LCR Formation 72
Cycle de discussion sur l'actualité du marxisme : Introduction au débat (LCR 33 Année 2004)
Histoire et techniques, Capitalisme et nouvelle technologie…
Nées au cours de la dernière moitié du siècle dernier, les " nouvelles technologies ", l'informatique et les
moyens de communication modernes, se sont répandues dans tous les secteurs de la vie au cours des vingt
dernières années.
Elles nous ont permis, indiscutablement, de bénéficier de progrès importants, dans le domaine médical,
par exemple, ou dans la vie quotidienne, par la production de masse d'ordinateurs personnels, de
téléphones mobiles, de services comme Internet, etc..
Les " nouvelles technologies " ont également modifié profondément les moyens de production et
d'échange. Dans le cadre des entreprises, l'introduction massive de l'informatique et des réseaux a permis
d'augmenter considérablement la productivité des équipements et de les rendre flexibles, c'est-à-dire
capables de s'adapter, très vite, aux besoins changeants de la production. Elles ont permis également aux
entreprises de communiquer entre elles " en temps réel " quelle que soit la distance qui les sépare. A ce
titre, elles constituent la base technologique sur laquelle ont pu se développer les " délocalisations ", c'est-
à-dire le transfert de certaines productions des anciens pays industrialisés vers des pays dits " à bas coût
de main d'œuvre ", anciennes colonies et pays de l'Est.
Comme à bien d'autres moments de l'histoire du capitalisme, les gains de productivité apportés par les
innovations technologiques, au lieu de profiter à l'ensemble des hommes, se transforment en chômage, en
aggravation des conditions de travail, en misère. En quelques dizaines d'années, le capitalisme, en
exploitant les possibilités offertes par les nouvelles technologies, a profondément bouleversé la façon de
vivre des travailleurs du monde entier. Mais ces bouleversements, dont on serait en droit d'attendre une
amélioration des conditions de travail et de vie, s'accompagnent, mises au service du capital, d'une
véritable régression sociale.
Comment les évolutions technologiques qui démultiplient les capacités de production de biens utiles à
tous, peuvent-elles se retourner contre la grande majorité ?
Faut-il revenir en arrière, imposer un moratoire sur le " progrès ", en quelque sorte, afin de s'en protéger ?
Ou existe-t-il au contraire une possibilité de dépassement, dans laquelle nous pourrions, en libérant la
société des contraintes que lui impose une organisation sociale soumise aux lois de la propriété privée et
de la concurrence, débarrasser les progrès technologiques de la malédiction qui semble les accompagner,
et permettre à chacun d'entre nous d'en bénéficier pleinement ?
Ces bouleversements n'ont-ils pas créé les conditions même d'une transformation de la société que le
mouvement ouvrier a inscrite dans son programme depuis ses origines ? Ne contribuent-ils pas à créer les
conditions d'une société communiste, à faire de ce que certains voudraient ranger au rayon des utopies
totalitaires la réalité de demain ?
La conception marxiste de l'évolution des sociétés humaines
Pour discuter de ces questions, nous allons utiliser la méthode d'analyse développée par Marx et Engels
dans les années 1850, le " matérialisme historique ", qu'Engels définissait ainsi : " [il faut chercher] la
cause première et la force motrice décisive de tous les événements historiques importants dans le
développement économique de la société, dans la transformation des modes de production et d'échange,
dans la division de la société en classes distinctes qui en résulte et dans les luttes de ces classes entre elles.
" (préface à l'édition anglaise de Socialisme utopique, socialisme scientifique)
" Développement économique ", " transformation des modes de production et d'échange ", " division de la
société en classes distinctes " et " lutte de ces classes entre-elles " sont les moteurs de l'évolution des
sociétés. Ces facteurs dépendent les uns des autres : la division de la société en classes distinctes résulte
de l'évolution des bases économiques et techniques, produits du travail humain. Et c'est la lutte des
classes, inévitable conséquence de la division de la société, que les hommes en aient conscience ou non,
qui est le moteur de l'histoire.
Marx et Engels appliquent cette méthode du matérialisme historique à l'analyse de la situation politique
de leur époque (Les luttes de classes en France, histoire de la révolution de 1848, etc.), mais aussi à
l'histoire de l'évolution des sociétés. Sur l'histoire des sociétés primitives, une première confirmation
expérimentale viendra d'un ouvrage, La société archaïque, écrit par un ethnologue américain, Morgan, qui
décrit la façon selon laquelle vit encore, au 19ème siècle, une tribu d'Iroquois. Engels s'appuiera sur cet
ouvrage pour écrire un livre dont le titre définit clairement le contenu : Histoire de la famille, de la
propriété privée et de l'Etat. Cette théorie matérialiste et évolutionniste des sociétés humaines se
renforcera de la théorie de l'évolution des espèces de Darwin. Actuellement, elle est admise par tous les
scientifiques s'occupant de l'histoire des civilisations, comme on peut en trouver l'illustration dans leurs
écrits, dans tous les musés d'histoire, ou encore dans un film comme l'Odyssée de l'espèce.
L'apparition des sociétés de classe
L'Odyssée de l'espèce décrit, d'une façon romancée, mais réaliste d'un point de vue scientifique, toute une
période de notre histoire, où nos ancêtres vivaient de la cueillette et de la chasse. On suit plusieurs tribus
d'hominidés, on les voit acquérir la station debout, inventer les outils, apprendre à domestiquer le feu,
etc…
Parmi les scènes marquantes du film, il y a celle où la tribu a trouvé un crocodile mort au bord d'un
fleuve. Il s'agit d'une quantité de viande inespérée, mais dont elle est dans l'incapacité de profiter, faute de
disposer de mâchoires, de dents et de griffes lui permettant de passer à travers la peau de la bête. Au
même instant, un peu à l'écart, un jeune qui joue avec un galet tranchant se blesse la main et découvre, par
association d'idée, la solution au problème : il invente, en direct, le couteau en pierre taillée. Il permet du
même coup à l'espèce humaine de franchir un pas, de dépasser, grâce à son imagination, un des multiples
handicaps dus à son anatomie.
Cette scène est tout à fait significative de ce qui pousse les hommes à innover, à inventer. Et on en mesure
immédiatement les bienfaits : sitôt inventé, l'outil permet de transformer le crocodile en festin dont profite
l'ensemble de la tribu. Il augmente, pour la même quantité de travail, les " richesses " à disposition de la
communauté. Ces richesses sont réparties en fonction des relations qui lient les divers individus de la
communauté, en fonction de son organisation sociale. Ici, en l'occurrence, toute la communauté va
profiter de l'aubaine.
La civilisation des cueilleurs chasseurs durera plusieurs millions d'années, sur la base de progrès
technologiques extrêmement modestes et lents. La tribu d'Iroquois dont parle Morgan dans La société
archaïque vit encore aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle selon ce mode de production.
Mais certaines tribus de chasseurs-cueilleurs, dans des conditions géographiques particulières, vont
donner jour à un autre stade de l'organisation des sociétés humaines. L'invention de l'agriculture, il y a
une dizaine de milliers d'années, bouleversera totalement la façon de vivre et l'organisation sociale des
hommes. C'est la " révolution néolithique ", l'âge de la pierre polie, puis du bronze et du fer.
Un des éléments principaux de cette révolution est que, pour cultiver les champs, il faut rester sur place,
au moins le temps que la récolte pousse. Cela va conduire à la sédentarisation, à la naissance des villages.
Entre deux récoltes, il faut conserver les aliments : l'invention de la poterie répondra à ce besoin, avec
celles des greniers à grains, du moulin, etc. La productivité du travail humain augmente
considérablement, et la quantité moyenne de vivres que la collectivité peut produire dépasse ses besoins.
Il apparaît ce que l'on appelle un surproduit du travail. Il devient possible de détacher certains individus
des tâches agricoles, afin qu'ils se consacrent à des activités utiles à la collectivité : forgeron pour préparer
des outils, prêtre pour consulter le ciel, décider du bon moment pour la récolte, implorer les dieux contre
la sécheresse, " soldats " pour protéger les stocks contre les pillards…
Les relations sociales s'organisent autour de cette division élémentaire du travail. Le produit du travail
commun est réparti de manière équitable, selon des règles régies par des coutumes.
Ces sociétés de villages agricoles primitifs connaîtront, elles aussi, une longue histoire, puisqu'on peut en
trouver la trace, actuellement encore, dans certaines régions du monde.
Mais dans le village d'agriculteurs du néolithique se trouvent en germe les ingrédients d'une nouvelle
civilisation. Grâce à des conditions géographiques et climatiques particulières, certaines communautés
agricoles, bénéficiant d'une productivité du travail exceptionnelle, vont faire franchir un nouveau pas à
l'organisation sociale. Le village s'agrandit, devient une ville. La division du travail s'accentue. La taille
de la communauté, la complexité des relations de travail, augmentent au point que les anciennes relations
sociales, basées sur la coutume et les relations personnelles directes, deviennent incapables de répondre
aux besoins organisationnels de la nouvelle société : la répartition collective des tâches doit être
centralisée, confiée à des administrateurs spécialisés.
La surveillance des remparts de la ville nécessite une armée permanente, coupée des tâches productives,
donnant à ses chefs un pouvoir accru. Les surplus du travail des paysans, les stocks de grain, les
troupeaux, se retrouvent petit à petit accaparés par des prêtres ou des chefs militaires. C'est l'invention de
la propriété privée : l'appropriation, par une minorité, du surproduit du travail des producteurs, l'invention
d'une nouvelle répartition des richesses.
Et pour maintenir cette organisation sociale profondément inégalitaire, aux règles en totale contradiction
avec les coutumes anciennes, apparaît l'Etat, dans lequel s'imbriquent plusieurs fonctions :
administratives, avec sa " bureaucratie " qui assurera " l'administration des hommes " ; idéologiques avec
l'appareil religieux qui justifiera, au nom des dieux, les nouvelles inégalités sociales ; répressives, avec
l'armée. Grâce à cette force de répression, à côté du vol du surproduit du travail des paysans et des
artisans, se développera, à grande échelle, l'exploitation des esclaves.
Cette évolution se concrétisera, il y a 5000 ans, autour de la Méditerranée, par ce que l'on a appelé les "
civilisations antiques " : en Mésopotamie (l'Irak actuel), en Egypte, puis en Grèce, et enfin à Rome. On
trouve également le même type de société en Inde, en Chine, en Amérique centrale et du Sud.
Pour comptabiliser les richesses possédées par les classes dirigeantes, les hommes vont inventer le calcul,
puis l'écriture. Et pour transmettre ces richesses à leur descendance, ils vont inventer la famille, le contrat
de mariage, l'héritage, les titres de propriété… Ainsi apparaît, pour maintenir une organisation sociale
fondamentalement injuste, une base juridique qui s'imposera à l'ensemble de la société par la contrainte
idéologique et la violence militaire de l'Etat. Selon ces lois, les esclaves, comme tous les autres moyens
de production, sont la propriété de leur maître. Objets d'un commerce florissant, ils travaillent toute la
journée pour leur maître qui les loge et les nourrit.
Les richesses que cette organisation sociale a permis de tirer du travail humain sont considérables. On
peut les mesurer par exemple à la taille des monuments et au faste des œuvres d'art qu'elles ont laissé. Les
techniques utilisées étaient pourtant les mêmes que celles des villages d'agriculteurs, essentiellement des
outils manuels, pelles, pioches, burins, marteaux rudimentaires. Et cela non parce que les hommes d'alors
manquaient d'imagination : les ingénieurs grecs ont inventé les engrenages, les vis, les leviers, etc., mais
tout simplement parce que les classes dominantes disposaient de main d'œuvre servile et ne ressentaient
pas le besoin de la remplacer par des machines. Bien au contraire.
Les esclaves constituaient, au même titre que les troupeaux ou les biens mobiliers et immobiliers, le
patrimoine des classes dominantes. Maintenir cette richesse supposait nourrir les esclaves, comme on
nourrit les animaux que l'on possède, indépendamment du travail qu'ils produisent. " Rentabiliser " la
main d'œuvre servile, (que l'on ne pouvait pas licencier en cas de manque de travail), cela voulait dire
l'occuper, lui trouver du travail. C'est ce qu'exprime la réponse que fait, aux alentours des années 300 de
notre ère l'empereur Romain Dioclétien, à un inventeur qui lui présentait les plans d'un nouvelle machine,
sans doute un appareil de levage : " Si je construis cette machine, je priverai mes hommes de travail.
Alors, comment les nourrirais-je ? ".
Ainsi, l'idée chère aux patrons que ce sont eux qui, en donnant du travail aux travailleurs, permettent à ces
derniers de vivre, n'est pas neuve… Quant à Dioclétien, il n'imaginait pas une seconde que cette machine
pourrait permettre de diminuer le temps de travail de chacun des " ses " hommes : il est déjà clairement
entendu, par les classes dominantes, que les exploités travaillent aussi longtemps que le permet la journée,
indépendamment de la productivité de leur travail.
Mais ce qui apparaît surtout, c'est que le mode de production basé sur l'esclavage entre immédiatement en
contradiction avec toute évolution technologique qui tendrait à augmenter la productivité du travail. Avec
l'apparition de la société de classe, l'innovation technologique, cette tendance des hommes à inventer des
moyens de diminuer le temps de travail nécessaire pour se procurer les moyens de subsistance, se
transforme de bienfait en calamité.
Des civilisations antiques au capitalisme
L'Empire romain s'impose sur les civilisations égyptiennes et grecques. Il s'étend sur les territoires actuels
de l'Europe de l'ouest : Espagne, France, Italie, une partie de l'Allemagne, le sud de l'Angleterre, et de
l'Afrique du Nord. Des villes sont créées à l'image de Rome. Les peuples agricoles qui occupaient alors
ces contrées sont peu à peu " romanisés ". Les terres agricoles sont accaparées par des " nobles ", qui les
font travailler par des esclaves. Les échanges entre toutes les villes de l'empire sont assurés par voie
fluviale, maritime, et par le réseau de voies romaines qui sillonnent l'Europe. C'est la dissémination, à
l'échelle d'un continent, de la civilisation romaine.
Ce faisant, une nouvelle dimension apparaît. La ville de Rome a de plus en plus de difficultés à imposer
sa domination sur la totalité de l'empire. Une tendance à l'autonomie des villes et des provinces apparaît.
Des révoltes d'esclaves secouent l'empire. En même temps, aux frontières, s'exerce la pression des
peuples barbares, venus d'Europe centrale, d'Asie… A la fin du 4ème siècle de notre ère, l'Empire romain,
miné pas ses contradictions internes, finit par s'effondrer, sous la poussée des barbares qui l'envahissent.
Les liens centralisés des diverses provinces et villes de l'Empire avec Rome disparaissent. Les
envahisseurs s'installent sur les ruines de l'empire romain, et de cette situation nouvelle va naître la
société féodale.
Il s'agit, à l'origine, de la juxtaposition de petits territoires ayant à leur tête un seigneur. Chacun de ces
seigneurs exploite, sous la forme du servage, le travail des paysans. Il existe, entre les seigneurs, une
hiérarchie complexe, vassaux et suzerains. Le premier est " sujet " du second, qui, en échange, lui doit
protection. L'église catholique qui s'est développée au cours des derniers siècles de l'Empire romain,
constitue un élément essentiel de cette structure. Elle est organisée selon la hiérarchie féodale et exploite,
elle aussi, des serfs. Les serfs constituent la catégorie sociale la plus basse de la société féodale. Ils
cultivent les terres du seigneur - auxquelles ils sont attachés -, qui leur droit protection, et ils disposent de
terres qu'ils cultivent pour assurer leur propre subsistance et celle de leur famille. L'histoire de la société
féodale est marquée par les luttes des seigneurs entre eux pour étendre leur pouvoir, processus de
centralisation qui aboutira à l'apparition des royaumes européens. Au sommet de la pyramide féodale
apparaît alors un roi régnant " selon son bon plaisir " sur l'ensemble de ses sujets.
Dans cette société basée sur le travail agricole, les villes, héritées de l'empire romain, ont d'abord connu
un déclin. Elles vont renaître, d'autres vont apparaître, grâce au développement des corporations de
fabricants et de marchands, des habitants des " bourgs ", les " bourgeois ".
Dans l'antiquité, déjà, les échanges de marchandises entre les villes étaient assurés par des marchands. Ils
utilisaient pour cela une invention qui est, dans le cadre des sociétés de classe, indispensable aux
échanges : la monnaie. La monnaie n'a, en tant que telle, aucune faculté à produire de la richesse. Elle va
en acquérir dans le cadre des échanges commerciaux " inégaux ", méthode qui consiste, pour les
marchands, à acheter des marchandises dans des lieux où elles sont bon marché parce que faciles à
produire, pour les vendre dans des lieux où elle sont chères, parce que difficiles à produire.
Ces différences de productivité du travail sont essentiellement dues aux circonstances géographiques qui
font que telle région, par exemple, est propice à la culture du blé, alors que telle autre est propice à
l'élevage, à la culture de la vigne ou à la production de tissus. De l'impossibilité des échanges directs entre
les producteurs, à cause des distances et des difficultés de déplacement, naît pour les marchands le moyen
de s'approprier une part du surproduit de travail des paysans et de transformer ces richesses en capital.
Ce phénomène, déjà présent dans les sociétés antiques, trouve un terrain propice à son développement
dans la société féodale. Les nobles et les évêques bénéficient des progrès de l'agriculture, dus à la
stabilisation progressive de la société féodale. Ils peuvent ainsi acheter au prix fort des produits de luxe
(épices, soieries), que les marchands se procurent à bas prix, en Orient, en Inde ou en Asie. Ainsi vont
s'enrichir les bourgeois du Moyen age.
Cette bourgeoisie, au fur et à mesure que ses richesses s'accroissent, prend conscience de ses intérêts
particuliers de classe, et va tenter de se tailler une place sociale et politique à la hauteur de son importance
économique. Dans un premier temps, elle obtiendra, par la force, des législations particulières, des
chartes, pour les villes. Puis, la Renaissance, les mouvements de réforme religieuse, seront une nouvelle
expression de cette révolte. L'invention de l'imprimerie, en 1450, sera un vecteur très important de la
circulation des idées subversives.
A la même époque, les routes de l'Orient sont coupées par le développement de l'Empire ottoman et les
sources d'enrichissement des capitalistes européens se tarissent. Mais le capital qu'ils ont déjà accumulé
va leur permettre de financer de grandes expéditions maritimes, rendues plus sûres par quelques
inventions, comme la boussole et le gouvernail d'étambot. De nouvelles routes maritimes vers les Indes
sont ouvertes autour de l'Afrique ; puis en 1492, Christophe Colomb découvre l'Amérique. C'est le départ
d'une nouvelle possibilité d'enrichissement, à plus grande échelle : au commerce " inégal " s'ajoute la
traite des noirs, le pillage des richesses naturelles des pays conquis au profit du capitalisme marchand et
financier européen.
Ces nouvelles opportunités d'enrichissement ne feront qu'ajouter aux contradictions entre une structure
sociale féodale obsolète et parasitaire et une bourgeoisie de plus en plus puissante. Le mouvement de la
bourgeoisie pour la prise du contrôle politique de la société aboutira à l'instauration d'une république en
Hollande à la fin du 16ème siècle, en Angleterre en 1649 (avant l'instauration de la monarchie
constitutionnelle). Ce mouvement trouvera son plein aboutissement avec la déclaration d'indépendance
des Etats-Unis en 1776, et la Révolution française de 1789.
A travers ces révolutions, la bourgeoisie établit son pouvoir politique garantissant les droits et privilèges
de la propriété privée bourgeoise. La structure hiérarchique féodale laisse place à une société dans
laquelle les hommes, quelle que soit leur situation sociale, sont considérés comme des " citoyens " égaux
en droit. L'Etat est garant du respect de ces droits. La propriété privée est posée comme élément
fondamental de cette liberté, et l'Etat a pour première mission de la protéger.
Du capitalisme marchand au capitalisme industriel : la révolution industrielle
A la fin du 18ème siècle, ces profonds changements politiques s'accompagnent d'une évolution profonde
du capitalisme lui-même, avec l'apparition du capitalisme industriel. Alors que le capitalisme marchand
se nourrit des richesses produites essentiellement par le travail des paysans, le capitalisme industriel
repose sur l'exploitation salariale, qui consiste à acheter à quelqu'un sa force de travail en échange d'un
salaire.
Ce mode de production existe déjà depuis longtemps, mais il ne va s'imposer comme mode de production
dominant qu'au cours de la deuxième moitié du 18ème siècle en Angleterre, puis au début du 19ème en
Europe continentale et en Amérique, à travers ce que l'on a appelé la " révolution industrielle ".
Jusqu'alors, les entreprises exploitant de la main d'œuvre salariée étaient des manufactures dans lesquelles
étaient regroupés des travailleurs manuels, travaillant côte à côte avec des outils sommaires. Il y avait
quelques machines, mais leur taille et leur puissance étaient limitées par la faible puissance des sources
d'énergie mécanique disponibles : énergie humaine, animale, hydraulique, vent.
L'invention de la machine à vapeur va permettre, par sa puissance et sa facilité d'utilisation, le
développement du machinisme et transformer les manufactures en fabriques, en usines. Et c'est
l'accumulation considérable de capitaux réalisée par le capitalisme marchand qui assurera le financement
des investissements importants qu'exigent l'achat des équipements et le paiement des salaires.
Les premiers développements du machinisme se produisent en Angleterre dans la production (filage et
tissage) des textiles. Les textiles étaient réalisés, de façon artisanale, par des milliers de petits producteurs,
souvent des paysans. En moins de trente ans, entre 1750 et 1779, avec l'apparition de machines à filer
mues par la vapeur, la productivité du travail du fileur est multipliée par 400, ce qui entraînera la ruine de
milliers de petits producteurs et leur exode vers les villes industrielles qui commencent à se développer.
Grâce à la " révolution industrielle " qui augmente de façon colossale la productivité du travail, le
capitalisme industriel prend le pas sur les autres classes dominantes. En un siècle, il aura étendu son
emprise sur le monde entier.
Son développement modifie de fond en comble l'organisation sociale. Pour servir ces machines, il faut
des " prolétaires ", des hommes et des femmes " libres ". Libres au sens où ils n'appartiennent à personne,
qui ne sont donc ni serfs, ni esclaves. Mais libres aussi au sens où ils n'ont pas d'autre possibilité pour
gagner leur vie que de vendre leur force de travail à un patron en échange d'un salaire.
Ainsi, l'égalité en droit des hommes, garantie par la constitution bourgeoise, ne protègera pas la grande
majorité d'entre eux de l'exploitation. Bien au contraire. Par le fait même qu'ils n'ont pas d'autre choix que
de vendre leur force de travail pour gagner de quoi subsister, ils deviennent, dans le cadre d'un contrat de
travail " librement consenti ", entre " hommes égaux en droits ", les nouveaux exploités.
Car ce contrat de travail stipule qu'en échange d'un salaire, le salarié doit travailler toute une journée. Il
est bien entendu que les marchandises produites au cours de cette journée sont la propriété du patron.
Mais le salaire, lui, s'établit, autour de la valeur de ce qui est nécessaire au salarié pour vivre, pour élever
ses enfants. Or, compte tenu de la productivité moyenne du travail, les valeurs nouvelles créées par un
salarié en une journée de travail sont bien supérieures à ce qui lui est strictement nécessaire pour produire
et reproduire sa force de travail.
Tout se passe comme si le salarié travaillait une partie de la journée (le " temps de travail nécessaire ")
pour créer une valeur équivalente à ce qu'il lui faut pour vivre, et le reste du temps (le " temps de travail
gratuit " ou " surtravail "), pour son patron. Ainsi apparaît le mode d'appropriation du surproduit du
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