Groupe de travail Paysage et environnement, qualité et ressource L

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Groupe de travail Paysage et environnement, qualité et ressource
L’enjeu environnemental et celui de la ressource sont au cœur des préoccupations sociales et
politiques du début du vingt-et-unième siècle. L’état de tension entre le niveau d’exploitation
des ressources de la planète et la capacité du système à les reconstituer se traduit par un
transcodage visant à construire des "problèmes d'environnement" en mobilisant l'idée forte de
crise, par une accélération des réactions et par des propositions visant à réorienter la marche
du monde dans un contexte marqué par l'incertitude : incertitude de la production des
diagnostics (qui réinterroge à la fois l'état de la connaissance, les méthodologies et les
modèles conceptuels), incertitude du contrat entre les acteurs présents sur la scène mondiale
(Milani, 2000), incertitude sur l'avenir (le devenir des personnes).. L’idée de ressources
« naturelles » « extérieures aux sociétés, et quantifiables en dehors d’elles » qui
« détermineraient pour un milieu donné le rapport du nombre à l’espace, à travers certaines
normes » (G. Dupré, 1996) persiste. Dans ce cadre, manipulations symboliques et conflits de
représentation interviennent sur fond de nouvelles territorialisations des pouvoirs et de
redéfinitions participatives des biens communs. Notion de bien commun qui est réhabilitée
(en ré-émergence ?) à travers l'idée de crise (globale, multi-échelle ?), qui cristallise l'idée
d'un besoin urgent d'action par une réponse collective.
L’analyse de la construction symbolique des territoires apparaît dans ce contexte comme un
moyen pertinent
d’aborder la question
des
rapports
« local/global » et
« particularisme/universalité ». Elle inclut celle de la fabrique des représentations, des
identités territoriales et des formes de la patrimonialisation. A ce grand questionnement se
rapportent les travaux ayant trait à l’espace vécu et à la représentation paysagère du territoire,
à la promotion du sensible dans les processus de distinction sociale et spatiale, à l’articulation
des relations nature/culture.
Qu’ils interviennent sur la gestion des ressources, l'analyse des modes de spécification et
d'activation de ressources, la qualité, les paysages et/ou la protection/conservation de la
nature, les membres de ce groupe (géographes, historiens, économistes et écologues), entrent
dans le projet de recherche en réponse à l’injonction politique et sociale au développement
durable et à la gouvernance territoriale. Ils ont en commun de relier leurs recherches à des
formations de type professionnalisant (masters en aménagement, développement et
environnement, formation des ingénieurs, formation des paysagistes). La confrontation des
temporalités, celle de l’action et de la recherche, voire de la formation, est au cœur la
problématique.
Le problème de la confrontation des scènes de la recherche et de l’action est posé sur le plan
de la légitimité et de l’éthique dès lors que l’action devient sujet de recherche, que le
chercheur côtoie les procédures territoriales, voire intervient dans le jeu des procédures. La
science est envisagée dans son rapport à la société : on conçoit donc une certaine position des
représentations savantes par rapport aux représentations profanes et on envisage leur interalimentation.
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Savoirs partagés
Contrat
Ancrage
Mouvement
Urgence
Durabilité
Evaluation
de l’action
Ethique
Paysage
Environnement
Naturel
Symbolique
Signe
Matériel
Immatériel
Artefactuel
Programmes
Qualité
ANR Nature
Quantification
Qualification
Méthodes et outils
Biens communs
Injonctions politiques
Groupe de travail
Projet de laboratoire
La recherche pose ainsi le problème des catégories héritées de l’action (la nature, le paysage,
la ressource, le territoire), des normes (normalisation de la qualité et de la valeur, délimitation
de zonages) qui ordonnent les savoirs sur l’espace ou les formes d’action sur les
environnements. Elle interroge le statut et la représentation de la limite et de la frontière dans
le contexte du développement d’une nouvelle spatialité.
Traiter la question des catégories et des limites renvoie ainsi à une interrogation de type
épistémologique et méthodologique dont découlent la critique et la refondation des codes de
l’expertise.
Ressource
Projet ISVV …
Intitulé n
Positionnement du groupe de travail dans le projet quadriennal
Cette déclinaison du projet de laboratoire s’inscrit dans la double dialectique de l’urgence et
de la durabilité d’une part, de l’ancrage et du mouvement de l’autre.
La première privilégie la durée et le point de vue temporel (passé, présent, futur). Il s’agit
notamment d’identifier les différentes modalités historiques de gestion des ressources ainsi
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que les pratiques sociales associées. La question de la crise environnementale, de la
construction des représentations, de la montée des tensions sociétales et des réponses qui y
sont apportées tant technologiques que comportementales (adaptation, conflits…) est ainsi
productrice d’innovations.
La seconde peut, quant à elle, mobiliser préférentiellement la dimension comparative en
s’appuyant sur l’analyse de diverses situations (tant en Europe que dans les Pays du sud). Elle
renvoie également à la prise en compte des transferts de biens et de services dans le cadre de
réseaux plus ou moins organisés et plus ou moins pérennes.
Les travaux sur le paysage, la qualité, la ressource et l’environnement viennent alimenter la
réflexion globale sur les notions de bien commun, de savoirs partagés et de contrat. Ces
travaux sont très largement nourris des résultats du programme quadriennal 2007-2010 du
laboratoire sur la territorialisation du développement durable et la gouvernance.
L’idée générale est de réinvestir des constructions a priori robustes à l’aide de notions plus
floues : la question environnementale au regard des définitions multiples du paysage ; celle de
la ressource à celui de la qualité.
L’injonction politique à la production de méthodes de représentation et d’indicateurs des états
de l’environnement pose la question de l’universalité des phénomènes à observer et du prisme
à travers lequel ils sont observés : idéologies et doctrines fondatrices, déroulé instrumental de
la production des connaissances, modèles d'analyse. La reproductibilité des procédures ou le
caractère plus ou moins objectif des protocoles est au cœur du projet. La confrontation des
méthodes et des outils, quantitatifs et qualitatifs, l’étude de l’impact des choix
méthodologiques sur les résultats de la recherche renvoient à la question de l’interobjectivité
de la science (Hoyaux 2008) imposée par la pluridisciplinarité de l’équipe.
Cette dimension épistémologique et méthodologique alimente les ateliers transversaux du
projet quadriennal relatifs aux méthodes (quantitatif / qualitatif - séminaire GRANIT) ; à
l’évaluation de l’action ou à l’expertise de l’expertise ; aux questions éthiques, dès lors que le
chercheur s’engage sur le terrain territorial et y impose implicitement sa légitimité et son
autorité scientifique.
Nous ne retenons sur le schéma que la dimension problématique du projet, les programmes
qui l’alimentent sont présentés pour mémoire et de façon non exhaustive.
Les entrées dans le projet de laboratoire
Le paysage et l'action publique constituent deux entrées efficaces dans les problématiques
centrales du projet de laboratoire :
— celle du contrat, au sens où le paysage et l'environnement apparaissent aujourd’hui
comme des objets autour desquels se renégocient les conditions d’un « vivre
ensemble » fondé sur un double contrat territorial et environnemental. Le paysage, y
compris dans son caractère flou et ses redéfinitions permanentes, comme les
ressources environnementales ou plus globalement territoriales portent ainsi la
question de l’identification et de la reconnaissance collective d’un bien commun,
relevant d’une construction indissociablement matérielle et symbolique, autour duquel
se dessine la perspective (illusoire ?) de nouveaux pactes sociaux (voire/y compris la
question de l'identité). Derrière la question du paysage ou de la protection/gestion de
la nature réside également celle d’une redéfinition de la ressource et de la qualité, à la
frontière entre immatérialité et matérialité. Les constructions territoriales et les jeux de
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spécification et d’activation des ressources qui les fondent exigent en même temps
qu’elles s’insèrent dans des dispositifs collectifs où le contrat, formel ou informel est
fondamental. Les coordinations, le respect de règles du jeu, la définition même de ces
règles fondent ces constructions nécessairement collectives. La ressource activée et
spécifiée constitue un bien collectif, un bien commun voire un bien public, la
territorialité qu’elle construit également (SIQO par exemple).
— celle des savoirs partagés, la question paysagère ou de la gestion environnementale
portant fondamentalement celle de la prise en compte des savoirs et de l’expérience de
l’ « habitant » ce qui amène à interroger les rapports entre ces savoirs locaux et ceux
de l’expert et du scientifique, et pose la question des savoirs partagés. Autant derrière
les savoirs scientifiques que vernaculaires, la construction des discours et des identités
qui s’y trouvent associées tentent d’authentifier « l’originalité » (au sens qualitatif et
quantitatif, situé et temporalisé à travers l’ancienneté ou l’exclusivité de la présence
par exemple) à travers un ensemble de signes et d’artefacts qui interfèrent dans la
rencontre entre naturel et symbolique, matériel et immatériel en fondant un ensemble
de procédures de conformation des habitants par les scientifiques et des scientifiques
par les habitants dans l’interprétation de la réalité géographique. Tel espace sans
signification devient paysage-ressource du fait d’un nouvel éclairage sociétal à travers
les chaînes de la recherche qui vont de l’interrogation de l’habitant (temps 1) sur son
savoir vernaculaire aux chercheurs qui en tirent des conclusions plus ou moins
objectivantes (temps 2) et reconstruit in fine de part sa légitimité l’objectité ré-évoqué
par l’habitant (temps 3). Tel espace anomique devient environnement de qualité du fait
d’un dispositif sociétal de mise en valeur spécifique et dès lors spécifié (textes,
normes)
Ces deux entrées sont également pertinentes dans la théorisation de l’action.
— Elles amènent à interroger les sciences de l’espace dans leurs fondements : les
configurations spatiales, les topologies, la question des échelles, de l’exhaustif et de
l’échantillonné ;
— Elles posent la question des délimitations, d'une géographie “maniaque du découpage
et de la limite” (Retaillé 2008) : forme de discrimination qui rassure les ingénieurs et
décideurs territoriaux là où le rapport des sociétés à leur environnement fait plus appel
au "fondu enchaîné", aux réarrangements permanents.
— Elles situent les enjeux au carrefour de la science territoriale (social,
environnemental), sollicitée pour produire des indicateurs, et interrogent sur
l’utilisation des méthodes, des représentations et des données, quantitatives ou
qualitatives, en lien avec la question de l’objectivation des productions de la science.
La ressource offre une ouverture distincte sur l’interaction entre matériel et immatériel. Un
élément naturel ou un certain potentiel, ne devient ressource que par l’usage qu’en font les
sociétés humaines et la valeur qu’elles lui donnent. Sans nier la part de naturalité de certaines
ressources qui permet de donner une place aux matérialités paysagères et aux processus
biophysiques de l'environnement, ni l’actualité des enjeux liés à leur utilisation optimale,
notamment dans la perspective de leur exploitation durable, la notion de ressource,
mobilisable sur un territoire donné, peut être étendue à d’autres domaines : ressources
humaines, ressources touristiques, ressources financières… Dans une telle perspective, la
ressource fait signe et est une construction éminemment sociale, fondée sur des usages, des
pratiques et des représentations sociales à un moment donné et il ne peut exister de modèle de
gestion générique applicable partout.
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Finalement la notion de ressource biophysique, économique ou humaine, y compris dans sa
dimension symbolique (c’est-à-dire de mise en sens par l’habitant et/ou le scientifique) ou
immatérielle (informations) peut être considérée comme l'ensemble des potentialités et des
capacités susceptibles d’être mobilisées, mises en œuvre et gérées par une société. De ce point
de vue, les ressources en tant que système constitué de différentes composantes différenciées
selon leur finalité (alimentation, énergie, etc.) sont des éléments structurant les territoires
entendus comme des espaces appropriés, avec le sentiment ou la conscience de leur
appropriation. Néanmoins, les principes d’organisation spatiale qui résultent de cette
structuration sont sans doute différents selon la nature de la ressource (homogénéité,
emboîtement, polarisation).
Problème de transition.
Quoi qu'il en soit, l’utilisation de l’une ou de l’autre de ses composantes se traduit in fine par
des répercussions sur les autres. A ce titre, l’environnement, considéré comme un système
évolutif complexe incluant ces différentes composantes, s’inscrit dans l’espace (des
dimensions de proximité jusqu’aux plus globales) et dans la durée (propriétés d’homéostasie,
capacités de résilience, adaptations des systèmes…). Il est le résultat de l’imbrication de
socio-systèmes et d’écosystèmes.
1. Temps du projet/durabilité/action sur l’espace
Cet axe de recherche alimente la réflexion sur la dialectique urgence/durabilité. Il s’agit d’un
axe potentiellement transversal à de nombreuses thématiques abordées par ADES.
Nous partons de l'hypothèse que le temps ordinaire de l’élaboration des projets est le temps de
l’urgence, presque une urgence programmée. Le projet est une des formes de réponse
opératoire à une situation, à un problème qualifié d'urgent. Il est fondamentalement
producteur de décision et d'action. Les pratiques des professionnels de l’environnement et du
paysage, de l’aménagement et du développement s’ordonnent de fait, en ce domaine, autour
d’une gestion et d’une culture du faire-vite, du stress créatif et du résultat immédiat ou plutôt
de la proposition/action immédiate mais paradoxalement (?) à visée durable. Elles cultivent
l’immédiateté, qui est le temps de l’individu (du porteur de projet ?) plutôt que celui du
groupe social. Le projet-urgence porte une valorisation du sujet-décideur et une dévalorisation
(voire une négation) symétrique des sujets pour qui l’on décide. S’intéresser au projet sous
l’angle de sa temporalité amène ainsi à poser le problème du rapport sujet/collectivité, des
conditions et des limites du concerté et du participatif dès l'amont du projet. Cela amène aussi
à s'interroger sur le cercle d'auto-reproduction, d’auto-légitimation du projet : règne des
bailleurs qui identifient les priorités, donc les urgences, définissent les projets et les évaluent à
l’aune de leur propre culture (financière et communicationnelle : résultats visibles et
immédiats ; évaluation quantitative et sectorielle par exemple) ; règne des experts qui
reproduisent les modèles et les procédures de manière indifférente selon les situations
rencontrées. Reprenant Crozier et Tillette (La crise de l’intelligence. Essai sur l’impuissance
des élites à se réformer), l’urgence est sans doute aussi celle qui privilégie la proposition de
solutions à la définition des problèmes. Enfin cela pose également sous un angle original le
problème des savoirs-experts.
Le projet
Le projet-urgence cultive l’hypothèse (vite transformée en « concept » ordonnateur de
l’action) plutôt que la démonstration, l’itération, le chemin faisant plutôt que la procédure
maîtrisée et prédéfinie à l’avance. Sa temporalité n’est donc pas épistémologiquement neutre.
Que signifie, sur cette base, produire des connaissances « implicables » (au sein d'une
géographie impliquée) dans les processus de projet ? Si le projet (cf. Boutinet :
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"L’anthropologie du projet"), c’est « se jeter auprès de » (cf; « project » et projectile) dans le
temps et l’espace, alors le projet traite de l’ubiquité et de l’uchronicité. Car à tout moment, on
peut être auprès (à proximité) de choses éloignées (aux sens larges d’endroits, de personnes,
d’idées). On défie l’espace et le temps, la distance-étendue, la distance-temps pour contracter
la réalité de la métrique cartésienne. En ce cas, le projet peut être pensé comme une intention
guidée par l’individu qui se projette. En ce sens, il n’y a point de processus (qui réfère à la
dimension naturelle des choses qui vont d’elles-mêmes), mais plutôt des procédures. En
revanche, si le projet relève parfois d’une non-volonté mais juste du fait que l’on se met à
proximité de choses, on se projette sur : il y a alors une sorte de détachement par rapport à la
volonté de puissance et donc bien un processus mais celui-ci relève-t-il toujours de l’individu
ou d’autres forces, notamment celle d’une conformité à un message ambiant, qui structurent
ce que l’on voit ou veut voir ?
Quelles sont les conditions de cette implication ? Comment la question du projet résonne-telle sur les modes de production de la connaissance dans les domaines du paysage, de
l’environnement, de la gestion des ressources et de la qualité ? Quel rapport les disciplines de
crise (la biologie de la conservation par exemple) entretiennent-elles avec la science (Soulé
1985, Blandin 2009) ?
Dia-gnostic ou Syn-gnostic ?
Une hypothèse centrale est celle de l’anachronisme consubstantiel au projet : anachronisme
qui rend problématique la durabilité des effets de l’action projetée. Les expériences de
politiques analysées ces dernières années dans le domaine de l’environnement et des paysages
montrent la récurrence d’un décalage temporel entre le diagnostic et la définition de l’action,
celle-ci s’alimentant à des constats périmés. Il existe une mythologie du « diagnostic » :
diagnostic ou « perspective », voire « prospective » du projet ? Car « dia » c’est
étymologiquement « séparer » (comme dans diabolique vs symbolique) les éléments de la
connaissance ! Le diagnostic inscrit l’action dans une procédure linaire tant que le sujet
décideur n’intègre pas le sujet pour qui l’on décide. La participation remet en cause le mythe
du diagnostic. L’idée du diagnostic qui fige doit être réinterrogée, il importe de construire une
interaction entre représentations territoriales et projet puisque le projet est lui-même
producteur de représentations qui transforment le diagnostic. Il s’agit de proposer les
principes et les outils de transformation du diagnostique en « syngnostic ».
Temps de l’action
Plus généralement, si l’urgence peut porter l’innovation, elle s’accorde aussi à l’activation et à
l’actualisation de représentations culturelles et de savoirs intégrés, éprouvés, ancrés, qui ont
quelque chose d’inactuel. La longue durée s’immisce, à travers eux, dans l’immédiateté du
projet. Dans le temps court de l’idée et du parti pris s’invite, d’abord, ce qui vient de loin. Il y
a ainsi dans le projet-urgence comme une condamnation à fabriquer du neuf avec du (trop)
vieux. On ne peut ainsi comprendre les processus de projet et en construire la critique qu’avec
un recul historique relatif à la fois au temps long des représentations culturelles et des
matérialités paysagères et environnementales. Il y aurait donc à travailler avec deux artefacts
projectuels : l’un mémoriel (antécédent) et l’autre futuriste (succédant). Cela veut-il dire que
la mémoire est du temps long (de la durée) et le futuriste du temps court (de l’instant) ? Pas
forcément. La durabilité du développement nous montre cette inversion. Aujourd’hui, on
projette du temps long et on ne se souvient que de temps court : celui des événements
ritualisés et non des temps longs de l’histoire chronologisés et contextualisés. C’est là le
moyen de saisir les ancrages, les héritages (?) et les pesanteurs révélés par l’urgence.
Travailler l’urgence implique explorer la durée. Il n’y a jamais de temps t, mais un ensemble
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de temps : moins quelque chose ou moins un laps de temps (le diagnostic, l'avant décision), et
de temps + (plus) quelque chose ou + (plus) des laps de temps (la portée de l'action durable,
sur un temps étendu).
L’un des aspects essentiels du projet scientifique pourrait à cet égard relever d’une
périodisation, sur la longue durée, des politiques publiques de l’environnement (qu'il s'agisse
de protection ou de gestion) et du paysage, saisies dans leurs fondements culturels implicites.
L’objectif serait de vérifier l’hypothèse, posée par le CEPAGE lors de précédent travaux sur
la montagne pyrénéenne, d’un décalage systématique entre temps culturel et temps de
l’action, entre pratiques socio-spatiales locales et modèles ou les travaux de TEMPOS sur
l'analyse des projets de développement, voire les approches systémiques du développement
(Olivier de Sardan "Anthropologie du développement"). L’action sur l’espace ne parvient
ainsi à être mise en œuvre qu’à partir du moment où les paradigmes qui ordonnent sa
définition commencent à être remis en cause ou à être concurrencés par d’autres.
Les questions posées ci-dessus ont une forte résonance pédagogique et sont susceptibles de
porter le renforcement des liens entre recherche et enseignement professionnalisant ; ceci pour
la formation des paysagistes et des architectes, qui a pour centre l’enseignement du projet,
mais aussi pour celle des géographes. L’une des problématique-clé de la pédagogie du projet
est en effet d’inventer des modalités d’apprentissage permettant aux connaissances et aux
méthodologies scientifiques acquises de s’immiscer dans le temps de la prise de parti et
d’éviter que celle-ci ne repose que sur la convocation incontrôlée de représentations mentales
intégrées par le concepteur et lui tenant lieu de savoir.
Question de la prospective participative
Faut-il considérer le sens commun (qui n’a de commun que la mise en généralité de la
diversité, à travers les enquêtes notamment) ou faut-il élaborer du sens innovant à partir
d’individualités bien cernées : sens dont le caractère d’innovation n’existe qu’à travers la
lecture que le chercheur en fait. Certains patrimoines abandonnés redeviennent ainsi des
éléments d’invention de nouvelles actions. Un troisième savoir intervient dans le jeu à côté du
savoir scientifique (au sens de celui des chercheurs) et du savoir vernaculaire, c’est le savoir
expert, celui qui est dans l’urgence (on retrouve la dichotomie acteur-chercheur)].
Un jeu subtil se manifeste donc entre savoir scientifique du temps long de la construction de
la connaissance, savoir expert de l’urgence et savoir vernaculaire tiraillé entre l’urgence de
l’impression et l’ancrage à la mémoire. L’idée est de raisonner autour de cette typologie
distinguant trois savoirs. Mais pour cela, il faut explorer — et c’est là le projet proposé —
toute l’ambiguïté qui réside entre les différents types de représentations associées à ces
savoirs ainsi qu’aux territoires qu’elles dessinent.
2. La question des limites
Les politiques paysagères et environnementales, les pratiques du « projet de paysage » ou du
"projet (à vocation) environnemental(e)" (aire protégée par exemple) constituent un champ
d’observation d’une richesse inépuisable pour aborder la dialectique mobilité/ancrage, car
porteur de toutes les contradictions et les tensions qui accompagnent aujourd’hui l’émergence
de nouvelles formes de territorialisation, d'une volonté de "paysagement", qui serait en
quelque sorte l'expression d'une volonté d'artefactualisation générique et identitaire. Ces
phénomènes apparaissent solidaires d’une crise des catégories à travers lesquelles les sociétés
se représentent leur environnement, le paysage et notamment, d’un brouillage du grand
partage nature/culture (cf. le projet de l’ANR « nature » qui vient d’être déposé sur le sujet).
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On peut faire l’hypothèse que la promotion contemporaine du paysage ou de la notion de
développement durable relève, pour une part, d’une crise de cette vision dichotomique du
monde et d’un désir de s’appuyer, pour penser et agir, sur des notions capables de porter
l’hybridité et le métissage du réel. De fait, le paysage compris comme mixte évolutif de nature
et de culture, semble aujourd’hui bel et bien porteur d’une remise en cause de la spatialité
héritée des politiques patrimoniales et spécifiquement des pratiques traditionnelles du zonage.
Mais simultanément, et de façon contradictoire, cette même notion est associée à une
rhétorique du réancrage et de l’identité qui va de pair avec une volonté d’immobiliser le social
et le culturel en les naturalisant (inertie des modèles, réactions au changement). Ce serait donc
la durabilité qui naturaliserait, car la durabilité évoquant le temps long permettrait de donner
une densité et une épaisseur temporelle aux choses et aux paysages et donc leur donnerait une
légitimité de présence à être là « naturellement » car « là » depuis longtemps. Témoigne
notamment de cette tendance les politiques visant à considérer la délimitation d’« unités
paysagères » homogènes (cf. les Atlas départementaux de paysage en France ou la
Convention européenne du paysage) comme le fondement sacrée de toute action en la matière
et, quasiment, comme une fin en soi ou encore, la résurgence des politiques
« conversationnistes » de protection de la nature fondées une cartographie d’inventaires
d’espèces et de zonages figés.
Dans une époque considérée comme celle de la mobilité, des flux de biens et de personnes,
des espaces fluides et mouvants, des systèmes ouverts, les processus relevant de l’immobilité,
du stationnement, de l’enfermement se développent et s'affirment paradoxalement.
La question de l’enfermement, ses fondements conceptuels et ses implications théoriques, est
abordée à travers une réflexion sur les dispositifs de zonage environnementaux considérés
comme une construction socio-spatiale productrice d’une forme «d’enfermement de la
nature».
Les procédures actuelles de zonages écologiques et paysagers sont de plus en plus
nombreuses et affectent des proportions de plus en plus grandes de l’espace géographique. Le
dispositif «zonage environnemental», institué en norme, s'inscrit dans l'évolution de la pensée
en environnement, au sens où il traduit des façons de représenter la nature et l'environnement
et de construire leurs interrelations.
L’entrée paysagère dans cette problématique permet une prise de recul par rapport à la notion
de limite au regard du basculement des référentiels (celui de la perspective- vue du dedans- et
celui du plan, de la carte –vue du dessus-), du flou et de la mobilité des transitions zonales et
justifie une pluralité de représentations des états de la nature. Elle permet de confronter les
représentations quotidiennes, ordinaires des habitants aux modèles projectionnels discontinus
des scientifiques et des experts. Les procédures de zonage mobilisent des outils géographiques
numériques sans les savoirs ou les modes de pensée qui devraient les accompagner Les
systèmes d’informations géographiques occupent le territoire, sans toujours être actionnés par
des opérateurs conscients des limites méthodologiques, voire éthiques, des manipulations
qu’ils réalisent. Sur le terrain, le système est dépassé par l’évolution des performances de la
boîte noire instrumentale. Les outils numériques de gestion des données spatiales voire de
gestion de l’espace sont devenus indispensables mais devraient être accompagnés pour servir
le projet territorial et non l’asservir. La géographie instrumentale a des propositions à
formuler, elle doit pour cela ne pas être dupe de ses propres productions.
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Selon l'espace qu'il doit circonscrire, les fonctions écologiques (réseau, corridor, trame, puits
de carbone, sanctuaire,…) et/ou sociales (gestion, protection, récréation, …) qu'il doit assurer
et les contextes géographiques dans lequel il est développé, le dispositif «zonage
environnemental» prend différentes configurations spatiales et fonctionnelles. Il s'inscrit dans
un rapport à la construction du savoir et aux outils techniques. Outil de protection strict
d'espaces et/ou d'espèces considérés rares et/ou remarquables définis globalement, outil de
gestion contractualisée des ressources naturelles (et de développement des territoires) à
l’échelon local, ses déclinaisons sont multiples.
Notre réflexion porte plus spécifiquement sur les zonages environnementaux (aires marines
protégées, trames vertes et bleues, ZNIEFF, Natura 2000) en tant qu’ils résultent ou non d'une
méthodologie type, qu’ils mobilisent des outils particuliers (la carte et les SIG en particulier),
qu’ils constituent un modèle d'action, une norme, indépendamment presque des fonctions et
des situations locales où ils sont développés. Ces travaux impliquent indirectement une
réflexion essentielle sur les questions de justice et d’équité spatiale et s'accompagne d’un
volet méthodologique (qui nourrira le séminaire GRANIT) et opérationnel de production
d’outils d’aide à la décision à destination des planificateurs et des gestionnaires de
l’environnement : formation et approche critique pour l’exploitation des données numériques,
indicateurs et observatoire du développement durable, outils de participation, dispositifs
d’intelligence territoriale (appuyé par les formations professionnalisantes universitaires).
La question de l'enfermement et des limites est également déclinée dans la réflexion sur les
processus de construction des territoires fondés sur l'activation et la valorisation de
ressources. L'enfermement peut être conçu comme un projet collectif assurant le "meilleur
être", il est alors moins spatial mais plus organisationnel et institutionnel.
3- La question de la ressource : stratégies sociales et organisations territoriales
S’il est aujourd’hui commun de dire que l’époque est à la complexité territoriale
notamment à la suite des travaux de P.Vanier et de B. Debarbieux 1, il l'est moins de mettre au
cœur de la réflexion les conditions ayant présidées au passage d’un monde ordonné à un
monde complexe. Les émergences territoriales contemporaines sont nombreuses et nous
mettent dans l’embarras quant à leurs modalités de création (d’invention), les valeurs
auxquelles elles se référent, les processus de fonctionnement qui les gouvernent, les degrés
d’affection et d’appartenance que les individus leur vouent.
Reprenant l’idée selon laquelle la structuration du territoire et ses recompositions
dynamiques sont des produits de l’activité sociale et apparaissent de ce fait aussi
indispensables à la connaissance des sociétés que l’Histoire, l’objectif scientifique de cet axe
de recherche vise à caractériser les stratégies et les actions que les sociétés mettent en œuvre
pour identifier des ressources et les mobiliser, caractériser leurs évolutions, et éventuellement
les conserver. Le regard neuf que nous tenterons d’apporter sur des territoires en grande
majorité émergents à la faveur de nouvelles territorialités réelles ou virtuelles semble de prime
abord bien plus fondé sur la mobilité et l’urgence que sur la sédentarité et le durable.
Dans cette perspective, il s’agit tout particulièrement de comprendre comment les
différents modes de gestion des ressources évoluent en fonction de la demande et s’adaptent
aux contraintes des milieux et des sociétés dans lesquelles ces ressources sont exploitées.
1
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C’est ce que peut permettre notamment une analyse des pratiques relatives à l’utilisation des
ressources et de leur évolution en relation avec de multiples facteurs : culturels (savoirs,
représentations),
sociaux
(processus
de
décomposition/recomposition
sociale),
démographiques (croissance ou recul démographique, mobilités), économiques (stratégies
familiales, pluri-activité) et politiques (politiques foncières, agricoles, environnementales).
Dans une perspective d’aide à la décision, il s’agira de mettre en évidence comment ces
différents facteurs, eux-mêmes inter-reliés, font évoluer les pratiques d’une façon plus ou
moins compatible avec une gestion durable des ressources, en nous intéressant aux impacts
des pratiques et de leur évolution sur la dynamique environnementale. Une telle approche
pourra être envisagée dans un cadre pluridisciplinaire, incluant des collaborations avec des
écologues.
Un tel objectif implique la prise en compte de diverses échelles temporelles et
spatiales, ainsi que la compréhension des différentes articulations sociétales dans lesquelles
les agents (décideurs et élus, citoyens, sociétés à buts lucratifs, organisations
gouvernementales ou non, populations locales…) interagissent pour utiliser et exploiter une
ressource.
Ainsi se pose la question de l’identification des différentes modes d’utilisation et de
gestion des ressources et des relations qu’ils entretiennent avec les pouvoirs et les acteurs,
alors même qu’autour d’une même ressource sur un même territoire se développent
différentes représentations. Il faut reconnaître alors l’importance des conflits qui se nouent
tant autour de la ressource elle-même qu’autour de la représentation qu’en ont les acteurs. De
fait, le choix même de faire d’un environnement une ressource polarise l’action des sociétés.
A la fois en amont (procédures de mise en ressource) mais aussi en aval puisque une pression
nouvelle s’y applique et oblige à un réaménagement du territoire et donc à une transformation
de sa représentation. On donne du sens, on fait signe à travers cette ressource à ce qui pouvait
jusqu’alors n’être que nature. De ce fait, on artificialise et cela même si « objectivement » la
naturalité initiale subsiste.
Dans ce contexte, se pose la question de l’accès aux ressources et de son contrôle
faisant intervenir des conflits entre intérêt individuel et biens collectifs ou communautaires,
entre société locale et intervenants extérieurs. Ces conflits s’avèrent aussi différents lorsque la
« ressource est en crise » soit par une variation de qualité soit par une variation quantitative
qui met en péril des activités ou des espaces (risques directs mais aussi pertes économiques
liés à la disparition d'une ressource) ou encore des personnes (santé).. Se pose donc la
question de la gestion de cette crise : quelles gestions choisies (ou stratégies), quelles
temporalités par rapport à la temporalités des processus (enjeux du risque littoral sur une
évolution longue par rapport à une gestion dictée par l’urgence et sectorielle), quelles
innovations technologiques, aux nouvelles pratiques sociales (nouveaux comportements,
perceptions et apprentissages).
D’où l’importance d’une analyse du rôle des politiques publiques et des projets
concernant la gestion des ressources.
Finalement dans l’hypothèse d’un processus de construction territoriale fondée sur la
spécification et l’activation des ressources, la question centrale de la dialectique
urgence/durabilité est posée. D’un coté les exigences du marché, les risques encourus, les
besoins des consommateurs voire leurs désirs appellent des réponses urgentes au risque d’une
désactivation de la ressource (cycle de vie des produits de plus en plus courts, stocks limités,
coûts trop élevés par rapport aux avantages pour la collectivités), de sa dévalorisation et de
fait de la déconstruction territoriale avec son lot de problèmes économiques, sociaux,
paysagers et environnementaux. De l’autre, ces mêmes acteurs inscrivent leurs besoins dans la
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nécessité de la pérennité et de la durabilité de l’utilisation des ressources de leur territoire.
C’est dans cette logique inscrite sur un temps long qu’entrent les processus de spécification,
d’activation, et de construction de la qualité et de la valeur.
La qualité, comme la ressource à laquelle elle s’applique, est dépendante des acteurs
sociaux qui la mettent au cœur de leur référentiel sociétal. Elle peut être attribuée à des entités
matérielles (produits, matériaux particuliers -comme le sable des plages-) ou immatérielles
(qualité de vie), et son utilisation peut se traduire en termes économiques (attractivité d’un
territoire), en terme de santé (qualité alimentaire), en terme de bien-être (qualité des paysages,
des environnements sociaux, …). La qualité, critère éminemment subjectif pour être
opérationnel, est généralement objectivée à travers des indicateurs plus ou moins spécifiques
(mesures physico-chimiques à indicateurs globaux de développement durable), et un système
normatif, de standards (démarches volontaires ou réglementaires). La notion, qu'elle soit liée à
une "origine", qu'elle s'applique à des biens fortement identitaires (vin) nous semble
importante à travailler au sens où elle inscrit clairement et l’artefactualisation d’un espace
naturel et sa mise en signes par ceux qui en valorisent l’authenticité « naturelle » et
« culturelle ». La construction de ces échelles de valeurs répond à un besoin sociétal de
référentiel commun, et peut être envisagée comme une recherche d’ancrage et de durabilité
dans l’utilisation et la gestion des ressources.
qualité liées à l’Origine (SIQO) ou sur
Ce questionnement relatif aux modes de construction (et de déconstruction) des
territoires par l’activation, la valorisation (ou au contraire sa désactivation et sa
dévalorisation) d’une ressource nous renvoie à la manière dont chaque acteur, à tous les
échelons de l’action, participe à ces processus et en même temps à la façon dont ils se
coordonnent. La gouvernance, entendue comme le processus de coordination des acteurs mais
aussi de construction de la territorialité et d’appropriation des ressources est donc
fondamentale (Leloup, Moyart, Pecqueur, 2004), et constitue un pilier majeur de notre
réflexion. Force est de constater que la territorialisation des actions et les constructions
territoriales fondées sur la mobilisation et la mise en valeur de ressources (génériques ou
spécifiques)2 qui deviennent alors « construites »3 et promues, deviennent prégnantes dans un
contexte qui semble vouloir organiser les logiques de l’action a contrario à partir de la
mobilité et du global.4
Participants :
Xavier Amelot, Véronique André-Lamat, Mayté Banzo, Jean-Etienne Bidou, Eva Bigando,
Sophie Bouju, Serge Briffaud, Juliette Carré, Nathalie Corade, Laurent Couderchet, Bernard
Davasse, Marina Duféal, Alain Escadafal, Sandrine Gombert, Emmanuelle Heaulmé,
Dominique Henry, André-Frédéric Hoyaux, Valérie Kociemba, Raphaël Jun, Marie Mellac,
Alexandre Moisset, Serge Morin, Dominique Prost, Solange Pupier-Dauchez, Francis
Ribeyre, Jean-François Rodriguez, Sylvie Salles, Philippe Schar, Hélène Soulier, Pascal
Tozzi, Hélène Velasco, Philippe Waniez.
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Pecqueur B, Colletis… parlent d’actifs dès que la ressource est activée c'est-à-dire portée par des acteurs qui en
cela ….
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