitation des sels et séquences salines : La précipitation d’un sel s’effectue, lorsque le produit des concentrations de ses composés ioniques atteint une valeur limite, appelée produit de solubilité qui dépend de la température comme de la pression. Les processus sont variés, mais toujours plus ou moins associés : Introduction d’ions nouveaux qui permettent la cristallisation de sels de faible solubilité Addition de nouveaux ions semblables à ceux qui sont déjà présents Changements de température Extraction du solvant Ce dernier facteur, correspond à l’évaporation des saumures (eau fortement salée dont on extrait le sel par évaporation), dont la concentration doit atteindre une valeur telle que, les autres facteurs puissent intervenir. Lorsqu’un sel précipite, le chimisme de la solution évolue : un autre sel pourra précipiter en constituant le second terme d’une séquence. Les successions les plus simples se réalisent alors, quand les apports en ions sont négligeables par rapport au stock piégé dans le bassin. Mais ceci est exceptionnel de trouver de tels bassins qui correspondent à ce cas idéal, car les apports varient en fonction du climat, et dépendent de la nature, du chimisme et de la position des tributaires (cours d’eau qui se jette dans la mer) du bassin. Les dépôts salins les plus communs sont fournis, de nos jours, par des dépressions continentales de faible portée. Mais on connaît des gisements, estimés à plusieurs centaines de milliers de kilomètres cubes, occupant des plates-formes, dépourvues d’affleurements (roche constituant le sous-sol se retrouve à la surface) salins plus anciens, qui étaient susceptibles de les avoir alimentés. Seule une évaporation d’eaux, d’origine marine, peut expliquer leur présence. On est donc conduit, à choisir comme modèle de séquence saline, celle qui résulte de l’évaporation de solutions, ayant la composition ionique de l’eau de mer. 2. Sels obtenus par évaporation de l’eau de mer : La figure 1 schématise le modèle de l’évaporation, à 25° C, d’une colonne d’eau de mer pour que 100m de chlorure de sodium (halite : sel gemme), se déposent au-dessus de quelques décimètres de carbonates, et de 4,8m de gypse. Pour obtenir ces épaisseurs, il faudrait évaporer une épaisseur de 8,5km d’eau de mer, ce qui parait peut probable, et empêche la réalisation d’un tel modèle. Pour une température donnée, la séquence varie par conséquent suivant la stabilité des précipités, et en fonction des possibilités de réactions entre dépôts. Dans les conditions naturelles, ces réactions sont en général possibles, et la séquence type des sels d’origine marine, devrait correspondre, après un début de diagénèse (transformation progressive d’un sédiment en roche), à la colonne b. Au-dessus de 100m de sel gemme (chlorure de sodium), on rencontrera donc de bas en haut : 7,5m d’un mélange halite-kiésérite ; 23m d’un mélange halite-kiésérite-carnallite ; et 24,5m de bischofite avec des traces des sels précédents. La figure 2 reproduit diverses séquences obtenues, par évaporation statique d’eau de mer, à des températures variées. Il convient de noter que la silvine n’apparait qu’aux basses températures, et elle ne peut se former, qu’à partir d’eaux plus pauvres en magnésium et en sulfate. II/Principales catégories 1. Les dépôts salins paralique (désigne une zone littorale qui est en contact avec la mer par une communication étroite) Les exemples de ces dépôts salins sont toujours limités à des zones restreintes sous climat aride. Le déficit en au douce est composé, par un apport continu d’eaux marines, et les dépôts correspondent aux sels fournis par l’eau de mer. Le voisinage du continent peut néanmoins perturber les rapports volumiques entre sels déposés, car interviennent les cours d’eau, qui importent des ions d’origine continentales. En bordure des bassins, les dépôts carbonatés s’organisent en associations complexes : outre la présence d’aragonite et de calcite, la dolomite est fréquente, mais aussi les carbonates magnésiens. Les apports de sulfates provoquent, dans des eaux sur salées, la formation de sels multiples, dont la poly halite qui, en général remplace le gypse par épigénèse (remplacement lent d'un minéral par un autre dans une roche). En fait, ces modèles actuels sont rares. On peut trouver la sebkha côtières du golfe Persique ou des côtes sud-orientales de la méditerranée (sebkha el Mellah de Zaria en Tunisie), les lacunes de la Californie mexicaine, Boucana de Virola au Pérou, et les côtes de l’Australie. Les grands gisements fossiles ne peuvent s'expliquer que par, la dominance des apports d'eau marine: seule l'étude paléogéographique (discipline de paléontologie dont l'objet est la reconstitution théorique de la géographie passée des territoires) de ces bassins permet d'imaginer les modèles théoriques de genèse. Pour qu'un bassin paralique dépose des sels en grande quantité, deux conditions sont nécessaires : L'évaporation est supérieure aux apports d'eau, qui viennent des pluies et des fleuves voisins, le déficit étant compensé par des apports d'eau salée, qui vient d'un océan voisin (ou mer). Les saumures sont piégées, au moins en partie, dans le bassin. La communication entre le bassin salin et la mer doit être restreinte, car les solutions peuvent migrer vers la mer par un courant. Cela a donc conduit à la notion de barrière, pour empêcher ces migrations. Il apparaît alors que, les conditions idéales sont sous un climat aride, dans un bassin, qui était anciennement une terre continentale, qui a été envahie par l'océan, faiblement ouvert sur l'océan. Le facteur climatique, et la configuration du bassin interfèrent dans la création de ces sels. Dans certains cas, il y a un équilibre, ce qui peut bloquer le chimisme du bassin dans un domaine particulier de salinité. Par exemple, il peut avoir création de dépôts de gypse important, sans que la sursaturation en chlorure de sodium soit atteinte. Par conséquent, toute modification de l’un des facteurs entrainent l’augmentation ou la diminution du courant, ce qui modifie le type des dépôts, soit en favorisant, soit en inhibant la précipitation de certains sels. C’est ainsi, qu’il est impossible d’obtenir les sels de potassium et de magnésium, si les saumures ne sont pas totalement piégées. 2. Les dépôts salins continentaux. Ce sont de nos jours les dépressions, qui fournissent les dépôts salins les plus communs. Les bassins continentaux ne donnent que des séries pas très importantes, qui ont une espérance de vie réduite. Deux types principaux de roches salines continentales, correspondent à deux modes de genèse très différente : Le dépôt de sels fournit des encroûtements qui s'organisent zonalement en formations calcairesgypseuses-sulfatées, puis chlorurées sodiques, depuis les steppes humides jusqu'au désert franc. Les sédiments de bassins qui n’ont pas de relation avec la mer, sebkhas, playas et lacs sur salés, constituent le second type. Le Kara-Bogaz est un exemple naturel classique de bassin continental lié à une étendue d'eau plus vaste par une communication à sens unique, mais plusieurs caractères en font un modèle chimique exceptionnel. En effet, les saumures sont très différentes de l'eau de mer normale et leur richesse en ions SO42- et Mg2+ induit des dépôts très particuliers où interviennent les sulfates de potassium et de magnésium. III/Sédimentation saline et géologie historique 1. Les principales époques de la sédimentation des sels Les dépôts salins sont distribués sur tout l'ensemble des temps géologiques, du Cambrien au Tertiaire. Mais certaines époques se signalent, par des formations importantes. Les conditions optimales se réalisent au Cambrien, au Dévonien moyen, au Carbonifère moyen, au Permien, au Trias, au Jurassique supérieur, au Néocomien, de l'Eocène supérieur, et au Miocène. 2. Signification paléoclimatique et paléogéographique des roches salines La présence de roches salines indique l'existence d'un déficit en eau douce pendant le temps du dépôt et pendant une période plus ou moins longue précédant le dépôt, mais il n'est pas nécessaire que ce déficit soit considérable, et un climat franchement aride n'est pas obligatoire. L'interprétation des séquences continentales est difficile, mais il est clair que les séries d'origine marine ne se forment que dans des bassins dont les communications avec la mer ouverte sont restreintes, sous un climat permettant un déficit sensible en eau douce. Pour la plupart des auteurs, cela semble indiquer une distribution climatique zonale de ces bassins. Or, à l'époque actuelle, il n'existe pas une symétrie parfaite des pays les plus secs de part et d'autre de l'équateur : dans l'Atlantique, le déficit atteint 150 cm/an entre 150 et 250 nord, 50 et 150 sud. C'est donc avec une extrême prudence qu'on utilisera les dépôts salins comme index éventuel de la position des pôles à une époque donnée, bien que leur répartition s'accorde globalement avec les idées actuelles sur la dérive des continents. Une séquence saline ne peut pas être utilisée comme critère, pour savoir la profondeur du bassin au moment du dépôt, car rien n'exclut la possibilité d'une précipitation chimique dans une mer profonde. D'ailleurs, l'estimation des vitesses de sédimentation des sels fournit des valeurs de 1 à 10 cm/an, beaucoup plus grandes que celles de l’affaissement lent dans un bassin (0,1 à 2 mm/an), ce qui a conduit certains auteurs à penser que les séries salines épaisses n'ont pu se déposer que dans des bassins suffisamment profonds.Enfin, la plupart des grandes séries connues correspondent à un envahissement de surfaces plus ou moins aplanies par une mer.