MINISTERE DE L`AGRICULTURE

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MINISTERE DE L’AGRICULTURE
-=-=-=-=INSTITUT D’ECONOMIE RURALE
-=-=-=-=DIRECTION SCIENTIFIQUE
-=-=-=-=-
REPUBLIQUE DU MALI
Un Peuple-Un But-Une Foi
_________
Etude des pratiques de gestion de Echinochloa stagnina (burgu) dans le nord du Mali :
Une ressource pastorale vitale du delta intérieur du Niger au Mali
Amadou KODIO,
Lassine DIARRA
Aly KOURIBA
2008
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Sigles et abréviations
DIN : Delta intérieur du Niger au Mali
UNSO: United Nations Sudano-Sahelian Office
MS : Matière sèche
CIPEA : Centre International Pour l’Elevage en Afrique
ODEM : Opération pour le Développement de l’Elevage dans la région de Mopti
HUICOMA : Huilerie Cotonnière du Mali
IER : Institut d’Economie Rurale
DNE : Direction Nationale de l’Elevage
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INTRODUCTION
Comprise entre 13°30 et 16°30 de latitude nord, le delta intérieur du Niger au Mali (DIN)
est un écosystème original situé au cœur du Sahel malien. Il forme une vaste pénéplaine
alluviale de près de 30.000 km2 inondable par les eaux de crue du fleuve Niger et de son
principal affluent le Bani, ainsi que leurs nombreuses ramifications de chenaux qui
alimentent par ailleurs de multiples mares et lacs. Dans les zones d’inondations s’étendent
de vastes savanes ou prairies aquatiques constituées de graminées à tiges flottantes
souvent dénommées bourgou ou bourgoutières, du nom peul pour désigner des
pâturages inondés. Elles se rencontrent ailleurs au Zaïre, au Sénégal, au Niger, en Asie
tropicale, à Madagascar, au Soudan, dans la cuvette du lac Tchad et dans celle de
l’Okavango au Botwana,
L’essentiel de cette zone se situe dans la 5e région administrative du Mali, la région de
Mopti. Grâce à ses vastes prairies naturelles ou « bourgoutières » elle renferme à elle
seule plus de 70 % du potentiel des terres irrigables du Mali (Sada Sy, 1995 cité par
Michèle Adesir, 1999), et abrite environ 50 % du cheptel malien surtout pendant la longue
période sèche qui s’étale sur plus de 8 mois au Sahel, et fait vivre plus de 300.000
personnes du secteur de la pêche.
La diversité de ses ressources explique la diversité des populations, chacune avec sa
spécialisation pour un mode d’exploitation ou l’un des trois systèmes de production (la
pêche, l’agriculture et l’élevage). Traditionnellement chacun de ces systèmes est pris en
charge par un groupe ethnique dominant (la pêche par le bozo, l’élevage par le peul et
l’agriculture par le groupe rimaïbé-marka). Avant les sécheresses des dernières
décennies, l’abondance des ressources avait favorisé la cohabitation harmonieuse de
toutes les communautés socioprofessionnelles en présence. Depuis les épisodes de
sécheresses persistantes, devant ressources de plus en plus limitées sous la péjoration
climatique, chaque ethnie cherche à diversifier sa production au risque d’empiéter sur le
voisin contrairement l’ordre ancien. Les règles de partage et d’exploitation des ressources
clairement établies, suivant la trilogie hiérarchique élevage, pêche, agriculture, pendant la
période de la Dina (1818-1842) ne sont plus respectées. Aujourd’hui, on assiste plutôt à la
prédominance de l’agriculture. Les conflits fonciers entre les différents utilisateurs sont
ainsi devenus fréquents, surtout entre les éleveurs transhumants à la recherche des
fourrages et de l’eau et les agriculteurs occupant pâturages et quelque fois les pistes
d’accès à ces ressources.
1. Potentialités fourragères des bourgoutières
En considérant l’ensemble des associations végétales dans lesquelles le bourgou a le
statut d’herbacée dominante ou codominante, il apparaît que les bourgoutières couvrent
240 000 hectares, soit 8,9 % de la superficie des communes qui les englobent
(Jérôme. M, 2000).Ce sont les parcours les plus productifs du delta intérieur du Niger.
Ils peuvent fournir une biomasse de 35 000 kg de matière sèche à l’hectare. La
production médiane se situe autour de 20 000 kg, ce qui fait d’elles les pâturages les
plus recherchés de l’Afrique de l’Ouest. Une bourgoutière totalise environ 6000 kg de
repousses à l’hectare entre la fin de la pâture d’entrée (que l’on compte sur un mois) et
le mois de juin, avec un taux de consommation de 70 %.(Hiernaux et al 1983)
Si 40 communes sur 51 possèdent une bourgoutière, la superficie occupée par les
bourgoutières varie fortement d’une commune à l’autre. Quatre communes, à savoir
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Deboye, Toguére Coumbe, Kewa et Youwarou cumulent 100 000 hectares. Par contre, les
communes les moins pourvues, au nombre de quatorze, ne disposent que de 8 000
hectares. Les bourgoutières sont abondantes dans le nord, au niveau du lac Débo, mais
aussi autour de Toguére Coumbe, Tenenkou, Mopti et dans la cuvette du Yongari. Elles
dessinent une forme de fer à cheval autour du lac Débo (Jerome . M, 2000).
Les données du projet UNSO à Tonka en 1989 indiquent des productions de l’ordre de
15 à 32 tonnes de MS à l’hectare obtenues dans des bourgoutières régénérées de 4 à 5
ans d’âge.
Les relevés effectués en 1990 par Kodio et al ont indiqué des productivités primaires de
l’ordre de 3 à 8 tonnes et ceux les plus récents effectués en 2005 (tableau 1) donnent des
biomasses très variables selon les sites de 0.2 tonne à 20 tonnes de MS/hectare .
Tableau I : Biomasse fourragère de 4 bourgoutières dans le DIN (2005)
Nom site
cercle
Biomasse
moyenne
t.m.s. /ha
Mopti
5.88
Tenenkou
4.86
Youwarou 15.03
Djenné
5.01
Koubaye
Sévéri
Walado
Yongari
Variabilité
biomasse
t.m.s. /ha
mini médian maxi.
02
06
17
0.2 05
07
13
15
20
02
05
07
Les coordonnées géographiques de ces sites sont connues
Cet inventaire mené à l‘échelle du DIN en 5e région montre une très grande variabilité
quantitative du bourgou suivant les années et les sites.
2. Modélisation de la production du bourgou
Sur la base d’une étude effectuée entre 1980 et 1983 par les chercheurs du CIPEA et de
l’ODEM, intitulé « Recherche d’une solution aux problèmes de l'élevage dans le Delta
intérieur du Niger au Mali (5 volumes, 54 cartes au 1/50 000) »
et des simulations
réalisées dans un système d’information géographique intitulé « DELMASIG : Homme,
milieux, enjeux spatiaux et fonciers dans le delta intérieur du Niger (Mali) publié en 2000
par J. MARIE, les formations végétales du delta et leurs relations avec la crue ont pu être
modélisées..
Pour la composition floristique, chaque formation
valeurs de référence :
-
végétale est caractérisée par deux
la valeur indicatrice des espèces, codée de 0 à +++, qui définit l’intensité de
liaison entre l’espèce et la formation végétale ;
l’abondance dominance des espèces.
La première est indiquée par des seuils de probabilité de présence ou d’absence de
l’espèce dans la formation végétale. La seconde est indiquée par la distinction de trois
catégories d’espèces : les dominantes, les accompagnatrices et les occasionnelles,
chacune représentant respectivement, 80, 15 et 5 % de la biomasse végétale. (Tableaux
II, III et IV.).
Le suivi de l’évolution de ces valeurs de référence peut servir d’indicateur de la dynamique
de la flore de la formation végétale considérée.
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Tableau II : Code représentant l’intensité des liaisons espèces/profil floristique ou
profil/état des variables.
Code Signification statistique
+++
L’espèce est significativement sensible à l’état de la variable au seuil de 1 0/00
++
L’espèce est significativement sensible à l’état de la variable au seuil de 1%
+
L’espèce est significativement sensible à l’état de la variable au seuil de 5 %
.
L’espèce n’est pas significativement sensible à l’état de la variable au seuil de 5%
0
Echantillon trop faible pour conclure ou absence de données
Source : Jerome Marie. (2000)
Tableau III : Le statut des espèces végétales en termes d’abondance – dominance dans
les formations végétales.
Code Statut en terme d’abondance – dominance
HD
Herbacées dominantes
HO
Herbacées occasionnelles
HA
Herbacées accompagnatrices
LD
Ligneux dominants
LO
Ligneux occasionnels
LA
Ligneux accompagnateurs
Source : Jérôme Marie (2000)
Tableau IV: Exemple d’une bourgoutière à Echinochloa stagnina
Espèces dominantes ou
codominantes
Echinochloa stagnina +++
++
Voscia cuspidate
Espèces
accompagnatrices
Ipomea aquatica
Nymphea lotus
Espèces occasionnelles
+
++
Melochia corchorifolia +
Utricularia inflexa
+
Nymphea maculata
Polygonum spp
+
+
Vetiveria nigritiana
+
La production fourragère herbacée est modélisée en formulant des hypothèses tenant
compte de la hauteur de crue. Elle est représentée par trois valeurs :
 le maximum qui correspond à des valeurs de pointe mesurées sur le terrain.
 la valeur médiane qui correspond en moyenne à la production escomptée lors
d’une bonne crue ;
 la valeur minima qui est celle obtenue lors d’une mauvaise année.
La production de repousse de saison sèche est décrite aussi par trois valeurs standard :
minima, médiane et maximale.
La connaissance des caractères de l’inondation permet donc à partir du modèle
DelmaSIG, de caractériser la production fourragère de l’ensemble du delta à partir des
valeurs des formations végétales individuelles. Quelques valeurs de production sont
données au tableau V
Tableau V : Production standard de quelques formations végétales du delta
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Formations Production annuelle en kg/hectare
Production de repousses en
végétale
kg/hectare (Déc à juin)
minimum médiane
maximum minimum Médiane
maximum
AC
3000
5000
8000
300
600
1200
B
15000
20000
30000
3000
6000
10000
O
5000
8000
15000
400
800
1200
AC = Eragrostaie haute à Eragrostis barteri et Andropogon canaliculatus
B = Bourgoutière à Echinochloa stagnina
O = Orizaie haute à Oriza longistaminata et Setaria anceps
3. Gestion des bourgoutières
Les exploitations des bourgoutières sont de plusieurs types en fonction des périodes. Le
respect de ces périodes est indispensable à la préservation des prairies à bourgou. Ces
exploitations sont aussi, fondamentalement liées à la quantité des pluies et aux niveaux
des crues, donc au cycle biologique de la plante. Les dates des rentrées et des sorties des
troupeaux doivent être suivies et respectées. Il en est de même des périodes de fauches,
de récoltes des semences, d’entretien des parcelles régénérées etc. Il s’agit en définitive
d’appliquer une bonne gestion en vue d’une exploitation durable de la ressource.
Elle peut être individuelle ou collective et concerne des espaces régénérés et naturels. La
régénération d’une bourgoutière nécessite des investissements estimés en zone lacustre
par le projet UNSO (1989) à Tonka de 7000 F.CFA à 33.650 F.CFA en fonction des
modes d’implantation et des travaux effectués. A la Station de Recherche et d’Essai
Fourragers de l’IER situé à Mopti, l’implantation d’un ha (1996) est revenue à 51.000
FCFA. Afin de valoriser ces investissements, il est nécessaire d’appliquer une gestion qui
doit assurer une durabilité des ressources régénérées. Cette gestion doit comporter
l’exploitation rationnelle, les entretiens et les amendements indispensables en cas
d’utilisation prolongée et intensive. En effet, il est recommandé un apport de fumure de
maintien après chaque exploitation des fourrages.
Traditionnellement, la gestion des bourgoutières était collective. Elle était généralement
confiée à des groupes ethniques appelés les « dioros ». L’avantage était accordé aux
laitières, aux veaux et animaux malades dans certaines bourgoutières dites « Harimas ».
Le gros du bétail allait dans les grandes bourgoutières. Cette gestion basée sur les lois
islamiques, c’est à dire les principes du coran, appelée la « DINA » a été instituée en
1918 par un conquérant peul du nom de Sékou Amadou.
La gestion était approximative mais réglementée et satisfaisante jusqu’aux dates
récentes des années 1960 où l’Etat omnipotent sur toutes les ressources, était le seul
propriétaire.
Les sécheresses successives et les lois dites modernes introduites dans le système
ancien créant la confusion, ont eu pour conséquence la désorganisation dans l’exploitation
des bourgoutières. Les faibles pluviométries et faibles crues presque endémiques de près
de 3 décennies ; les exploitations anarchiques et abusives ainsi que les rizicultures
itinérantes ont vite entraîné des dégradations des bourgoutières.
A partir des expériences de l’ODEM de 1978, plusieurs bourgoutières ont été
régénérées. A ce niveau la gestion est soit individuelle soit familiale. Le but visé par ces
types de gestions est le même, à savoir l’utilisation rationnelle et harmonisée des
ressources du milieu.
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Des années 1818 à 1945, ces espaces étaient gérés selon le code de la DINA de Sékou
Amadou, un souverain Peulh qui avait organisé toutes les structures sociales dans le
delta. Son code responsabilisait et faisait respecter par les cohabitants la trilogie suivante :
- L’élevage plus important exploitait les herbes dont la responsabilité était confiée
à des « Dioros » ;
- Ensuite venait la pêche qui était l’apanage des Bozos responsables des eaux.
Ils étaient ambulants mais campaient sur terres fermes au niveau des « Dagas »
qui sont des villages temporaires ;
- Enfin une petite agriculture de subsistance était pratiquée par des « Rimaïbés »
esclaves des Peulhs.
A partir des années 1960, donc à l’indépendance, la non concordance entre les us et
coutumes et les lois dites modernes ont entraîné une certaine confusion dans la gestion,
des ressources En conséquence, toutes les hiérarchies sont aujourd’hui bouleversées.
Ainsi le delta connaît une très profonde mutation car on y rencontre des « Dioros »
transformés en propriétaires terriens et agriculteurs ; des Bozos riziculteurs et même des
Peulhs cultivateurs.
La tendance actuelle est la prédominance de l’agriculture itinérante sur les activités
d’élevage et de pêche. Dans un tel état conflictuel, l’organisation des populations devient
prépondérante parmi toutes les activités afin d’éviter les dégradations des écosystèmes
deltaïques.
Afin de sauver le milieu, il faut absolument établir un nouvel ordre de vie ; des nouvelles
structures socio-organisationnelles. Par ailleurs une place importance sinon capitale doit
être réservée aux questions de résilience des ressources en exploitation.
4. Impact Socio-économique
Très vite, le bourgou est devenu une spéculation de rente. Des tonnes de bottes séchées
sont vendues dans tous les centres urbains. Cette activité commerciale fait vivre plusieurs
personnes : agro-éleveurs, agriculteurs et intermédiaires.
Les bottes stockées à la période d’abondance assurent l’entretien des élevages
périurbains. Elles favorisent la production de lait pendant la période sèche. Elles sont
utilisées dans presque toutes les concessions des centres importants dans les 5 ème et 6ème
régions pour nourrir les petits ruminants de case, dans les marchés à bétail et même pour
l’embouche. Elles permettent ainsi d’assurer une bonne commercialisation du bétail et du
lait. Ces produits, à savoir la viande et le lait améliorent les conditions nutritionnelles des
populations dans ces régions et le revenu des producteurs et intermédiaires.
Par ailleurs grâce aux bourgoutières régénérées davantage d’animaux sont maintenus sur
place et ne font plus la grande transhumance. Les habitants se procurent assez de lait et
même peuvent assurer le conditionnement des bœufs de labour grâce auxquels ils
pratiquent maintenant les labours de décrues.
Plusieurs associations se créent pour exploiter et gérer en commun des espaces
régénérés et de plus en plus les pâturages naturels.
D’un point de vue monétaire, le fourrage récolté procure des revenus très substantiels à
l’hectare. Selon les estimations de l’UNSO à Tonka dans la région de Tombouctou, en
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zones lacustres, pour un prix moyen de 40 F.CFA la botte de 1,5 à 3 kg on peut obtenir un
bénéfice de 227.235 F.CFA/ha en 3ème année d’âge de régénération, pour une biomasse
donnant 7.500 bottes soit environ 23 t/ha de fourrage. Quelques fois les bottes sont
vendues à 300FCFA à l’approche des saisons de pluies.
En pâturage direct par des laitières supplémentées par l’aliment HUICOMA, l’UNSO
rapporte un bénéfice bien meilleur, de 341.320 F.CFA/ha.
A Korientzé, où les mesures de protection et d’entretien ne sont pas requises, les
bourgoutières régénérées procurent de bénéfices relativement bas, de l’ordre de 31.750 à
75.000 F.CFA/ha
Ces différents bénéfices montrent tout l’intérêt porté à la bourgouculture par rapport au riz
par certains habitants du delta. La principale contrainte qui empêche le développement
rapide de cette activité est le problème foncier.
5. Impact Environnemental
Depuis les premiers essais effectués par l’ODEM à nos jours, il est très difficile de
quantifier toutes les superficies régénérées en bourgou. En effet, des organismes de
développement, des ONG, de façon privée ou encadrée, ont régénéré de grands espaces
à travers tout le Delta. Des poches de régénération s’étendent tout le long du fleuve Niger
depuis Ségou (4e région) jusqu’à Gao (6e région).
Cependant on peut avancer ces quelques superficies réalisées par l’encadrement ODEM
et UNSO :
- 4050 ha dans les zones lacustres
- Plus de 10000 ha à Korientzé
- 600 à 1000 ha à Sendegué
- 100 à 250 ha à Youwarou.
Ces programmes de régénération s’accompagnent très souvent d’un volet organisation
des populations et d’un volet gestion des ressources. Cette gestion est un élément
important dans la durabilité du couvert végétal en général et des bourgoutières en
particulier. Par extension, la régénération et la gestion concernent de plus en plus
l’ensemble des ressources naturelles, pastorales, agricoles et forestières.
6. Perception des populations sur les changements pastoraux
Un guide élaboré à cet effet était adressé à toutes les catégories socioprofessionnelles
(éleveurs, agriculteurs, pêcheurs, dioros, chefs de villages et personnes ressources). Les
deux tiers des populations échantillons interviewées étaient des éleveurs. Un total de 60
personnes ont fait l’objet d’interview sur l’évolution des espèces d’avant les années 1960 à
nos jours. Cette collecte d’informations a concerné seulement les adultes et sur 4 sites du
delta central du fleuve Niger. L’enquête a porté sur le bourgou mais aussi les principales
espèces qui l’accompagnent dans le delta et qui constituent ensemble une masse
importante de fourrage aquatique.
Toutes les personnes interviewées ont reconnu que des changements importants sont
intervenus dans les pâturages du delta. Les résultats obtenus sur les principales espèces
ayant disparues, régressées, accrues ou apparues sont indiqués dans le tableau VI.
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Tableau VI : Changements observés par les utilisateurs directs de ressources sur les
espèces herbacées du Delta.
Période avant 1960 à 1970
Période de 1970 à nos jours
Espèces appétées abondantes
Echinochloa stagnina (Bourgou)
Panicum subalbidum(Pacri)
Brachiaria mutica(Bougnari)
Vetiveria nigritiana
Andropogon gayanus
Eragrotis barteri
Espèces peu abondantes
Voscia cuspidata (didèrè)
Oryza bartii(séko)
Sorghum trichopis
Oryza glaberrima(farafin malo)
Apparition de mauvaises espèces
Mimosa pigra
Typha elephantina
Melochia corchorifolia
Espèces en accroissement
Voscia cuspidata
Oryza longistaminata (Baw, diga)
Cynedon dactylon (Koyobon = kesu =
gazon)
Oryza bartii
Oryza glaberrima
Espèces en regression
Echinochloa stagnina (Bourgou)
Vetiveria nigritiana (Babin)
Andropogon gayanus(saran)
Sesbania rostata ( Porompoli)
Espèces disparues
(Karso)*,
(Wadio)*
(Koumba kofol)*
Andropogon spp (Djiguinèbin)
NB: Entre les parenthèses sont indiques les noms en langues locales
* Espèces non identifiées car les descriptions locales n’ont pas encore permis de les reconnaître
Par rapport aux conséquences de ces changements sur les animaux la plupart des
personnes interrogées disent que l’accroissement de l’espèce Voscia cuspidata est à
l’origine de la maladie de foie des animaux.
En termes d’abondance, 100 % disent que plus de 50 % des bourgoutières ont disparu et
les espèces qui remplacent le bourgou sont moins productives.
Les données secondaires sur la zone permettent d’étayer ces constats des éleveurs et
autres utilisateurs des ressources de l’hydro- système deltaïque.
Le tableau VII permet de se faire une idée sur l’importance des dégradations survenues
dans quelques espaces pastoraux évalués entre les années 1976 et 1991 par l’ODEM.
Ces dégradations sont consécutives aux baisses des crues qui favorisent l’installation des
cultures et l’apparition des mauvaises espèces. Le phénomène le plus remarquable est
l’extension des surfaces cultivées en riz au dépens des bourgoutières et leur
remplacement dans les zones dégradées à submersion occasionnelle par des espèces
moins intéressantes par rapport à Echinochloa stagnina (bourgou en peul) tel que le
Mimosa pigra, Cyperus spp.
Donc, même si les bourgoutières sont les pâturages les plus productifs du delta, il faut
signaler que leur existence est fortement menacée dans certaines zones. En effet, à
cause de la sécheresse et de la faiblesse de l’inondation, des superficies importantes sont
défrichées et transformées en rizières. Ce phénomène a des conséquences importantes
sur l’élevage car elle diminue fortement la capacité de charge.
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Tableau VII: Superficie de bourgoutières occupée par l’agriculture (DNE, 1991) et Mimosa
pigra. Source Kodio Amadou et Sékou Traoré, 2002.
Cercle de Djenné Tenenkou
Mopti
Localités
Zones pastorales
Pondori, Yongari,
Mangari
Kotia, Diondiori,
Diafarabé
Superficie (ha)
Superficie dégradée
(ha)
58.800
29.400
246.400
122.800
Kotia, Sendengué,
Pondori, Dialloubé,
Sébéna
175.000
50.000
30.000*
* superficie occupée par Mimosa pigra
Le tableau VII montre que près de 50% des bourgoutières ont été occupées par les
cultures et colonisées par Mimosa pigra à Mopti.
Dans la zone diffuse les superficies rizicoles ont passé de 14.140 ha en 1984 à 45.000 ha
en 1990 (Sidibé Y.; 1993).
Plus récemment, Zwarts et Diallo en 2003, donne pour l’ensemble du Delta intérieur près
de 1040 km2 de surface cultivées en riz autant que celle occupée par le mélange bourgou
et Voscia cuspidata (didèrè en langue peule) et plus du double de celle de la formation
spécifiquement bourgou.
Il faut ajouter également les espaces occupés par les cultures sèches de mil, sorgho. En
plus des cultures de céréales, le maraîchage s’est aussi accru dans le cadre des
programmes divers d’amélioration des revenus des femmes rurales dans toutes les
catégories socioprofessionnelles. Toutes ces exploitations agricoles s’étendent sur les
pâtures et bouchent souvent les pistes de transhumance. Aussi, de l’exploitation
anarchique de ces ressources pastorales de plus en plus limitées, il en résulte de
nombreux conflits, souvent sanglants.
Cent pour cent des populations interviewées atteste cette progression des surfaces
cultivées et la multiplication des conflits liés à l’utilisation des ressources naturelles.
Pour s’adapter à ces situations nouvelles les populations ainsi que l’Etat malien ont
développé un certain nombre de stratégies :
Autre fois, la notion d’appropriation de l’espace par des individus ou des groupes était
moins marquée. Concernant les pâturages exondés, elle se limitait au droit sur les points
d’eau construits. Dans le Delta, chaque pâturage ou portion était exploitée selon le
principe défini par la communauté qui consistait entre autre au respect de préséances des
troupeaux selon les appartenances et les types, le paiement d’une redevance ou « tolo »
en langue locale peule, sur les troupeaux des bergers étrangers qui pénètrent dans le
delta. Les règles d’exploitation étaient claires pour chaque groupe socioprofessionnel.
Chaque portion identifiée en consensus, était reconnue comme pâturage, zone de pêche
ou zone de culture par l’ensemble des différents groupes de producteurs (éleveurs,
agriculteurs et pêcheurs). Des repères naturels suffisaient pour apprécier les limites d’une
communauté ou d’un groupe de communautés.
A cette époque, dans les pâturages exondés comme dans les bourgoutières du delta les
systèmes fonciers étaient surtout basés sur l’obtention du droit d’usufruit, de contrôle et de
gestion; les ressources pastorales étant très abondantes. Les aménagements pastoraux
se limitaient à des creusements de puits, de mares et de balisage des pistes de
9
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transhumance ou d’accès des animaux aux pâturages et aux points d’eau. Le tout
parcours était sous la responsabilité des « Dioros » qui le géraient au nom de la
collectivité.
A partir des années 1970, l’Etat afin de minimiser les conflits nombreux dans l’exploitation
des ressources de plus en plus limitées et de promouvoir un élevage décimé par la
sécheresse, a entrepris d’organiser l’exploitation des ressources pastorales et les pasteurs
à travers des opérations de développement de l’élevage. Les solutions étaient le plus
souvent parachutées et les pasteurs avaient du mal à s’adapter. La gestion rendue
confuse car retirée aux propriétaires, a été attribuée aux agents de l’Etat tout en
reconnaissant les us et coutumes. De cette gestion « bâtarde » sont nés de multiples
conflits.
Le transfert actuel des ressources pastorales aux collectivités locales avec l’avènement de
la décentralisation à partir des années 1995, constitue certes une avancée dans la
responsabilisation effective des populations locales malgré les insuffisances constatées.
Depuis ces cinq dernières années, des populations flottantes constituées uniquement de
peuls s’installent avec les laitières dans les périphéries des centres urbains pour vendre le
lait. Le berger conduit le reste du troupeau constitué des vaches vides et des mâles dans
les bourgoutières. Cette nouvelle forme de vie permet de préserver le peu de récolte dans
les villages pour le retour de la famille dans les zones exondées. Elle permet de bien
alimenter tous les membres de la famille mais aussi de sauver de la famine les vaches
allaitantes qui sont supplémentées par des aliments industriels à base de tourteaux de
coton. Certains éleveurs disent grâce à cette nouvelle forme de vie, pouvoir faire des
économies qui sont réinvesties dans le cheptel. Les interviews ont montré qu’ils
n’investissent pas dans l’amélioration des pâturages.
7. Conclusion
La régénération ainsi que la gestion des bourgoutières sont liées à l’existence d’une
bonne organisation des populations. Cette organisation ne peut se faire qu’autour d’un
centre d’intérêt. L’exploitation organisée des espaces pastoraux ou culturaux n’est pas
aisée tant que les problèmes fonciers et socio-organisationnels ne sont pas réglés. Il
s’avère dès lors indispensable de bien connaître le milieu. Le diagnostic constitue le point
de départ de toute action de régénération dont la réussite est liée à l’adhésion des
populations, à l’entente entre exploitants.
Enfin, la sauvegarde de l’extraordinaire richesse que constituent les bourgoutières ou
prairies à Echinochloa stagnina, il faut une exploitation concertée et rationnelle des
ressources potentielles des écosystèmes du Delta Central du fleuve Niger.
Des études d’envergure sont aujourd’hui nécessaires afin de redéfinir les potentialités des
bourgoutières et avec les changements et attitudes ou comportementales intervenus au
sein des différents utilisateurs de la ressource bourgou.
L’étude la plus récente qui couvre tout le delta est celle réalisée par le CIPEA en 1986
dans le cadre du projet de développement de l’élevage en 5 ème région ; toutes les autres
étant le plus souvent trop sectorielles. Beaucoup de données ont besoin d’être
actualisées.
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Références bibliographiques
Didier Orange (IRD), 1999 : Document de projet, identification et cadrage : Etude Intégrée
de la Dynamique des Processus Eco biophysiques et Socio-économiques d’une Zone
Humide Tropicale : Le Delta Intérieure du Niger (EIDES-DIN) par le groupe de réflexion
pluridisciplinaire malien pour la gestion intégrée des ressources naturelles dans le Delta
Intérieur du Niger (CERDIN).
Jérome Marie, 2000. DELMASIG : Homme, milieux, enjeux spatiaux et fonciers dans le
delta intérieur du Niger (Mali)
Kodio A. et Sékou Traoré, 2002 : Communalité et Inter-communalité dans l’Identification,
l’Aménagement et la Gestion des Parcours du Bétail dans le Delta. Forum régional sur la
gestion des ressources pastorales en 5ème région, Mopti 12-14 novembre2002. Bp 205
Mopti, Mali ; [email protected].
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