L`investissement de la place d`Alger

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L’investissement de la place d’Alger.
ENFIN l’ordre se rétablit, et l’armée, après avoir nettoyé les environs du
Bouzaréah, en couronna le sommet. Elle vit alors se déployer devant elle tout le
revers d’Alger, le fort de l’Empereur, et à l’horizon la mer, où l’œil découvrait
notre escadre qui s’avançait pour combiner une double attaque. Ce spectacle
grandiose excita l’enthousiasme des troupes, et, par un mouvement unanime et
spontané, on les entendit saluer, des cris mille fois répétés de Vive le Roi ! Les
remparts de cette orgueilleuse cité, où allait bientôt flotter victorieux le
drapeau qu’elle avait osé naguère insulter. C’est surtout des hauteurs du
Bouzaréah que le port d’Alger, la ville et les campagnes qui l’environnent,
présentent un aspect délicieux, un magnifique panorama. Arrêtons-nous ici un
moment pour reconnaître les lieux où les dernières scènes de l’invasion française
vont s’accomplir.
Le massif isolé du Bouzaréah occupe en avant de la plaine de la Mitidja une
aire à peu près elliptique de trente-trois mille hectares; son point culminant est
à trois mille six cents mètres de distance horizontale d’Alger, et à 402 mètres
au-dessus du niveau de la mer. La surface que l’œil embrasse du haut de cette
élévation est immense elle s’étend de la mer aux crêtes de l’Atlas, de Dellys à
Cherchell, et se divise en trois parties bien distinctes: le Sahel ou massif
d’Alger, la plaine de la Mitidja et les flancs de l’Atlas. Le massif d’Alger occupe
avec ses annexes une superficie de vingt-cinq lieues carrées; sa base est baignée
au nord par la mer, à l’est par l’Harrach, à l’ouest par le Mazafran; au sud il
descend brusquement vers la Mitidja.
Un réseau inextricable de chemins sinueux traverse dans tous les sens la
campagne qui avoisine Alger et en fait un véritable labyrinthe. C’est dans ces
étroits défilés, on ne peut plus favorables à la défense, qu’en 1775 les troupes
espagnoles d’Oreilly, en butte à des feux d’embuscade très vifs, perdirent
courage et se rembarquèrent après avoir laissé sur le champ de bataille plus de
monde que la conquête d’Alger n’en a coûté à l’armée française. Tous ces sentiers
conduisent à des milliers de petites habitations, dont l’éclatante blancheur
contraste avec la végétation qui les environne. Le sol est entièrement recouvert
de vignes, de pastèques, de melons, d’orangers, d’acacias, de chèvrefeuilles, de
peupliers mélangés de nopals à rosaces jaunes, et de toutes les brillantes
variétés de la flore numidienne. Le cactus avec son feuillage massif et ses troncs
fantastiques entoure les champs de ses impénétrables buissons, tandis que
l’agave dresse ses immenses rameaux semblables aux glaives d’une race de
géants. Au milieu de ces délicieuses petites villas, les résidences des consuls
européens se faisaient remarquer par leurs plus grandes proportions et les
larges pavillons dont elles étaient surmontées.
C’est au milieu de ce tapis d’émeraudes et d’opales que s’élève Alger, la
victorieuse, la bien gardée. Son enceinte triangulaire a un développement de
trois mille mètres environ. Le front de mer regarde l’orient; les deux autres
fronts, moins développés que le premier, sont tournés, l’un vers le nord-ouest,
l’autre vers le sud-ouest. Le point où ils se réunissent, qui est le plus élevé de
l’enceinte, se trouve à cent vingt-quatre mètres au-dessus du niveau de la mer.
Sur les fronts nord-ouest et sud-ouest, l’enceinte consiste en un mur qui n’est
point bastionné, et dont le pied n’est défendu que par des flancs extrêmement
courts. Il n’y a d’artillerie que sur un petit nombre de points: les remparts ont
trop peu de largeur pour qu’on puisse y en établir. Dans plusieurs parties les
maisons adossées au revêtement ne laissent pas même assez d’espace pour les
fusiliers. Sur le front sud-ouest, on remarque en avant de l’enceinte une forte
dépression qui ne paraît pas être entièrement l’ouvrage des hommes, et à laquelle
un mur parallèle à celui de la place donne l’aspect d’un fossé. L’autre front est
couvert sur presque tout son développement par un ravin très prononcé. Du côté
de la mer, l’enceinte n’est presque partout qu’un simple mur. Le port ou la darse
est formé par un môle qui joint au continent les petits îlots auxquels Alger paraît
devoir son nom; une chaîne en ferme l’entrée. Plusieurs des batteries établies
dans l’île sont casematées et disposées sur différents étages. La ville d’Alger a
cinq portes : deux sont ouvertes sur le front de mer; deux autres se trouvent
aux extrémités inférieures des fronts de terre : c’est Bab-Azoun, à l’ouest, Babel-Oued à l’est. La cinquième porte est comprise dans le même front que la porte
Bab-Azoun et se trouve à cent vingt mètres environ de la Casbah. On la nomme
porte neuve. Au sommet de l’angle que forment les deux fronts de terre, s’élève
uneespèce de citadelle, dont les murs sont plus hauts que ceux de la place; c’est
la Casbah (mot arabe qui signifie forteresse). En avant de cet ouvrage, et à peu
près dans la même direction que la route d’Alger à Sidi Ferruch, s’étend une
chaîne de monticules dont l’élévation progressive est en raison directe de leur
éloignement de la place. A droite de la ligne qui forme le faîte de cette petite
chaîne, les eaux affluent vers le ruisseau qui donne son nom à la porte Bab-elOued; à gauche, elles se dirigent vers la rade ou vers l’Harrach. C’est sur l’un de
ces monticules qu’en 1541 Charles-Quint établit ses quartiers Après la retraite
de l’armée espagnole, Hassan, qui gouvernait alors l’odjak, voulut mettre cette
importante position à l’abri d’une nouvelle tentative et y fit élever un fort qui fut
appelé d’abord du nom de son fondateur, citadelle de Muley-Hassan (MuleyHassan-Bordj); mais depuis la mort de ce dey, on l’a généralement désigné sous le
nom de Sultan-Calassy (fort de l’Empereur), en commémoration sans doute de la
victoire remportée sur le sultan chrétien qui avait campé sur ce mamelon.
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