I. Les précurseurs

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Sociologues et courants sociologiques
I. Les précurseurs _______________________________________________________________ 1
A.
1.
2.
B.
Comte Auguste (1798-1857) __________________________________________________________ 2
C.
1.
2.
D.
Montesquieu Charles-Louis de Secondat (1689-1755) _____________________________________ 1
La classification des gouvernements ___________________________________________________ 1
La diversité des lois et des mœurs _____________________________________________________ 1
Tocqueville Alexis de (1805-1859) _____________________________________________________ 2
La conception tocquevillienne de la démocratie __________________________________________ 3
Ancien Régime et Révolution Française: rupture ou continuité? _____________________________ 3
Marx Karl (1818-1883) ______________________________________________________________ 4
Le matérialisme dialectique __________________________________________________________ 5
Le matérialisme historique __________________________________________________________ 5
a) Une société est définie par son mode de production _____________________________________ 5
b) Le mode de production détermine les relations sociales __________________________________ 6
3. L'aliénation ______________________________________________________________________ 6
1.
2.
II.
Les fondateurs de la sociologie __________________________________________ 7
A.
1.
2.
3.
B.
M. Weber (1864-1920) ______________________________________________________________ 10
1. Pour une sociologie compréhensive __________________________________________________ 11
2. Typologie des formes d'action _______________________________________________________ 11
3. Relations sociales, communalisation et sociation ________________________________________ 11
4. Typologie des formes de domination _________________________________________________ 12
5. Le processus de rationalisation ______________________________________________________ 12
III.
A.
Emile Durkheim (1858-1917) _________________________________________________________ 7
La sociologie: science des faits sociaux ________________________________________________ 7
Division du travail et lien social ______________________________________________________ 9
Les prémisses d'une sociologie de la déviance : le suicide _________________________________ 10
Les débats contemporains _______________________________________________ 13
L’individualisme méthodologique de R. Boudon (1934) __________________________________ 13
1. Les principes de l’individualisme méthodologique _______________________________________ 13
2. Le social résulte d’un effet d’agrégation d’actions individuelles ____________________________ 14
B.
1.
2.
Le structuralisme constructiviste de P. Bourdieu (1930-2002) _____________________________ 16
Habitus et dotation en capital _______________________________________________________ 16
Les agents s’opposent dans des champs sociaux _________________________________________ 17
Conclusion : Vers la fin des malentendus… ___________________________________________________ 18
1
Sociologues et courants sociologiques
Cette présentation n’a pas pour ambition d’être exhaustive, mais simplement de présenter
rapidement les principaux auteurs ayant joué un rôle dans la naissance, le développement
et l’institutionnalisation de la sociologie. Dans cette première approche, l’accent a été
volontairement mis sur les principales oppositions méthodologiques et sur la sociologie
française. L’étude des autres courants, et notamment de la sociologie américaine, feront
l’objet de présentations ultérieures.
I.
Les précurseurs
Dès le XVIIIème siècle, les travaux de Montesquieu (1689-1755) et plus généralement ceux des philosophes
des Lumières (7: Hobbes, J. J. Rousseau, J. Locke), portent pour partie sur des thèmes qui relèvent
aujourd'hui de la sociologie. Durant tout le XIX' siècle, celle-ci est à la recherche d'une reconnaissance
institutionnelle qu'elle n'obtient qu 'au tournant du XXème avec les travaux des « pères fondateurs » E.
Durkheim (1858-1917) et M. Weber (1864-1920). Elle parvient alors à se doter d'un statut de discipline
scientifique avec un objet et des méthodes spécifiques.
A. Montesquieu Charles-Louis de Secondat (1689-1755)
Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence (1734)
De l’esprit des lois (1748)
1. La classification des gouvernements
Partisan de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, Montesquieu propose une
classification des gouvernements. Il distingue la monarchie, le despotisme et la république, celle-ci pouvant
être de nature démocratique ou aristocratique. Selon lui, chaque gouvernement se caractérise par sa nature
(structure du pouvoir) et par son principe (les passions humaines qui l'animent).
2. La diversité des lois et des mœurs
Pour Montesquieu, la diversité des lois et des mœurs n'est pas le fruit du hasard. Toute loi a sa raison car elle
est relative à un ou plusieurs éléments de la réalité physique (le terrain et le climat) ou morale.
Du point de vue des causes morales des lois, il distingue celles-ci des manières et des mœurs : « les mœurs et
les manières sont des usages, que les lois n'ont point établis, ou n'ont pas pu ou n'ont pas voulu établir: Il y
a cette différence entre les lois et les mœurs que les lois règlent plus les actions du citoyen et que les mœurs
règlent plus les actions de l'homme. Il y a cette différence entre les mœurs et les manières que les premières
regardent plus la conduite intérieure et les autres l'extérieur ». Les lois sont tributaires des mœurs. Les
mœurs, les manières et le caractère d'un peuple esclave sont une partie de sa servitude; ceux d'un peuple
libre, une partie de sa liberté.
2
B. Comte Auguste (1798-1857)
Cours de philosophie positive (1830-1842)
Système de politique positive (1851-1854)
Si A. Comte (1798-1857) est le premier à avoir utilisé le terme de « sociologie, on le considère aujourd'hui
surtout comme le père du positivisme.
A l'origine, il s'agit pour lui d'apporter des solutions à ce qui lui semble être une grande crise de société que
traverse le monde occidental au début du XIX. siècle.
Il propose pour cela d'instituer un nouvel ordre social fondé, non sur des croyances d'ordre théologique, mais
sur les acquis de la philosophie positive. Selon A. Comte, le positivisme peut être appréhendé à partir de
deux règles élémentaires: « observer les faits à l'écart de tout jugement de valeur et énoncer des lois ». Tout
en récusant les analyses de type métaphysique, il jette les bases d'une démarche scientifique dans les sciences
de la société. La physique sociale qui devient par la suite« sociologie » s'inscrit dans ce cadre: elle est la
science positive de l'unité humaine et sociale. Elle se décompose en deux sciences majeures: la dynamique
sociale qui se destine à « l'explication directe des lois fondamentales des divers aspects du développement
humain » et la statique sociale qui consiste en « l'étude des conditions d'existence d'une société quelconque ».
Sa volonté d'analyse globale de la société le conduit à procéder du général au particulier. Il considère que
l'objet premier de la sociologie est de rendre compte de l'évolution des sociétés (dynamique sociale) afin de
pouvoir, dans un second temps, comprendre les fondements de l'ordre social (statique sociale) (Voir chapitre
Changement social).
Bien qu'étant considéré comme un des fondateurs de la pensée sociologique, A. Comte a été à de nombreuses
reprises critiqué pour l'aspect téléologique et moraliste de son œuvre. En outre, la sociologie comtiste est
fortement simplificatrice sur le plan épistémologique : sa volonté légitime de vérification empirique la
conduit à énoncer des lois qui se veulent universelles et immuables.
C. Tocqueville Alexis de (1805-1859)
De la démocratie en Amérique (1835-1840)
L’Ancien Régime et la Révolution (1856)
« Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin
d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts
contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique,
tutélaire, tout puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du
peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont euxmêmes choisis leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un
homme ni une classe, mais le peuple lui-même qui tient le bout de la chaîne.
Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y
rentrent. »
De la démocratie en Amérique
« L’égalité, en effet, produit deux tendances : l’une mène les hommes directement à l’indépendance et
peut les pousser tout à coup jusqu’à l’anarchie, l’autre les conduit par un chemin plus long, plus secret
mais plus sûr, vers la servitude. »
De la démocratie en Amérique
Les travaux de A. de Tocqueville (1805-1859) ont été tardivement considérés comme relevant de 1'analyse
sociologique. Il propose une méthode de recherche, novatrice pour 1'époque, fondée notamment sur un
recueil de données à partir d'enquêtes orales. Cela lui permet de construire des typologies et ainsi d'aboutir à
des analyses comparatives des phénomènes sociaux.
3
1. La conception tocquevillienne de la démocratie
Durant son séjour aux États-Unis, A. de Tocqueville s'interroge sur les fondements de la démocratie. Selon
lui, celle-ci ne doit pas seulement être entendue dans son sens étymologique et politique (pouvoir du peuple)
mais aussi et surtout dans un sens social: elle correspond à un processus historique permettant l'égalisation
des conditions qui se traduit par :



l'instauration d'une égalité de droit.
Une mobilité sociale potentielle
Une forte aspiration des individus à l'égalité.
Toutefois, l'égalisation des conditions n'implique pas pour autant la disparition de fait des différentes formes
d'inégalités de nature économique ou sociale. Selon A de Tocqueville, le principe démocratique entraîne
chez les individus « une sorte d'égalité imaginaire en dépit de l'inégalité réelle de leur condition ».
La tendance à l'égalisation des conditions qu'il considère comme inéluctable présente à ses yeux un danger. Il
constate que ce processus s' accompagne d'une montée de l'individualisme « repli sur soi ») ce qui contribue
d'une part à affaiblir la cohésion sociale et d'autre part incite l'individu à se soumettre à la volonté du plus
grand nombre.
A partir de ce constat, il se demande si ce progrès de l'égalité est compatible avec l'autre principe
fondamental de la démocratie: l'exercice de la liberté, c'est-à-dire la capacité de résistance de l'individu à
l'égard du pouvoir politique.
Egalité et liberté semblent en fait s'opposer puisque l'individu tend de plus en plus à déléguer son pouvoir
souverain à une autorité despotique et par conséquent à ne plus user de sa liberté politique: «
l'individualisme est un sentiment réfléchi (...) qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses
semblables (...) de telle sorte que, après s'être créer une petite société à son usage, il abandonne
volontiers la grande société à elle même » (A. de Tocqueville).
2. Ancien Régime et Révolution Française: rupture ou continuité?
Dans L'Ancien Régime et la Révolution, A. de Tocqueville montre que la Révolution de 1789 ne constitue
nullement une rupture dans 1 'Histoire de France. Selon lui, l'Ancien Régime s'inscrit déjà dans le processus
d'égalisation des conditions qui s'explique par deux évolutions complémentaires.
Sur le plan institutionnel d'une part, la France pré-révolutionnaire est marquée par la remise en cause
progressive du pouvoir de la noblesse par l'État (on assiste par exemple à un accroissement du pou- voir des
intendants aux dépens des Seigneurs). Sur le plan des valeurs d'autre part, A. de Tocqueville rend compte de
la montée de l'individualisme sociologique qui place l'individu-citoyen et avec lui le concept d'égalité au
centre des préoccupations morales et politiques (J.J. Rousseau: Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les
hommes).
C'est la convergence de ces deux logiques qui rend de plus en plus inacceptable l'inégalité des conditions: «le
désir d'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande» (A. de Tocqueville). Il
en conclut que le progrès de l'égalité a précédé la Révolution; il en est une des causes et non une de ces
conséquences: « tout ce que la Révolution a fait, se fût fait, je n'en doute pas, sans elle. Elle n'a été qu'un
procédé violent et rapide à l'aide duquel on a adapté l'état politique à l'état social, les faits aux idées, les
lois aux mœurs ».
4
D. Marx Karl (1818-1883)
Thèses sur Feuerbach (1845)
Manifeste du parti communiste (1848)
La lutte des classes en France (1850)
Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte (1852)
Le capital (Livre 1) (1867)
La guerre civile en France (1871)
« Qu’est-ce que la société, quelle que soit sa forme ? Le produit de l’action réciproque des
hommes. Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle forme sociale ? Pas du tout.
Posez un certain état de développement des facultés productives des hommes et vous aurez
telle forme de commerce et de consommation. Posez certains degrés de développement de la
production, du commerce, de la consommation, et vous aurez telle forme de constitution
sociale, telle organisation de la famille, des ordres ou des classes, en un mot telle société
civile. »
Lettre à Annenkov (1846)
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés,
nécessaires, indépendants de leur volonté; ces rapports de production correspondent à un
degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces
rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève
un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience
sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la
vie sociale, politique et intellectuel. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur
existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain
degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en
collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein
desquels elles s’étaient mues jusqu’alors, et qui n’en sont que l’expression juridique. Hier
encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en
lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale. »
Critique de l’économie politique
Avant-Propos (1859)
« Lorsque dans le cours du développement, les antagonismes de classes auront disparu et que
toute la production sera concentrée entre les mains des individus associés, le pouvoir public
perdra son caractère politique. Le pouvoir politique, au sens strict du terme, est le pouvoir
organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre. Si, dans la lutte contre la bourgeoisie, le
prolétariat est forcé de s’unir en une classe; si, par une révolution, il se constitue en classe
dominante et, comme telle, abolit violemment les anciens rapports de production - c’est alors
qu’il abolit en même temps que ce système de production les conditions d’existence de
l’antagonisme des classes; c’est alors qu’il abolit les classes en général et, par là même, sa
propre domination en tant que classe. L’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses
conflits de classes, fait place à une association où le libre épanouissement de chacun est la
condition du libre épanouissement de tous. »
Manifeste du parti communiste
« Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes,
autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la
puissance dominante spirituelle.
L’idéologie allemande
5
1. Le matérialisme dialectique
K. Marx (1818-1883) et F. Engels (1820-1895) reprennent à leur compte la méthode dialectique hégélienne
qui leur permet d'étudier la réalité en tant que processus. La méthode dialectique est une théorie générale du
monde qui inclut l'idée de mouvement et de contradictions surmontées. Elle est caractérisée par les principes
suivants:




primat de l'histoire;
progression par contradictions résolues;
action réciproque de toutes les choses, les unes sur les autres. Par exemple, l'homme est tout à la fois
produit et créateur de la matière et des conditions de son existence;
progrès par « bonds successifs » (crises, transformations brusques et soudaines).
Karl Marx fonde sa méthode d'analyse de la société sur un double refus: celui d'expliquer les transformations
de la société par les idées, et celui de faire de l'État le garant de l'intérêt général. Il renverse ces deux
propositions (d'origine hégélienne) et fait de l'économie la base dont dépendent l'État et les idées. Il substitue
donc le matérialisme à l'idéalisme hégélien. Dans cette perspective, le matérialisme dialectique est une
science qui étudie les lois de l'évolution du monde objectif et leur reflet dans la conscience humaine.
2. Le matérialisme historique
Si le matérialisme dialectique désigne une théorie générale du monde, le matérialisme historique, de son
côté, désigne plutôt l'application de cette théorie à l'histoire des sociétés humaines.
a) Une société est définie par son mode de production
 Rapports de production et forces productives...
Les forces productives sont l'ensemble des ressources matérielles (matières premières, machines et
entreprises) et des ressources humaines (la main d'œuvre caractérisée à la fois par le nombre de travailleurs et
par leurs qualifications) dont dispose une société.
Les rapports de production sont les rapports de propriété sur les ressources matérielles. De ces rapports de
production dérivent des rapports d'exploitation. Car la classe sociale qui ne possède que sa force de travail
est bien obligée de mettre cette capacité de travail au service de la classe qui a la propriété des moyens de
production. De cette exploitation (la classe exploitante s'approprie une partie de la richesse créée par les
travailleurs) naît la lutte des classes.
 forment le mode de production
Le mode de production est le système économique composé des forces productives et des rapports de
production. Dans les premiers temps qui suivent la mise en place d'un mode de production, les nouveaux
rapports de production favorisent le développement des forces productives puis, peu à peu, ils font obstacle à
leur expansion. Il faut alors, nous dit Marx, changer de mode de il production pour libérer les forces
productives. :
Le mode de production féodal a ainsi succédé au mode de production esclavagiste, avant de céder la place au
capitalisme. Caractérisé par la propriété privée des moyens de production et donc par l'opposition entre la
bourgeoisie et le prolétariat, ce mode de production a, dans un premier temps, permis un développement
considérable des forces productives avant de connaître des crises industrielles. Aussi Marx prophétise-t-il
son dépassement par un mode de production socialiste puis communiste dans lequel, en l'absence
d'exploitation, le développement des forces productives serait facilité et bénéficierait à tous.
6
b) Le mode de production détermine les relations sociales
 Les relations sociales sont façonnées par l'infrastructure économique
Sur cette base économique (l'infrastructure), Marx pose une superstructure juridique et politique à laquelle il
associe les domaines culturels ou religieux. L'économie détermine donc le système politique et juridique,
mais également les phénomènes culturels et les idées. « L'existence sociale des hommes[...] détermine leur
conscience », nous dit Marx en faisant des classes sociales et de leurs relations le fondement des systèmes de
croyance.
Cette lecture de Marx est fortement déterministe. Les individus semblent être l'incarnation de leur classe
sociale et paraissent privés de toute liberté de choix. Ainsi, le capitaliste qui offre de mauvaises conditions de
travail à ses ouvriers n'a guère d'autres possibilités. Il est tout simplement rationnel en cherchant à maximiser
son profit conformément à l'intérêt commun à tous les membres de la bourgeoisie.
 La lutte des classes favorise le changement social
Les classes sociales sont, chez Marx, les acteurs collectifs qui, au cours de leurs affrontements, transforment
l'organisation économique et sociale. Dans la société capitaliste, la classe ouvrière est l'acteur central qui, au
cours de sa lutte contre la bourgeoisie, transforme le système économique. En obtenant satisfaction, les
mouvements ouvriers obligent le capitalisme à se modifier même si, nous dit Marx, sa logique
d'exploitation) reste inchangée. À terme, la classe ouvrière - c'est du moins ce que prophétise Marx - devrait
obtenir le remplacement du capitalisme par le socialisme puis le communisme.
Les analyses historiques de Marx (La guerre civile en France, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte) se
révèlent moins déterministes que ses œuvres plus militantes (Le manifeste communiste) dans la mesure où il
reconnaît que l'action des classes et éventuellement de certains hommes peut orienter l'histoire ne serait-ce
que temporairement. Il est au moins possible aux hommes d'accélérer ou de ralentir un processus de
transformation économique que Marx juge souhaitable et espère inéluctable.
Pour Marx, la clef de l'évolution des sociétés est déterminée par les rapports contradictoires entre le
développement des forces productives (machines, outillage, force de travail, etc.) et celui des rapports de
production (division en classes sociales, régime social de production). C'est à partir de l'infrastructure de la
société (forces productives et rapports de production) que l'on peut expliquer les idées religieuses, juridiques,
politiques, philosophiques, etc., par lesquelles les sociétés prennent conscience d’elles-mêmes.
Il reste que, pour Marx et Engels, les idées ne sont pas sans influence, en retour, sur l'infrastructure.
3. L'aliénation
Dans les œuvres de Marx, on trouve une analyse de l'aliénation qui comporte trois aspects: l'aliénation
religieuse, politique et économique. Ces trois formes d'aliénation sont liées mais l'aliénation religieuse et
l'aliénation politique ne disparaîtront que sous condition de la fin de l'aliénation économique. Cette dernière
est la base des deux autres et la propriété privée, « expression de la vie humaine aliénée [est le socle sur;
lequel reposent les] mondes illusoires de la religion, de la famille, de l'Etat, (...) [qui] expriment chacun à sa
manière l'aliénation de la vie réelle et seront supprimés par elle ».
7
II.
Les fondateurs de la sociologie
A. Emile Durkheim (1858-1917)
De la division du travail social (1893)
Les règles de la méthode sociologique (1895)
Le suicide (1897)
Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912)
« Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux : ils consistent en des
manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont doués d’un pouvoir de
coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. Par suite ils ne sauraient se confondre avec les
phénomènes organiques, puisqu’ils consistent en représentations et en actions; ni avec les
phénomènes psychiques, lesquels n’ont d’existence que dans la conscience individuelle et par elle. Ils
constituent donc une espèce nouvelle et c’est à eux que doit être donnée et réservée la qualification
de sociaux »
Les règles de la méthode sociologique
« ...toutes les fois qu’un phénomène social est directement expliqué par un phénomène psychique, on
peut être assuré que l’explication est fausse. »
Les règles de la méthode sociologique
« C’est donc une loi de l’histoire que la solidarité mécanique, qui d’abord est seule ou à peu près,
perde progressivement du terrain, et que la solidarité organique devienne peu à peu
prépondérante. »
De la division du travail social
« Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées,
c’est-à-dire séparées, interdites; croyances et pratiques qui unissent en une même communauté
morale appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. »
Les formes élémentaires de la vie religieuse
En France E. Durkheim est un des fondateurs de la sociologie (M. Weber en Allemagne). En 1912, alors
qu’il était nommé à la Sorbonne sur un poste de professeur de sciences de l’éducation, son poste est
transformé en « science de l’éducation et sociologie » : 1ère chaire de sociologie en France.
1. La sociologie: science des faits sociaux
Pour comprendre la sociologie de Durkheim, il est nécessaire de connaître sa conception de départ de la
société : il part de l’idée du primat de l’individu : c’est-à-dire que l’homme naît de la société et non l’inverse
(le tout est différent de la somme des parties).
Il s’agit donc d’une conception holiste.
Holisme : « On désigne comme holiste une idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne
l’individu humain. Par extension, une sociologie est dite holiste si elle part de la société globale et non de
l’individu supposé donné indépendamment ». Louis Dumont, Essai sur l’individualisme, (1983), Seuil 1991,
p. 303.
Lorsque chaque individu accomplit un acte, celui-ci est a priori, par définition, un acte de nature individuelle,
c’est-à-dire choisi par l’individu. En fait E. Durkheim va essayer de montrer que tel n’est pas le cas. En effet, la
façon de s’habiller, de consommer, de penser sont des faits typiquement intimes et donc individuels, mais ont
8
en fait la particularité d’être des régularités socialement déterminées qui obéissent à des règles sociales
implicites.
Cela signifie que tout acte individuel est déterminé par des conditions sociales, chaque individu se voyant
imposer par les normes et les valeurs de sa société ses pratiques quotidiennes. E. Durkheim parle alors
d’action coercitive de la société sur l’individu.
Tout acte réalisé par n’importe quel individu appartenant à la société est donc par essence de nature sociale :
les faits individuels n’existent pas.
Afin de préciser sa position E. Durkheim établit une différence entre les consciences individuelles propres à
chaque individu et la conscience collective qui doit être saisie indépendamment de la simple somme des
consciences individuelles. Ainsi les groupes sociaux possèdent une individualité propre qui se réfléchit dans
une conscience collective : le groupe pense et agit autrement que ne le ferait chaque membre isolé pris
individuellement.
Durkheim distingue :
 la conscience individuelle (préférence pour le bleu) constituée de l’ensemble des goûts et aptitudes
strictement individuels
 la conscience collective (préférence pour la démocratie) formée des normes et des valeurs communes
à l’ensemble du groupe social
 le sociologue étudie les faits sociaux, expression de cette conscience collective.
Faits sociaux : « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu et qui sont douées d’un
pouvoir de coercition en vertu duquel il s’impose à lui ». Les règles de la méthode sociologique, 1895.
Pour lui, le sociologue doit respecter notamment Les règles de la méthode sociologique suivantes:
 les faits sociaux sont contraignants et extérieurs aux individus (voir définition)
 il faut « traiter les faits sociaux comme des choses » : s’écarter des pré-notions, observer une
certaine attitude mentale et aborder l’étude en partant du principe qu’on ne sait pas ce qu’ils sont (pas
d’introspection contrairement à Weber)
Il faut traiter les faits sociaux comme des choses parce que justement ils n’en sont pas. Comme le souligne Max
Weber, la spécificité des faits sociaux est que l’observateur peut d’emblée les comprendre. Selon E. Durkheim
c’est là que se situe le danger. En effet si l’on suit cette démarche, on ne peut rien découvrir que l’on ne sache
déjà. Appliquer une méthode objectiviste revient à faire comme si on ignorait tout des choses observées, c’està-dire se placer dans une situation d’observateur extérieur par rapport à son objet d’étude. Cela permet de
rompre avec le sens commun que E. Durkheim identifie sous le terme de « prénotions », c’est-à-dire l’ensemble
des représentations (pertinentes ou non) qui ne suivent pas les règles de la méthode scientifique.
C’est en respectant cette condition que l’on peut faire de véritables découvertes scientifiques, comparables à
celles des sciences « dures », c’est-à-dire mettre en évidence les faits et des causalités que la simple analyse
introspective ne permet pas de découvrir.
 primauté de la méthode statistique : seule méthode capable de saisir la globalité des choses
 distinguer le normal et le pathologique : est normal ce qui caractérise le plus grand nombre, la
moyenne, dépend donc du lieu et de l’époque.
 Expliquer les faits sociaux par d’autres faits sociaux : étudier séparément les fonctions et les
causes d’un fait social, rechercher dans d’autres faits sociaux et non dans des raisons psychologiques.
9
 Administrer les preuves par la méthode comparative : ex comparaison du taux de suicide en été et
en hiver, selon les jours de la semaine….
2. Division du travail et lien social
Dans De la Division du Travail Social, E. Durkheim montre que la fonction principale de la division du
travail est de produire de la solidarité sociale. Se démarquant de l'analyse de A. Smith (1723-1790),
Durkheim récuse l'idée selon laquelle la conséquence principale de la division du travail serait d'accroître la
productivité du travail: « le plus remarquable effet de la division du travail n'est pas qu'elle augmente le
rendement des fonctions divisées, mais qu'elle les rend solidaires. (...) Il est possible que l'utilité économique
de la division du travail soit pour quelque chose dans ce résultat, mais en tout cas, il dépasse infiniment la
sphère des intérêts économiques,' car il consiste dans l'établissement d'un ordre social et moral sui generis
».
E. Durkheim distingue deux formes historiques de solidarités sociales:
 La solidarité mécanique caractérise les sociétés traditionnelles dans lesquelles la division du travail est
faible. Les individus sont peu différenciés les uns des autres et adhèrent à des valeurs et des croyances
communes. Le lien social est principalement fondé sur la similitude des individus qui sont soumis à une
forte conscience collective. L'existence d'un droit répressif qui donne lieu à des sanctions punitives
lorsque la conscience collective est offensée, est révélateur de ce type de solidarité. .
 La solidarité organique caractérise les sociétés industrielles dans lesquelles la division du travail est
forte. Le lien social est fondé sur les différences et les complémentarités qui existent entre les individus.
La conscience collective impose une coercition moins forte et permet le développement des consciences
individuelles. Ce type de solidarité se manifeste par l'existence d'un droit restitutif qui répond davantage
à une logique de compensation des préjudices (remise des choses en l'état)~à une logique de punition.
Pour Durkheim, la solidarité sociale n'est pas un fait directement observable. C'est le type de droit en usage dans
chaque société (droit répressif, droit restitutif) qui permet de distinguer la solidarité mécanique de la solidarité
organique.
E. Durkheim montre que c'est le progrès de la division du travail qui permet de transformer la nature du lien
social et qui rend possible le passage d'une forme de solidarité à l'autre (processus d'individuation). Selon lui,
les origines de la division du travail ne relèvent pas de la rationalité économique individuelle. En effet, dans
les sociétés traditionnelles où la solidarité est de type mécanique, la conscience individuelle est quasiment
nulle. Il est donc peu probable que la division du travail soit la conséquence d'un comportement individuel
novateur. Résumant la thèse de Durkheim, R. Aron (1905-1983) écrit: « dire que les hommes se sont
partagés le travail et ont attribué à chacun un métier propre, afin d'augmenter l'efficacité du rendement
collectif; c'est supposer les individus différents les uns des autres et conscients de leurs différences avant la
différenciation sociale. En fait, la conscience de l'individualité ne pouvait pas exister avant la solidarité
organique et la division du travail ».
Selon E. Durkheim, la division du travail social résulte d'une combinaison de facteurs sociaux:


l'accroissement de la densité matérielle (croissance démographique) entraîne une « lutte pour la vie ».
Dès lors, la différenciation sociale et, par conséquent, la division du travail, apparaissent comme une
solution pacifique à ce problème.
L'accroissement de la densité morale qui exprime la fréquence et l'intensité des relations sociales entre les
différents segments de la société.
E. Durkheim considère que le passage d'une forme de solidarité à l'autre peut parfois s'accompagner d'un
accroissement« anormal» de la conscience individuelle aux dépens de la conscience collective. Lorsqu'une
10
telle situation se produit, le lien social s'affaiblit et il y a risque d'anomie. Dans son étude sur la division du
travail social, E. Durkheim définit l' anomie comme un dérèglement social, une carence ou une perte de
légitimité des rôles et des lois. Dans Le suicide, il considère l'anomie comme une situation psychologique
permanente fondée sur l'infinitude des désirs liés à la société moderne.
3. Les prémisses d'une sociologie de la déviance : le suicide
E. Durkheim a choisi le suicide comme objet d'étude afin de montrer, notamment vis-à-vis de la psychologie,
quelle était la spécificité de la science des faits sociaux. Pour lui, le suicide est un fait social et non un fait
individueL À l'aide de statistiques exhaustives, il constate que le taux de suicide (pourcentage des « morts
volontaires » dans l'ensemble de la population) présente certaines régularités que l'on peut expliquer à l'aide
d'une classification(suicide altruiste, égoïste, anomique, fataliste). Il aboutit à la conclusion générale
suivante: le taux de suicide varie en raison inverse du degré d'intégration de l'individu aux différents groupes
sociaux (famille, groupe de pairs, etc.).
Au cours de son analyse, E. Durkheim considère le plus souvent le suicide comme un fait social normal (il
est le produit des déterminismes sociaux). Toutefois, lorsqu'il dépasse un certain taux, il se transforme en
comportement pathologique contre lequel le moraliste - et non plus le sociologue - essaie de lutter. Il s'agit là
d'une ambiguïté de Durkheim sur le rapport du normal et du pathologique
B. M. Weber (1864-1920)
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905)
Le savant et le politique (1919)
Economie et société (1922)
« On obtient un idéal type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt
en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroit pas du tout, qu’on ordonne selon les
précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. »
Essais sur la théorie de la science
« Nous dirons d’un groupement de domination qu’il est un groupement politique lorsque et tant que
son existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un
territoire géographique déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la
part de la direction administrative. Nous entendons par Etat une entreprise politique de caractère
institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans
l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime. Nous dirons qu’une
activité sociale, et tout particulièrement une activité de groupement, est orientée politiquement
lorsque et tant qu’elle a pour objet d’influencer la direction d’un groupement politique, en
particulier l’appropriation, l’expropriation, la redistribution ou l’affectation des pouvoirs
directoriaux. »
Economie et société
« Puissance signifie toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté,
même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance. »
Economie et société
« Domination signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de
contenu déterminé; nous appelons discipline la chance de rencontrer chez une multitude
11
déterminable d’individus une obéissance prompte, automatique et schématique, en vertu d’une
disposition acquise. »
Economie et société
1. Pour une sociologie compréhensive
Pour M. Weber (1864-1920) la sociologie étudie l’action sociale. Il s’agit donc de comprendre les
phénomènes sociaux à partir de la signification que les individus donnent à leurs actions. Cette approche est
qualifiée de subjectiviste ou d’individualiste ou de compréhensive.
« Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et
par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par activité un comportement
humain quant et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif. Et par activité
« sociale », l’activité qui, d’après son sens visé par l’agent ou les agents se rapporte au comportement
d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement ». M. Weber, Economie et société, Plon.
Pour M. Weber, le principe d'inépuisabilité du réel rend impossible toute compréhension exhaustive de la
réalité sociale. Toutefois, le sociologue peut saisir par interprétation un phénomène social singulier et ainsi
construire une imputation causale précise.
Cette vision de la sociologie implique d'une part une neutralité axiologique de la part du sociologue (il
entretient nécessairement un rapport aux valeurs mais ne porte pas de jugement de valeurs) et d'autre part la
construction d'un outil conceptuel qui permet de rendre le réel intelligible : l'idéal-type.
2. Typologie des formes d'action
Dans Économie et société, M. Weber propose une typologie des différentes formes d'actions sociales à partir
de laquelle toute activité sociale peut être interprétée :




l'action traditionnelle est caractérisée par un attachement de l'individu aux coutumes, à l'habitude.
L'action affective s'exerce sous l'emprise de l'émotion, de la passion ou des sentiments.
L'action rationnelle en valeur est déterminée par la croyance en des valeurs d'ordre éthique, esthétique ou
religieux que l'individu considère comme ultimes.
L'action rationnelle en finalité est de nature instrumentale et se ; tourne vers un but utilitaire. Elle
implique l'adéquation entre fins et moyens (par exemple l'entreprise capitaliste qui maximise son profit).
Il convient de se prémunir contre une lecture simpliste de cette typologie. Il s’agit de modèles pouvant se
combiner qui facilitent l’analyse sociologique.
3. Relations sociales, communalisation et sociation
M. Weber constate que les différentes formes d'activités conduisent à des relations sociales entre les
individus. Weber est ainsi conduit à distinguer deux processus qui permettent tous deux d'assurer une
certaine réciprocité entre les individus mais qui fondent différemment l'ordre social :

La communalisation désigne une « relation sociale lorsque, et tant que, la disposition de l'activité
sociale se fonde […] sur le sentiment subjectif (traditionnel ou affectif) des participants d'appartenir à
une même communauté ».

12
La sociation consiste au contraire en une « relation sociale lorsque […] la disposition de l'activité
sociale se fonde sur un compromis d'intérêts motivés rationnellement (en valeur ou en finalité) ou sur
une coordination d'intérêts motivés de la même manière ».
M. Weber précise que la relation sociale consiste en une réciprocité entre les individus. Il n'emploie pas le
terme de « solidarité» ou de « lien social» ce qui lui permet d'affirmer que la« lutte »est une relation sociale
comme les autres.
4. Typologie des formes de domination
M. Weber montre que, si les relations sociales-sont fondées sur des compromis dans le processus de
sociation, cela n'exclut pas des formes de domination entre les individus. Certains d'entre eux sont conduits à
se soumettre tandis que d'autres ordonnent. Weber distingue à ce titre les concepts de domination (ou
autorité) et de pouvoir, le premier étant d,avantage fondé sur la légitimité de l'obéissance. Cette légitimité a
trois sources fonda- mentales qui correspondent à des types idéaux de domination :

la domination traditionnelle fonde sa légitimité sur « la croyance quotidienne en la sainteté des traditions
» (caractère sacré de la domination). Il peut s'agir, par exemple, de la domination des seigneurs dans la
société féodale.

La domination charismatique repose sur « la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu
héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne ». Le chef charismatique fonde sa légitimité sur sa
force de conviction, sa capacité à rassembler et à mobiliser les foules. Il peut s'agir par exemple d'un
prophète ou d'un chef militaire.

La domination légale rationnelle repose sur « la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit
de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens ». Elle est
liée à un type de légitimité fondé sur la fonction et non sur la personne. M. Weber donne de nombreux
exemples de cet idéal-type qui se situent dans le cadre de la direction administrative bureaucratique.
5. Le processus de rationalisation
Dans Le savant et le politique comme dans Économie et Société, M. Weber montre que le monde occidental
connaît dans un processus de rationalisation: « l'ensemble des activités sociales se dégagent progressivement
de l'emprise de la tradition et du sacré pour se définir en fonction d'une logique propre, de l'efficacité et du
calcul». Chaque sphère de la vie sociale tend ainsi à devenir autonome.
M. Weber montre que le processus de rationalisation se traduit par la montée en puissance de l'action
rationnelle (d'abord en valeur puis en finalité) et de la domination légale rationnelle. Il illustre ce processus
avec l'exemple de la bureaucratie dont il dresse un idéal-type.
La rationalisation conduit ainsi au désenchantement du monde.
13
III.
Les débats contemporains
A. L’individualisme méthodologique de R. Boudon (1934)
L’inégalité des chances (1973)
Effets pervers et ordre social (1977)
La logique du social (1979)
L’idéologie ou l’origine des idées reçues (1986)
« L’atome logique de l’analyse sociologique est donc l’acteur individuel »
La logique du social
« Le postulat de l’individualisme méthodologique n’a, comme tout principe de méthode, d’autre
fondement que son efficacité. »
La logique du social
« ...expliquer un phénomène social, c’est toujours en faire la conséquence d’actions individuelles. »
Dictionnaire critique de la sociologie
« Un effet d’agrégation ou effet émergent est donc un effet qui n’est pas explicitement recherché par les
agents d’un système et qui résulte de leur situation d’interdépendance. »
La logique du social
« ...on peut dire qu’il y a effet pervers lorsque deux individus (ou plus) en recherchant un objectif donné
engendrent un état de chose non recherché et qui peut être indésirable du point de vue de chacun des
deux, soit de l’un des deux. »
Effets pervers et ordre social
« Pour ma part, je prendrai la notion d’idéologie au sens de : doctrine reposant sur une argumentation
scientifique et dotée d’une crédibilité excessive ou non fondée. »
L’idéologie
Au cours des années 60, Raymond Boudon s'est imposé comme le chef de file de l' « individualisme
méthodologique » en France. Ce courant de pensée s'était donné comme projet de réintroduire l'individu
exclu par le « holisme » de l'analyse sociologique.
1. Les principes de l’individualisme méthodologique
Individualisme méthodologique : « soit à expliquer un phénomène social P […] une explication est dite
individualiste (au sens méthodologique) lorsqu’on fait explicitement de P la conséquence du comportement
des individus appartenant au système social dans lequel P est observé ». R. Boudon et F. Bourricaud,
Dictionnaire critique de la sociologie, 1982, PUF, p. 306.
 R. Boudon refuse ce qu'il appelle le« déterminisme»
La pensée de R. Boudon s'est affirmée en opposition avec ce qu'il appelle le «paradigme déterministe»
incarné aux État-Unis par le culturalisme puis le fonctionnalisme et, en France, par le structuralisme et par la
théorie de l'habitus développée par P. Bourdieu. Il reproche à ces théories de surestimer les contraintes
sociales et l'influence exercée par la société, les classes sociales ou la structure sur le comportement des
individus.
14
Il refuse également d'expliquer un phénomène social par une cause qui lui serait extérieure. Cela le conduit à
rejeter toute théorie globale qui prétendrait découvrir les lois du changement social. Une analyse
sociologique, nous dit-il, n'a de validité que dans le domaine bien précis pour lequel elle a été élaborée. Il est
donc impossible de construire une théorie générale en sociologie.
 l'individualisme méthodologique repose sur deux axiomes fondamentaux
À la suite de Weber, Boudon affirme qu'on ne peut expliquer les phénomènes sociaux qu'à la condition de
partir des individus, de leurs motivations et de leurs actions. Le sociologue doit d'abord étudier les actions
individuelles qui constituent l'élément de base du social puis montrer comment ces actions ont interféré et
donné naissance à un phénomène social.
Les individus sont rationnels. Boudon accorde au concept de rationalité un sens beaucoup plus large que
celui que lui conférait Weber. Il estime qu'une action est rationnelle pour peu qu'elle soit orientée par un
intérêt, une valeur ou même la tradition. L'action d'un individu est rationnelle si celui-ci « a de bonnes
raisons d'agir ».
La rationalité, enfin, est située. Cela signifie que les individus adoptent des stratégies en fonction de
l'environnement économique, institutionnel, historique, etc. Mais, en aucun cas, cet environnement ne peut
déterminer une action qui reste la conséquence d'un choix individuel. Ainsi, un élève issu d'un milieu
défavorisé peut en tirer avantage aussi bien pour faire des études courtes que pour faire des études longues
afin de bénéficier d'une mobilité sociale ascendante.
2. Le social résulte d’un effet d’agrégation d’actions individuelles
 Les phénomènes sociaux résultent de l'agrégation des comportements individuels
Dès lors, tout phénomène social se constitue par agrégation (par sommation) des comportements individuels.
Ainsi un embouteillage (le phénomène) a été créé par accumulation de très nombreux comportements
individuels qui, pris un par un, sont rationnels (prendre sa voiture pour aller travailler). Boudon parle d'«
effet émergent» pour désigner le phénomène social résultant de l'agrégation des comportements individuels.
Bien souvent, ces effets émergents sont des effets pervers, ce qui signifie qu'ils ne correspondent pas aux
intentions originelles des individus. L'exemple le plus classique donné par R. Boudon concerne la
dévalorisation des diplômes: alors qu'il est rationnel pour chaque étudiant de chercher à obtenir le diplôme le
plus élevé afin d'accéder à un emploi qualifié et bien rémunéré, l'adoption de cette stratégie par des dizaines
de milliers d'étudiants aboutit, quand l'offre d'emploi n'augmente pas suffisamment, à une dévalorisation des
diplômes.
 Le changement social est indéterminé
Dans son analyse du changement social, Boudon distingue le contexte dans lequel s'inscrivent les actions, du
système d'interaction et du phénomène social résultant de ce système. Ce dernier peut modifier le contexte
d'origine et, de là, provoquer la création d'un nouveau système d'interaction qui, lui-même, donnera
naissance à un nouveau phénomène social.
Il s'intéresse tout particulièrement à cette possibilité et affirme que le changement social est alors indéterminé
puisque plusieurs systèmes d'interactions peuvent découler d'un contexte donné. Il rejoint Olson pour
affirmer que l'existence d'intérêts communs à un groupe social ne suffit pas à provoquer sa mobilisation. Ce
groupe peut se mobiliser pour défendre ses intérêts ou, tout aussi bien, ne pas le faire. Le système
d'interaction est donc indéterminé et le changement social l'est également. Ici encore, Boudon rompt avec ce
qu'il appelle la sociologie déterministe et, en particulier, avec celle de Marx.
15
L'individualisme méthodologique a rappelé l'importance qu'il convient d'attacher à l'étude des individus dans
l'analyse sociologique. L'utilisation d'une conception très large de la rationalité lui permet de donner une explication
à la quasi- totalité des comportements humains mais vide ce concept de son sens. Enfin, l'acteur rationnel imaginé
par Boudon est, en principe, indéterminé mais rencontre sur sa route de telles contraintes que sa marge de manœuvre
est des plus réduite. Ainsi l'étudiant issu d'un milieu modeste qui « choisit de faire des études courtes faute de moyens
financiers a une conduite largement déterminée par un contexte économique sur lequel il n'a pas de prise. L'individu
rationnel échappe au déterminisme culturel mais peut-être pas au déterminisme économique.
16
B. Le structuralisme constructiviste de P. Bourdieu (1930-2002)
Les héritiers (avec J.C. Passeron) (1964)
La reproduction (avec J.C. Passeron) (1970)
La distinction (1979)
Leçon sur la leçon (1982)
La noblesse d’Etat (1989)
La misère du monde (1993)
La sociologie est une science qui a pour particularité la difficulté particulière qu’elle a de devenir une
science comme les autres.
Leçon sur la leçon
La science sociale ne peut se constituer qu’en refusant la demande sociale d’instruments de légitimation ou
de manipulation.
Leçon sur la leçon
La sociologie, science de l’institution et du rapport, heureux ou malheureux, à l’institution, suppose et
produit une distance insurmontable, et parfois insupportable, et pas seulement pour l’institution; elle arrache
à l’état d’innocence qui permet de remplir avec bonheur les attentes de l’institution. »
Leçon sur la leçon
Pierre Bourdieu a fortement marqué la sociologie française depuis le début des années 60. Influencé à
l'origine par le structuralisme, il s'en est peu à peu détaché pour accorder une plus grande attention à la stratégie
des individus et au domaine symbolique.
1. Habitus et dotation en capital
 L'habitus est à l'origine des actions des agents
Le concept d'« habitus» est au cœur de la sociologie de Bourdieu. Il désigne sous ce ternIe l'ensemble des goûts
et des aptitudes acquis par un individu au cours du processus de socialisation. L 'habitus est non seulement un
système de préférence mais également un système générateur de pratiques. Conformément à ses goûts, chaque
individu a un comportement cohérent qui lui semble naturel mais qui est le produit de ses expériences sociales.
Ces expériences sont liées à l'appartenance à une classe sociale et à une culture donnée. Placés dans des
conditions comparables de socialisation, des individus auront des habitus proches, une vision commune du
monde et un style de vie homogène. De ce fait, une classe sociale réunit l'ensemble des personnes dotées du
même habitus.
 Les agents sont dotés de capitaux
Les individus ne sont pas identiques et interchangeables. Ils se distinguent d'abord par leur dotation globale en
capitaux. Or, cette dotation n'est pas aléatoire: ceux qui appartiennent à la classe dominante en sont richement
dotés alors que les membres des classes populaires en sont faiblement pourvus.
Les individus se distinguent par la structure de ce capital. Bourdieu distingue 4 principaux types de capitaux.
 Le capital économique prend en compte la richesse et le revenu.
 Le capital culturel peut prendre trois formes: celle de l'habitus, celle des biens culturels possédés par un
agent (tableau, etc.), celle, enfin, des diplômes qui sanctionnent officiellement un niveau culturel.
Bourdieu utilise ce concept pour expliquer les inégalités sociales face à l'école.
 Le capital social est l'ensemble des relations (les amis...) que peut utiliser un individu ou sa famille.

17
Le capital symbolique est assimilable au prestige social. Il peut être officialisé par une nomination, un
diplôme ou un titre et a pour objet de légitimer la détention et l'accumulation des autres capitaux, en
particulier celles du capital économique.
2. Les agents s’opposent dans des champs sociaux
 La société est divisée en champs sociaux
Contrairement à Durkheim pour qui la société était un « tout », P. Bourdieu insiste sur la division en groupes
sociaux et estime que l'espace social est partagé en une multitude de champs sociaux (l'école, la politique, le
religieux, la culture, etc.). Les capitaux (détenus par chaque groupe social en proportion inégale) constituent
des atouts pour se positionner dans un champ, mais les atouts nécessaires varient en fonction des champs. En
effet, chacun de ces champs possède ses propres règles du jeu et ses propres critères de réussite. Ainsi, les
qualités requises pour réussir à l'école ne sont pas identiques à celles exigées dans le domaine de la mode, de
la politique ou du sport.
Bourdieu assimile un champ social à un marché sur lequel s'échangent des biens spécifiques. Il en est ainsi
du champ culturel où une offre (de spectacles, d'exposition, etc.) rencontre une demande dépendante du
capital culturel de chacun. Offre et demande déterminent des pratiques culturelles qui reflètent la dotation en
capital culturel des agents.
 Les champs sociaux sont des espaces de domination et de luttes
Chacun de ces marchés est le lieu d'une confrontation entre les agents (les classes sociales). L'enjeu de cette
lutte est double.
 Les agents cherchent, d'une part, à se procurer des biens produits et échangés que ceux-ci soient de
l'argent, des diplômes ou du prestige. Mais, contrairement au modèle du marché concurrentiel cher aux
économistes, tous ces agents ne bénéficient pas des mêmes atouts et les mieux dotés en capitaux ont un
accès privilégié à ces biens. Ainsi, nous dit Bourdieu, la réussite scolaire des agents est proportionnelle à
leur dotation en capital culturel.
 Ils cherchent, d'autre part, à faire partager leur propre conception de l'ordre social afin de rendre légitime
les positions privilégiées qu'ils occupent, en définissant les atouts exigés dans un champ et en les
monopolisant. Du coup, le rapport de force est inégal et la classe dominante, parce qu'elle bénéficie d'un
capital symbolique important, réussit à imposer sa culture aux autres classes. Ce faisant, elle les prive des
gratifications symboliques et matérielles spécifiques à ce champ.
La stratégie mise en œuvre par un agent dépend donc de sa position dans le champ social.
 L'agent qui domine un champ social adopte, à priori, une stratégie de conservation qui consiste à
maintenir sa position dans le champ alors même que d'autres agents tentent de subvertir cet ordre. Dans
le domaine symbolique, il doit renouveler l'adhésion de tous à un ordre social qui lui est favorable.
 Les agents dominés peuvent, au contraire, adopter des stratégies de subversion qui visent à réorienter
l'ordre social en leur faveur et doivent, pour cela, réussir à imposer une conception de la société qui les
valorise.
À partir des concepts d’ « habitus » et de « champs sociaux »1 Bourdieu a tenté de dépasser l'opposition
entre l'objectivisme (qui ne s'intéresse qu'à la structure sociale) et le subjectivisme (qui privilégie le discours
des individus). Ces concepts lui permettent en effet de rendre compte des stratégies des agents et, en même
temps, de les replacer dans une logique sociale qui les dépasse.
18
Conclusion : Vers la fin des malentendus…
« Il n’y a plus de raison d’opposer Marx à Weber. L’un apporte à la sociologie d’aujourd’hui l’idée que la
vie sociale est fondée sur un rapport central de domination; l’autre, l’idée que l’acteur est orienté par des
valeurs. Combinons ces deux idées, et nous obtenons la définition du mouvement social. »
Alain Touraine, Le retour de l’acteur, 1984.
Pour un éclectisme paisible !
« Précisons encore une fois que la sociologie n’a que faire du jeu, pour elle parfaitement stérile, des oppositions
d’auteurs, de courants et de doctrines (...) Il ne s’agit nullement, par conséquent, d’opposer en sociologie,
comme s’il s’agissait de systèmes entièrement clos et totalement incompatibles entre eux, Marx et la tradition
marxiste, Durkheim et l’école française de sociologie, Weber et la sociologie compréhensive. Il s’agit plutôt,
dans les perspectives de ce que les auteurs du Métier de sociologue appellent l’éclectisme paisible de la théorie
de la connaissance sociologique, d’assurer, sans aucunement en gommer les différences ni cesser d’en percevoir
les antagonismes, la communication (et toutes les fois où l’analyse sans dogmatisme ni complaisance le justifie,
la convergence) entre les oeuvres des fondateurs et les courants d’idées qui en sont issus. »
P.-J. Simon : Histoire de la sociologie, PUF, 1991, (pp. 381-382)
Bibliographie
M. Montoussé, G. Renouard, 100 fiches pour comprendre la sociologie, Ed. Bréal, 1997.
A. Beitone, Sociologues et courants sociologiques, Aix-Marseille
A. Beitone, C. Dollo, J. Gervasoni, E. Le Masson, C. Rodrigues, Aide Mémoire en Sciences sociales, Ed.
Sirey, 1997.
19
Sociologues et courants sociologiques
I. Les précurseurs
A.
Montesquieu Charles-Louis de Secondat (1689-1755)
B.
Comte Auguste (1798-1857)
C.
Tocqueville Alexis de (1805-1859)
D.
Marx Karl (1818-1883)
II.
Les fondateurs de la sociologie
A.
Emile Durkheim (1858-1917)
B.
M. Weber (1864-1920)
III.
Les débats contemporains
A.
L’individualisme méthodologique de R. Boudon (1934)
B.
Le structuralisme constructiviste de P. Bourdieu (1930-2002)
Conclusion : Vers la fin des malentendus…
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