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L'ECONOMIE DU SECTEUR CULTUREL
Dominique SAGOT DUVAUROUX - 2002
INTRODUCTION : ART ET ECONOMIE
Trois questions se posent pour l’économie de la culture :
Problème de l’offre culturelle.
Particularités des consommations culturelles.
Intervention de l’Etat : fondements et conséquences.
La position de la culture dans la logique économique
Il existe 3 positions dans le monde de l'art :
La culture est une activité économique comme une autre
Il n'y a pas lieu de faire de l'économie de la culture. Débat sur l'exception culturelle : on parle de
suppression des aides économiques au monde culturel dans les milieux libéraux, notamment Etats-
Unis (# en Europe).
Les activités culturelles sont irréductibles à la logique économique
Elles ne peuvent pas être comprises par les grilles économiques. Cette vision refuse de considérer
que la culture est confrontée au marché économique et que les artistes sont dépendants et influencés
par le milieu économique.
(Or, par exemple, un écrivain de théâtre a tendance à écrire des pièces contenant peu de
personnages pour diminuer les coûts de diffusion Depuis 1940, le nombre de personnages a
diminué de moitié dans les pièces de théâtre).
Les activités culturelles ont des spécificités fortes, qui impliquent donc des traitements
particuliers. De plus, elles ne sont pas dans une bulle étanche, coupée du reste du monde.
En réalité, il y a interférence permanente entre le mode de régulation économique et la
production culturelle.
Distinction entre activité culturelle et autres activités économiques
Différents points distinguent l'activité culturelle des autres activités :
Le risque :
L'activité culturelle a pour spécificité de confronter les producteurs (les artistes) mais aussi le public à
un risque.
Le consommateur est confronté à une abondance de choix avec une mauvaise connaissance de la
qualité du produit avant la "rencontre" : il lui faut payer pour connaître.
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Pour limiter les risques, le consommateur adopte différentes stratégies : l'apprentissage personnel, le
mimétisme et l'utilisation d'intermédiaires (critiques, amis…) pour apprécier la qualité du produit, ce
qui tend à la concentration de la demande sur les biens qui ont été repérés.
Paradoxe de la culture : il existe une très grande diversité des produits offerts, mais les
consommateurs se concentrent sur une minorité d’œuvres repérées par les intermédiaires. Beaucoup
d’œuvres ne rencontrent donc pas leur public.
Les producteurs ne maîtrisent pas complètement la qualité des œuvres : la cation est une alchimie
qui ne se résume pas à une fonction de production.
Au niveau de l’offre, tout est organisé pour faire face à une situation singulière : produire beaucoup
pour séduire peu (10%).
La faible productivité (surtout dans le spectacle vivant) :
L'économie de la culture est née dans les années 60 d'une étude de 2 économistes américains,
BAUMOL et BOWEN. Ils sont partis de l'observation de l'absence de gains de productivité dans les
activités de spectacle vivant (aujourd'hui, même durée de création, montage, répétitions de spectacles
qu'il y a plusieurs siècles), alors que dans les autres activités économiques, la valeur du temps de
travail a été multipliée par 25 par rapport au début du XIX° siècle.
Productivité = Volume de production / Quantité de travail nécessaire pour assurer ce volume
Se pose la question de la cohabitation, de la coexistence de ces activités.
La dimension de bien public
Les activités culturelles ne sont pas utiles uniquement aux populations les consommant : elles
génèrent des externalités avec une dimension non monnayable. Par exemple, elles ont comme effet
économique induit l'économie du patrimoine mais aussi une dimension de mémoire collective.
L'économie de la culture, secteur non homogène
Les biens culturels peuvent être reproductibles / non reproductibles et appropriables / non
appropriables : le croisement des différents types de biens permet de repérer les différentes
économies de la culture.
Biens reproductibles
Biens non reproductibles
Biens appropriables
Economie de l'édition
Efficacité : reproductibili à
faible coût d'un original très
coûteux (répartition du coût fixe
original de la création)
Economie de l'art
Efficacité : vendre très cher la
création originale en raison de
sa rareté
Biens non appropriables
Economie de l'audiovisuel (ou
des médias)
Efficacité : la difficulté de vendre
l'œuvre aux consommateurs
incite à vendre les
consommateurs à des
annonceurs.
Economie des institutions
(notamment économie du
spectacle vivant et des musées)
Efficacité : repose sur des
subventions.
Deux handicaps : biens non
reproductibles
et inappropriablesIl faut
insister sur la singularité de
l’événement
Ces 4 modèles économiques se côtoient et sont de plus en plus mêlés ; la différence entre ces
économies a tendance à s'estomper :
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l'économie des multiples (photo, sculpture, lithographie…) : ces objets peuvent pencher vers
l'édition ou l'art.
Exemple : les photos vendues dans des livres ou dans les journaux appartiennent à l'économie de
l'édition à la différence des photos vendues sur le marché de l'art avec des conventions limitant le
nombre de tirages.
les groupes multimédias : les mêmes entreprises contrôlent la production et les médias, rendant
floue la frontière entre économie de l'édition et de l'audiovisuel. De plus, un même produit est
souvent décliné sous forme de livre, de film…
L’économie de l’art et des institutions : la distinction entre performances et installations est floue.
les produits dérivés et subventions : les artistes réalisant des œuvres non reproductibles et non
stockables se font :
- subventionner, estompant les frontières entre économie de l'art et économie des institutions
- financer par la vente de produits dérivés, estompant les frontières entre économie de l'art et
économie de l'édition
les archives : il est possible d'archiver des représentations de spectacle vivant, de téléviser des
spectacles, de réaliser des cassettes vidéo de musée…effaçant les frontières entre édition / médias et
institutions.
Conclusion : La typologie demeure intéressante, car elle identifie quatre matrices :
Institutions Subventions.
Médias Annonceurs, fonds publicitaires.
Art Valorisation de la rareté, prix hauts.
Edition Valorisation de la reproductivité, prix bas.
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CHAPITRE I LES SPECIFICITES DE L'OFFRE CULTURELLE
I. LA PRODUCTIVITE : la loi de Baumol
Les économistes se sont intéressés aux activités culturelles à partir des années 60, sur l’observation
des spectacles vivants (puis, extension aux industries culturelles dans les années 80).
Baumol et Bowen ont é mandatés par la fondation Rockfeller pour étudier les problèmes
économiques des théâtres de Broadway. Le but était d’attirer l’attention des autorités américaines
pour procurer des avantages fiscaux. Constat de Baumol et Bowen : les spectacles vivants ne
peuvent pas réaliser de gains de productivité.
Le ratio de productivité a augmenté depuis la révolution industrielle permettant une augmentation du
pouvoir d'achat des salariés à partir de la seconde guerre mondiale. La productivité horaire en France
a été multipliée par 25 entre 1815 et 1990, la productivité par tête par 13.
Une partie des gains de productivité a permis de diminuer le temps de travail. Les secteurs d’activité
les plus dynamiques ont financé les salaires grâce à des gains de productivité importants. D’autres
secteurs, comme les spectacles, ont connu des gains de productivité moindres.
Parallèlement, des activités dont le ratio stagne ou augmente peu, ont été maintenues : police, santé,
spectacle, social, éducation…
Le modèle de BAUMOL repose sur la distinction entre 2 secteurs :
le secteur moderne
Il engendre des gains de productivité partagés différemment selon la conjoncture économique :
- affectés à l'autofinancement de l'investissement (bénéficiaire = entreprise)
- versés aux actionnaires sous forme de dividendes (bénéficiaire = actionnaires)
- permettant l'augmentation des salaires (bénéficiaire = salariés)
- permettant la diminution des prix (bénéficiaire = consommateurs)
A long terme, dans le secteur moderne les salaires augmentent.
Dans le secteur moderne, grâce aux gains de productivité, on peut maintenir des coûts constants.
Aujourd’hui, les bénéficiaires des gains de productivité sont les consommateurs (économie
mondialisée, pression de la concurrence, baisse des prix) et les actionnaires (renforcement de
leur pouvoir à travers le modèle de gouvernance).
le secteur traditionnel, archaïque
Il n'engendre pas de gains de productivité. Problème : il évolue au sein d’une économie de
marché. On doit proposer une rémunération à la main d’œuvre. Dans le monde du travail, il faut
proposer une rémunération équivalente aux autres secteurs : les salaires augmentent donc, ce qui
augmente les coûts.
Selon Baumol et Bowen, dans une économie de marché, il est normal que sur une longue
période, les coûts des secteurs archaïques (ex : théâtre, éducation, justice) augmentent, si on
veut maintenir la qualité des prestations. La prise en charge par l’Eta se justifie donc.
Il existe plusieurs solutions à cette augmentation des coûts :
Trouver des stratégies.
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augmenter le prix des produits
Ce n’est pas toujours possible. Il faut donc mesurer l'élasticité, c'est-à-dire la sensibilité des
consommateurs à la variation de prix.
L’entrepreneur doit connaître la forme de la courbe de demande.
La forme de la courbe dépend de 2 critères :
le revenu, le pouvoir d'achat des gens
Ainsi, pour faire basculer la courbe de demande de "très sensible" à "peu sensible au prix", il
faut se spécialiser dans les produits pour hauts revenus (élitisation).
l'existence ou non de produits substituts
Il faut faire en sorte que les différents domaines ne soient pas concurrents en se singularisant.
Exemples : L'arrivée du cinéma a fait basculer la courbe du théâtre et a entraîné la fermeture
de nombreux établissements car le temps passé au cinéma était pris sur le temps de loisirs
consacré auparavant au théâtre. Maintenant, on n'attend pas la même chose du cinéma et du
théâtre. De plus, le théâtre est chargé d'une dimension sociale : c'est un lieu de distinction
avec un "effet club" garantissant la compagnie d'une certaine catégorie de personnes.
L'arrivée de la télévision a fait diminuer le public des cinémas ; mais ceux-ci se détachent
maintenant avec d'autres services (grands écrans, multiplexes…).
Pour se singulariser, il est également possible de réaliser des productions exceptionnelles
(pièces de théâtre avec des stars du cinéma, mise en scène avec implication du public…) afin
de créer un monopole.
MAIS cette croissance des prix provoque une élitisation de la consommation culturelle.
la fermeture / la réduction de l'offre : la précarisation de l'emploi (fin 19ème siècle : l’intermittence
se généralise).
l'élargissement de l'audience
- augmenter la taille de la jauge
augmentation des coûts de représentation et dégradation de la qualité
- diminuer les prix
la modification du format des spectacles : la modification du répertoire (ex : succès de Beckett
et Ionesco, adaptés à l’économie de petit format).
Exemple : diminuer le nombre de comédiens sur scène. Baumol a montré qu’aux USA, le
nombre moyen de comédiens a été divisé par deux entre 1945 et 1980.
L’économie des arts de la rue, non subventionnée, est une économie de petit format.
Conclusion de Baumol Pour maintenir la qualité du spectacle, à long terme la solution est
l'augmentation des prix et l'élitisme. D’où la proposition suivante :
les financements extérieurs
Si l'on considère que la culture doit être ouverte à tous, il faut trouver des financements extérieurs
: mécénat et subventions, prélevés sur le secteur moderne, le risque étant que les gains de
productivité du secteur moderne soient entièrement engloutis dans le secteur traditionnel
entraînant un ralentissement de la croissance.
Dilemme de Baumol : poids des prélèvements obligatoires.
L'augmentation des subventions à la culture peut avoir pour conséquence :
- la dégradation des autres secteurs traditionnels,
- une augmentation des prélèvements au risque de condamner la croissance.
Implication macro-économique :
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