La situation en 1834

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La situation en 1834.
À Bône, l’administration pacifique du général Monck-d’Uzer produisit dans nos
rapports avec les tribus des résultats satisfaisants : les Arabes campaient
autour de la place; leurs cavaliers éclairaient la marche de nos détachements;
mais dans la ville saccagée par les Turcs les ruines et la solitude entouraient nos
soldats. En butte aux injures de l’air ou entassés dans des baraques qui ne les
garantissaient pas de la pluie, ils ne pouvaient échapper aux émanations des
marais fétides que forment la Seybouse et la Boujimah avant de se jeter dans la
mer; une maladie épidémique (la fièvre jaune) vint encore augmenter ces causes
de destruction, et sous leurs influences réunies la garnison perdit un quart de
son effectif. Malgré ces pertes, malgré le système de douceur qu’il avait adopté,
le général Monck-d’Uzer fut obligé de châtier sévèrement plusieurs tribus qui, à
l’instigation d’Ahmed, bey de Constantine, se montraient hostiles: de ce nombre
furent les Oulad-Attia qui habitent les rives d’un lac situé à quatre lieues de
Bône, dans la direction de Stora; il alla les attaquer sur leur territoire, leur tua
beaucoup de monde et leur prit quelques troupeaux qui servirent à indemniser
nos alliés de leurs pertes et surtout l’administration, dont une partie du parc
avait été enlevée par ces pillards. Quelques mois après, il fut obligé de sévir avec
la même vigueur contre les Merdès, tribu très nombreuse qui habite sur la rive
droite de la Mafrag. Ceux-ci avaient pillé des marchands qui se rendaient à Bône;
le général les somma par trois fois de faire réparation de cette offense; mais
par trois fois ils restèrent sourds à ses remontrances. Les voies pacifiques étant
restées sans effet, il lança sa cavalerie sur les rives de la Mafrag, enfonça en un
clin d’œil les rebelles et leur enleva leurs troupeaux. Les Merdès vinrent alors
demander grâce à genoux; elle leur fut généreusement accordée, et depuis cette
époque ils se sont montrés nos alliés fidèles.
Après notre évacuation de Médéa, le bey de Constantine était parvenu à
faire reconnaître hakem de cette ville un Maure nommé Mohamed-el-Khajy, qui
lui était intimement dévoué; les habitants restés fidèles à notre cause, les tribus
qui comptaient sur notre appui, voyant ainsi s’évanouir leur prépondérance,
sollicitaient vivement le général Voirol de réinstaller le bey nommé par le général
Clausel, ou du moins de leur donner un chef qui fût dévoué à nos intérêts. Le
général Voirol n’osa rien prendre sur lui; il en écrivit à Paris, mais on ne lui fit
aucune réponse sérieuse, et lorsqu’il fut obligé d’abandonner son commandement,
aucune détermination n’avait été prise.
A Bougie, les attaques incessantes des Kabyles furent heureusement
repoussées par le jeune commandant à qui la garde de cette place avait été
confiée. La garnison eut à supporter des privations et des fatigues sans nombre;
mais, dans toutes les circonstances, elle fit preuve d’un courage admirable. Les
jours de combat étaient devenus pour elle des jours de fête. Cependant deux
blockhaus, construits l’un dans la partie supérieure de la ville, l’autre dans le bas,
à l’entrée de la plaine, finirent par contenir les Kabyles et rendre plus facile la
tâche de nos soldats.
Telle était notre situation politique et militaire en Afrique, vers le milieu de
l’année 1834. Malgré d’assez nombreuses fautes, l’administration du général
Voirol avait le plus avancé nos affaires. Comparée à celle du duc de Rovigo, elle a
prouvé que d’une rigueur ou d’une faiblesse extrêmes, celle-ci avait eu des suites
moins funestes. S’il se fût moins laissé intimider par sa situation intérimaire, s’il
se fût appliqué à acquérir les connaissances administratives qui lui manquaient,
s’il eût de bonne heure secoué le joug que l’intendant civil sut habilement lui
imposer, ce général aurait sans contredit obtenu de meilleurs résultats, et
inspiré au gouvernement assez de confiance pour faire convertir son mandat
provisoire en un titre définitif. Deux malencontreuses affaires, où sa religion fut
surprise, achevèrent de le perdre dans l’esprit du ministère. Le moment était
fâcheux, car à cette époque on s’occupait, à Paris, d’une réorganisation complète
de l’administration et de l’armée en Algérie.
Au premier moment d’enthousiasme causé par la prise d’Alger, il n’y avait eu
qu’un cri en France pour la conservation et la colonisation des belles contrées qui
en dépendent. Le gouvernement de juillet sembla d’abord se rendre à ce vœu en
envoyant sur les lieux le général Clausel, qui dès le principe s’était montré
partisan convaincu de la colonisation; mais les tracasseries qui lui furent
suscitées, disons-le aussi, ses erreurs, et enfin son rappel, firent suspecter les
intentions du gouvernement. On parla d’engagements secrets pris avec les
puissances étrangères, relativement à l’Afrique; l’opinion publique s’en indigna, et
la conservation d’Alger devint une affaire d’honneur national. Se plaçant à un
autre point de vue, des hommes positifs demandèrent quels avantages on pouvait
tirer de notre conquête, en compensation des sacrifices qu’elle nous imposait; et
plusieurs publicistes, entrant dans cette voie, n’hésitèrent pas à déclarer qu’il y
avait plus de perte que de profit à la garder. Les partisans de la colonisation ne
purent refuser de suivre leurs adversaires sur le terrain des intérêts matériels,
et la question devint en quelque sorte arithmétique. Le ministère, dont presque
tous les membres ne considéraient guère l’Algérie que comme une source
continuelle d’embarras, vit avec une secrète satisfaction la question se réduire à
ces termes étroits, et annonça qu’une commission nommée par le roi irait puiser
sur les lieux les éléments nécessaires à sa complète solution. Il déclinait ainsi
toute responsabilité, et ajournait pour quelque temps encore une décision
définitive. Il faut le dire, cette commission, présidée par le lieutenant général
Bonnet, pair de France, inspirait à tous les partis la plus grande confiance; elle
était composée de MM. d’Haubersaert, pair de France, de la Pinsonnière,
Laurence, Piscatory et Reynard, membres de la chambre des députés, Duval-
Dailly, capitaine de vaisseau, le général Montfort, inspecteur général du génie.
Les récriminations cessèrent, et on attendit avec une vive impatience le verdict
de ce grand jury.
La commission visita toutes les villes occupées par nos troupes, à l’exception
de Mostaganem, se fit donner des mémoires par tous les chefs de service,
interrogea plusieurs personnes, et à l’aide de ces éléments chaque membre traita
la partie qui avait le plus de rapport avec ses connaissances spéciales. Après un
peu plus d’un mois de séjour en Afrique, elle revint à Paris, et soumit son travail à
une seconde commission, composée de dix-neuf membres, sous la présidence de
M. le duc Decazes. On y procéda à de nouvelles enquêtes; les mémoires partiels
furent revus; et en définitive, dans un rapport très circonstancié, cette
assemblée conclut pour la conservation de l’Algérie. La majorité fut de dix-sept
voix contre deux.
Elle décida en principe que l’honneur et l’intérêt de la France lui
commandaient de conserver ses possessions sur la côte septentrionale de
l’Afrique; qu’en conservant les droits de la France à la souveraineté de toute la
régence d’Alger, il convenait de borner en ce moment l’occupation militaire aux
villes d’Alger, Bône, Oran, Bougie, et au territoire déterminé en avant des deux
premières de ces places; c’est-à-dire, pour Alger, qu’une ligne de postes serait
placée au pied de l’Atlas, à Blida, et s’étendrait, d’un côté vers le cap Matifou, et
de l’autre vers Coleah; pour Bône, que le territoire serait également protégé par
une ligne de postes qui, partant de l’extrémité du lac Falzara et passant par SidiDamden, viendrait s’appuyer à la mer, vers l’embouchure de la Mafrag. Elle
écarta pour le moment tout projet d’expédition contre Constantine, et exprima
le désir que l’effectif de l’armée pût être réduit à vingt-un mille hommes. Il fut
décidé en outre que le gouverneur général, dépositaire de l’autorité royale,
réunirait tous les pouvoirs civils et militaires; que ces hautes fonctions ne
devaient pas être la conséquence du commandement militaire, mais le dominer;
aussi la commission proposa-t-elle de mettre sous les ordres du gouverneur un
lieutenant général pour commander les troupes, et des chefs spéciaux pour
chaque nature de service.
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