chinoise. Sans cet apport constant, il est à craindre que la connaissance de la médecine
traditionnelle chinoise en France croule de plus en plus sous la poussière.
D'autres personnes ont accès à la connaissance indirectement par l'intermédiaire de
professeurs ou maîtres chinois. Loin de moi de critiquer cela car ces maîtres m'ont tellement
enseigné et avec tant de générosité que je leur dois une reconnaissance éternelle. Toutefois,
il faut bien être conscient de différentes choses. D'abord, si on n'a pas la maitrise de la langue
et qu'on a pas le recul que peut procurer un vécu suffisant en Chine, il est difficile d'avoir un
esprit critique vis-à-vis de l'enseignement d'un maître; or, tout maître a aussi ses limites. Il
existe d'ailleurs une formule d'usage consacrée figurant au début de nombreux livres de
médecine chinoise « Mon humble personne étant d'un niveau limité, prière de pardonner les
lacunes et insuffisances de ce livre». C'est mignon, non ? Surtout quand ça vient des plus
grands d'entre eux...
En Chine, la démarche considérée comme normale pour un étudiant en médecine chinoise,
après avoir appris les bases, c'est d'aller apprendre avec autant de maitres que possible, tirer
la quintessence de l'enseignement de chacun et finalement élaborer son propre système
personnel. Cela signifie déjà qu'il faut être capable de penser par soi-même et de faire preuve
de discernement. Etre un bon disciple ne signifie pas reproduire aveuglément ce que notre
maître nous a appris en ne jurant que par lui à chaque souffle de vie; cela signifie comprendre
en profondeur l'enseignement et si possible, l'approfondir, l'enrichir et même, un jour, le
dépasser. C'est le vœu le plus cher d'un véritable maître : voir son disciple le dépasser. Un
vrai maître cherche avant tout à éveiller votre compréhension; il cherche à éveiller le maître
en vous, non à vous maintenir dans l'état de disciple, qui est un état d'enfance. Un maître qui
vous demande de lui obéir aveuglément n'est pas un maître, c'est un terroriste !
En fait, d'après ce que j'ai observé personnellement, le problème ne vient pas tant des maitres
chinois, mais plutôt de leurs disciples occidentaux qui projettent sur eux leurs fantasmes de
gourous ou cherchent, à travers eux, une légitimité que leur valeur personnelle ne pourrait
jamais leur donner. Même en admettant que le maître auquel on se réfère soit un véritable
maître de haut niveau, son enseignement ne doit pas pour autant être pris comme une vérité
unique et absolue. Il faut quand même savoir qu'il existe en Chine de très nombreux maîtres.
Lorsqu'on en a connu qu'un seul, même si celui-ci est de haut vol, on ne peut pas prétendre
pour autant détenir la tradition. Ainsi, à toute personne qui prétendrait détenir l'orthodoxie
de la médecine traditionnelle chinoise, après lui avoir demandé s'il connaît la langue chinoise
et combien de temps il a passé en Chine, il faudrait aussi lui demander avec combien de
maîtres il a étudié et qui ils sont.
Nous allons maintenant aborder un point qu'il est pour moi essentiel de comprendre. Les
Chinois sont extrêmement pragmatiques et n'ont pas le même goût que nous Occidentaux
pour les débats d'idées. Selon la tradition chinoise, un mental agité est un signe de débilité.
Bon, j'en conviens, la formulation est peut-être un peu sévère, mais je trouve que débilité
rime bien avec agité! Rappelez-vous l'histoire de Hui Neng, 6ème patriarche Chan. A deux moines qui
se disputaient pour savoir si c'était le drapeau qui bougeait ou bien le vent, il répondit: « Ce n'est pas le
vent qui bouge, ce n'est pas le drapeau qui bouge, c'est votre mental qui bouge! ».